Spéculations/Cambronne et Édouard au Jockey-club

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CAMBRONNE ET ÉDOUARD AU JOCKEY-CLUB

La franc-maçonnerie, si les mots ont un sens, est un vaste syndicat, en toute franchise, des ouvriers du bâtiment : charpentiers, plâtriers, maçons — naturellement — plombiers, zingueurs, couvreurs et tout-à-l’égoutiers.

De même, le Jockey-Club est une officine bien parisienne — son titre anglais l’indique — où se groupent les lads, palefreniers, bookmakers, jockeys — naturellement — et où s’élabore le résultat complet des courses.

Un peu fermé, parce que les tuyaux, ça s’évente, être du Jockey économise l’achat d’Auteuil-Longchamps.

Les membres de ce bar, vêtus de complets à carreaux et coiffés de casquettes, passent leur time à boire du stout, du porter et de l’Old Tom gin, en mangeant des mutton-chops avec des pickles.

C’est bien un club de jockeys, car on les pèse à la réception. On peut à l’instar, ou plutôt à l’inverse du bon jockey Balthasar, être pesé dans la balance du pesage et trouvé trop lourd. Alors on a deux parrains qui vous prennent par dessous les bras et vous « soulagent ».

« Soulagent », c’est le mot.

Parlons d’un autre mot.



Le comte de Cambronne est membre du Jockey.

Vieille noblesse, antiquité qui suffirait du moins à un vin ou à un alcool : 1814 !

Édouard VII aussi, du temps où il n’était encore que prince de Galles, est membre du Jockey.

Il est bon qu’il y ait au moins un Anglais dans toute société bien parisienne à titre anglais.

On craignait que la rencontre entre Édouard VII et M. de Cambronne ne fût froide, ou, alternative pire, collisionnaire.

Il n’en a rien été.

Le roi tapa tout de suite sur le ventre au comte.

« Mais nous en avons, de votre famille, en Angleterre ; seulement, ça se prononce : Kean Brown.

« Donc, quand votre grand-père, Monsieur, proféra son cri de guerre, lord Kean Brown (cousin, entre parenthèses, du royal George Brown, mort naguère à Mantes), lord Kean Brown lui répondit par le sien. Nous avons une statue à Londres — nous aussi nous empaillons nos grands hommes — qui le représente dans ce beau geste vocal. Quand vous vous exclamâtes...

— Oh ! Sire, protesta modestement M. de Cambronne.

— Mettons : « La garde meurt et ne se rend pas », à cela lord Kean Brown répondit EAT. Prononcez : ite, ça veut dire : manger.

« Comme quoi les Anglais tirèrent les derniers. »

... Et on changea de conversation.


On évita les sujets qui pouvaient paraître déplacés au roi :

1o Jeanne d’Arc : une alcoolique, elle se nourrissait de pain dans du vin !

2o Waterloo, toujours, à cause de Cambronne.

Il y a une petite histoire belge là-dessus, courante à Ixelles — et il y a des Belges au Jockey, comme il y a des Polonais, des Roumains et des Kurdes, c’est pourquoi nous ne saurions trop répéter que c’est un club bien parisien ; — il y a une petite histoire belge, donc, qui pourrait être utile au protocole :

L’aide-de-camp de Napoléon :

« ’Poléon !

— Quoi ?

— ’Poléon ! Les Russes sont là.

— Bon : prenez deux canons et f… les en bas.

— ’Poléon ! Les Prussiens sont là.

— Bon : prenez deux canons et f… les par terre.

— ’Poléon… (Le défilé des peuples est à tiroirs). ’Poléon ! les Belges sont là.

— Les Belges ! dit l’Empereur ; godferdoum ! nous sommes f…us. »

On comprend aisément que l’on construirait un Waterloo délicat et agréable au roi d’Angleterre en mettant au lieu des Belges, les Anglais, et Goddam pour Godferdoum.



À propos :

L’Ennemi Héréditaire — vive Krüger ! — est pour quatre jours dans nos murs. Les patriotes peuvent avoir cette illusion, qu’ils l’ont fait prisonnier.

Mais le fisc touche sur les héritages.

Nous paierons donc tant pour cent sur notre Ennemi Héréditaire.



À propos.

Édouard VII est venu en France parce qu’il n’a pu faire autrement :

Si tous les chemins mènent à Rome, la France est le chemin le plus court pour revenir de Rome à Londres.

Time is Money.