Suite de Joseph Delorme/Pour mon ami Auguste Desplaces

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I

POUR MON AMI AUGUSTE DESPLACES[1]


Dilecto volo lascivire sodali.
Stace.


De nos folles ardeurs, Amour, que tu t’amuses,
Moqueur toujours le même en variant tes ruses !

J’aimai d’abord, j’aimai, pour te mieux faire honneur,
Une noble beauté que son jaloux seigneur
Enfermait nuit et jour, plaintive châtelaine.

Nos cœurs avaient parlé, mais l’attente était vaine.
À peine, après des mois, nos habiles regards
Trompaient, sans les forcer, et grilles et remparts ;
Point de balcon baissé, point d’échelle de soie !
Là-haut le baron veille, en bas le dogue aboie.
L’aube seule souffrait les volets entr’ouverts,
Mais la fleur du baiser se perdait dans les airs !

Dégoûté, l’autre hier, je me suis laissé prendre
À celle qui du moins peut à l’aise m’entendre,
Blonde tête aperçue au vitrage brillant,
Et tout le jour penchée à répondre au chaland.
Mais voilà que l’enfant adorable et légère
Voudrait en vain m’aimer dans sa cage de verre,
On nous voit de partout ; et le maître, le soir,
La vient prendre et l’emmène au sortir du comptoir.
Depuis huit jours déjà nous souffrons de la gêne ;
Je passe, elle m’appelle : en son cadre de chêne
Elle est là tout debout. Comme on voit au printemps
Le poulain généreux enfermé trop longtemps,
I piétine, il se dresse, il se ronge à l’attente :
Telle, en l’espace étroit, la jeune impatiente.
Son front rit sans que j’ose, et m’irrite au baiser. —
Amour, de nos ardeurs tu te veux amuser !


  1. Encore un cas où Joseph Delorme s’est mis, par supposition, en lieu et place d’un ami. Avec les amours de ses jeunes amis, il se donnait ainsi comme des relais de jeunesse.