Symboles et Légendes

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SYMBOLES ET LÉGENDES



I.


DANS UNE EGLISE.



Argol, en Cornouaille.


La fleur de poésie éclôt sur tous nos pas,
Mais la divine fleur, plus d’un ne la voit pas.
Dans cette pauvre église, à l’heure de silence
Où seule devant Dieu la lampe se balance.
Un vieillard appuyé sur la grille du chœur,
Les yeux baissés, priait du profond de son cœur,
Et mes pas, qui troublaient les échos d’arche en arche,
Ne firent point lever les yeux du patriarche.
Puis, au bas de la nef où j’allais observant,
A genoux à côté de ses livres d’enfant,
Un petit villageois de six ans, d’un air d’ange.
Les mains jointes, priait aussi... Concert étrange!
« Sous cette lampe pâle et par ce froid brouillard,
Quel sombre désespoir tient courbé ce vieillard.
Et quel beau rêve d’or et d’azur, me disais-je.
Éloigne de ses jeux l’enfant au front de neige?
Du vieillard, de l’enfant, lequel t’a mieux touché,
Beau Christ aux bras ouverts de la voûte penché?
Quelle fleur en parfums plus suave s’exhale,
Seigneur, — la fleur du soir ou la fleur matinale? »

II.


BRITA.



De l’Aber-Ildût, en Léon.


I.


UN VOYAGEUR.


L’air brûle, des sillons sort une acre fumée ;
Immobile, la mer brille comme enflammée.
Iles qu’on voit au loin calmes sous le ciel bleu,
Par cet ardent juillet quand la mer est en feu,
Heureux sont vos pêcheurs !… Vêtu de simple toile,
Oh ! s’endormir bercé sous l’œil clair d’une étoile,
Boire la brise fraîche et, sous les noirs îlots,
Parmi les gais poissons se jouer sur les flots !

UN HOMME DE LA CÔTE.


Une barque d’Ouessant[1], seigneur, vient à la rame ;
Elle approche ; à la barre est une jeune femme :
Vous pourriez en retour suivre ces iliens,
Bonnes gens aujourd’hui, bien que fils de païens…

Tandis que les rameurs amarraient près du môle
(Ton havre, ô saint Ildût), et que sur son épaule
Chacun péniblement chargeait un sac de grain,
La vierge aux grands yeux pers, mais voilés de chagrin,
Telle qu’une sirène en surgissant de l’onde,
Sur son col répandait sa chevelure blonde,
Et pieds nus s’avança vers l’église du lieu ;
Tout me dit qu’elle allait pour accomplir un vœu :
À cette allure ferme, à cet air de rudesse,
On t’eût prise, ô Brita, pour une druidesse !

II.


Or, ses vœux accomplis, au patron de l’Aber
Elle disait, la vierge, au front large, à l’œil fier,
Debout devant l’église, elle disait tranquille :
« Pourquoi, gens de la terre, admirer ceux de l’île
Sommes-nous pas Bretons et frères en Jésus ?
Eussâ n’a plus la pierre et les bosquets d’Eusus.

Hier, Pôl, notre évêque, a vu brûler mon cierge.
Ma longue chevelure est celle de la Vierge.
Robustes sont nos bras, car nous semons les blés,
Nous, femmes, quand sur mer les hommes sont allés.
Qu’un navire se brise et sombre sur nos côtes,
Les pauvres naufragés, Dieu le sait, sont nos hôtes.
Si chez vous je descends, c’est que dans mon sommeil
Mon frère, qui voyage au pays du soleil.
Pâle, m’a visitée. Il gardait, l’enfant mousse.
Et sa douce figure et sa parole douce :
« Sœur, aux saints du pays faites une oraison.
Ou plantez une croix devant notre maison ;
Puis le prêtre étendra cette croix sous la terre,
Avec mon nom écrit, le nom de votre frère... »
Non, il ne mourra pas, celui que, tout enfant.
Ma mère me légua comme un fils en mourant !
Enfant que j’ai tenu sur les fonts de baptême,
La poudre a dessiné mon cœur sur ton cœur même ;
Grandi, tu reviendras, le corps et l’esprit sains :
Sur la terre et sur l’eau j’ai prié tous les saints ! »

III.


