Stances contre l’usage des rideaux

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Stances contre l’usage des rideaux
Chapelle


STANCES CONTRE L’USAGE DES RIDEAUX1.

Aura des rideaux qui voudra :
Je n’en veux avoir de ma vie ;
Mais, puisque tout mon quartier a
Si grand désir et tant d’envie
D’ouir mes raisons, les voilà.

Et quant à mes belles voisines2,
Je leur dirai premièrement
Qu’au lit le divertissement
Qui se donne entre des courtines
Tient un peu trop du sacrement.

L’aise et les apprêts n’y font rien.
Ce plaisir, pour le prendre bien
Et de la plus belle manière,
Demande un lit comme le mien,
Tout à fait à la cavalière,

C’est là qu’une femme étendue
Se laisse bien voir à mon gré ;
C’est là qu’un rideau trop tiré
Ne dérobe rien à la vue
De l’objet qu’on a désiré.

Enfin, c’est là que les secousses
Du dieu d’amour sont vraiment douces ;
C’est là qu’on… en son vrai sens.
Ce que l’on fait entre des housses,
S’appelle faire des enfants.

Pour vous, Messieurs les beaux esprits,
Je veux bien vous apprendre encore,
Quoique vous ayez tout appris,
Que, les Muses aimant l’aurore,
Les rideaux sont leurs ennemis3.

En effet, la troupe immortelle
Des neufs sœurs, et même Clio4,
Sur leur mont à croupe jumelle
Dorment à l’air, ce qui s’appelle,
En leur langue, être sub dio.

Aussi, pour suivre cette mode,
Jamais auteur n’eut tour de lit ;
Et, qui plus est, jamais ne mit
Dans le froid le plus incommode
Qu’un laurier pour bonnet de nuit.

Surtout j’admire, entre les dieux,
Que ceux d’eau, même des rivières,
De qui les lits sont en des lieux
Où les rideaux viendroient des mieux,
N’en ayent pourtant jamais guères.

Car, hormis les petits ruisseaux,
Qui couvrent leurs lits d’arbrisseaux,
Les grands fleuves, comme la Loire,
Le Rhin et la Seine, font gloire
De n’avoir point de tels rideaux.

Et pour le Nil, un chacun sait
Qu’il n’a pas même de chevet.
Au moins jusqu’ici, quelque enquête
Qu’on ait su faire de sa tête,
On ne sait où ce dieu la met.



1. On donne cette pièce sur une copie manuscrite trouvée dans les portefeuilles de madame la duchesse de Bouillon. (S.-Marc.)

2. On lit dans d’autres recueils :

Et commençant par mes voisines.

3. Cette stance est ainsi ailleurs :

Pour vous, Messieurs les beaux esprits,
Je vous dirai de plus encore
Que jamais savant n’en a mis ;
Car les Muses aiment l’aurore ;
Les rideaux sont ses ennemis.

4. Variante :

Des neuf sœurs, témoin ma Clio.