Théorie analytique de la chaleur/Chapitre 1

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Firmin Didot (p. Ch. I.-98).



THÉORIE
DE
LA CHALEUR.
Et ignem regunt numeri. Plato.
CHAPITRE PREMIER.
INTRODUCTION.
Séparateur

SECTION PREMIÈRE.

Exposition de l’objet de cet ouvrage.

art. 1er.


Les effets de la chaleur sont assujétis à des lois constantes que l’on ne peut découvrir sans le secours de l’analyse mathématique. La Théorie que nous allons exposer a pour objet de démontrer ces lois ; elle réduit toutes les recherches physiques, sur la propagation de la chaleur, à des questions de calcul intégral dont les élémens sont donnés par l’expérience. Aucun sujet n’a des rapports plus étendus avec les progrès de l’industrie et ceux des sciences naturelles ; car l’action de la chaleur est toujours présente, elle pénètre tous les corps et les espaces, elle influe sur les procédés des arts, et concourt à tous les phénomènes de l’univers.

Lorsque la chaleur est inégalement distribuée entre les différents points d’une masse solide, elle tend à se mettre en équilibre, et passe lentement des parties plus échauffées dans celles qui le sont moins ; en même temps elle se dissipe par la surface, et se perd dans le milieu ou dans le vide. Cette tendance à une distribution uniforme, et cette émission spontanée qui s’opère à la surface des corps, changent continuellement la température des différents points. La question de la propagation de la chaleur consiste à déterminer quelle est la température de chaque point d’un corps à un instant donné, en supposant que les températures initiales sont connues. Les exemples suivants feront connaître plus clairement la nature de ces questions.

2.

Si l’on expose à l’action durable et uniforme d’un foyer de chaleur une même partie d’un anneau métallique, d’un grand diamètre, les molécules les plus voisines du foyer s’échaufferont les premières, et, après un certain temps, chaque point du solide aura acquis presque entièrement la plus haute température à laquelle il puisse parvenir. Cette limite ou maximum de température n’est pas la même pour les différents points ; elle est d’autant moindre qu’ils sont plus éloignés de celui où le foyer est immédiatement appliqué.

Lorsque les températures sont devenues permanentes, le foyer transmet, à chaque instant, une quantité de chaleur qui compense exactement celle qui se dissipe par tous les points de la surface extérieure de l’anneau.

Si maintenant on supprime le foyer, la chaleur continuera de se propager dans l’intérieur du solide, mais celle qui se perd dans le milieu ou dans le vide ne sera plus compensée comme auparavant par le produit du foyer, en sorte que toutes les températures varieront et diminueront sans cesse, jusqu’à ce qu’elles soient devenues égales à celles du milieu environnant.

3.

Pendant que les températures sont permanentes et que le foyer subsiste, si l’on élève, en chaque point de la circonférence moyenne de l’anneau, une ordonnée perpendiculaire au plan de l’anneau, et dont la longueur soit proportionnelle à la température fixe de ce point, la ligne courbe qui passerait par les extrémités de ces ordonnées représentera l’état permanent des températures, et il est très-facile de déterminer par le calcul la nature de cette ligne. Il faut remarquer que l’on suppose à l’anneau une épaisseur assez petite pour que tous les points d’une même section perpendiculaire à la circonférence moyenne aient des températures sensiblement égales. Lorsqu’on aura enlevé le foyer, la ligne qui termine les ordonnées proportionnelles aux températures des différents points, changera continuellement de forme. La question consiste à exprimer, par une équation, la forme variable de cette courbe, et à comprendre ainsi dans une seule formule tous les états successifs du solide.

4.

Soit la température fixe d’un point m de la circonférence moyenne, la distance de ce point au foyer, c’est-à-dire la longueur de l’arc de la circonférence moyenne compris entre le point m et le point o, qui correspond à la position du foyer ; est la plus haute température que le point m puisse acquérir en vertu de l’action constante du foyer, et cette température permanente est une fonction de la distance La première partie de la question consiste à déterminer la fonction qui représente l’état permanent du solide.

On considérera ensuite l’état variable qui succède au précédent, aussitôt que l’on a éloigné le foyer ; on désignera par le temps écoulé depuis cette suppression du foyer, et par la valeur de la température du point m après le temps La quantité sera une certaine fonction de la distance et du temps l’objet de la question est de découvrir cette fonction dont on ne connaît encore que la valeur initiale qui est en sorte que l’on doit avoir l’équation de condition .

5.

Si l’on place une masse solide homogène, de formé sphérique ou cubique, dans un milieu entretenu à une température constante, et qu’elle y demeure très-long-temps plongée, elle acquerra dans tous ses points une température très-peu différente de celle du fluide. Supposons qu’on l’en retire pour la transporter dans un milieu plus froid, la chaleur commencera à se dissiper par la surface ; les températures des différents points de la masse ne seront plus sensiblement les mêmes, et si on la suppose divisée en une infinité de couches par des surfaces parallèles à la surface extérieure, chacune de ces couches transmettra, dans un instant, une certaine quantité de chaleur à celle qui l’enveloppe. Si l’on conçoit que chaque molécule porte un thermomètre séparé, qui indique à chaque instant sa température, l’état du solide sera continuellement représenté par le système variable de toutes ces hauteurs thermométriques. Il s’agit d’exprimer les états successifs par des formules analytiques, en sorte que l’on puisse connaître, pour un instant donné, la température indiquée par chaque thermomètre, et comparer les quantités de chaleur qui s’écoulent, dans le même instant, entre deux couches contiguës, ou dans le milieu environnant.

6.

Si la masse est sphérique, et que l’on désigne par la distance d’un point m de cette masse au centre de la sphère, par le temps écoulé depuis le commencement du refroidissement, et par la température variable du point m, il est facile de voir que tous les points placés à la même distance du centre ont la même température Cette quantité est une certaine fonction du rayon et du temps écoulé elle doit être telle, qu’elle devienne constante, quelle que soit la valeur de lorsqu’on suppose celle de nulle ; car, d’après l’hypothèse, la température de tous les points est la même au moment de l’émersion. La question consiste à déterminer la fonction de et de qui exprime la valeur de

7.

On considérera ensuite que, pendant la durée du refroidissement, il s’écoule à chaque instant, par la surface extérieure, une certaine quantité de chaleur qui passe dans le milieu. La valeur de cette quantité n’est pas constante ; elle est plus grande au commencement du refroidissement. Si l’on se représente aussi l’état variable de la surface sphérique intérieure dont le rayon est on reconnaît facilement qu’il doit y avoir, à chaque instant, une certaine quantité de chaleur qui traverse cette surface et passe dans la partie de la masse qui est plus éloignée du centre. Ce flux continuel de chaleur est variable comme celui de la surface extérieure, et l’un et l’autre sont des quantités comparables entre elles ; leurs rapports sont des nombres dont les valeurs variables sont des fonctions de la distance et du temps écoulé Il s’agit de déterminer ces fonctions.

8.

Si la masse échauffée par une longue immersion dans un milieu, et dont on veut calculer le refroidissement, est de forme cubique, et si l’on détermine la position de chaque point m par trois coordonnées rectangulaires en prenant pour origine le centre du cube, et pour axes les lignes perpendiculaires aux faces, on voit que la température du point m, après le temps écoulé est une fonction des quatre variables et Les quantités de chaleur qui s’écoulent à chaque instant, par toute la surface extérieure du solide, sont variables et comparables entre elles ; leurs rapports sont des fonctions analytiques qui dépendent du temps et dont il faut assigner l’expression.

9.

Examinons aussi le cas où un prisme rectangulaire d’une assez grande épaisseur et d’une longueur infinie, étant assujéti, par son extrémité, à une température constante, pendant que l’air environnant conserve une température moindre, est enfin parvenu à un état fixe qu’il s’agit de connaître. Tous les points de la section extrême qui sert de base au prisme ont, par hypothèse, une température commune et permanente. Il n’en est pas de même d’une section éloignée du foyer ; chacun des points de cette surface rectangulaire, parallèle à la base, a acquis une température fixe, mais qui n’est pas la même pour les différents points d’une même section, et qui doit être moindre pour les points les plus voisins de la surface exposée à l’air. On voit aussi qu’il s’écoule à chaque instant, à travers une section donnée, une certaine quantité de chaleur qui demeure toujours la même, puisque l’état du solide est devenu constant. La question consiste à déterminer la température permanente d’un point donné du solide, et la quantité totale de chaleur qui, pendant un temps déterminé, s’écoule à travers une section dont la position est donnée.

10.

Prenons pour origine des coordonnées le centre de la base du prisme, et pour axes rectangulaires, l’axe même du prisme et les deux perpendiculaires sur les faces latérales : la température permanente du point m, dont les coordonnées sont est une fonction de trois variables elle reçoit, par hypothèse, une valeur constante, lorsque l’on suppose nulle, quelles que soient les valeurs de et de Supposons que l’on prenne pour unité la quantité de chaleur qui, pendant l’unité de temps, sortirait d’une superficie égale à l’unité de surface, si la masse échauffée, que cette superficie termine, et qui est formée de la même substance que le prisme, était continuellement entretenue à la température de l’eau bouillante, et plongée dans l’air atmosphérique entretenu à la température de la glace fondante. On voit que la quantité de chaleur qui, dans l’état permanent du prisme rectangulaire, s’écoule, pendant l’unité de temps, à travers une certaine section perpendiculaire à l’axe, a un rapport déterminé avec la quantité de chaleur prise pour unité. Ce rapport n’est pas le même pour toutes les sections ; il est une fonction de la distance , à laquelle une section est placée ; il s’agit de trouver l’expression analytique de la fonction .

11.

Les exemples précédents suffisent pour donner une idée exacte des diverses questions que nous avons traitées.

La solution de ces questions nous a fait connaître que les effets de la propagation de la chaleur dépendent, pour chaque substance solide, de trois qualités élémentaires, qui sont la capacité de chaleur, la conducibilité propre, et la conducibilité extérieure. On a observé que si deux corps de même volume et de nature différente ont des températures égales, et qu’on leur ajoute une même quantité de chaleur, les accroissements de température ne sont pas les mêmes ; le rapport de ces accroissements est celui des capacités de chaleur. Ainsi le premier des trois éléments spécifiques qui règlent l’action de la chaleur est exactement défini, et les physiciens connaissent depuis long-temps plusieurs moyens d’en déterminer la valeur. Il n’en est pas de même des deux autres ; on en a souvent observé les effets, mais il n’y a qu’une théorie exacte qui puisse les bien distinguer, les définir et les mesurer avec précision. La conducibilité propre ou intérieure d’un corps exprime la facilité avec laquelle la chaleur s’y propage en passant d’une molécule intérieure à une autre. La conducibilité extérieure ou relative d’un corps solide dépend de la facilité avec laquelle la chaleur en pénètre la surface, et passe de ce corps dans un milieu donné, ou passe du milieu dans le solide. Cette dernière propriété est modifiée par l’état plus ou moins poli de la superficie ; elle varie aussi selon le milieu dans lequel le corps est plongé ; mais la conducibilité propre ne peut changer qu’avec la nature du solide.

Ces trois qualités élémentaires sont représentées dans nos formules par des nombres constants, et la théorie indique elle-même les expériences propres à en mesurer la valeur. Dès qu’ils sont déterminés, toutes les questions relatives à la propagation de la chaleur ne dépendent que de l’analyse numérique. La connaissance de ces propriétés spécifiques peut être immédiatement utile dans plusieurs applications des sciences physiques ; elle est d’ailleurs un élément de l’étude et de la description des diverses substances. C’est connaître très-imparfaitement les corps, que d’ignorer les rapports qu’ils ont avec un des principaux agents de la nature. En général, il n’y a aucune théorie mathématique qui ait plus de rapport que celle-ci avec l’économie publique, puisqu’elle peut servir à éclairer et à perfectionner l’usage des arts nombreux qui sont fondés sur l’emploi de la chaleur.

12.

La question des températures terrestres offre une des plus belles applications de la théorie de la chaleur ; voici l’idée générale que l’on peut s’en former. Les différentes parties de la surface du globe sont inégalement exposées à l’impression des rayons solaires ; l’intensité de cette action dépend de la latitude du lieu ; elle change aussi pendant la durée du jour et pendant celle de l’année, et est assujétie à d’autres inégalités moins sensibles. Il est évident qu’il existe, entre cet état variable de la surface et celui des températures intérieures, une relation nécessaire que l’on peut déduire de la théorie. On sait qu’à une certaine profondeur au-dessous de la surface de la terre, la température n’éprouve aucune variation annuelle dans un lieu donné : cette température permanente des lieux profonds est d’autant moindre, que le lieu est plus éloigné de l’équateur. On peut donc faire abstraction de l’enveloppe extérieure, dont l’épaisseur est incomparablement plus petite que le rayon terrestre, et regarder cette planète comme une masse presque sphérique, dont la surface est assujétie à une température qui demeure constante pour tous les points d’un parallèle donné, mais qui n’est pas la même pour un autre parallèle. Il en résulte que chaque molécule intérieure a aussi une température fixe déterminée par sa position. La question mathématique consisterait à connaître la température fixe d’un point donné, et la loi que suit la chaleur solaire en pénétrant dans l’intérieur du globe.

Cette diversité des températures nous intéresse davantage, si l’on considère les changements qui se succèdent dans l’enveloppe même dont nous habitons la superficie. Ces alternatives de chaleur et de froid, qui se reproduisent chaque jour et dans le cours de chaque année, ont été jusqu’ici l’objet d’observations multipliées. On peut aujourd’hui les soumettre au calcul, et déduire d’une Théorie commune tous les faits particuliers que l’expérience nous avait appris. Cette question se réduit à supposer que tous les points de la surface d’une sphère immense sont affectés de températures périodiques ; l’analyse fait ensuite connaître suivant quelle loi l’intensité des variations décroît à mesure que la profondeur augmente ; quelle est, pour une profondeur donnée, la quantité des changements annuels ou diurnes, l’époque de ces changements, et comment la valeur fixe de la température souterraine se déduit des températures variables observées à la surface.

13.

