Tableau historique et pittoresque de Paris/Les Carmes-Déchaussés

La bibliothèque libre.

LES CARMES DÉCHAUSSÉS.


Nous avons parlé de l’origine de l’ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, et de la réforme que sainte Thérèse introduisit parmi ses religieuses[1]. Elle avoit également conçu le projet hardi de la faire adopter par les hommes de son ordre, et sans doute elle n’eût pu vaincre tous les obstacles qui s’élevèrent contre son exécution, si la Providence n’eût suscité un religieux d’un caractère propre à en assurer le succès. Jean d’Yépès, dit depuis Jean de saint Mathias, et révéré dans l’Église sous le nom de saint Jean de la croix, voulut être le compagnon des travaux de cette femme extraordinaire, prit l’esprit de la réforme, l’embrassa dans toute sa rigueur, et la conseilla par ses discours en même temps qu’il la prêchoit par ses exemples. Elle fit d’abord de grands progrès en Espagne, et se répandit ensuite si rapidement et avec tant de succès en Italie, que Paul V, prévoyant les services que cet ordre pourroit rendre à l’Église de France, écrivit en 1610 à Henri IV, pour l’engager à le recevoir dans son royaume. Deux carmes déchaussés, les pères Denis de la mère de Dieu, et de Vaillac, dit de Saint-Joseph, étoient porteurs de ce bref, et venoient d’entrer en France, lorsqu’ils reçurent la nouvelle inopinée de la mort de ce grand roi. La douleur qu’ils en ressentirent ne les empêcha point de continuer leur voyage ; ils arrivèrent à Paris au mois de juin, et logèrent d’abord aux Mathurins, ensuite au collége de Cluni. Présentés au roi et à la reine-mère par le nonce du pape et par le cardinal de Joyeuse, ces pères obtinrent, l’année suivante, des lettres-patentes portant permission de s’établir à Paris et à Lyon. Ayant obtenu également le consentement de M. de Gondi, archevêque de Paris, ils prirent possession d’une grande maison et d’un jardin fort étendu, situés dans la rue de Vaugirard, qu’ils avoient obtenus des libéralités de M. Nicolas Vivien, maître des comptés. On bâtit à la hâte les bâtiments nécessaires, et l’on fit une chapelle dans une salle qui avoit autrefois servi de prêche aux protestants. Cependant, dès ce moment, on formoit le projet d’en construire une plus grande ; et elle le fut en effet en 1611, aux frais de M. Jean du Tillet de La Buissière, greffier du parlement ; mais le concours des fidèles devenant de jour en jour plus considérable, le parti fut pris de rebâtir et l’église et le couvent en entier. M. Vivien, comme fondateur, y mit la première pierre le 7 février 1613, et le 20 juillet de la même année, Marie de Médicis posa celle de l’église, qui subsiste encore aujourd’hui[2]. Elle fut achevée et bénite en 1620, par Charles de Lorraine, évêque de Verdun, puis dédiée, en 1625, sous l’invocation de saint Joseph, par Éléonor d’Estampes de Valençai, évêque de Chartres.

On a remarqué que cette église est la première qui ait eu saint Joseph pour patron, et dans laquelle on ait dit les prières de quarante heures pendant les trois jours qui précèdent le carême. On peut ajouter que son dôme est le premier qui ait été construit à Paris, si l’on en excepte celui de la chapelle de Notre-Dame, aux Petits-Augustins.


CURIOSITÉS DE L’ÉGLISE.


tableaux.


Sur le maître-autel, dont la décoration avoit été faite aux frais du chancelier Seguier, la Présentation au temple ; par Quentin Varin.

Dans une chapelle, l’apparition de Notre-Seigneur à sainte Thérèse et à saint Jean de La Croix ; par Corneille.

Deux autres grands tableaux ; par Sève aîné.

Sur le dôme, le prophète Élie enlevé au ciel ; par Bertholet Flamael.

Dans le chapitre, les quatre Évangelistes, une Fuite en Égypte

et un portement de croix.
sculptures.

Dans la chapelle de la Vierge, sa statue en marbre blanc ; par Antonio Raggi, dit le Lombard, d’après un modèle de Bernin[3].

sépultures.

Dans cette église avoit été inhumé Éléonor d’Estampes de Valençay, évêque de Chartres, depuis archevêque de Reims, mort en 1651.

Une tombe de bronze, ornée de bas-reliefs, fermoit l’entrée du caveau où l’on enterroit les religieux ; elle avoit été exécutée sur les dessins d’Oppenord.




Le monastère étoit vaste, mais n’avoit rien que de très simple dans sa construction. La seule chose qu’on y remarquât, c’était la blancheur extrême des murs, enduits d’une sorte de stuc aussi brillant que le marbre, et dont la composition a été pendant long-temps un secret très soigneusement gardé par ces religieux, qui en étoient les inventeurs. C’est l’espèce d’enduit connu depuis sous le nom de blanc des carmes. Ils étoient aussi les inventeurs de l’eau de Mélisse, dont ils faisoient tous les ans un débit considérable.

La bibliothèque, distribuée en deux pièces, contenoit environ douze mille volumes, parmi lesquels il y avoit quelques manuscrits précieux. Les jardins étoient vastes et bien cultivés.

Indépendamment de l’espace qu’occupoit leur couvent, les carmes déchaussés possédoient autour de leur cloître de grandes portions de terrain sur lesquelles ils avoient fait bâtir, vers la fin du siècle dernier, plusieurs beaux hôtels qui donnoient dans la rue du Regard et dans la rue Cassette ; ces propriétés nouvelles, dont ils tiroient un grand revenu, avoient rendu leur couvent l’un des plus riches de l’ordre[4].


  1. Voyez tom. 3, 2e partie, p. 466.
  2. Voyez pl. 188.
  3. Cette statue, vantée comme un chef-d’œuvre dans toutes les descriptions de Paris, et qui étoit un présent fait aux Carmes-Déchaussés par le cardinal Barberin, a été déposée dans une des chapelles de la cathédrale. C’est un ouvrage très médiocre.
  4. Une partie des bâtiments a été détruite, et sur cet emplacement on a percé une rue nouvelle qui donne dans celle de Vaugirard. L’église a été rendue au culte : l’autre portion du couvent est habitée par des religieuses carmélites.