Tableau de Paris/495

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CHAPITRE CCCCXCV.

Almanach des Muses.


Cest une corbeille de fleurs poétiques, que Frere-Quêteur au Parnasse offre tous les ans au public. On appelle ainsi le rédacteur, parce que pendant toute l’année il sollicite les faveurs des enfans d’Apollon, qui contribuent de leurs travaux à former son recueil & son patrimoine. Il vit de sa quête.

Frere-Quêteur prend & entasse au hasard toutes ces fleurs, sans assortir les couleurs ; il en compose un énorme bouquet, à peu près comme le fait un paysan mal-adroit à la fête de son bailli, puis il le jette au nez du public la veille du jour de l’an. Les fleurs vives, les fleurs pâles, les fleurs inodores, les fleurs odoriférantes, les orties même y sont mêlées indistinctement. Mais qu’importe au rédacteur ? Son bouquet n’est-il pas fait ?

On s’occupe de ce recueil les quinze premiers jours du mois de janvier ; puis, semblables à certains insectes éphémeres, il pâlit & disparoît.

Rien ne prouve mieux combien il y a de petits talens à Paris que cette foule prodigieuse de petits vers. Plusieurs petites réputations se contentent d’y briller une fois l’an ; & comme ces auteurs ont de l’esprit pour le premier janvier, ils persuadent facilement leurs petites coteries qu’ils en ont ou peuvent en avoir toute l’année.

Il y a des tics littéraires qu’il est si facile d’imiter, qu’ils deviennent épidémiques. C’est ce qu’on remarque en lisant cet almanach, composé par tant de plumes différentes ; c’est une couleur, un ton uniformes. Vous jureriez que la moitié du livret est de la même main. On y apperçoit le même tour, la même maniere, la même prétention à l’esprit ; & jusqu’au choix des mots & des images, tout vous répete l’accent du persifflage à la mode.

Tout auteur veut y paroître libertin, léger, quoique souvent il ne soit ni l’un ni l’autre. Ces poëtes parlent des ris, des jeux & des graces, qu’ils n’enchaînent que dans leurs hémistiches. Ils vous entretiennent de leurs fêtes & de leurs plaisirs, sans vous donner envie d’y assister ; car tout en disant aux autres, allons, mes amis, rions, chantons, abandonnons la gloire pour les beaux yeux de nos maîtresses, leur visage s’alonge & fait la moue.

On pourroit dire à ces muses grimacieres ce qu’un homme disoit à une femme qui faisoit des mines : trompeuse, tu mens au rire.

Quand on lit les vers de Chapelle, de Chaulieu, de Coulanges, de Panard, de Collé, on prend part à leurs douces orgies, on est à table avec eux ; on sent que leurs plaisirs n’étoient pas une illusion, & on les voit aussi francs dans leur abandon, que nos poëtes modernes sont contraints, gênés, en alambiquant leur esprit pour chanter leurs jouissances ; & ce qu’on voit de mieux dans leurs vers, c’est que celles de l’orgueil leur sont constamment les plus cheres.

Un jour, assis au pied des Alpes & me reposant, je trouvai par hasard dans mon porte-manteau un volume séparé de ces petits vers. Je voulus les lire ; mais ils me parurent si petits, si mesquins, si tristes devant ces magnifiques amphithéatres qui élevent l’ame & lui donnent de fortes conceptions, que le livre puérile me tomba des mains ; je le laissai au bas de ces majestueuses montagnes, où il pourrit encore. Mais quand je me retrouvai à Paris, rue Saint-Honoré, je le relus. Or, pourquoi cela, lecteur ? Les livres dépendroient-ils du tems & des lieux ?

Ce recueil annuel & inégal est suivi de petites notices sur les ouvrages de poésie & de théatre, bien tranchantes, bien courtes, & toujours vuides d’esprit.

Ce rédacteur est de plus compilateur de son métier, n’importe de quoi. Il va louant sa plume à tout journaliste pressé, ainsi qu’un manœuvre va cherchant un maître maçon. C’est l’emploi de ces écrivailleurs qui, bientôt désespérés de leur radicale impuissance, se font jugeurs. Métier arrogant & tranquille, car on ne finiroit pas, s’il falloit établir la revision des arrêts des folliculaires. Ils usent du privilege du mépris où ils sont tombés. Ils prononcent sur tout, & comprennent peu de chose. Aussi point de réplique, ce seroit un procès interminable ; tout se perdroit dans les menstrues périodiques.