Les équations générales de la propagation de la chaleur sont aux différences partielles, et quoique la forme en soit très-simple, les méthodes connues ne fournissent aucun moyen général de les intégrer ; on ne pourrait donc pas en déduire les valeurs des températures après un temps déterminé. Cette interprétation numérique des résultats du calcul est cependant nécessaire, et c’est un degré de perfection qu’il serait très-important de donner à toutes les applications de l’analyse aux sciences naturelles. On peut dire que tant qu’on ne l’a pas obtenu, les solutions demeurent incomplètes ou inutiles, et que la vérité qu’on se proposait de découvrir n’est pas moins cachée dans les formules d’analyse, qu’elle ne l’était dans la question physique elle-même. Nous nous sommes attachés avec beaucoup de soin, et nous sommes parvenus à surmonter cette difficulté dans toutes les questions que nous avons traitées, et qui contiennent les éléments principaux de la Théorie de la chaleur. Il n’y a aucune de ces questions dont la solution ne fournisse des moyens commodes et exacts de trouver les valeurs numériques des températures acquises, ou celles des quantités de chaleur écoulées, lorsqu’on connaît les valeurs du temps et celles des coordonnées variables. Ainsi l’on ne donnera pas seulement les équations différentielles auxquelles doivent satisfaire les fonctions qui expriment les valeurs des températures ; on donnera ces fonctions elles-mêmes sous une forme qui facilite les applications numériques.

14.

Pour que ces solutions fussent générales et qu’elles eussent une étendue équivalente à celle de la question, il était nécessaire qu’elles pussent convenir avec l’état initial des températures qui est arbitraire. L’examen de cette condition fait connaître que l’on peut développer en séries convergentes, ou exprimer par des intégrales définies, les fonctions qui ne sont point assujéties à une loi constante, et qui représentent les ordonnées des lignes irrégulières ou discontinues. Cette propriété jette lui nouveau jour sur la Théorie des équations aux différences partielles, et étend l’usage des fonctions arbitraires en les soumettant aux procédés ordinaires de l’analyse.

15.

Il restait encore à comparer les faits avec la Théorie. On a entrepris, dans cette vue, des expériences variées et précises, dont les résultats sont conformes à ceux du calcul, et lui donnent une autorité qu’on eût été porté à lui refuser dans une matière nouvelle, et qui paraît sujette à tant d’incertitudes. Ces expériences confirment le principe dont on est parti, et qui est adopté de tous les physiciens, malgré la diversité de leurs hypothèses sur la nature de la chaleur.

16.

L’équilibre de température ne s’opère pas seulement par la voie du contact, il s’établit aussi entre les corps séparés les uns des autres, et qui demeurent long-temps placés dans un même lieu. Cet effet est indépendant du contact du milieu ; nous l’avons observé dans des espaces entièrement vides d’air. Il fallait donc, pour compléter notre Théorie, examiner les lois que suit la chaleur rayonnante en s’éloignant de la superficie des corps. Il résulte des observations de plusieurs physiciens et de nos propres expériences, que l’intensité des différents rayons qui sortent, dans tous les sens, de chaque point de la superficie d’un corps échauffé, dépend de l’angle que fait leur direction avec la surface dans ce même point. Nous avons démontré que l’intensité de chaque rayon est d’autant moindre, qu’il fait avec l’élément de la surface un plus petit angle, et qu’elle est proportionnelle au sinus de cet angle. Cette loi générale de l’émission de la chaleur, que diverses observations avaient déjà indiquée, est une conséquence nécessaire du principe de l’équilibre des températures et des lois de la propagation de la chaleur dans les corps solides.

Telles sont les questions principales que l’on a traitées dans cet ouvrage ; elles sont toutes dirigées vers un seul but, qui est d’établir clairement les principes mathématiques de la Théorie de la chaleur, et de concourir ainsi aux progrès des arts utiles et à ceux de l’étude de la nature.

17.

On aperçoit par ce qui précède, qu’il existe une classe très-étendue de phénomènes qui ne sont point produits par des forces mécaniques, mais qui résultent seulement de la présence et de l’accumulation de la chaleur. Cette partie de la philosophie naturelle ne peut se rapporter aux théories dynamiques, elle a des principes qui lui sont propres, et elle est fondée sur une méthode semblable à celle des autres sciences exactes. Par exemple, la chaleur solaire qui pénètre l’intérieur du globe, s’y distribue suivant une loi régulière qui ne dépend point de celles du mouvement, et ne peut être déterminée par les principes de la mécanique. Les dilatations que produit la force répulsive de la chaleur, et dont l’observation sert à mesurer les températures, sont, à la vérité, des effets dynamiques ; mais ce ne sont point ces dilatations que l’on calcule, lorsqu’on recherche les lois de la propagation de la chaleur.

18.

Il y a d’autres effets naturels plus composés, qui dépendent à-la-fois de l’influence de la chaleur et des forces attractives : ainsi les variations de température que les mouvements du soleil occasionnent dans l’atmosphère et dans l’Océan, changent continuellement la densité des différentes parties de l’air et des eaux. L’effet des forces auxquelles ces masses obéissent est modifié à chaque instant par une nouvelle distribution de la chaleur, et l’on ne peut douter que cette cause ne produise les vents réguliers et les principaux courants de la mer ; les attractions solaire et lunaire n’occasionnent dans l’atmosphère que des mouvements peu sensibles, et non des déplacements généraux. Il était donc nécessaire, pour soumettre ces grands phénomènes au calcul, de découvrir les lois mathématiques de la propagation de la chaleur dans l’intérieur des masses.

19.

On connaîtra, par la lecture de cet ouvrage, que la chaleur affecte dans les corps une disposition régulière, indépendante de la distribution primitive, que l’on peut regarder comme arbitraire.

De quelque manière que la chaleur ait d’abord été répartie, le système initial des températures s’altérant de plus en plus, ne tarde point à se confondre sensiblement avec un état déterminé qui ne dépend que de la figure du solide. Dans ce dernier état, les températures de tous les points s’abaissent en même temps, mais conservent entre elles les mêmes rapports ; c’est pour exprimer cette propriété que les formules analytiques contiennent des termes composés d’exponentielles et de quantités, analogues aux fonctions trigonométriques.

Plusieurs questions de mécanique présentent des résultats analogues, tels que l’isochronisme des oscillations, la résonnance multiple des corps sonores. Les expériences communes les avaient fait remarquer, et le calcul en a ensuite démontré la véritable cause. Quant à ceux qui dépendent des changements de température, ils n’auraient pu être reconnus que par des expériences très-précises ; mais l’analyse mathématique a devancé les observations, elle supplée à nos sens, et nous rend en quelque sorte, témoins des mouvements réguliers et harmoniques de la chaleur dans l’intérieur des corps.

20.

Ces considérations offrent un exemple singulier des rapports qui existent entre la science abstraite des nombres et les causes naturelles.

Lorsqu’une barre métallique est exposée par son extrémité à l’action constante d’un foyer, et que tous ses points ont acquis leur plus haut degré de chaleur, le système des températures fixes correspond exactement à une table de logarithmes ; les nombres sont les élévations des thermomètres placés aux différents points, et les logarithmes sont les distances de ces points au foyer. En général, la chaleur se répartit d’elle-même dans l’intérieur des solides, suivant une loi simple exprimée par une équation aux différences partielles, commune à des questions physiques d’un ordre différent. L’irradiation de la chaleur a une relation manifeste avec les tables de sinus ; car les rayons qui sortent d’un même point d’une surface échauffée, diffèrent beaucoup entre eux, et leur intensité est rigoureusement proportionnelle au sinus de l’angle que fait leur direction avec l’élément de la surface. Si l’on pouvait observer pour chaque instant et en chaque point d’une masse solide homogène, les changements de température, on retrouverait dans la série de ces observations les propriétés des séries récurrentes, celle des sinus et des logarithmes ; on les remarquerait, par exemple, dans les variations diurnes ou annuelles des températures des différents points du globe terrestre, qui sont voisins de la surface.

On reconnaîtrait encore les mêmes résultats et tous les éléments principaux de l’analyse générale dans les vibrations des milieux élastiques, dans les propriétés des lignes ou des surfaces courbes, dans les mouvements des astres, et ceux de la lumière ou des fluides. C’est ainsi que les fonctions obtenues par des différentiations successives, et qui servent au développement des séries infinies et à la résolution numérique des équations, correspondent aussi a des propriétés physiques. La première de ces fonctions, ou la fluxion proprement dite, exprime, dans la géométrie. l’inclinaison de la tangente des lignes courbes, et dans la dynamique, la vitesse du mobile pendant le mouvement varie : elle mesure dans la théorie de la chaleur la quantité, qui s’écoule en chaque point d’un corps à travers une surface donnée. L’analyse mathématique a donc des rapports nécessaires avec les phénomènes sensibles ; son objet n’est point créé par l’intelligence de l’homme, il est un élément préexistant de l’ordre universel, et n’a rien de contingent et de fortuit ; il est empreint dans toute la nature.

21.

Des observations plus précises et plus variées feront connaître par la suite si les effets de la chaleur sont modifiés par des causes que l’on n’a point aperçues jusqu’ici, et la théorie acquerra une nouvelle perfection par la comparaison continuelle de ses résultats avec ceux des expériences ; elle expliquera des phénomènes importants que l’on ne pouvait point encore soumettre au calcul ; elle apprendra à déterminer tous les effets thermométriques des rayons solaires, les températures fixes ou variables que l’on observerait à différentes distances de l’équateur, dans l’intérieur du globe ou hors des limites de l’atmosphère, dans l’Océan ou dans les différentes régions de l’air. On en déduira la connaissance mathématique des grands mouvements qui résultent de l’influence de la chaleur combinée avec celle de la gravité. Ces mêmes principes serviront à mesurer la conducibilité propre ou relative des différents corps, et leur capacité spécifique, à distinguer toutes les causes qui modifient l’émission de la chaleur à la surface des solides, et à perfectionner les instruments thermométriques. Cette théorie excitera dans tous les temps l’attention des géomètres, par l’exactitude rigoureuse de ses éléments et les difficultés d’analyse qui lui sont propres, et sur-tout par l’étendue et l’utilité de ses applications ; car toutes les conséquences qu’elle fournit intéressent la physique générale, les opérations des arts, les usages domestiques ou l’économie civile.

SECTION II.

Notions générales, et définitions préliminaires.

22.

On ne pourrait former que des hypothèses incertaines sur la nature de la chaleur, mais la connaissance des lois mathématiques auxquelles ses effets sont assujétis est indépendante de toute hypothèse ; elle exige seulement l’examen attentif des faits principaux que les observations communes ont indiqués, et qui ont été confirmés par des expériences précises.

Il est donc nécessaire d’exposer, en premier lieu, les résultats généraux des observations, de donner des définitions exactes de tous les éléments du calcul, et d’établir les principes sur lesquels ce calcul doit être fondé.

L’action de la chaleur tend à dilater tous les corps solides, ou liquides, ou aériformes ; c’est cette propriété qui rend sa présence sensible. Les solides et les liquides augmentent de volume, si l’on augmente la quantité de chaleur qu’ils contiennent ; ils se condensent, si on la diminue.

Lorsque toutes les parties d’un corps solide homogène, par exemple, celles d’une masse métallique, sont également échauffées, et qu’elles conservent, sans aucun changement, cette même quantité de chaleur, elles ont aussi et conservent une même densité. On exprime cet état en disant que, dans toute l’étendue de la masse, les molécules ont une température commune et permanente.

23.

Le thermomètre est un corps dont on peut apprécier facilement les moindres changements de volume ; il sert à mesurer les températures par la dilatation des liquides, ou par celle de l’air. Nous supposons ici que l’on connaît exactement la construction, l’usage et les propriétés de ces instruments. La température d’un corps dont toutes les parties sont également échauffées, et qui conserve sa chaleur, est celle qu’indique le thermomètre, s’il est et s’il demeure en contact parfait avec le corps dont il s’agit.

Le contact est parfait lorsque le thermomètre est entièrement plongé dans une masse liquide, et, en général, lorsqu’il n’y a aucun point de la surface extérieure de cet instrument qui ne touche un des points de la masse solide ou fluide dont on veut mesurer la température. Il n’est pas toujours nécessaire, dans les expériences, que cette condition soit rigoureusement observée ; mais on doit la supposer pour que la définition soit exacte.

24.

On détermine deux températures fixes, savoir : la température de la glace fondante, qui est désignée par o, et la température de l’eau bouillante que nous désignerons par i : on suppose que l’ébullition de l’eau a lieu sous une pression de l’atmosphère représentée par une certaine hauteur du baromètre (76 centimètres), le mercure du baromètre étant à la température o.

25.

On mesure les différentes quantités de chaleur en déterminant combien de fois elles contiennent une quantité que l’on a fixée et prise pour unité. On suppose qu’une masse de glace d’un poids déterminé (un kilogramme) soit à la température o, et que, par l’addition d’une certaine quantité de chaleur, on la convertisse en eau à la même température o : cette quantité de chaleur ajoutée est la mesure prise pour unité. Ainsi la quantité de chaleur exprimée par un nombre contient un nombre de fois la quantité nécessaire pour résoudre un kilogramme de glace qui a la température zéro, en une masse d’eau qui a la même température zéro.

26.

Pour élever une masse métallique d’un certain poids, par exemple, un kilogramme de fer, depuis la température o jusqu’à la température i, il est nécessaire d’ajouter une nouvelle quantité de chaleur à celle qui était déjà contenue dans cette masse. Le nombre qui désigne cette quantité de chaleur ajoutée, est la capacité spécifique de chaleur du fer ; le nombre a des valeurs très-différentes pour les différentes substances.

27.

Si un corps d’une nature et d’un poids déterminés (un kilogramme de mercure) occupe le volume étant à la température o, il occupera un volume plus grand lorsqu’il aura acquis la température i, c’est-à-dire lorsqu’on aura augmenté la chaleur qu’il contenait étant à la température o, d’une nouvelle quantité égale à sa capacité spécifique de chaleur. Mais si, au lieu d’ajouter cette quantité on ajoute ( étant un nombre positif ou négatif), le nouveau volume sera au lieu d’être Or les expériences font connaître que si est égal à l’accroissement de volume est seulement la moitié de l’accroissement total et qu’en général, la valeur de est lorsque la quantité de chaleur ajoutée est

28.

