Tableau de Paris/551

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CHAPITRE DLI.

Baptêmes.


Quand un enfant est né, il faut le baptiser. La loi veut que ce soit dans les vingt-quatre heures. Le baptême d’un enfant exige la présence d’un parrain & d’une marraine ; ce qui ne laisse pas quelquefois d’être embarrassant pour le pere. Il vous sollicite avec un air un peu honteux, car c’est une petite corvée dont on se passeroit bien. On l’impose aux plus proches parens, quand on n’est pas brouillé avec eux. En général, le tems du compérage est passé.

Le parrain donne des dragées à la marraine, & les baptêmes tournent au profit des confiseurs de la rue des Lombards, qui doivent avoir un respect particulier pour ce premier sacrement de l’église.

La sage-femme ne manque pas de dire à l’accouchée, en emportant l’enfant pour le baptême : madame, d’un païen nous allons faire un chrétien. Hélas ! ce pauvre enfant n’est rien ; on le sauve de l’enfer sans qu’il s’en doute.

Plusieurs riches, pour abréger, font aujourd’hui comme les plus pauvres ; ils prennent le bedaud de la paroisse pour parrain, & la mendiante au tronc pour marraine. Un gueux à qui l’on donne un écu, va répondre devant le prêtre de la croyance de M. le marquis.

La sage-femme couvre le nouveau-né d’une tavaïolle. Tous vont à l’église sous le même costume.

Tout parrain doit réciter le credo. Sur cent, quatre-vingt-dix-huit ne le savent plus. Le prêtre, pour ne pas donner auprès des fonts baptismaux le spectacle journalier de catholiques ne sachant plus leur symbole de foi, permet qu’on le dise tout bas.

Un baptiseur plus difficile, exigeant d’un parrain que le credo fût récité à haute & intelligible voix, le parrain répondit : j’en ai bien retenu l’air ; mais j’en ai oublié les paroles.

Le prêtre verse de l’eau froide sur la tête de l’enfant : ce qui n’est pas toujours sans inconvénient. On lui met ensuite un grain de sel dans la bouche : quelquefois ce grain de sel se trouve trop gros ; ce qui fait crier l’enfant ; il devient violet. Le sel étant superflu pour l’effet du sacrement, c’est aux naturalistes à juger si un gros grain de sel, dans une petite bouche, ne pourroit pas être dommageable.

Après le baptême vient toujours une collation. Chargé d’un enfant de plus, le petit bourgeois n’en boit pas moins, tandis que le nouveau-né, remis entre les mains d’une nourrice, part pour la campagne. Le pere & la mere ne le reverront que dans deux ans ; & l’enfant fuyant alors leurs embrassemens, se rejetera sur le sein de la paysanne dont il aura sucé le lait.

Le baptême est une cérémonie très-importante ; il donne lieu à un acte civil, qui déterminera l’existence, le rang & la fortune d’un individu. Il sera obligé de reproduire cet acte baptistaire dans toutes les circonstances de sa vie. La moindre transposition, la moindre erreur peuvent avoir des conséquences infinies. Il faut beaucoup de formalités pour redresser une erreur dans un pareil acte ; on ne sauroit donc y apporter trop d’attention.

Quand on s’est trompé sur le sexe de l’enfant, il faut, malgré toute l’évidence de l’erreur, recourir encore à l’autorité pour redresser l’acte.

S’il est touchant de voir sur les registres de la paroisse le nom du fils du roi régnant, placé à la date du jour de sa naissance & couché entre deux noms obscurs, ce qui rappelle l’image de l’égalité des enfans des hommes, on ne voit pas avec le même intérêt la layette du Dauphin, apportée en pompeuse cérémonie à Versailles par le nonce du pape, & le tambour battre aux champs. La maison du roi sous les armes, pour recevoir au passage les langes bénis du nouveau-né, frappe beaucoup moins que le registre où le monarque a inscrit son fils, comme le frere de celui qui naquit la veille.

Ô combien il dépendroit, avec des usages simples & éloquens, d’instruire à la fois les princes & les sujets, de concilier leurs idées, & de donner respectivement à leur ame des conceptions justes & grandes !