« — Encor, encor, Brita, tes paroles naïves!
Cœur simple, esprit ouvert aux choses primitives,
Aujourd’hui j’ai fermé le livre du savoir;
Au livre de la vie, amoureux j’aime à voir... »

Mais l’inspiration expirait sur sa lèvre,
Comme le chant du barde après l’heure de fièvre.
« — Si je revois Marie et la fille d’Hoël,
Ou la belle Nola, compagne de Primel,
Je leur dirai ton nom, Brita, blonde ilienne,
Sous tes cheveux flottans druidesse chrétienne ! »

IV.


Or ses trois compagnons, marins en cheveux blancs,
Des moulins revenaient, sous leurs sacs tout tremblans.
Le plus vieux souleva son vieux bonnet de laine,
Et s’essuyant le front, et reprenant haleine :
« — C’est un vrai paradis! Des taillis, des ruisseaux,
Et partout la chanson plaisante des oiseaux !
Quand le moulin moulait, moi, sous les feuilles vertes,
J’avais, comme un enfant, les oreilles ouvertes

À ces divins chanteurs! La plainte des courlis,
La plainte de la vague aux éternels roulis,
Voilà tous nos concerts... Mais l’hiver, la tempête
A des mugissemens qui font lever la tête...
J’aime mieux mon pays que leurs prés verts et gras.
Si nos moulins sans air pouvaient mouvoir leurs bras,
Serais-je en terre ferme? Il fallait bien, filleule,
Venir où l’onde coule et fait tourner la meule.
Dans notre île aujourd’hui, nulle ombre où s’abriter.
La langue des brebis n’a plus rien à brouter.
Le sol brûle les pieds. Sur l’herbe sèche et lisse
De nos dunes à pic, à chaque pas on glisse.
On m’a dit cependant que des chênes sacrés
Ombragèrent ces rocs du soleil dévorés.
Dévorés par les vents durant la saison noire,
Et des nids gazouillaient sur les branches... Que croire
De soi-même ennemi, par le fer et le feu
L’homme aura follement détruit l’œuvre de Dieu...
Çà, j’ai toujours des pleurs au fond de ma poitrine.
En barque, matelots! Chargeons notre farine!
Aux rames cette nuit! A la pointe du jour,
La tourbe fumera joyeuse dans le four. »

V.


Pourtant de main en main d’abord passa la gourde :
La rame la plus longue ainsi pèse moins lourde;
Puis, dans le crépuscule et ses légers brouillards.
S’éloigna le canot où ramaient les vieillards,
Et Brita les guidait, emportant, noble femme.
Le froment pour le corps et le froment pour l’âme.

III.


LA LÉGENDE DES IMMORTELS.


A M. YVES M...O.


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Lorsque le ciel est clair sous les taillis ombreux,
Que la nature heureuse a dit : Soyez heureux !
Qu’ils dressent dans Paris leurs intrigues, leurs pièges,
Eux-mêmes s’irritant aux bruits de leurs manèges,
Moi, près d’un sanctuaire où jeune j’ai rêvé
Bien loin, vers l’Océan, je me suis ensauvé...

O calme, il faut chercher tes abris sur la terre !
Autrefois tu régnais en plus d’un monastère,
Nous disent les anciens : le travail journalier,
L’emploi de chaque instant paisible et régulier,
La nourriture sobre, herbes, simple laitage,
Apaisaient les aigreurs, d’Eve triste héritage,
Et la prière enfin, s’élevant vers le ciel.
Sur les cœurs épurés redescendait en miel.

II.