Ce rapport des deux quantités de chaleur ajoutées et qui est aussi celui des deux accroissements de volume et est ce que l’on nomme la température  ; ainsi le nombre qui exprime la température actuelle d’un corps représente l’excès de son volume actuel sur le volume qu’il occuperait à la température de la glace fondante, l’unité représentant l’excès total du volume qui correspond à l’ébullition de l’eau, sur le volume qui correspond à la glace fondante.


29.


Les accroissements de volume des corps sont en général proportionnels aux accroissements des quantités de chaleur qui produisent les dilatations ; il faut remarquer que cette proposition n’est exacte que dans les cas où les corps dont il s’agit sont assujétis à des températures éloignées de celles qui déterminent leur changement d’état. On ne serait point fondé à appliquer ces résultats à tous les liquides ; et, à l’égard de l’eau en particulier, les dilatations ne suivent point toujours les augmentations de chaleur.

En général, les températures sont des nombres proportionnels aux quantités de chaleur ajoutées, et dans les cas que nous considérons, ces nombres sont aussi proportionnels aux accroissements du volume.

30.

Supposons qu’un corps terminé par une surface plane d’une certaine étendue (un mètre carré) soit entretenu d’une manière quelconque à une température constante i, commune à tous ses points, et que la surface dont il s’agit soit en contact avec l’air, maintenu à la température o : la chaleur qui s’écoulera continuellement par la surface, et passera dans le milieu environnant, sera toujours remplacée par celle qui provient de la cause constante à l’action de laquelle le corps est exposé ; il s’écoulera ainsi par la surface, pendant un temps déterminé (une minute), une certaine quantité de chaleur désignée par Ce produit d’un flux continuel et toujours semblable à lui-même, qui a lieu pour une unité de surface à une température fixe, est la mesure de la conducibilité extérieure du corps, c’est-à-dire, de la facilité avec laquelle sa surface transmet la chaleur à l’air atmosphérique.

On suppose que l’air est continuellement déplacé avec une vitesse uniforme et donnée ; mais si la vitesse du courant augmentait, la quantité de chaleur qui se communique au milieu varierait aussi ; il en serait de même si l’on augmentait la densité de ce milieu.

31.

Si l’excès de la température constante du corps sur la température des corps environnants, au lieu d’être égale à i, comme on l’a supposé, avait une valeur moindre, la quantité de chaleur dissipée serait moindre que Il résulte des observations, comme on le verra par la suite, que cette quantité de chaleur perdue peut être regardée comme sensiblement proportionnelle à l’excès de la température du corps sur celle de l’air et des corps environnants. Ainsi la quantité ayant été déterminée par une expérience dans laquelle la surface échauffée est à la température i, et le milieu à la température o ; on en conclut qu’elle aurait la valeur si la température de la surface était toutes les autres circonstances demeurant les mêmes. On doit admettre ce résultat lorsque est une petite fraction.

32.

La valeur de la quantité de chaleur qui se dissipe à travers la surface échauffée, est différente pour les différents corps ; et elle varie pour un même corps, suivant les divers états de la surface. L’effet de l’irradiation est d’autant moindre, que la surface échauffée est plus polie ; de sorte qu’en faisant disparaître le poli de la surface, on augmente considérablement la valeur de Un corps métallique échauffé se refroidira beaucoup plus vite, si l’on couvre sa surface extérieure d’un enduit noir, propre à ternir entièrement l’état métallique.

33.

Les rayons de chaleur qui s’échappent de la surface d’un corps, parcourent librement les espaces vides d’air ; ils se propagent aussi dans l’air atmosphérique : leur direction n’est point troublée par les agitations de l’air intermédiaire : ils peuvent être réfléchis, et se réunissent aux foyers des miroirs métalliques. Les corps dont la température est élevée, et que l’on plonge dans un liquide, n’échauffent immédiatement que les parties de la masse qui sont en contact avec leur surface. Les molécules, dont la distance à cette surface n’est pas extrêmement petite, ne reçoivent point de chaleur directe ; il n’en est pas de même des fluides aériformes ; les rayons de chaleur s’y portent avec une extrême rapidité à des distances considérables, soit qu’une partie de ces rayons traverse librement les couches de l’air, soit que celles-ci se les transmettent subitement sans en altérer la direction.

34.

Lorsque le corps échauffé est placé dans un air qui conserve sensiblement une température constante, la chaleur qui se communique à l’air rend plus légère la couche de ce fluide voisine de la surface ; cette couche s’élève d’autant plus vite, qu’elle est plus échauffée, et elle est remplacée par une autre masse d’air froid. Il s’établit ainsi un courant d’air dont la direction est verticale, et dont la vitesse est d’autant plus grande, que la température du corps est plus élevée. C’est pourquoi, si le corps se refroidissait successivement, la vitesse du courant diminuerait avec la température, et la loi du refroidissement ne serait pas exactement la même que si le corps était exposé à un courant d’air d’une vitesse constante.

35.

Lorsque les corps sont assez échauffés pour répandre une très-vive lumière, une partie de leur chaleur rayonnante, mêlée à cette lumière, peut traverser les solides ou les liquides transparents ; et elle est sujette à la force qui produit les réfractions. La quantité de chaleur qui jouit de cette faculté est d’autant moindre, que les corps sont moins enflammés ; elle est, pour ainsi dire, insensible pour les corps très-obscurs, quelque échauffés qu’ils soient. Une lame mince et diaphane intercepte presque toute la chaleur directe qui sort d’une masse métallique ardente ; mais elle s’échauffe à mesure que les rayons interceptés s’y accumulent ; ou, si elle est formée d’eau glacée, elle devient liquide ; si cette lame de glace est exposée aux rayons d’un flambeau, elle laisse passer avec la lumière une chaleur sensible.

36.

Nous avons pris pour mesure de la conducibilité extérieure d’un corps solide un coëfficient exprimant la quantité de chaleur qui passerait, pendant un temps déterminé (une minute), de la surface de ce corps dans l’air atmosphérique, en supposant que la surface ait une étendue déterminée (un mètre quarré), que la température constante du corps soit i, que celle de l’air soit o, et que la surface échauffée soit exposée à un courant d’air d’une vitesse donnée invariable. On détermine cette valeur de par les observations. La quantité de chaleur exprimée par le coëfficient se forme de deux parties distinctes, qui ne peuvent être mesurées que par des expériences très-précises. L’une est la chaleur communiquée par voie de contact à l’air environnant ; l’autre, beaucoup moindre que la première, est la chaleur rayonnante émise. On doit supposer, dans les premières recherches, que la quantité de chaleur perdue ne change point, si l’on augmente d’une quantité commune et assez petite la température du corps échauffé et celle du milieu.

37.

Les substances solides diffèrent encore, comme nous l’avons dit, par la propriété qu’elles ont d’être plus ou moins perméables à la chaleur ; cette qualité est leur conducibilité propre : nous en donnerons la définition et la mesure exacte, après avoir traité de la propagation uniforme et linéaire de la chaleur. Les substances liquides jouissent aussi de la faculté de transmettre la chaleur de molécule à molécule, et la valeur numérique de leur conducibilité varie suivant la nature de ces substances ; mais on en observe difficilement l’effet dans les liquides, parce que leurs molécules changent de situation en changeant de température. C’est de ce déplacement continuel que résulte principalement la propagation de la chaleur, toutes les fois que les parties inférieures de la masse sont les plus exposées à l’action du foyer. Si, au contraire, on applique le foyer à la partie de la masse qui est la plus élevée, comme cela avait lieu dans plusieurs de nos expériences, la transmission de la chaleur, qui est très-lente, n’occasionne aucun déplacement, à moins que l’accroissement de la température ne diminue le volume, ce que l’on remarque en effet dans des cas singuliers voisins des changements d’état.

38.

À cet exposé des résultats principaux des observations, il faut ajouter une remarque générale sur l’équilibre des températures ; elle consiste en ce que les différents corps qui sont placés dans un même lieu, dont toutes les parties sont et demeurent également échauffées, y acquièrent aussi une température commune et permanente.

Supposons que tous les points d’une masse M aient une température commune et constante qui est entretenue par une cause quelconque : si l’on met un corps moindre m en contact parfait avec la masse M, il prendra la température commune À la vérité, ce résultat n’aurait lieu rigoureusement qu’après un temps infini ; mais le sens précis de la proposition est que si le corps m avait la température avant d’être mis en contact, il la conserverait sans aucun changement. Il en serait de même d’une multitude d’autres corps, n, p, q, r, dont chacun serait mis séparément en contact parfait avec la masse M ; ils acquerraient tous la température constante Ainsi le thermomètre étant successivement appliqué aux différents corps m, n, p, q, r… indiquerait cette même température.

39.

L’effet dont il s’agit est indépendant du contact, et il aurait encore lieu, si le corps m était enfermé de toutes parts dans le solide M, comme dans une enceinte, sans toucher aucune de ses parties. Par exemple, si ce solide était une enveloppe sphérique d’une certaine épaisseur, entretenue par une cause extérieure à la température et renfermant un espace entièrement vide d’air, et si le corps m pouvait être placé dans une partie quelconque de cet espace sphérique, sans qu’il touchât aucun point de la surface intérieure de l’enceinte, il acquerrait la température commune ou plutôt il la conserverait s’il l’avait déjà. Le résultat serait le même pour tous les autres corps n, p, q, r, soit qu’on les plaçât séparément ou ensemble dans cette même enceinte, et quelles que fussent d’ailleurs leur espèce et leur figure.

40.

De toutes les manières de se représenter l’action de la chaleur, celle qui paraît la plus simple et la plus conforme aux observations, consiste à comparer cette action à celle de la lumière. Les molécules éloignées les unes des autres se communiquent réciproquement à travers les espaces vides d’air ; leurs rayons de chaleur, comme les corps éclairés, se transmettent leur lumière.

Si dans une enceinte fermée de toutes parts, et entretenue par une cause extérieure à une température fixe a, on suppose que divers corps sont placés sans qu’ils touchent aucune des parties de l’enceinte, on observera des effets différents, suivant que les corps introduits dans cet espace vide d’air sont plus ou moins échauffés. Si l’on place d’abord un seul de ces corps, et qu’il ait la température même de l’enceinte, il enverra par tous les points de sa surface autant de chaleur qu’il en reçoit du solide qui l’environne, et c’est cet échange de quantités égales qui le maintient dans son premier état.

Si l’on introduit un second corps dont la température soit moindre que il recevra d’abord, des surfaces qui l’environnent de toutes parts sans le toucher, une quantité de chaleur plus grande que celle qu’il envoie : il s’échauffera de plus en plus, et il perdra par sa surface plus de chaleur qu’auparavant. La température initiale s’élevant continuellement, s’approchera sans cesse de la température fixe en sorte qu’après un certain temps, la différence sera presque insensible. L’effet serait contraire, si l’on plaçait dans la même enceinte un troisième corps dont la température serait plus grande que

41.

Tous les corps ont la propriété d’émettre la chaleur par leur surface ; ils en envoient d’autant plus, qu’ils sont plus échauffés ; l’intensité des rayons émis change très-sensiblement avec l’état de la superficie.

42.

Toutes les surfaces qui reçoivent les rayons de la chaleur des corps environnants, en réfléchissent une partie, et admettent l’autre : la chaleur qui n’est point réfléchie, mais qui s’introduit par la surface, s’accumule dans le solide ; et tant qu’elle surpasse la quantité qui se dissipe par l’irradiation, la température s’élève.

43.

Les rayons qui tendent à sortir des corps échauffés sont arrêtés vers la surface par une force qui en réfléchit une partie dans l’intérieur de la masse. La cause qui empêche les rayons incidents de traverser la superficie, et qui divise ces rayons en deux parties, dont l’une est réfléchie, et dont l’autre est admise, agit de la même manière sur les rayons qui se dirigent de l’intérieur du corps vers l’espace extérieur.

Si en modifiant l’état de la surface, on augmente la force avec laquelle elle réfléchit les rayons incidents, on augmente en même temps la faculté qu’elle a de réfléchir vers l’intérieur du corps les rayons qui tendent à en sortir. La quantité des rayons incidents qui s’introduisent dans la masse, et celle des rayons émis par la surface, sont également diminuées.

44.

Si l’on plaçait ensemble dans l’enceinte dont nous avons parlé, une multitude de corps éloignés les uns des autres et inégalement échauffés, ils recevraient et se transmettraient leurs rayons de chaleur, en sorte que dans cet échange leurs températures varieraient continuellement, et tendraient toutes à devenir égales à la température fixe de l’enceinte.

Cet effet est précisément celui qui a lieu lorsque la chaleur se propage dans les corps solides ; car les molécules qui composent les corps sont séparées par des espaces vides d’air, et ont la propriété de recevoir, d’accumuler et d’émettre la chaleur. Chacune d’elles envoie ses rayons de toutes parts, et en même temps elle reçoit ceux des molécules qui l’environnent.

45.

La chaleur envoyée par un point situé dans l’intérieur d’une masse solide, ne peut se porter directement qu’à une distance extrêmement petite ; elle est, pour ainsi dire, interceptée par les particules les plus voisines ; ce sont ces dernières seules qui la reçoivent immédiatement, et qui agissent sur les points plus éloignés. Il n’en est pas de même des fluides aériformes ; les effets directs de l’irradiation y deviennent sensibles à des distances très-considérables.

46.

Ainsi la chaleur qui sort dans toutes les directions d’une partie d’une surface solide, pénètre dans l’air jusqu’à des points forts éloignés ; mais elle n’est émise que par les molécules du corps, qui sont extrêmement voisines de la surface. Un point d’une masse échauffée, placé à une très-petite distance de la superficie plane qui sépare la masse de l’espace extérieur, envoie à cet espace une infinité de rayons ; mais ils n’y parviennent pas entièrement ; ils sont diminués de toute la quantité de chaleur qui s’arrête sur les molécules solides intermédiaires. La partie du rayon qui se dissipe dans l’espace est d’autant moindre, qu’elle traverse un plus long intervalle dans la masse. Ainsi le rayon qui sort perpendiculairement à la superficie a plus d’intensité que celui qui, partant du même point, suit une direction oblique, et les rayons les plus obliques sont entièrement interceptés.

