Stances (Jean Polonius, III)

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Poésies (p. 67-69).

Stances



 
Si le ciel eût permis que ta douce présence
Enchantât plus longtemps mes regards amoureux ;
Si le temps, si l’espace, unissant leur puissance,
N’étaient venus trop tôt nous diviser tous deux :
Est-il vrai que mon cœur, las du bonheur suprême,
De t’aimer sans fureur, de te voir sans désirs,
Eût cherché dans l’amour plus que l’amour lui-même,
Et voulu savourer la coupe des plaisirs ?


Il se peut : l’homme est faible, et son âme incertaine,
Essayant vers le ciel d’inutiles efforts,
Trop souvent cède au poids de l’invisible chaîne
Qui la livre, ici-bas, aux vils penchants du corps.
Trop souvent, dans les nuits, lorsqu’une vaine image
D’un fantôme d’amour abusait mon sommeil,
J’ai frémi de n’avoir embrassé qu’un nuage ;
Et, nouvel Ixion, j’ai maudit mon réveil.

Eh bien ! reste donc loin des bords où je respire !
Que béni soit le sort qui te cache à mes yeux,
Puisqu’il sauve mon cœur et l’arrache à l’empire
Qu’exerceraient sur lui des sens tumultueux !
Que l’abîme entre nous roule ses flots sans nombre,
Que le temps, pour jamais, te sépare de moi,
S’il est vrai que le temps eût pu mêler une ombre
Au sentiment si pur que j’ai conçu pour toi !

Hélas ! il a péri presque avant que d’éclore ;
Je te vis, je t’aimai, je te perdis soudain.

Mon amour fut pareil au léger météore,
Au bourgeon nouveau-né qui n’a vu qu’un matin.
Ah ! du moins, rien en moi n’a souillé ton image ;
Et ne vaut-il pas mieux voir se briser la fleur,
Avant qu’un vil insecte ait flétri son feuillage,
Et de son frais calice altéré la blancheur ?

Reste, reste en mon sein comme en un sanctuaire,
Dont nuls désirs grossiers n’osent franchir les murs ;
Sois toujours, pour mon cœur, un rayon qui l’éclaire,
Un ange qui l’invite à des pensers plus purs !
Quand la soif de l’amour, m’embrasant de sa flamme,
De mon sang tourmenté fera bondir les flots,
J’appellerai de loin ton souffle sur mon âme,
Et sa douce fraîcheur me rendra le repos !