Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Superstition, magie, etc.

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SUPERSTITION, MAGIE, etc.

On croit dans ce pays comme dans toute l’Inde à l’alchimie et à la magie.

L’iman du roi travailloit sans relâche et à grands frais à la découverte de la pierre philosophale, quoique cette recherche chimérique soit réprouvée comme impie par le Koran.

Un naturel de Peshawer, âgé de soixante ans, et qui est aujourd’hui à mon service, s’avisa de devenir amoureux fou d’une jeune fille de Pouna. Quelques-uns de ses compatriotes le découvrirent enfermé avec un Indien, et occupé à fabriquer plusieurs charmes pour gagner le cœur de sa maîtresse.

Il y a près de Candahar une excavation dite la grotte de Jumshéd ; il est impossible de pénétrer jusqu’au fond, parce qu’un torrent en interrompt le passage ; mais les Afghans prétendent que si l’on avance à une certaine distance on entend un bruit affreux occasionné par des tourbillons de vent et par le brisement des vagues ; enfin on est arrêté par le mouvement rapide d’une longue roue garnie de lames d’épées. Quelques aventuriers ont, disent-ils, eu la hardiesse de franchir ces obstacles, et ils sont parvenus à un jardin souterrain et enchanteur. Ils peignent avec enthousiasme la verdure de cette région délicieuse, les bosquets, les berceaux et les allées, les ruisseaux limpides, les parterres entaillés des fleurs les plus brillantes que l’imagination puisse se figurer ; enfin on y trouve des fruits exquis ; on y respire un air frais et parfumé, et l’on entend sans cesse une musique ravissante.

Les Afghans croient que les nombreuses solitudes de leurs montagnes et de leurs déserts sont habitées chacune par un démon solitaire. Le génie du désert est un spectre horrible et gigantesque, une espèce d’ogre prêt à dévorer tous les voyageurs que le hasard fait tomber en sa puissance. C’est à ce génie qu’ils attribuent l’illusion du mirage dont il a été parlé dans le premier volume, et qui présente à l’œil du voyageur des bosquets verdoyans et des nappes d’eau au milieu du désert aride.

Malheur à celui qui, dupe de cet artifice, s’approche de ces lieux enchantés, il est bientôt mis en pièces par le démon cruel.

Ils ont un respect infini pour les cimetières, qu’ils appellent quelquefois en se servant d’une expression poétique, les villes des êtres silencieux ; leur imagination peuple ces lieux des esprits des morts, assis chacun sur leur tombeau, invisibles aux mortels, mais n’en jouissant pas moins de l’odeur des guirlandes qu’on suspend sur leurs tombes, et de l’encens que leurs parens viennent y brûler. Ils admettent une foule d’autres espèces de génies ou de fantômes, mais je ne crois pas avoir entendu jamais parler de l’apparition des revenans. Ils disent seulement que les âmes des quatre premiers califes, glorifiées et vêtues de feu, se montrèrent sur la montagne au-dessus de Caboul, lors de la bataille entre les schias et les sunnites.

Ils ajoutent foi aux rêves, et donnent tant de latitude à leur interprétation, qu’ils y trouvent tout ce qu’ils veulent. Un seigneur afghan me raconta qu’ayant été persécuté, exilé par le grand-visir Ouaffadar-Kan, il rêva qu’il voyoit le visir couvert de vêtemens lugubres, la figure abattue, les mains agitées de mouvemens convulsifs, et dans un extrême état de foiblesse. Peu de temps après son réveil, il apprit que le ministre venoit d’être déposé, et mis en prison.

Ils cherchent à pénétrer l’avenir par des calculs astrologiques et géomantiques, et par toutes sortes de divinations et de sortilèges. La méthode la plus usitée consiste à présenter à la flamme d’une lampe, un os transparent tiré du crâne d’un mouton, et à remarquer les taches diverses qui y apparoissent : c’est ainsi qu’en Europe on interroge les taches qui se font dans le marc de café.

On tire aussi des présages de la position que prennent des flèches répandues hors d’un carquois ; ou bien on porte au hasard le doigt sur le grain quelconque d’un rosaire, et l’on compte tous les grains qui se trouvent au-dessus. Suivant que le nombre est pair ou impair, l’entreprise doit réussir ou manquer de succès.

Je me souviendrai toujours d’une conversation que j’eus avec un des ministres persans du roi Schah-Shoujau, immédiatement avant l’orage qui devoit le précipiter du trône. Il me disoit qu’il avoit toutes les raisons possibles de compter sur le triomphe de son maître. Je l’écoutai avec attention, supposant qu’il alloit me parler d’une correspondance avec quelques grands seigneurs du parti opposé. Quelle fut ma surprise de voir que cette confiance imperturbable reposoit tout entière sur l’heureuse combinaison qu’avoient présentée des flèches sorties d’un carquois ? Le ministre, remarquant mon étonnement, protesta qu’il croyoit fort peu aux méthodes de divination employées par le vulgaire, mais que celle dont il parloit étoit recommandée par le prophète, et que le résultat en étoit immanquable.

Les Afghans lettrés ont une manière plus libérale d’interroger l’avenir, et qui répond à ce qu’on appelle en Europe les sorts virgiliens. On ouvre un livre à l’aventure, et l’on applique à l’objet en question le premier vers qui tombe sous les yeux. Le livre le plus recommandé pour cette épreuve est le Koran, et l’on s’y prépare par le jeûne et par la prière. On peut cependant employer d’autres ouvrages, et notamment les poëmes de Hafiz. Les Afghans citent une singulière confirmation d’un tel oracle. Un habitant de Lahore consulta les ouvrages de Hafiz au commencement des troublas produits par la déposition de Schah-Zemaun, lesquels, après trois années de confusion, se terminèrent par le couronnement de Schah-Shoujau. Il se proposoit de savoir si les fils de Timur-Schah remporteroient en dernier lieu l’avantage ; il trouva, à l’ouverture du livre, un distique dont voici le sans :

Au lever de l’aurore, une voix sortant d’un monde invisible, apporta à mon oreille ces sons agréables :
Voici le règne de Schah-Soujau, prends courage et réjouis-toi.

Il faut savoir que Schah-Soujau signifie, en langue persane, un bon prince, et que ces mots se trouvèrent, par hasard, être le nom du compétiteur du trône.

Les Afghans croient au pouvoir des talismans, et à la possibilité de se rendre les démons ou les génies favorables. Ils ont encore beaucoup d’autres superstitions ; mais je crois en avoir assez dit sur ce sujet.