La même conséquence s’applique à tous les points qui sont assez voisins de la superficie pour concourir à l’émission de la chaleur, il en résulte nécessairement que la quantité totale de chaleur qui sort de la surface sous la direction perpendiculaire est beaucoup plus grande que celle dont la direction est oblique. Nous avons soumis cette question au calcul, et l’analyse que nous en avons faite démontre que l’intensité du rayon est proportionnelle au sinus de l’angle que ce rayon fait avec l’élément de la surface. Les expériences avaient déjà indiqué un résultat semblable.

47.

Ce théorème exprime une loi générale qui a une connexion nécessaire avec l’équilibre et le mode d’action de la chaleur. Si les rayons qui sortent d’une surface échauffée avaient la même intensité dans toutes les directions, le thermomètre que l’on placerait dans un des points de l’espace terminé de tous côtés par une enceinte entretenue à une température constante, pourrait indiquer une température incomparablement plus grande que celle de l’enceinte. Les corps que l’on enfermerait dans cette enceinte ne prendraient point une température commune, ainsi qu’on le remarque toujours ; celle qu’ils acquerraient dépendrait du lieu qu’ils occuperaient, ou de leur forme, ou de celles des corps voisins.

On observerait ces mêmes résultats ou d’autres effets également contraires à l’expérience commune, si l’on admettait entre les rayons qui sortent d’un même point, des rapports différents de ceux que l’on a énoncés. Nous avons reconnu que cette loi est seule compatible avec le fait général de l’équilibre de la chaleur rayonnante.

48.

Si un espace vide d’air est terminé de tous côtés par une enceinte solide dont les parties sont entretenues à une température commune et constante et si l’on met en un point quelconque de l’espace un thermomètre qui ait la température actuelle il la conservera sans aucun changement. Il recevra donc à chaque instant de la surface intérieure de l’enceinte autant de chaleur qu’il lui en envoie. Cet effet des rayons de chaleur dans un espace donné est, à proprement parler, la mesure de la température : mais cette considération suppose la théorie mathématique de la chaleur rayonnante. Si l’on place maintenant entre le thermomètre et une partie de la surface de l’enceinte un corps M dont la température soit le thermomètre cessera de recevoir les rayons d’une partie de cette surface intérieure, mais ils seront remplacés par ceux qu’il recevra du corps interposé M. Un calcul facile prouve que la compensation est exacte, en sorte que l’état du thermomètre ne sera point changé. Il n’en est pas de même si la température du corps M n’est pas égale à celle de l’enceinte. Lorsqu’elle est plus grande, les rayons que le corps interposé M envoie au thermomètre et qui remplacent les rayons interceptés, ont plus de chaleur que ces derniers ; la température du thermomètre doit donc s’élever.

Si, au contraire, le corps intermédiaire a une température moindre que celle du thermomètre devra s’abaisser ; car les rayons que ce corps intercepte sont remplacés par ceux qu’il envoie, c’est-à-dire, par des rayons plus froids que ceux de l’enceinte, ainsi le thermomètre ne reçoit pas toute la chaleur qui serait nécessaire pour maintenir sa température

49.

On a fait abstraction jusqu’ici de la faculté qu’ont toutes les surfaces de réfléchir une partie des rayons qui leur sont envoyés. Si l’on ne considérait point cette propriété, on n’aurait qu’une idée très-incomplète de l’équilibre de la chaleur rayonnante.

Supposons donc que dans la surface intérieure de l’enceinte entretenue à une température constante, il y ait une portion qui jouisse, à un certain degré, de la faculté dont il s’agit ; chaque point de la surface réfléchissante enverra dans l’espace deux espèces de rayons ; les uns sortent de l’intérieur même de la substance dont l’enceinte est formée, les autres sont seulement réfléchis par cette même surface, à laquelle ils ont été envoyés. Mais en même-temps que la surface repousse à l’extérieur une partie des rayons incidents, elle retient dans l’intérieur une partie de ses propres rayons. Il s’établit à cet égard une compensation exacte, c’est-à-dire, que chacun des rayons propres, dont la surface empêche l’émission, est remplacé par un rayon réfléchi d’une égale intensité.

Le même résultat aurait lieu si la faculté de réfléchir les rayons affectait à un degré quelconque d’autres parties de l’enceinte, ou la superficie des corps placés dans le même espace, et parvenus à la température commune.

Ainsi, la réflexion de la chaleur ne trouble point l’équilibre des températures, et n’apporte, pendant que cet équilibre subsiste, aucun changement à la loi suivant laquelle l’intensité des rayons qui partent d’un même point décroît proportionnellement au sinus de l’angle d’émission.

50.

Supposons que dans cette même enceinte, dont toutes les parties conservent la température , on place un corps isolé M, et une surface métallique polie R, qui, tournant sa concavité vers le corps, réfléchisse une grande partie des rayons qu’elle en reçoit ; si l’on place entre le corps M et la surface réfléchissante R, un thermomètre qui occupe le foyer de ce miroir, on observera trois effets différents, selon que la température du corps M sera égale à la température commune , ou sera plus grande, ou sera moindre.

Dans le premier cas, le thermomètre conserve la température  ; il reçoit, 1o des rayons de chaleur de toutes les parties de l’enceinte qui ne lui sont point cachées par le corps M ou par le miroir ; 2o des rayons envoyés par le corps ; 3o ceux que la surface R envoie au foyer, soit qu’ils viennent de la masse même du miroir, soit que la surface les ait seulement réfléchis ; et parmi ces derniers on peut distinguer ceux qui sont envoyés au miroir par la masse M, et ceux qu’il reçoit de l’enceinte. Tous les rayons dont il s’agit proviennent des surfaces qui, d’après l’hypothèse, ont une température commune , en sorte que le thermomètre est précisément dans le même état que si l’espace terminé par l’enceinte ne contenait point d’autres corps que lui.

Dans le second cas, le thermomètre placé entre le corps échauffé M et le miroir, doit acquérir une température plus grande que . En effet, il reçoit les mêmes rayons que dans la première hypothèse ; mais il y a deux différences remarquables : l’une provient de ce que les rayons envoyés par le corps M au miroir, et réfléchis sur le thermomètre, contiennent plus de chaleur que dans le premier cas. L’autre différence provient des rayons que le corps M envoie directement au thermomètre, et qui ont plus de chaleur qu’auparavant. L’une et l’autre cause, et principalement la première, concourent à élever la température du thermomètre.

Dans le troisième cas, c’est-à-dire, lorsque la température de la masse M est moindre que le thermomètre doit prendre aussi une température moindre que En effet, il reçoit encore toutes les espèces de rayons que nous avons distinguées pour le premier cas : mais il y en a deux sortes qui contiennent moins de chaleur que dans cette première hypothèse, savoir ceux qui, envoyés par le corps M, sont réfléchis par le miroir sur le thermomètre, et ceux que le même corps M lui envoie directement. Ainsi, le thermomètre ne reçoit pas toute la chaleur qui lui est nécessaire pour conserver sa température primitive Il envoie plus de chaleur qu’il n’en reçoit. Il faut donc que sa température s’abaisse jusqu’à ce que les rayons qu’il reçoit suffisent pour compenser ceux qu’il perd. C’est ce dernier effet que l’on a nommé la réflexion du froid, et qui, à proprement parler, consiste dans la réflexion d’une chaleur trop faible. Le miroir intercepte une certaine quantité de chaleur, et la remplace par une moindre quantité.

51.

Si l’on place dans l’enceinte entretenue à une température constante un corps M dont la température soit moindre que la présence de ce corps fera baisser le thermomètre exposé à ses rayons, et l’on doit remarquer qu’en général ces rayons, envoyés au thermomètre par la surface du corps M, sont de deux espèces, savoir ceux qui sortent de l’intérieur de la masse M, et ceux qui, venant des diverses parties de l’enceinte, rencontrent la surface M, et sont réfléchis sur le thermomètre. Ces derniers ont la température commune mais ceux qui appartiennent au corps M contiennent moins de chaleur, et ce sont ces rayons qui refroidissent le thermomètre. Si maintenant, en changeant l’état de la surface du corps M, par exemple, en détruisant le poli, on diminue la faculté qu’elle a de réfléchir les rayons incidents ; le thermomètre s’abaissera encore, et prendra une température moindre que En effet, toutes les conditions seront les mêmes que dans le cas précédent, si ce n’est que la masse M envoie une plus grande quantité de ses propres rayons, et réfléchit une moindre quantité des rayons qu’elle reçoit de l’enceinte ; c’est-à-dire, que ces derniers, qui ont la température commune, sont en partie remplacés par des rayons plus froids. Donc, le thermomètre ne reçoit plus autant de chaleur qu’auparavant.

Si, indépendamment de ce changement de la surface du corps M, on place un miroir métallique propre à réfléchir sur le thermomètre les rayons sortis de M, la température prendra une valeur moindre que En effet, le miroir intercepte au thermomètre une partie des rayons de l’enceinte qui ont tous la température et les remplace par trois espèces de rayons ; savoir : 1o ceux qui proviennent de l’intérieur même du miroir, et qui ont la température commune ; 2o ceux que diverses parties de l’enceinte envoient au miroir avec cette même température, et qui sont réfléchis vers le foyer ; 3o ceux qui, venant de l’intérieur du corps M, tombent sur le miroir, et sont réfléchis sur le thermomètre. Ces derniers ont une température moindre que  ; donc le thermomètre ne reçoit plus autant de chaleur qu’il en recevait avant que l’on ne plaçât le miroir.

Enfin, si l’on vient à changer aussi l’état de la surface du miroir, et qu’en lui donnant un poli plus parfait, on augmente la faculté de réfléchir la chaleur, le thermomètre s’abaissera encore. En effet, toutes les conditions qui avaient lieu dans le cas précédent subsistent. Il arrive seulement que le miroir envoie une moindre quantité de ses propres rayons, et il les remplace par ceux qu’il réfléchit. Or, parmi ces derniers, tous ceux qui sortent de l’intérieur de la masse M ont moins d’intensité que s’ils venaient de l’intérieur du miroir métallique ; donc, le thermomètre reçoit encore moins de chaleur qu’auparavant ; il prendra donc une température moindre que

On explique facilement par les mêmes principes tous les effets connus de l’irradiation de la chaleur ou du froid.

52.

Les effets de la chaleur ne peuvent nullement être comparés à ceux d’un fluide élastique, dont les molécules sont en repos. Ce serait inutilement que l’on voudrait déduire de cette hypothèse les lois de la propagation que nous expliquons dans cet ouvrage, et que toutes les expériences ont confirmées. L’état libre de la chaleur est celui de la lumière ; l’habitude de cet élément est donc entièrement différente de celle des substances aériformes. La chaleur agit de la même manière dans le vide, dans les fluides élastiques, et dans les masses liquides ou solides, elle ne s’y propage que par voie d’irradiation, mais ses effets sensibles différent selon la nature des corps.

53.

La chaleur est le principe de toute élasticité ; c’est sa force répulsive qui conserve la figure des masses solides, et le volume des liquides. Dans les substances solides, les molécules voisines céderaient à leur attraction mutuelle, si son effet n’était pas détruit par la chaleur qui les sépare.

Cette force élastique est d’autant plus grande que la température est plus élevée ; c’est pour cela que les corps se dilatent ou se condensent, lorsqu’on élève ou lorsqu’on abaisse leur température.

54.

L’équilibre qui subsiste dans l’intérieur d’une masse solide entre la force répulsive de la chaleur et l’attraction moléculaire est stable ; c’est-à-dire qu’il se rétablit de lui-même lorsqu’il est troublé par une cause accidentelle. Si les molécules sont placées à la distance qui convenait à l’équilibre, et si une force extérieure vient à augmenter cette distance sans que la température soit changée, l’effet de l’attraction commence à surpasser celui de la chaleur, et ramène les molécules à leur position primitive, après une multitude d’oscillations qui deviennent de plus en plus insensibles.

Un effet semblable s’opère en sens opposé lorsqu’une cause mécanique diminue la distance primitive des molécules ; telle est l’origine des vibrations des corps sonores ou flexibles, et de tous les effets de leur élasticité.

55.

Dans l’état liquide ou aériforme, la compression extérieure s’ajoute ou supplée à l’attraction moléculaire, et, s’exerçant sur les surfaces, elle ne s’oppose point au changement de figure, mais seulement à celui du volume occupé. L’emploi du calcul ferait mieux connaître comment la force répulsive de la chaleur, opposée à l’attraction des molécules ou à la compression extérieure, concourt à la composition des corps solides ou liquides, formés d’un ou plusieurs principes, et détermine les propriétés élastiques des fluides aériformes ; mais ces recherches n’appartiennent point à l’objet que nous traitons, et rentrent dans les théories dynamiques.

56.

On ne peut douter que le mode d’action de la chaleur ne consiste toujours, comme celui de la lumière, dans la communication réciproque des rayons, et cette explication est adoptée aujourd’hui de la plupart des physiciens ; mais il n’est point nécessaire de considérer les phénomènes sous cet aspect pour établir la théorie de la chaleur. On reconnaîtra, dans le cours de cet ouvrage, que les lois de l’équilibre de la chaleur rayonnante et celles de la propagation, dans les masses solides ou liquides, peuvent, indépendamment de toute explication physique, être rigoureusement démontrées comme des conséquences nécessaires des observations communes.

SECTION III

Principe de la communication de la chaleur.

57.

Nous allons présentement examiner ce que les expériences nous apprennent sur la communication de la chaleur.

