Stances à M. Alfred de Musset

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POÉSIE.

STANCES À M. ALFRED DE MUSSET.


J’ai lu ta vive Odyssée
Cadencée,
J’ai lu tes sonnets aussi,
Dieu merci !

Pour toi seul l’aimable muse
Qui t’amuse,
Réserve encor des chansons
Aux doux sons.

Par le faux goût exilée
Et voilée,
Elle va dans ton réduit
Chaque nuit.

Là, penchée à ton oreille,
Qui s’éveille,

Elle te berce aux concerts
Des beaux vers.

Elle sait les harmonies
Des génies,
Et les contes favoris
Des péris ;

Les jeux, les danses légères
Des bergères,
Et les récits gracieux
Des aïeux.

Puis, elle se trouve heureuse,
L’amoureuse,
De prolonger son séjour
Jusqu’au jour,

Quand du haut d’un char d’opale,
L’aube pâle,
Chasse les chœurs clandestins
Des lutins.

Si l’aurore mal apprise
L’a surprise,
Peureuse, elle part sans bruit,
Et s’enfuit,

En exhalant dans l’espace
Qui s’efface,
Le soupir mélodieux
Des adieux.

Fuis, fuis le pays morose
De la prose,
Ses journaux et ses romans
Assommans.

Fuis l’altière période
À la mode,

Et l’ennui des sots discours
Longs ou courts.

Fuis les grammes et les mètres
De nos maîtres,
Jurés-experts en argot
Visigoth.

Fuis la loi des pédagogues
Froids et rogues,
Qui soumettraient tes appas
Au compas.

Mais reviens à la vesprée,
Peu parée,
Bercer encor ton ami
Endormi.


Charles Nodier.