Sur les Bacchanales, du Poussin

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Texte établi par André Fontaine, Albert Fontemoing (p. 124-126).

CONFÉRENCE DE M. DE CHAMPAIGNE LE NEVEU
SUR LES BACCHANALES DU POUSSIN

3 mars 1674[1]

Bacchanale à la joueuse de guitare, de Nicolas Poussin[w 1]
Messieurs,

Ce tableau de M. Poussin, qui représente une Bacchanale, montre par son caractère qu’il est de ses premiers ouvrages, et quoiqu’il ne soit pas porté au point où il a été depuis, il n’est pourtant pas dépourvu de qualités à mériter vos attentions.

L’on y voit dans l’économie générale une grande manière, étant en ce temps-là incliné à s’attacher en quelques rencontres au général de la couleur plus qu’aux autres parties de la peinture où il s’est appliqué depuis, sans affecter l’une plus que l’autre, selon que sa lumière lui a fourni dans chaque temps de son âge.

Il faut, il me semble, tomber d’accord, Messieurs, que la joie et le divertissement qui est le sujet de ce tableau y sont très bien représentés, ayant, outre cela, eu un soin particulier de les diversifier par les mouvements différents qui sont propres à une débauche.

Le groupe de ces deux figures qui réveillent Bacchus couché sur la vendange fait un ellet qui n’est pas des moins touchants dans cet ouvrage.

Ce danseur qui verse du vin à un enfant anime très bien le sujet ; ces deux enfants, dont l*un regarde au travers d’un masque, n’y contribuent pas moins.

La femme qui joue de la guitare et celle qui l’écoute font une partie considérable du tableau, avec cette figure qui est sur le devant vêtue de jaune, qui semble par l’attitude qu’elle fait en haussant le bras tenant un verre vide, demander à boire ; cette figure ne contribue pas peu à répandre un air de réjouissance dans le général.

Quant au paysage, il est certainement de grand goût : il représente sans doute, par sa couleur et le jour vif sur l’horizon, un matin, ce qui est la cause du brun qu’il a répandu sur le reste du paysage ; enfin l’on peut dire avec vérité qu’il est très beau.

Si l’on peut trouver à redire, Messieurs, à quelque partie de ce tableau, ce serait, il me semble, de ce que la chair de cette figure de devant, vêtue de jaune, ne paraît pas assez vive, vu l’éclat et la vivacité de sa draperie, qui détache très bien des figures qui sont plus avancées dans le tableau ; mais quant à la couleur de la chair, elle se confond avec celle des femmes et ne sort pas davantage que la leur. L’on peut alléguer que la carnation dont nous parlons peut être amortie : à quoi je réponds que si elle eût été peinte plus vive, elle ne serait pas tant disproportionnée avec la vivacité de la draperie de laquelle elle paraît détachée.

Néanmoins, quoique ma vue me fasse trouver cette faute, je me rapporte entièrement à ce que vous prononcerez, Messieurs, sur la difficulté que je propose sur ce point[2].

  1. Lu le 7 novembre 1711 (note du manuscrit). Au xvii, ce discours fut relu le 6 juillet 1697 (Cf. procès-verbaux).
  2. En marge du manuscrit se trouve cette mention « Champaigne Neveu 1674 » écrite par Testelin qui a apposé sa griffe (sans signature) très compliquée et très reconnaissable.
  1. Note Wikisource : cette reproduction ne figure pas dans l’édition ici transcrite. Voir aussi la notice de ce tableau dans la base Collections du musée du Louvre.