Si deux molécules égales sont formées de la même substance et ont la même température, chacune d’elles reçoit de l’autre autant de chaleur qu’elle lui en envoie ; leur action mutuelle doit donc être regardée comme nulle, parce que le résultat de cette action ne peut apporter aucun changement dans l’état des molécules. Si, au contraire, la première est plus échauffée que la seconde, elle lui envoie plus de chaleur qu’elle n’en reçoit ; le résultat de l’action mutuelle est la différence de ces deux quantités de chaleur. Dans tous les cas, nous faisons abstraction des quantités égales de chaleur que deux points matériels quelconques s’envoient réciproquement ; nous concevons que le point le plus échauffé agit seul sur l’autre, et qu’en vertu de cette action, le premier perd une certaine quantité de chaleur qui est acquise par le second. Ainsi l’action de deux molécules, ou la quantité de chaleur que la plus échauffée communique à l’autre, est la différence des deux quantités qu’elles s’envoient réciproquement.

58.

Supposons que l’on place dans l’air un corps solide homogène, dont les différents points ont actuellement des températures inégales ; chacune des molécules dont le corps est composé commencera à recevoir de la chaleur de celles qui en sont extrêmement peu distantes, ou leur en communiquera. Cette action s’exerçant pendant le même instant entre tous les points de la masse, il en résultera un changement infiniment petit pour toutes les températures : le solide éprouvera à chaque instant des effets semblables ; en sorte que les variations de température deviendront de plus en plus sensibles. Considérons seulement le système de deux molécules égales et extrêmement voisines, m et n, et cherchons quelle est la quantité de chaleur que la première peut recevoir de la seconde pendant la durée d’un instant ; on appliquera ensuite le même raisonnement à tous les autres points qui sont assez voisins du point m pour agir immédiatement sur lui dans le premier instant.

La quantité de chaleur communiquée par le point n au point m dépend de la durée de l’instant, de la distance extrêmement petite de ces points, de la température actuelle de chacun, et de la nature de la substance solide ; c’est-à-dire que si l’un de ces éléments venait à varier, tous les autres demeurant les mêmes, la quantité de chaleur transmise varierait aussi. Or, les expériences ont fait connaître, à cet égard, un résultat général : il consiste en ce que toutes les autres circonstances étant les mêmes, la quantité de chaleur que l’une des molécules reçoit de l’autre est proportionnelle à la différence de température de ces deux molécules. Ainsi cette quantité serait double, triple, quadruple, si, tout restant d’ailleurs le même, la différence de la température du point n à celle du point m était double, ou triple, ou quadruple. Pour se rendre raison de ce résultat, il faut considérer que l’action de n sur m est toujours d’autant plus grande qu’il y a plus de différence entre les températures des deux points ; elle est nulle, si les températures sont égales, mais si la molécule n contient plus de chaleur que la molécule égale m, c’est-à-dire si la température de m étant celle de n est une portion de la chaleur excédante passera de n à m. Or, si l’excès de chaleur était double, ou, ce qui est la même chose, si la température de n était la chaleur excédante serait composée de deux parties égales correspondantes aux deux moitiés de la différence totale des températures chacune de ces parties aurait son effet propre comme si elle était seule : ainsi la quantité de chaleur communiquée par n à m serait deux fois plus grande que si la différence des températures était seulement C’est cette action simultanée des différentes parties de la chaleur excédante qui constitue le principe de la communication de la chaleur. Il en résulte que la somme des actions partielles, ou la quantité totale de chaleur que m reçoit de n, est proportionnelle à la différence des deux températures.

59.

En désignant par et les températures des deux molécules égales m et n ; par leur distance extrêmement petite, et par la durée infiniment petite de l’instant, la quantité de chaleur que m reçoit de n, pendant cet instant, sera exprimée par On désigne par une certaine fonction de la distance qui, dans les corps solides et dans les liquides, devient nulle lorsque a une grandeur sensible. Cette fonction est la même pour tous les points d’une même substance donnée ; elle varie avec la nature de la substance.

60.

La quantité de chaleur que les corps perdent par leur surface est assujétie au même principe. Si l’on désigne par l’étendue ou finie ou infiniment petite de la surface dont tous les points ont la température et si représente la température de l’air atmosphérique, le coëfficient étant la mesure de la conducibilité extérieure, on aura pour l’expression de la quantité de chaleur que cette surface transmet à l’air pendant l’instant

Lorsque les deux molécules, dont l’une transmet directement à l’autre une certaine quantité de chaleur, appartiennent au même solide, l’expression exacte de la chaleur communiquée est celle que nous avons donnée dans l’article précédent : parce que les molécules étant extrêmement voisines, la différence des températures est extrêmement petite. Il n’en est pas de même lorsque la chaleur passe d’un corps solide dans un milieu aériforme. Mais les expériences nous apprennent que si la différence est une quantité assez petite, la chaleur transmise est sensiblement proportionnelle à cette différence, et que le nombre peut, dans les premières recherches, être considéré comme ayant une valeur constante, propre à chaque état de la surface, mais indépendant de la température.

61.

Ces propositions relatives à la quantité de chaleur communiquée, ont été déduites de diverses observations. On voit d’abord, comme une conséquence évidente des expressions dont il s’agit, que si l’on augmentait d’une quantité commune toutes les températures initiales de la masse solide, et celle du milieu où elle est placée, les changements successifs des températures seraient exactement les mêmes que si l’on ne faisait point cette addition. Or ce résultat est sensiblement conforme aux expériences ; il a été admis par les premiers physiciens qui ont observé les effets de la chaleur.

62.

Si le milieu est entretenu à une température constante, et si le corps échauffé qui est placé dans ce milieu a des dimensions assez petites pour que la température, en s’abaissant de plus en plus, demeure sensiblement la même dans tous ses points, il suit des mêmes propositions qu’il s’échappera à chaque instant, par la surface du corps, une quantité de chaleur proportionnelle à l’excès de sa température actuelle sur celle du milieu. On en conclut facilement, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage, que la ligne dont les abscisses représenteraient les temps écoulés, et dont les ordonnées représenteraient les températures qui correspondent à ces temps, est une courbe logarithmique : or, les observations fournissent aussi ce même résultat, lorsque l’excès de la température du solide sur celle du milieu est une quantité assez petite.

63.

Supposons que le milieu soit entretenu à la température constante 0, et que les températures initiales des différents points a, b, c, d, etc. d’une même masse soient etc. qu’à la fin du premier instant elles soient devenues etc. qu’à la fin du deuxième instant elles soient etc. ainsi de suite. On peut facilement conclure des propositions énoncées, que si les températures initiales des mêmes points avaient été etc. ( étant un nombre quelconque), elles seraient devenues, en vertu de l’action des différents points à la fin du premier instant, etc., à la fin du second instant etc, ainsi de suite. En effet, comparons les cas où les températures initiales des points a, b, c, d étaient avec celui où elles sont le milieu conservant, dans l’un et l’autre cas, la température 0. Dans la seconde hypothèse, les différences des températures des deux points quelconques sont doubles de ce qu’elles étaient dans la première, et l’excès de la température de chaque point, sur celle de chaque molécule du milieu, est aussi double ; par conséquent la quantité de chaleur qu’une molécule quelconque envoie à une autre, ou celle qu’elle en reçoit, est, dans la seconde hypothèse, double de ce qu’elle était dans la première. Le changement que chaque point subit dans sa température étant proportionnel à la quantité de chaleur acquise, il s’ensuit que, dans le second cas, ce changement est double de ce qu’il était dans le premier. Or, on a supposé que la température initiale du premier point, qui était devient à la fin du premier instant ; donc si cette température initiale eût été et si toutes les autres eussent été doubles, elle serait devenue Il en serait de même de toutes les autres molécules b, c, d, et l’on tirera une conséquence semblable, si le rapport, au lieu d’être 2, est un nombre quelconque Il résulte donc du principe de la communication de la chaleur, que si l’on augmente ou si l’on diminue dans une raison donnée toutes les températures initiales, on augmente ou l’on diminue dans la même raison toutes les températures successives.

Ce résultat, comme les deux précédents, est confirmé par les observations. Il ne pourrait point avoir lieu si la quantité de chaleur qui passe d’une molécule à une autre n’était point, en effet, proportionnelle à la différence des températures.

On a observé avec des instruments précis, les températures permanentes des différents points d’une barre ou d’une armille métalliques, et la propagation de la chaleur dans ces mêmes corps et dans plusieurs autres solides de forme sphérique ou cubique. Les résultats de ces expériences s’accordent avec ceux que l’on déduit des propositions précédentes. Ils seraient entièrement différents, si la quantité de chaleur transmise par une molécule solide à une autre, ou à une molécule de l’air, n’était pas proportionnelle à l’excès de température. Il est d’abord nécessaire de connaître toutes les conséquences rigoureuses de cette proposition ; par-là on détermine la partie principale des quantités qui sont l’objet de la question. En comparant ensuite les valeurs calculées avec celles que donnent des expériences nombreuses et très-précises, on peut facilement mesurer les variations des coëfficients, et perfectionner les premières recherches.

SECTION IV

Du mouvement uniforme et linéaire de la chaleur.

65.

On considérera, en premier lieu, le mouvement uniforme de la chaleur dans le cas le plus simple, qui est celui d’un solide infini compris entre deux plans parallèles.

On suppose qu’un corps solide formé d’une substance homogène est compris entre deux plans infinis et parallèles ; le plan inférieur A est entretenu, par une cause quelconque, à une température constante on peut concevoir, par exemple, que la masse est prolongée, et que le plan A est une section commune au solide et à cette masse intérieure échauffée dans tous ses points par un foyer constant ; le plan supérieur B est aussi maintenu, par une cause semblable, à une température fixe dont la valeur est moindre que celle de il s’agit de déterminer quel serait le résultat de cette hypothèse si elle était continuée pendant un temps infini.

Si l’on suppose que la température initiale de toutes les parties de ce corps soit on voit que la chaleur qui sort du foyer A se propagera de plus en plus, et élèvera la température des molécules comprises entre les deux plans ; mais celle du plan supérieur ne pouvant, d’après l’hypothèse, être plus grande que la chaleur se dissipera dans la masse plus froide dont le contact retient le plan B à la température constante Le système des températures tendra de plus en plus à un état final qu’il ne pourra jamais atteindre, mais qui aurait, comme on va le prouver, la propriété de subsister lui-même et de se conserver sans aucun changement s’il était une fois formé.

Dans cet état final et fixe que nous considérons, la température permanente d’un point du solide est évidemment la même pour tous les points d’une même section parallèle à la base ; et nous allons démontrer que cette température fixe, qui est commune à tous les points d’une section intermédiaire décroît en progression arithmétique depuis la base jusqu’au plan supérieur, c’est-à-dire, qu’en représentant les températures constantes et par les ordonnées Aα et Bβ, (Voy. fig. 1), élevées perpendiculairement sur la distance AB des deux plans, les températures fixes des couches intermédiaires seront représentées par les ordonnées de la droite AB, qui joint les extrémités α et β ; ainsi, en désignant par la hauteur d’une section intermédiaire ou la distance perpendiculaire au plan A, par la hauteur totale ou la distance AB, et par la température de la section dont la hauteur est on doit avoir l’équation

En effet, si les températures étaient établies d’abord suivant cette loi, et si les surfaces extrêmes A et B étaient toujours retenues aux températures et il ne pourrait survenir aucun changement dans l’état du solide. Pour s’en convaincre, il suffira de comparer la quantité de chaleur qui traverserait une section intermédiaire A' à celle qui, pendant le même temps, traverserait une autre section B'.

En se représentant que l’état final du solide est formé et subsistant, on voit que la partie de la masse qui est au-dessous du plan A' doit communiquer de la chaleur à la partie qui est au-dessus de ce plan, puisque cette seconde partie est moins échauffée que la première.

Imaginons que deux points du solide m et m’, extrêmement voisins l’un de l’autre, et placés d’une manière quelconque, l’un m au-dessous du plan A’, et l’autre m’ au-dessus de ce plan, exercent leur action pendant un instant infiniment petit : le point le plus échauffé m communiquera à m’ une certaine quantité de chaleur qui traversera ce plan A’. Soient les coordonnées rectangulaires du point m, et les coordonnées du point m’ ; considérons encore deux points n et n’ extrêmement voisins l’un de l’autre, et placés, par rapport au plan B’, de même que m et m’ sont placés par rapport au plan A’ : c’est-à-dire, qu’en désignant par la distance perpendiculaire des deux sections A’ et B’, les coordonnées du point n seront et celles du point n’ seront les deux distances mm’ et nn’ seront égales : de plus, la différence de la température du point m à la température du point m’ sera la même que la différence des températures des deux points n et n’. En effet, cette première différence se déterminera en substituant et ensuite dans l’équation générale et retranchant la seconde équation de la première, on en conclura On trouvera ensuite, par les substitutions de et que l’excès de la température du point n sur celle du point n’ a aussi pour expression Il suit de là que la quantité de chaleur envoyée par le point m au point m’ sera la même que la quantité de chaleur envoyé par le point n au point n’, car tous les éléments qui concourent à déterminer cette quantité de chaleur transmise sont les mêmes.

Il est manifeste que l’on peut appliquer le même raisonnement à tous les systèmes de deux molécules qui se communiquent de la chaleur à travers la section A’ ou la section B’ ; donc, si l’on pouvait recueillir toute la quantité de chaleur qui s’écoule, pendant un même instant, à travers la section A’ ou la section B’, on trouverait que cette quantité est la même pour les deux sections.

Il en résulte que la partie du solide comprise entre A’ et B’ reçoit toujours autant de chaleur qu’elle en perd, et comme cette conséquence s’applique à une portion quelconque de la masse comprise entre deux sections parallèles, il est évident qu’aucune partie du solide ne peut acquérir une température plus élevée que celle qu’elle a présentement. Ainsi, il est rigoureusement démontré que l’état du prisme subsistera continuellement tel qu’il était d’abord.

Donc, les températures permanentes des différentes sections d’un solide compris entre les deux plans parallèles infinis, sont représentées par les ordonnées de la ligne droite αβ, et satisfont à l’équation linéaire

66.