Tel, grand saint Wennolé[2] (de la sainte Armorique
Premier abbé), tel fut le monastère antique.
L’asile merveilleux qui s’ouvrit à ta voix
Sur le bord de la mer, aux lisières des bois.
Fuyant le clan royal, la famille et ses charmes,
Tout, et même l’éclat étincelant des armes.
Tu voulus ici-bas vivre en contemplateur.
De la céleste vie ô candide amateur !
Et des enfans pieux, tes compagnons d’étude.
Te suivirent fervens dans cette solitude.
Le poil noir d’une chèvre était ton vêtement;
Un pain d’orge grossier, sans sel, ton aliment...
Délicieux jardin cependant, frais royaume,
Vrai paradis terrestre, Éden où tout embaume :
Là de l’ombre, des fleurs et des fruits savoureux,
Parure de l’autel, régal des malheureux;
A l’aurore, on voyait, sur les roses vermeilles.
Des anges voltiger, lumineuses abeilles.
Et la nuit, quand le chœur léger venait encor,
Les harpes de cristal avec leurs cordes d’or.
Sur l’église, l’enclos, les cellules bénies,
Versaient incessamment des ondes d’harmonies.
Voilà comme des saints florirent ici-bas :
Ils vieillissaient en Dieu, mais ils ne mouraient pas.

III.


Vous mourrez sur votre or, nouveaux païens du monde,
Desséchés dans les bras de votre idole immonde !
Vous fuyez l’idéal, l’idéal vous a fuis.
Sur vos calculs sans fin et vos sombres ennuis
Le ciel n’épanchera ni concerts, ni rosée,
Et votre avare soif ne peut être apaisée,

Vous, déserteurs d’un Dieu pauvre et mort sur la croix,
Qu’on rencontre toujours sur l’escalier des rois, —
Près du Samaritain jamais, ni dans l’étable, —
Qui chasseriez Lazare encor de votre table,
Dans vos parcs somptueux et vos palais dorés,
Courbés sous vos honneurs, mais tristes, vous mourrez !

IV.


Eux, ils ne mouraient pas, affirme la légende,
Tant l’amour, qui faisait leur âme douce et grande.
Répandait sous leur chair un sang limpide et fort!
Ils semblaient doublement à l’abri de la mort.
Sous l’amas des hivers pourtant leurs têtes blanches
Par degrés se penchaient; neigeuses avalanches,
Leurs barbes à flocons descendaient sur leurs pieds.
Ils crurent à la fin leurs péchés expiés ;
Après tant d’oraisons, d’aumônes et de jeûnes,
Ils désiraient mourir pour ressusciter jeunes.
Alors le bon abbé, venant à leur secours.
Supplia tant le ciel de délier ses jours,
Qu’un ange descendu dans l’étroite demeure
Parla de délivrance et lui désigna l’heure, —
Ange resplendissant d’une telle beauté.
Que les yeux se fermaient, tremblans, à sa clarté.
C’était au lendemain. Or cette grande veille.
Pour celui qu’un bonheur si prochain émerveille,
Fut une effusion de grâces et d’amour.
Un cantique sans fin. — A la pointe du jour.
Faible de corps, l’abbé rassembla son chapitre.
Remit à Gwenn-Ael[3] et la crosse et la mitre,
Puis, porté dans les bras de ses religieux.
Et sur terre brillant de la splendeur des cieux.
S’avança vers l’autel, dans les mains son calice :
Prêtre, il voulait offrir un dernier sacrifice.
Là, nourri du froment consacré par sa main,
A ses frères joyeux il donne aussi le pain,
A l’extrême-onction il soumet son front pâle,
Et goûte la douceur d’un cœur pur qui s’exhale. —

V.


Ainsi, près de la mer sans borne, en cet enclos
Où prièrent les saints, où sont épars leurs os,

Sous les murs renversés par nos fureurs civiles,
Chanteur à la campagne et muet dans les villes,
Par les vieux chroniqueurs en nos vieux temps versé,
Pour guérir le présent j’évoque le passé;
La pauvreté chrétienne, au luxe je l’oppose.
Et l’humilité douce à notre orgueil morose.
Ineffable bonheur des immenses amours,
Etes-vous donc perdu, calme des anciens jours?...

