Suite de Joseph Delorme/À la comtesse Marie

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À LA COMTESSE MARIE


lu le 31 décembre à minuit.


Heureux qui dans Tibur, sous ses triples fontaines,
Sous l’arc-en-ciel en feu des bruissantes eaux,
Sous les grands châtaigniers des Collines romaines,
Sur les flancs reverdis des éternels tombeaux,
Grandeurs à ravir même une âme délaissée,
Heureux qui, dans ces lieux, doubla votre pensée
Et fit les cieux plus beaux !


Et dans Lucques encore, et tout près aux Cascines,
Quand s’ouvre avec l’été la galerie en fleur,
Quand les odeurs des pins et les odeurs marines
Et la brise du soir confondent leur fraicheur,
Âme en tous lieux de soins et d’amitié bercée,
Heureux qui, parmi tous, tenait votre pensée,
Y faisant le bonheur !

Sur le frais Richemont quand le printemps s’éveille,
Quand le cottage vert a lui sous les taillis,
Quand aux feux du matin la Tamise vermeille
A secoué sa brume et ses soleils pâlis,
Âme blanche et rêveuse, aux buissons balancée,
Heureux qui devers lui tirait votre pensée
Dans les airs embellis !

Et dans Fontainebleau pourquoi courir encore,
Sous ces rocs d’Oberman et leur sombre couvert,
Plus rapide à passer que l’Arabe et le More
Quand il change sa tente et la pose au désert ?
Fugitive discrète et sans bruit empressée,
Qui donc là-bas, quel charme enchaînait la pensée,
Quand ici l’on vous perd ?

Mais aujourd’hui du moins qu’après la longue absence
L’Étoile a remontré son doux front éclairci,
Entre un an qui finit et l’autre an qui commence
Il est peut-être une heure, une minute aussi.
En ce soir d’intervalle, à cette heure lassée,
Heureux qui, s’y glissant, surprendrait la pensée
À dire : Le voici !