On voit distinctement, par ce qui précède, en quoi consiste la propagation de la chaleur dans un solide compris entre deux plans parallèles et infinis, dont chacun est maintenu à une température constante. La chaleur pénètre successivement dans la masse à travers la base inférieure : les températures des sections intermédiaires s’élèvent, et ne peuvent jamais surpasser ni même atteindre entièrement une certaine limite dont elles s’approchent de plus en plus : cette limite ou température finale est différente pour les différentes couches intermédiaires, et elle décroît, en progression arithmétique, depuis la température fixe du plan inférieur, jusqu’à la température fixe du plan supérieur.

Les températures finales sont celles qu’il faudrait donner au solide pour que son état fût permanent ; l’état variable qui le précède peut être aussi soumis au calcul, comme on le verra par la suite ; mais nous ne considérons ici que le système des températures finales et permanentes. Dans ce dernier état, il s’écoule, pendant chaque division du temps, à travers une section parallèle à la base ou une portion déterminée de cette section, une certaine quantité de chaleur qui est constante, si les divisions du temps sont égales. Ce flux uniforme est le même pour toutes les sections intermédiaires ; il est égal à celui qui sort du foyer et à celui que perd, dans le même temps, la surface supérieure du solide en vertu de la cause qui maintient la température.

67.

Il s’agit maintenant de mesurer cette quantité de chaleur qui se propage uniformément dans le solide, pendant un temps donné, à travers une partie déterminée d’une section parallèle à la base : elle dépend, comme on va le voir, des deux températures extrêmes et et de la distance des deux bases ; elle varierait, si l’un quelconque de ces éléments venait à changer, les autres demeurant les mêmes. Supposons un second solide, formé de la même substance que le premier, et compris entre deux plans parallèles infinis, dont la distance perpendiculaire est (Voy. fig. 2) la base inférieure est entretenue à la température fixe et la base supérieure, à la température fixe l’un et l’autre solides sont considérés dans cet état final et permanent qui a la propriété de se conserver lui-même dès qu’il est formé. Ainsi la loi des températures est exprimée, pour le premier corps, par l’équation et pour le second, par l’équation étant dans le premier solide, et dans le second, la température de la section dont est la hauteur.

Cela posé, on comparera la quantité de chaleur qui, pendant l’unité de temps, traverse une étendue égale à l’unité de surface prise sur une section intermédiaire L du premier solide, à celle qui, pendant le même temps, traverse une égale étendue prise sur la section L’ du second, étant la hauteur commune de ces deux sections, c’est-à-dire, la distance de chacune d’elles à la base inférieure. On considérera dans le premier corps deux points n et n’ extrêmement voisins, et dont l’un n est au-dessous du plan L, et l’autre n’ au-dessus de ce plan : sont les coordonnées de n ; et les coordonnées de n’, étant moindre que et plus grand que

On considérera aussi dans le second solide l’action instantanée de deux points p et p’, qui sont placés, par rapport à la section L’, de même que les points n et n’ par rapport à la section L du premier solide. Ainsi, les mêmes coordonnées et rapportées à trois axes rectangulaires dans le second corps, fixeront aussi la position des points p et p’.

Or, la distance du point n au point n’ est égale à la distance du point p au point p’, et comme les deux corps sont formés de la même substance, on en conclut, suivant le principe de la communication de la chaleur, que l’action de n sur n’, ou la quantité de chaleur donnée par n à n’, et l’action de p sur p’, ont entre elles le même rapport que les différences de températures et

En substituant et ensuite dans l’équation qui convient au premier solide, et retranchant on trouve on a aussi, au moyen de la seconde équation, donc le rapport des deux actions dont il s’agit est celui de à

On peut concevoir maintenant plusieurs autres systèmes de deux molécules dont la première envoie à la seconde à travers le plan L, une certaine quantité de chaleur, et chacun de ces systèmes, choisi dans le premier solide, pouvant être comparé à un système homologue placé dans le second, et dont l’action s’exerce à travers la section L’, on appliquera encore le raisonnement précédent pour prouver que le rapport des deux actions est toujours celui de à

Or, la quantité totale de chaleur qui, pendant un instant, traverse la section L, résulte de l’action simultanée d’une multitude de systèmes dont chacun est formé de deux points ; donc cette quantité de chaleur et celle qui, dans le second solide, traverse pendant le même instant la section L', ont aussi entre elles le rapport de à

Il est donc facile de comparer entre elles l’intensité des flux constants de chaleur qui se propagent uniformément dans l’un et l’autre solides, c’est-à-dire les quantités de chaleur qui, pendant l’unité de temps, traversent l’unité de surface dans chacun de ces corps. Le rapport de ces deux intensités est celui des deux quotients et Si les deux quotients sont égaux, les flux sont les mêmes, quelles que soient d’ailleurs les valeurs en général, en désignant par le premier flux, et par le second, on aura

68.

Supposons que, dans le second solide, la température permanente du plan inférieur soit celle de l’eau bouillante 1 ; que la température du plan supérieur soit celle de la glace fondante 0 ; que la distance des deux plans soit l’unité de mesure (un mètre) ; désignons par le flux constant de chaleur qui, pendant l’unité de temps (une minute), traverserait l’unité de surface dans ce dernier solide, s’il était formé d’une substance donnée ; exprimant un certain nombre d’unités de chaleur, c’est-à-dire un certain nombre de fois la chaleur nécessaire pour convertir en eau un kilogramme de glace : on aura, en général, pour déterminer le flux constant , dans un solide formé de cette même substance, l’équation ou

La valeur de est celle de la quantité de chaleur qui, pendant l’unité de temps, passe à travers une étendue égale à l’unité de surface prise sur une section parallèle à la base.

Ainsi l’état thermométrique d’un solide compris entre deux bases parallèles infinies dont la distance perpendiculaire est et qui sont maintenues à des températures fixes et est représenté par les deux équations :

La première de ces équations exprime la loi suivant laquelle les températures décroissent depuis la base inférieure jusqu’à la face opposée ; la seconde fait connaître la quantité de chaleur qui traverse, pendant un temps donné, une partie déterminée d’une section parallèle à la base.

69.

Nous avons choisi ce même coëfficient qui entre dans la seconde équation, pour la mesure de la conducibilité spécifique de chaque substance ; ce nombre a des valeurs très-différentes pour les différents corps.

Il représente, en général, la quantité de chaleur qui, dans un solide homogène formé d’une substance donnée, et compris entre deux plans parallèles infinis, s’écoule, pendant une minute, à travers une surface d’un mètre quarré prise sur une section parallèle aux plans extrêmes, en supposant que ces deux plans sont entretenus, l’un à la température de l’eau bouillante, l’autre à la température de la glace fondante, et que tous les plans intermédiaires ont acquis et conservent une température permanente.

On pourrait employer une autre définition de la conducibilité, comme on pourrait estimer la capacité de chaleur en la rapportant à l’unité de volume, au lieu de la rapporter à l’unité de masse. Toutes ces définitions sont équivalentes, pourvu qu’elles soient claires et précises.

Nous ferons connaître par la suite comment on peut déterminer par l’observation la valeur de la conducibilité ou conductibilité dans les différentes substances.

70.

Pour établir les équations que nous avons rapportées dans l’article 68, il ne serait pas nécessaire de supposer que les points qui exercent leur action à travers les plans, sont extrêmement peu distants. Les conséquences seraient encore les mêmes si les distances de ces points avaient une grandeur quelconque ; elles s’appliqueraient donc aussi au cas où l’action immédiate de la chaleur se porterait dans l’intérieur de la masse jusqu’à des distances assez considérables, toutes les circonstances qui constituent l’hypothèse demeurant d’ailleurs les mêmes.

Il faut seulement supposer que la cause qui entretient les températures à la superficie du solide n’affecte pas seulement la partie de la masse, qui est extrêmement voisine de la surface, mais que son action s’étend jusqu’à une profondeur finie. L’équation représentera encore dans ce cas les températures permanentes du solide. Le vrai sens de cette proposition est que, si l’on donnait à tous les points de la masse, les températures exprimées par l’équation, et si de plus une cause quelconque, agissant sur les deux tranches extrêmes, retenait toujours chacune de leurs molécules à la température que cette même équation leur assigne, les points intérieurs du solide conserveraient, sans aucun changement, leur état initial.

Si l’on supposait que l’action d’un point de la masse pût s’étendre jusqu’à une distance finie il faudrait que l’épaisseur des tranches extrêmes, dont l’état est maintenu par la cause extérieure, fût au moins égale à Mais la quantité n’ayant en effet, dans l’état naturel des solides, qu’une valeur inappréciable, on doit faire abstraction de cette épaisseur ; et il suffit que la cause extérieure agisse sur chacune des deux couches, extrêmement petites, qui terminent le solide. C’est toujours ce que l’on doit entendre par cette expression, entretenir la température constante de la surface.

71.

Nous allons encore examiner le cas où le même solide serait exposé, par l’une de ses faces, à l’air atmosphérique entretenu à une température constante.

Supposons donc que ce plan inférieur conserve, en vertu d’une cause extérieure quelconque, la température fixe et que le plan supérieur, au lieu d’être retenu, comme précédemment, à une température moindre est exposé à l’air atmosphérique maintenu à cette température la distance perpendiculaire des deux plans étant toujours désignée par  : il s’agit de déterminer les températures finales.

En supposant que, dans l’état initial du solide, la température commune de ses molécules est ou moindre que on se représente facilement que la chaleur qui sort incessamment du foyer A pénètre la masse, et élève de plus en plus les températures des sections intermédiaires ; la surface supérieure s’échauffe successivement, et elle laisse échapper dans l’air une partie de la chaleur qui a pénétré le solide. Le systême des températures s’approche continuellement d’un dernier état qui subsisterait de lui-même s’il était d’abord formé ; dans cet état final, qui est celui que nous considérons, la température du plan B a une valeur fixe, mais inconnue, que nous désignerons par et comme le plan inférieur A conserve aussi une température permanente le système des températures est représenté par l’équation générale désignant toujours la température fixe de la section dont la hauteur est La quantité de chaleur qui s’écoule pendant l’unité de temps, à travers une surface égale à l’unité et prise sur une section quelconque, est désignant la conducibilité propre.

Il faut considérer maintenant que la surface supérieure B, dont la température est laisse échapper dans l’air une certaine quantité de chaleur qui doit être précisément égale à celle qui traverse une section quelconque L du solide. S’il n’en était pas ainsi, la partie de la masse qui est comprise entre cette section L et le plan B ne recevrait point une quantité de chaleur égale à celle qu’elle perd ; donc elle ne conserverait point son état, ce qui est contre l’hypothèse ; donc le flux constant de la surface est égal à celui qui traverse le solide : or, la quantité de chaleur qui sort, pendant l’unité de temps, de l’unité de surface prise sur le plan B, est exprimée par étant la température fixe de l’air, et la mesure de la conducibilité de la surface B, on doit donc former l’équation qui fera connaître la valeur de

On en déduit équation dont le second membre est connu ; car les températures et sont données ainsi que les quantités

En mettant cette valeur de dans l’équation générale , on aura, pour exprimer les températures de toutes les sections du solide, l’équation dans laquelle il n’entre que des quantités connues et les variables correspondantes et .

72.

Nous avons déterminé jusqu’ici l’état final et permanent des températures dans un solide compris entre deux surfaces planes, infinies et parallèles, entretenues à des températures inégales. Ce premier cas est, à proprement parler, celui de la propagation linéaire et uniforme, car il n’y a point de transport de chaleur dans le plan parallèle aux bases ; celle qui traverse le solide s’écoule uniformément, puisque la valeur du flux est la même pour tous les instants et pour toutes les sections.

Nous allons rappeler les trois propositions principales qui résultent de l’examen de cette question ; elles sont susceptibles d’un grand nombre d’applications, et forment les premiers éléments de notre théorie.

1o Si l’on élève aux deux extrémités de la hauteur du solide deux perpendiculaires qui représentent les températures et des deux bases, et si l’on mène une droite qui joigne les extrémités de ces deux premières ordonnées, toutes les températures intermédiaires seront proportionnelles aux ordonnées de cette droite ; elles sont exprimées par l’équation générale désignant la température de la section dont la hauteur est

2o La quantité de chaleur qui s’écoule uniformément, pendant l’unité de temps, à travers l’unité de surface prise sur une section quelconque parallèle aux bases, est, toutes choses d’ailleurs égales, en raison directe de la différence des températures extrêmes et en raison inverse de la distance qui sépare ces bases. Cette quantité de chaleur est exprimée par ou en déduisant de l’équation générale la valeur de qui est constante ; ce flux uniforme est toujours représenté pour une substance donnée, et dans le solide dont il s’agit, par la tangente de l’angle compris entre la perpendiculaire et la droite dont les ordonnées représentent les températures.

3o Si l’une des surfaces extrêmes du solide étant toujours assujétie à la température l’autre plan est exposé à l’air maintenu à une température fixe ce plan en contact avec l’air, acquiert, comme dans le cas précédent, une température fixe plus grande que et il laisse échapper dans l’air, à travers l’unité de surface, pendant l’unité de temps, une quantité de chaleur exprimée par désignant la conducibilité extérieure du plan.

Ce même flux de chaleur est égal à celui qui traverse le prisme et dont la valeur est on a donc l’équation qui donne la valeur de

SECTION V.

Loi des températures permanentes dans un prisme d’une petite épaisseur.

73.

On appliquera facilement les principes qui viennent d’être exposés à la question suivante, qui est très-simple en elle-même, mais dont il importait de fonder la solution sur une théorie exacte.

Une barre métallique, dont la forme est celle d’un parallélipipède rectangle d’une longueur infinie, est exposée à l’action d’un foyer de chaleur qui donne à tous les points de son extrémité A une température constante. Il s’agit de déterminer les températures fixes des différentes sections de la barre.

On suppose que la section perpendiculaire à l’axe est un quarré dont le côté est assez petit pour que l’on puisse sans erreur sensible regarder comme égales les températures des différents points d’une même section. L’air dans lequel la barre est placée est entretenu à une température constante 0, et emporté par un courant d’une vitesse uniforme.