Je sais encore un être et souriant et calme,
Qui des morts bienheureux vivant porte la palme !
Ce pauvre volontaire, ami de l’indigent,
Passe le front baissé quand tarit son argent;
Car, les bras en avant, sur ses pas accourue.
Une foule le guette à chaque coin de rue.
Femmes, enfans, vieillards. Lui va semant son bien.
Puis il dit: « Pardonnez, hélas! je n’ai plus rien. »
Prêtre, honneur de Kemper, pardonne aussi, digne homme.
Si, blessant ta vertu modeste, je te nomme.
Mais, dans l’humble sentier par toi-même affermi,
J’ai voulu dire au ciel : J’eus un saint pour ami!
Quand d’autres vont suivant quelque ambition basse,
Bonheur de recueillir un mot du saint qui passe !
O bonheur de passer fier devant la fierté,
Et de s’humilier devant l’humilité!
A ta mort on verra, fils d’une paysanne.
Les pauvres s’arracher les pans de ta soutane.
Et près de ton cercueil tout un peuple fervent,
O serviteur de Dieu canonisé vivant !

IV.


LA RONDE SAINTE.


A ***.


Heureux sous vos taillis, aimez, sages époux.
Tous les humbles bonheurs naissant autour de vous.

A l’horizon chantait, murmurante et confuse,
La chanson d’une cornemuse;
Des pâtres s’étaient pris par la main et dansaient,
Tous les yeux enfantins luisaient;

A l’heure où le soleil vers l’Océan décline,
J’allais errant sur la colline;

Leur aïeule était là dont l’âge encor sourit,
Jeune de cœur, jeune d’esprit.

Or, tous deux entraînés par la ronde folâtre,
Nous avons pris la main d’un pâtre.
Et le soir vit, mêlés sous ses rayons tremblans.
Les cheveux noirs, les cheveux blancs. —

Près de Ker-Véléan, votre agreste campagne.
Un chœur joyeux ainsi couronnait la montagne.

V.


SYMBOLES.


…. At illa
Flet noctem
VIRGILE.


I.


J’ai vu les légères colombes
Dans nos lacs se baigner, soupirer dans nos bois.
Et lisser leur plumage argenté sur les tombes.

J’ai vu les noirs corbeaux de leurs lugubres voix
Effrayer la montagne, et sur les pourritures
Hideusement chercher leurs infectes pâtures ;

Puis un être chagrin, sombre ennemi du beau,
À la face blêmie, au front âpre, à l’œil triste,
Admirait l’animal dévorant ; à la piste,
Il semblait tout au loin flairer quelque lambeau.

« O colombes ! laissez son horreur au tombeau !
Criait-il ; par la mort et l’effroi l’homme existe. »
Un Latin avait dit, sage et riant artiste :
« On blâme la colombe, on pardonne au corbeau. »

II.


Quand ton corps s’étendra dans sa couche de terre.
Sans chaleur, sans couleur, forme sans mouvement,
Le corbeau, ton ami, lentement, lentement,
De loin arrivera vers toi, parleur austère ;

Tu l’entendras, perché sur l’if du cimetière.
Emplir le champ des morts de son croassement,
Horreur ! et sur ton lit s’abattre bruyamment.
Et son bec dur sonner sur l’argile et la pierre !…

Toi qui portes toujours le rameau d’olivier,
Colombe, viens alors vers ton censeur morose :
Le fiel ne pèse pas dans ton cœur un gravier.

Que sur son tertre en fleur ton aile se repose!
Puis viens en roucoulant boire à son bénitier,
Légère colombe au pied rose!

VI.


FORMES ET PENSÉES.


Comme un vieux prêtre a soin des vases de l’église,
Pour qu’aux yeux du fidèle ébloui tout reluise,
Vous, artistes pieux, tels que le saint vieillard,
Poètes, conservez les beaux vases de l’art.

*


Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux.
Tu choisis, évitant tout rhythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd’hui par des charmes m’appelle :
Vase étroit, mais bien clos, coffret plaisir des yeux.
D’où s’exhale un parfum subtil, mystérieux.
Que Laure respirait le soir dans la chapelle.

Aux souplesses de l’art ta grâce se plaisait;
Maître, tu souriras, si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l’Étrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L’urne pour les parfums, ou le miel, ou l’absinthe.

*


Dante n’est plus Homère, autre est le grand Milton :
Comme eux, soyons divers de pensers et de ton;
Inspirez-nous toujours, ô muses immortelles.
Et des pensers nouveaux et des formes nouvelles!


A. BRIZEUX.

  1. En breton Eussâ, île du dieu Eusus.
  2. Ou mieux Gwennolé, Tout-Blanc.
  3. Ange-Blanc.