Tableau de Paris/512

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DXII.

Livres de Paroisse.


Heures, Semaine sainte, Offices, Quatre-tems de l’année, &c. On ne les tire qu’à vingt & à trente mille exemplaires. Fameux auteurs, pouvez-vous prétendre, même en idée, aux succès qu’obtiennent les débris du Bréviaire romain ou du Missel parisien ?

Ces livres sont en latin ; le peuple n’y entend rien ; mais il achete toujours. Il défigure encore le mauvais jargon emprunté de la superbe langue latine, estropie tous les mots, ne sait ce qu’il dit à Dieu dans un plein-chant passablement lourd ; & il appelle cela prier.

Une femme de qualité récitant ses prieres en latin, disoit avec naïveté, je ne sais ce que je dis. Son amie lui dit : eh bien, priez en françois. Oh ! non, répondit-elle, j’aurois trop de plaisir.

Un cardinal ne récitoit jamais son bréviaire, dans la crainte de corrompre sa belle latinité.

Combien y a-t-il d’évêques, d’abbés commendataires, de chanoines, qui disent réguliérement leurs bréviaires ? Mais s’ils ne le disent pas, ils achetent les quatre volumes, bien reliés & dorés sur tranche. Ils en ont toujours un tome ostensible qui repose sur leur cheminée ; & voilà tout ce que demande le libraire de Hansy, qui fait sa fortune avec ces volumes latins, lesquels se vendront encore plus long-tems que les œuvres de Rousseau & de Voltaire.

Que les noms de Luther & de Calvin doivent être en horreur aux libraires qui tiennent en gros magasin ces Heures, Offices, Semaine sainte, &c ! Ces réformateurs ont appris à prier en langue vulgaire. Si l’on s’avisoit à Paris de chanter les pseaumes de David en françois, que deviendroit cet amas énorme de latin qui rapporte un revenu sûr & ample aux libraires non lettrés, qui n’entendent pas un mot des hymnes qu’ils ont imprimées, mais qui les chantent de grand cœur à l’église avec la foule des fideles ? Que ceux-ci restent ignorans, pourvu qu’ils soient des acheteurs assidus : n’est-ce point là le vœu des opulens magasiniers de versets & d’antiennes ?

L’église n’a point affermé la vente des livres saints, malgré leur produit immense ; & le gouvernement a mis en ferme nos autres lectures journalieres, mercures, journaux, gazettes, &c. qui lui rapportent un tribut annuel. La sainte église heureusement n’a point adopté les bureaux de librairie & la race avide des commis qui s’en font un revenu, toujours au détriment des pauvres auteurs.

Une dévote fait relier magnifiquement son Euchologe, & le fait porter en triomphe à l’église par son laquais. Elle veut qu’on remarque la reliure dorée.