La chaleur passera successivement dans l’intérieur du solide, toutes ses parties situées à la droite du foyer, et qui n’étaient point exposées immédiatement à son action, s’échaufferont de plus en plus, mais la température de chaque point ne pourra pas augmenter au-delà d’un certain terme. Ce maximum de température n’est pas le même pour chaque section ; il est en général d’autant moindre que cette section est plus éloignée de l’origine ; on désignera par la température fixe d’une section perpendiculaire à l’axe, et placée à la distance de l’origine A.

Avant que chaque point du solide ait atteint son plus haut degré de chaleur, le système des températures varie continuellement, et s’approche de plus en plus d’un état fixe, qui est celui que l’on considère. Cet état final se conserverait de lui-même, s’il était formé. Pour que le système des températures soit permanent, il est nécessaire que la quantité de chaleur qui traverse, pendant l’unité de temps, une section placée à la distance de l’origine, compense exactement toute la chaleur qui s’échappe, dans le même temps, par la partie de la surface extérieure du prisme qui est située à la droite de la même section. La tranche, dont l’épaisseur est et dont la surface extérieure est laisse échapper dans l’air, pendant l’unité de temps, une quantité de chaleur exprimée par étant la mesure de la conducibilité extérieure du prisme. Donc, en prenant l’intégrale depuis jusqu’à , on trouvera la quantité de chaleur qui sort de toute la surface de la barre pendant l’unité de temps ; et si l’on prend la même intégrale, depuis jusqu’à , on aura la quantité de chaleur perdue par la partie de la surface comprise entre le foyer et la section placée à la distance . Désignant par la première intégrale dont la valeur est constante, et par la valeur variable de la seconde ; la différence exprimera la quantité totale de chaleur qui s’échappe dans l’air, à travers la partie de la surface placée à la droite de la section. D’un autre côté, la tranche du solide, comprise entre deux sections infiniment voisines placées aux distances et doit être assimilée à un solide infini, terminé par deux plans parallèles, assujétis à des températures fixes et puisque, selon l’hypothèse, la température ne varie pas dans toute l’étendue d’une même section. L’épaisseur du solide est et l’étendue de la section est donc, la quantité de chaleur qui s’écoule uniformément, pendant l’unité de temps, à travers une section de ce solide, est, d’après les principes précédents, étant la conducibilité spécifique intérieure ; on doit donc avoir l’équation ou

74.

On obtiendrait le même résultat, en considérant l’équilibre de la chaleur dans la seule tranche infiniment petite, comprise entre les deux sections dont les distances sont et En effet, la quantité de chaleur qui, pendant l’unité de temps, traverse la première section placée à la distance est Pour trouver celle qui s’écoule pendant le même temps, à travers la section suivante placée à la distance il faut, dans l’expression précédente, changer en ce qui donne Si l’on retranche cette seconde expression de la première, on connaîtra combien la tranche que terminent les deux sections, acquiert de chaleur pendant l’unité de temps ; et puisque l’état de cette tranche est permanent, il faudra que toute cette chaleur acquise soit égale à celle qui se dissipe dans l’air à travers la surface extérieure de cette même tranche ; or, cette dernière quantité de chaleur est on obtiendra donc la même équation

75.

De quelque manière que l’on forme cette équation, il est nécessaire de remarquer que la quantité de chaleur qui pénètre dans la tranche dont l’épaisseur est a une valeur finie, et que son expression exacte est Cette tranche étant comprise entre deux surfaces, dont la première a la température et la seconde une température moindre on aperçoit d’abord que la quantité de chaleur qu’elle reçoit par la première surface dépend de la différence et lui est proportionnelle ; mais cette remarque ne suffit pas pour établir le calcul. La quantité dont il s’agit n’est point une différentielle : elle a une valeur finie, puisqu’elle équivaut à toute la chaleur qui sort par la partie de la surface extérieure du prisme qui est située à la droite de la section. Pour s’en former une idée exacte, il faut comparer la tranche, dont l’épaisseur est à un solide terminé par deux plans parallèles dont la distance est et qui sont retenus à des températures inégales et La quantité de chaleur qui pénètre dans un pareil prisme, à travers la surface la plus échauffée, est en effet proportionnelle à la différence des températures extrêmes, mais elle ne dépend pas seulement de cette différence : toutes choses d’ailleurs égales, elle est d’autant moindre que le prisme a plus d’épaisseur, et en général elle est proportionnelle à C’est pourquoi la quantité de chaleur qui pénètre par la première surface dans la tranche, dont l’épaisseur est est proportionnelle à

Nous insistons sur cette remarque parce que l’omission que l’on en avait faite a été le premier obstacle à l’établissement de la théorie. En ne faisant point une analyse complète des éléments de la question, on obtenait une équation non homogène, et, à plus forte raison, on n’aurait pu former les équations qui expriment le mouvement de la chaleur dans des cas plus composés.

Il était nécessaire aussi d’introduire dans le calcul les dimensions du prisme, afin de ne point regarder comme générales les conséquences que l’observation avait fournies dans un cas particulier. Ainsi l’on a reconnu par l’expérience qu’une barre de fer, dont on échauffait l’extrémité, ne pouvait acquérir, à six pieds de distance du foyer, une température d’un degré (octogésimal) ; car, pour produire cet effet, il faudrait que la chaleur du foyer surpassât beaucoup celle qui met le fer en fusion ; mais ce résultat dépend de l’épaisseur du prisme que l’on a employé. Si elle eût été plus grande, la chaleur se serait propagée à une plus grande distance, c’est-à-dire, que le point de la barre qui acquiert une température fixe d’un degré, est d’autant plus éloigné du foyer que la barre a plus d’épaisseur, toutes les autres conditions demeurant les mêmes. On peut toujours élever d’un degré la température de l’extrémité d’un cylindre de fer, en échauffant ce solide par son autre extrémité ; il ne faut que donner au rayon de la base une longueur suffisante ; cela est, pour ainsi dire, évident, et d’ailleurs on en trouvera la preuve dans la solution de la question (art. 78).

76.

L’intégrale de l’équation précédente est et étant deux constantes arbitraires ; or, si l’on suppose la distance infinie, la valeur de la température doit être infiniment petite ; donc le terme ne subsiste point dans l’intégrale ; ainsi l’équation représente l’état permanent du solide ; la température à l’origine est désignée par la constante puisqu’elle est la valeur de lorsque est nulle.

Cette même loi suivant laquelle les températures décroissent, est donnée aussi par l’expérience ; plusieurs physiciens ont observé les températures fixes des différents points d’une barre métallique exposée par son extrémité à l’action constante d’un foyer de chaleur, et ils ont reconnu que les distances à l’origine représentent les logarithmes, et les températures les nombres correspondants.

77.

La valeur numérique du quotient constant de deux températures consécutives étant déterminée par l’observation, on en déduit facilement celle du rapport car, en désignant par les températures qui répondent aux distances on aura

Quant aux valeurs séparées de et de on ne peut les déterminer par des expériences de ce genre : il faut observer aussi le mouvement varié de la chaleur.

78.

Supposons que deux barres de même matière et de dimensions inégales, soient assujéties vers leur extrémité à une même température soit le côté de la section dans la première barre, et le côté de la section dans la seconde, on aura, pour exprimer les températures de ces deux solides, les équations

en désignant, dans le premier solide, par la température de la section placée à la distance et dans le second solide, par la température de la section placée à la distance .

Lorsque ces deux barres seront parvenues à un état fixe, la température d’une section de la première, placée à une certaine distance du foyer, ne sera pas égale à la température d’une section de la seconde, placée à la même distance du foyer ; pour que les températures fixes fussent égales, il faudrait que les distances fussent différentes. Si l’on veut comparer entre elles les distances et comprises depuis l’origine jusqu’aux points qui parviennent dans les deux barres à la même température, on égalera les seconds membres des équations, et l’on en conclura Ainsi les distances dont il s’agit sont entre elles comme les racines quarrées des épaisseurs.

79.

Si deux barres métalliques de dimensions égales, mais formées de substances différentes sont couvertes d’un même enduit qui puisse leur donner une même conducibilité extérieure, et si elles sont assujéties, dans leur extrémité, à une même température, la chaleur se propagera plus facilement et à une plus grande distance de l’origine dans celui des deux corps qui jouit d’une plus grande conducibilité. Pour comparer entre elles les distances et comprises depuis l’origine commune jusqu’aux points qui acquièrent une même température fixe, il faut, en désignant par et les conducibilités respectives des deux substances, écrire l’équation


Ainsi le rapport de deux conducibilités est celui des quarrés des distances comprises entre l’origine commune et les points qui atteignent une même température fixe.

80.

Il est facile de connaître combien il s’écoule de chaleur pendant l’unité de temps par une section de la barre parvenue à son état fixe : cette quantité a pour expression


et si on la prend à l’origine, on aura pour la mesure de la quantité de chaleur qui passe du foyer dans le solide pendant l’unité de temps ; ainsi la dépense de la source de chaleur est, toutes choses d’ailleurs égales, proportionnelle à la racine quarrée du cube de l’épaisseur. On trouverait le même résultat, en prenant l’intégrale depuis nulle jusqu’à infinie.

SECTION VI.

De l’Échauffement des espaces clos.

81.

Nous ferons encore usage des théorèmes de l’article 72 dans la question suivante, dont la solution présente des applications utiles ; elle consiste à déterminer le degré d’échauffement des espaces clos.

On suppose qu’un espace d’une forme quelconque, rempli d’air atmosphérique, est fermé de toutes parts, et que toutes les parties de l’enceinte sont homogènes et ont une épaisseur commune assez petite pour que le rapport de la surface extérieure à la surface intérieure diffère peu de l’unité. L’espace que cette enceinte termine est échauffé par un foyer dont l’action est constante ; par exemple, au moyen d’une surface dont l’étendue est et qui est entretenue à la température permanente

On ne considère ici que la température moyenne de l’air contenu dans l’espace, sans avoir égard à l’inégale distribution de la chaleur dans cette masse d’air ; ainsi l’on suppose que des causes subsistantes en mêlent incessamment toutes les portions, et rendent leur température uniforme.

On voit d’abord que la chaleur qui sort continuellement du foyer se répandra dans l’air environnant, et pénétrera dans la masse dont l’enceinte est formée, se dissipera en partie par la surface, et passera dans l’air extérieur que l’on suppose entretenu à une température moins élevée et permanente L’air intérieur s’échauffera de plus en plus ; il en sera de même de l’enceinte solide : le système des températures s’approchera sans cesse d’un dernier état qui est l’objet de la question, et qui aurait la propriété de subsister de lui-même et de se conserver sans aucun changement, pourvu que la surface du foyer fût maintenue à la température et l’air extérieur à la température

Dans cet état permanent que l’on veut déterminer, l’air intérieur conserve une température fixe la température de la surface intérieure de l’enceinte solide a aussi une valeur fixe enfin la surface extérieure qui termine cette enceinte, conserve une température moindre que mais plus grande que Les quantités et sont connues, et les quantités et sont inconnues.

C’est dans l’excès de la température sur celle de l’air extérieur que consiste le degré de l’échauffement ; il dépend évidemment de l’étendue de la surface échauffante et de sa température il dépend aussi de l’épaisseur de l’enceinte, de l’étendue de la surface qui la termine, de la facilité avec laquelle la chaleur pénètre sa surface intérieure ou celle qui lui est opposée ; enfin de la conducibilité spécifique de la masse solide qui forme l’enceinte ; car si l’un quelconque de ces éléments venait à être changé, les autres demeurant les mêmes, le degré de l’échauffement varierait aussi. Il s’agit de déterminer comment toutes ces quantités entrent dans la valeur de

82.

L’enceinte solide est terminée par deux surfaces égales, dont chacune est maintenue à une température fixe ; chaque élément prismatique du solide compris entre deux portions opposées de ces surfaces, et les normales élevées sur le contour des bases, est donc dans le même état que s’il appartenait à un solide infini compris entre deux plans parallèles, entretenus à des températures inégales. Tous les éléments prismatiques qui composent l’enceinte se touchent suivant toute leur longueur. Les points de la masse qui sont à égale distance de la surface intérieure ont des températures égales, à quelque prisme qu’ils appartiennent ; par conséquent, il ne peut y avoir aucun transport de chaleur dans le sens perpendiculaire à la longueur des prismes. Ce cas est donc le même que celui que nous avons déjà traité, et l’on doit y appliquer les équations linéaires qui ont été rapportées plus haut.

83.

Ainsi, dans l’état permanent que nous considérons, le flux de chaleur qui sort de la surface pendant une unité de temps, est égal à celui qui passe, pendant le même temps, de l’air environnant dans la surface intérieure de l’enceinte ; il est égal aussi à celui qui traverse, pendant l’unité de temps, une section intermédiaire faite dans l’enceinte solide par une surface égale et parallèle à celles qui terminent cette enceinte ; enfin, ce même flux est encore égal à celui qui passe de l’enceinte solide à travers sa surface extérieure, et se dissipe dans l’air. Si ces quatre quantités de chaleur écoulées n’étaient point égales, il surviendrait nécessairement quelque variation dans l’état des températures, ce qui est contre l’hypothèse.

La première quantité est exprimée par en désignant par la conducibilité extérieure de la surface qui appartient au foyer.

La seconde est le coëfficient étant la mesure de la conducibilité extérieure de la surface qui est exposée à l’action du foyer.

La troisième est le coëfficient étant la mesure de la conducibilité propre de la substance homogène qui forme l’enceinte.

La quatrième est en désignant par la conducibilité extérieure de la surface dont la chaleur sort pour se dissiper dans l’air. Les coëfficiens et peuvent avoir des valeurs très-inégales à raison de la différence de l’état des deux surfaces qui terminent l’enceinte ; ils sont supposés connus ainsi que le coëfficient on aura donc, pour déterminer les trois quantités inconnues et les trois équations :

84.

La valeur de est l’objet spécial de la question. On la trouvera en mettant les équations sous cette forme :

et les ajoutant, on aura

en désignant par la quantité connue


on en conclut

85.

Ce résultat fait connaître comment le degré de l’échauffement dépend des quantités données qui constituent l’hypothèse.

Nous indiquerons les principales conséquences que l’on en peut déduire.

1o Le degré de réchauffement est en raison directe de l’excès de la température du foyer sur celle de l’air extérieur.

