Tableau de Paris/590

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DXC.

Guerre des Auteurs.


Quelqu’un a voulu les réconcilier : ce n’étoit pas là un petit projet. On parle beaucoup de leurs divisons. On rit, &, selon la coutume, on charge les couleurs. Il est vrai que les autres états malheureusement ne présentent pas plus de concorde & de fraternité. Les querelles les plus vives éclatent dans les professions les plus graves. Rien ne lie les auteurs, & tout semble les désunir. Ils manquent d’un point de ralliement ; ils peuvent vivre trente années dans la même ville sans se rencontrer une seule fois. On est toujours fort empressé à leur faire des rapports infideles ou chagrinans. Le public s’amuse de leurs rixes, & semble les exciter à soutenir le combat. Il seroit très-fâché de les voir tous en bonne intelligence ; il y perdroit des scenes plaisantes, sans compter ce que cette union auroit de force & d’ascendant pour en imposer à ses vagues décisions.

Ainsi le public, qui tout-à-la-fois veut rire & conserver sa dignité, aime & condamne les querelles littéraires. Dès qu’un homme du monde fait une sottise, on la cache avec soin. Si c’est un auteur, mille bouches sont ouvertes pour la porter sur les toits. On ne se met pas assez à la place d’un homme à qui l’on dispute un stérile laurier qui lui a coûté tant d’efforts, & qu’on veut inhumainement rabaisser au milieu de ses premiers succès. Harcelé quelquefois par d’indignes rivaux, il a peut-être le droit de se montrer sensible. On a été souvent injuste, violent à son égard ; On l’a attaqué indécemment, & l’on exigera néanmoins qu’il chérisse son adversaire : comme si dans tous les états tout concurrent ou tout critique ne faisoit aucun ombrage.

Malgré les discours exagérés de la malignité, les auteurs (nous oserons le dire) ont moins de haine que d’orgueil, moins d’envie que d’ambition. Ils se voient & se rencontrent avec plaisir ; ils sentent qu’ils sont nécessaires les uns aux autres ; ils se plaisent dans leurs disputes vives & intéressantes ; & quoique prolongées, elles finissent paisiblement. Un rien les brouille, un rien les raccommode. Nous osons croire que, s’ils se fréquentoient davantage, ils apprendroient à s’entr’aimer. Faute de se connoître, ils tombent dans des préventions extrêmes, autant sur leur caractere respectif que sur leurs talens. Il pourroit résulter de leur fréquentation mutuelle un grand avantage, l’échange insensible de leurs idées. Il ne faut pas s’étonner s’ils tiennent opiniâtrément à leurs principes ; lesquels sont le ressort actif & nécessaire de leurs travaux. Mais en même tems il est assez commun de les voir adopter des vérités qu’ils avoient d’abord méconnues ou combattues.

Quant au reproche qu’on leur fait d’avoir le sang un peu trop chaud, doit-on être surpris que des hommes qui ont la fibre aussi irritable, aient un amour-propre exalté lorsque des sots, nés pour l’apathie, se permettent d’être chatouilleux à l’excès ?

Il faudroit aussi distinguer l’agresseur de celui qui ne fait que repousser l’injure ; peser les circonstances qui transforment telle critique en un véritable outrage. Il faudroit suivre les démêlés des personnages, examiner les procédés antérieurs. Mais le public ne peut ni ne veut descendre dans ces détails ; il prend les apparences pour la réalité. Cependant, malgré tout ce qu’on publie, il y a aujourd’hui beaucoup d’hommes de lettres sincérement liés entr’eux, qui s’aiment, qui font plus encore, qui s’estiment. Sans quelques tyrans qui ont conçu le despotisme au fond de leur cœur, & qui se reconnoîtront ou que l’on reconnoîtra ici sans que nous les nommions, les gens de lettres vivroient peut-être tous en paix. Tout les y sollicite, & nous appercevons le tems peu éloigné, où, avertis par le ridicule, ils se pardonneront la différence de leurs opinions. L’inimitié se concentrera alors toute entiere contre les satyriques de profession. Ceux-ci sont les vrais ennemis de l’espece.

Notre aversion contre toutes les classes de tyrans ne nous permet point d’être modérés, quand nous les rencontrons sur notre chemin ; & nous n’avons jamais pu lire qu’avec un souverain mépris les rimes de leur chef, du trop renommé versificateur Boileau, qui, au lieu d’armer la poésie contre le vice & les méchans, en a fait l’art puéril d’injurier en vers ses rivaux. Exemple fatal, que l’insolence dépourvue de tout talent n’a que trop imité.

Cet écrivain froidement exact n’avoit ni génie, ni enthousiasme, ni sensibilité. Asservi à l’esprit dominant, il loua avec excès toutes les actions imprudentes de Louis XIV. Il le remercioit d’avoir terrassé l’hérésie, & l’encourageoit, en rimes bien sonores, à poursuivre son systême d’intolérance. Puis il jetoit de l’opprobre sur ceux qui réussissoient moins bien que lui dans l’art difficile qu’il cultivoit ; il se moquoit, lui bien pensionné, du poëte pauvre ; il railloit cruellement Colletet de son indigence, qu’il eût pu soulager.

Tandis que Colletet, crotté jusqu’à l’échine,
Va demandant son pain de cuisine en cuisine,
................
Horace a bu son soul quand il voit les Ménades,
Et libre du souci qui trouble Colletet,
N’attend pas, pour dîner, le succès d’un sonnet.

L’homme qui a laissé ces vers subsister dans la réimpression de ses œuvres pendant quarante années, sans que le moindre retour à l’honnêteté l’ait engagé à les effacer, n’avoit que l’ame d’un rimeur.

Tous les critiques de nos jours, qui se croient des Boileau, veulent marcher sur ses traces, & appellent les injures littéraires la défense du bon goût. Mais leurs satyres aussi inutiles que dures tombent dans le mépris ; on ne les lit plus, & ils sentent la vérité de cet aveu fait par leur maître :

C’est un mauvais métier que celui de médire.

Cette fureur de dénigrer les productions de son confrere au nom du goût, de l’invectiver en renonçant aux premieres regles de l’honnêteté & de la justice, de transporter dans le paisible champ de la littérature la fougue des passions tumultueuses, est une vraie maladie qui ne cesse d’agiter quelques écrivains ; mais ils en sont punis : aucun de ces détracteurs n’a su faire encore un bon ouvrage. Ils ne sortent pas de la médiocrité. En répétant sans cesse que tout décline, il ne reste d’eux que le souvenir infamant des injures qu’ils ont adressées aux hommes de lettres les plus estimés & les plus connus.