Sur la mort, conformément aux principes des Épicuriens

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Sur la mort, conformément aux principes des Épicuriens
Œuvres de ChaulieuPissotTome 1 (p. 23-27).


À S. A. LA DUCHESSE DE BOUILLON.



        Princesse, en qui l’art de plaire
        Est un talent naturel ;
        Toi, dont le nom immortel
        Dans le Temple de Cythere
        Aura toujours un Autel,
        Tant qu’on y célébrera
        L’esprit, la grâce et les charmes,
        Et qu’Ovide y chantera
Les Beautés à qui Rome avoit rendu les armes ;
        Bouillon, je veux que ma Muse,
        Philosophe en ses Chansons,
        De ses morales leçons
        Et t’instruise et t’amuse ;
        Surtout que leur vérité,
        Quoique parfois renfrognée,
        Semble pourtant être née
        Du sein de la Volupté.



Apprends à mépriser le néant de la vie.
        Songe qu’au moment que je veux
        Enseigner l’art de vivre heureux,
        Elle s’en va m’être ravie.
Les Dieux sans m’appeler ont commencé son cours ;
Ils ont fixé sans moi le nombre de mes jours ;
        Et quand leur haine m’a fait naître,
        Leur[1] pitié ne me laisse maître
Que de l’instant présent dont j’ai droit de jouir.
Tandis que je m’en plains, il va s’évanouir ;
              Mais[2] bien loin que la vîtesse
              

Dont s’écoulent nos beaux ans,
              Soit un sujet de tristesse ;
              II faut que notre sagesse
              Tire de la fuite du Temps,
De la mort, de nos maux, et de notre foiblesse,
        Les raisons de nous réjouir.

Aux pensers de la mort accoutume ton ame ;
Hors son nom seulement elle n’a rien d’affreux.
Détachez-en l’horreur d’un séjour ténébreux ;
        De Démons, d’Enfer et de flamme,
        Qu’aura-t-elle de douloureux ?
La mort est simplement le terme de la vie ;
De peines ni de biens elle n’est point suivie :
C’est un asile sûr, c’est la fin de nos maux,
C’est le commencement d’un éternel repos ;
Et pour s’en faire encore une plus douce image,
        Ce n’est qu’un paisible sommeil,
        Que, par une conduite sage,
        La Loi de l’Univers engage
        À n’avoir jamais de réveil.

Nous sortons sans effort du sein de la Nature ;
Par le même chemin retournons sur nos pas :
Eh ! pourquoi s’aller faire une affreuse peinture
D’un mal qu’assurément on ne sent point la-bas ?
        Que ces sages réflexions
        Soient le principe de ta joie ;
        Goûte l’erreur des passions,
        

Mais n’en deviens jamais la proie ;
        Prends-les pour des amusemens,
        Dont il faut égayer le temps
        Que nous demeurons sur la terre :
        Ce sont de secrets ennemis
        Que la Nature en nous a mis
        Exprès pour nous faire la guerre ;
        Défendons-nous sans la finir :
        Ce sont des Sujets peu fidelles ;
        Mais ce sont des Sujets rebelles
Que le bien de l’État empêche de punir.
              Tranquille, attends que la Parque
              Tranche, d’un coup de ciseau,
              Le fil du même fuseau
Qui dévide les jours du Peuple et du Monarque.
Alors, contens[3] du temps que nous aurons vécu,
        Rendons graces à la Nature,
        Et remettons-lui sans murmure
        Ce que nous en avons reçu.

              Cependant jetons des rosés,
              Je les vois avec les lis
              Briller fraîchement écloses
              Sur le teint de ma Phylis.



Viens, Phylis, avec moi, viens passer la soirée ;
Qu’à table les Amours nous couronnent de fleurs ;
De myrte, comme toi, que leur Mere parée
Vienne de mon esprit effacer[4] ces noirceurs :
        Et toi, Pere de l’Alégresse,
        Viens, à l’ardeur de ma tendresse,
        Bacchus, joindre ton enjouement ;
        Viens, sur moi, d’une double yvresse,
        Répandre tout l’enchantement.

À l’envi de tes yeux, vois comme ce vin brille :
Verse-m’en, ma Phylis, et noie de ta main
              Dans sa mousse qui pétille,
              Les soucis du lendemain.

Ainsi l’on peut passer avec tranquillité
Les ans que nous départ l’aveugle Destinée,
Et goûter sagement la molle oisiveté
        D’une paresse raisonnée.

Princesse, puissiez-vous comprendre par ma voix
              Un léger crayon des Loix
              Que la prudente Nature
              Dictoit en Grece autrefois
              Par la bouche d’Épicure,
Cet Esprit élevé, qui, dans sa noble ardeur,
S’envola pardelà les murailles du Monde,
Affranchit les mortels d’une indigne terreur,
Et bannit, le premier, de la Machine ronde
Les Enfans de la Peur, le Mensonge et l’Erreur.

  1. Leur bonté ne m’a laissé maître.
  2. Notre manuscrit porte cette correction.
    Et c’est de cette vitesse
    Dont s’écoulent nos beaux ans,
    C’est de la fuite du temps,
    Que doit tirer la sagesse
    De la mort, de nos maux, &c.

    Le manuscrit de S. Marc nous fournit une troisieme leçon.

    Et c’est de cette vitesse
    Dont s’écoulent nos beaux ans ;
    C’est de la fuite du temps.
    De la mort, de nos maux, & de notre foiblesse
    Que doit tirer la sagesse
    Les raisons de nous réjouir.
  3. Lors satisfaits du temps… Chaulieu a effacé les deux premiers mots de ce Vers qu’il avoit d’abord fait ainsi, pour y substituer ceux qui se trouvent dans le texte.
  4. Effacer les noirceurs.