2o La valeur de ne dépend point de la forme de l’enceinte ni de sa capacité, mais seulement du rapport de la surface dont la chaleur sort à la surface qui la reçoit, et de l’épaisseur de l’enceinte.

Si l’on double la surface du foyer, le degré de l’échauffement ne devient pas double, mais il augmente suivant une certaine loi que l’équation exprime.

3o Tous les coëfficiens spécifiques qui règlent l’action de la chaleur, savoir : et composent, avec la dimension dans la valeur de un élément unique dont on peut déterminer la valeur par les observations.

Si l’on doublait l’épaisseur de l’enceinte, on aurait le même résultat que si l’on employait, pour la former, une substance dont la conducibilité propre serait deux fois plus grande. Ainsi l’emploi des substances qui conduisent difficilement la chaleur permet de donner peu d’épaisseur à l’enceinte ; l’effet que l’on obtient ne dépend que du rapport

4o Si la conducibilité est nulle, on trouve c’est-à-dire que l’air intérieur prend la température du foyer : il en est de même si est nulle ou si est nulle. Ces conséquences sont d’ailleurs évidentes, puisque la chaleur ne peut alors se dissiper dans l’air extérieur.

5o Les valeurs des quantités et que l’on suppose connues, peuvent être mesurées par des expériences directes, comme on le verra par la suite ; mais, dans la question actuelle, il suffirait d’observer la valeur de qui correspond à des valeurs données de et de et on s’en servirait pour déterminer le coëfficient total au moyen de l’équation dans laquelle désigne le coëfficient cherché. On mettra dans cette équation, au lieu de et de les valeurs de ces quantités, que l’on suppose données, et celle de que l’observation aura fait connaître. On en déduira la valeur de et l’on pourra ensuite appliquer la formule à une infinité d’autres cas.

6o Le coëfficient entre dans la valeur de de la même manière que le coëfficient par conséquent l’état de la superficie, ou celui de l’enveloppe qui la couvre, procure le même effet, soit qu’il se rapporte à la surface intérieure ou à la surface extérieure.

On aurait regardé comme inutile de faire remarquer ces diverses conséquences, si l’on ne traitait point ici des questions toutes nouvelles, dont les résultats peuvent être d’une utilité immédiate.

86.

On sait que les corps animés conservent une température sensiblement fixe, que l’on peut regarder comme indépendante de la température du milieu dans lequel ils vivent. Ces corps sont, en quelque sorte, des foyers d’une chaleur constante, de même que les substances enflammées dont la combustion est devenue uniforme. On peut donc, à l’aide des remarques précédentes, prévoir et régler avec plus d’exactitude l’élévation des températures dans les lieux où l’on réunit un grand nombre d’hommes. Si l’on y observe la hauteur du thermomètre dans des circonstances données, on déterminera d’avance quelle serait cette hauteur, si le nombre d’hommes rassemblés dans le même espace devenait beaucoup plus grand.

À la vérité, il y a plusieurs circonstances accessoires qui modifient les résultats, telles que l’inégale épaisseur des parties des enceintes, la diversité de leur exposition, l’effet que produisent les issues, l’inégale distribution de la chaleur de l’air. On ne peut donc faire une application rigoureuse des règles données par le calcul ; toutefois, ces règles sont précieuses en elles-mêmes, parce qu’elles contiennent les vrais principes de la matière : elles préviennent des raisonnements vagues et des tentatives inutiles ou confuses.

87.

Si le même espace était échauffé par deux ou plusieurs foyers de différente espèce, ou si la première enceinte était elle-même contenue dans une seconde enceinte séparée de la première par une masse d’air, on déterminerait facilement aussi le degré de l’échauffement et les températures des surfaces.

En supposant qu’il y ait, outre le premier foyer une seconde surface échauffée dont la température constante soit , et la conducibilité extérieure on trouvera, en conservant toutes les autres dénominations, l’équation suivante :


si l’on ne suppose qu’un seul foyer et si la première enceinte est elle-même contenue dans une seconde, on représentera par les éléments de la seconde enceinte qui correspondent à ceux de la première, que l’on désigne par et l’on trouvera, en nommant la température de l’air qui environne la surface extérieure de la seconde enceinte, l’équation suivante :

La quantité représente

On trouverait un résultat semblable si l’on supposait trois ou un plus grand nombre d’enceintes successives ; et l’on en conclut que ces enveloppes solides, séparées par l’air, concourent beaucoup à augmenter le degré de l’échauffement, quelque petite que soit leur épaisseur.

88.

Pour rendre cette remarque plus sensible, nous comparerons la quantité de chaleur qui sort de la surface d’un corps échauffé, à celle que le même corps perdrait, si la surface qui l’enveloppe en était séparée par un intervalle rempli d’air.

Si le corps A est échauffé par une cause constante, en sorte que la surface conserve la température fixe l’air étant retenu à la température moindre la quantité de chaleur qui s’échappe dans l’air pendant l’unité de temps, à travers une surface égale à l’unité, sera exprimée par étant la mesure de la conducibilité extérieure. Donc, pour que la masse puisse conserver la température fixe il est nécessaire que le foyer, quel qu’il soit, fournisse une quantité de chaleur égale à désignant l’étendue de la surface du solide.

Supposons que l’on détache de la masse A une tranche extrêmement mince qui soit séparée du solide par un intervalle rempli d’air, et que la superficie de ce même solide A, soit encore maintenue à la température On voit que l’air contenu entre la tranche et le corps s’échauffera et prendra une température plus grande que La tranche elle-même parviendra à un état permanent et transmettra à l’air extérieur dont la température fixe est toute la chaleur que le corps perd. Il s’ensuit que la quantité de chaleur sortie du solide sera au lieu d’être car on suppose que la nouvelle superficie du solide et celles qui terminent la tranche ont aussi la même conducibilité extérieure Il est évident que la dépense de la source de chaleur sera moindre qu’elle n’était d’abord. Il s’agit de connaître le rapport exact de ces quantités.

89.

Soient l’épaisseur de la tranche, la température fixe de sa surface inférieure, celle de la surface supérieure et la conducibilité propre. On aura, pour l’expression de la quantité de chaleur qui sort du solide par sa superficie,

Pour celle de la quantité qui pénètre la surface inférieure de la tranche

Pour celle de la quantité qui traverse une section quelconque de cette même tranche.

Enfin, pour celle de la quantité qui passe de la surface supérieure dans l’air

Toutes ces quantités doivent être égales, on a donc les équations suivantes :

Si l’on écrit de plus l’équation identique et si on les met toutes sous cette forme :

on trouvera, en les ajoutant,

La quantité de chaleur perdue par le solide était lorsque sa superficie communiquait librement à l’air, elle est maintenant ou qui équivaut à

La première quantité est plus grande que la seconde, dans le rapport de à

Il faut donc, pour entretenir à la température le solide dont la superficie communique immédiatement à l’air, plus de trois fois autant de chaleur qu’il n’en faudrait pour le maintenir à la même température lorsque l’extrême surface n’est pas adhérente, mais distante du solide d’un intervalle quelconque rempli d’air.

Si l’on suppose que l’épaisseur est infiniment petite, le rapport des quantités de chaleur perdues sera ce qui aurait encore lieu si la conducibilité était infiniment grande.

On se rend facilement raison de ce résultat, car la chaleur ne pouvant s’échapper dans l’air extérieur, sans pénétrer plusieurs surfaces, la quantité qui s’en écoule doit être d’autant moindre que le nombre des surfaces interposées est plus grand ; mais on n’aurait pu porter, à cet égard, aucun jugement exact si l’on n’eût point soumis la question au calcul.

90.

On n’a point considéré, dans l’article précédent, l’effet de l’irradiation à travers la couche d’air qui sépare les deux surfaces, cependant cette circonstance modifie la question, puisqu’il y a une partie de la chaleur qui pénètre immédiatement au-delà de l’air interposé. Nous supposerons donc, pour rendre l’objet du calcul plus distinct, que l’intervalle des surfaces est vide d’air, et que le corps échauffé est couvert d’un nombre quelconque de tranches parallèles et éloignées les unes des autres.

Si la chaleur qui sort du solide par sa superficie plane entretenue à la température se répandait librement dans le vide et était reçue par une surface parallèle entretenue à une température moindre la quantité qui se dissiperait pendant l’unité de temps à travers l’unité de superficie serait proportionnelle à la différence des deux températures constantes ; cette quantité serait représentée par étant une valeur de la conducibilité relative qui n’est pas la même que

Le foyer qui maintient le solide dans son premier état doit donc fournir, dans chaque unité de temps, une quantité de chaleur égale à Il faut maintenant déterminer la nouvelle valeur de cette dépense dans le cas où la superficie de ce corps serait recouverte de plusieurs tranches successives et séparées par des intervalles vides d’air, en supposant toujours que le solide est soumis à l’action d’une cause extérieure quelconque qui retient sa superficie à la température

Concevons que le système de toutes les températures est devenu fixe ; soit la température de la surface inférieure de la première tranche qui est par conséquent opposée à celle du solide, soient la température de la surface supérieure de cette même tranche, son épaisseur, et sa conducibilité spécifique, désignons aussi par etc. les températures des surfaces inférieure et supérieure des différentes tranches, et par la conducibilité et l’épaisseur de ces mêmes tranches, enfin supposons que toutes ces surfaces soient dans un état semblable à la superficie du solide, en sorte que la valeur du coëfficient leur soit commune.

La quantité de chaleur qui pénètre la surface inférieure d’une tranche correspondante à l’indice quelconque est celle qui traverse cette tranche est et la quantité qui en sort par la surface supérieure est Ces trois quantités, et toutes celles qui se rapportent aux autres tranches, sont égales ; on pourra donc former les équations en comparant toutes les quantités dont il s’agit à la première d’entre elles, qui est on aura ainsi, en désignant par le nombre des tranches :

En ajoutant ces équations, on trouvera


La dépense de la source de chaleur nécessaire pour entretenir la superficie du corps A à la température est


lorsque cette superficie envoie ses rayons à une surface fixe entretenue à la température Cette dépense est lorsque l’on place entre la superficie du corps A et la surface fixe entretenue à la température un nombre de tranches isolées ; ainsi la quantité de chaleur que le foyer doit fournir est beaucoup moindre dans la seconde hypothèse que dans la première, et le rapport de ces deux quantités est Si l’on suppose que l’épaisseur des tranches soit infiniment petite, le rapport est La dépense du foyer est donc en raison inverse du nombre des tranches qui couvrent la superficie.

91.

L’examen de ces résultats et de ceux que l’on obtient lorsque les intervalles des enceintes successives sont occupés par l’air atmosphérique explique distinctement pourquoi la séparation des surfaces et l’interposition de l’air concourent beaucoup à contenir la chaleur.

Le calcul fournit encore des conséquences analogues lorsqu’on suppose que le foyer est extérieur et que la chaleur qui en émane traverse successivement les diverses enveloppes diaphanes et pénètre l’air qu’elles renferment. C’est ce qui avait lieu dans les expériences où l’on a exposé aux rayons du soleil des thermomètres recouverts par plusieurs caisses de verre, entre lesquelles se trouvaient différentes couches d’air.

C’est par une raison semblable que la température des hautes régions de l’atmosphère est beaucoup moindre qu’à la surface du globe.

En général les théorèmes concernant l’échauffement de l’air dans les espaces clos s’étendent à des questions très-variées. Il sera utile d’y recourir lorsqu’on voudra prévoir et régler la température avec quelque précision, comme dans les serres, les étuves, les bergeries, les ateliers, ou dans plusieurs établissements civils, tels que les hôpitaux, les casernes, les lieux d’assemblée.

On pourrait avoir égard, dans ces diverses applications, aux circonstances accessoires qui modifient les conséquences du calcul comme l’inégale épaisseur des différentes parties de l’enceinte, l’introduction de l’air etc. ; mais ces détails nous écarteraient de notre objet principal qui est la démonstration exacte des principes généraux.

Au reste, nous n’avons considéré, dans ce qui vient d’être dit, que l’état permanent des températures dans les espaces clos. On exprime aussi, par le calcul, l’état variable qui le précède, ou celui qui commence à avoir lieu lorsqu’on retranche le foyer, et l’on peut connaître par-là comment les propriétés spécifiques des corps que l’on emploie, ou leurs dimensions, influent sur les progrès et sur la durée de réchauffement ; mais cette recherche exige une analyse différente, dont on exposera les principes dans les chapitres suivants.

SECTION VII.

Du mouvement uniforme de la chaleur suivant les trois dimensions.

92.

Nous n’avons considéré jusqu’ici que le mouvement uniforme de la chaleur suivant une seule dimension, il est facile d’appliquer les mêmes principes au cas où la chaleur se propage uniformément dans trois directions orthogonales.

Supposons que les différents points d’un solide compris entre six plans rectangulaires aient actuellement des températures inégales et représentées par l’équation linéaire étant les coordonnées rectangulaires d’une molécule dont la température est Supposons encore que des causes extérieures quelconques, agissant sur les six faces du prisme, conservent à chacune des molécules qui sont situées à la superficie, sa température actuelle exprimée par l’équation générale


nous allons démontrer que ces mêmes causes qui, par hypothèse, retiennent les dernières tranches du solide dans leur état initial, suffisent pour conserver aussi la température actuelle de chacune des molécules intérieures, en sorte que cette température ne cessera point d’être représentée par l’équation linéaire.

L’examen de cette question est un élément de la théorie générale, il servira à faire connaître les lois du mouvement varié de la chaleur dans l’intérieur d’un solide d’une forme quelconque, car chacune des molécules prismatiques dont le corps est composé, est pendant un temps infiniment petit dans un état semblable à celui qu’exprime l’équation linéaire On peut donc, en suivant les principes ordinaires de l’analyse différentielle, déduire facilement de la notion du mouvement uniforme les équations générales du mouvement varié.

93.

Pour prouver que les extrémités du solide conservant leurs températures il ne pourra survenir aucun changement dans l’intérieur de la masse, il suffit de comparer entre elles les quantités de chaleur qui, pendant la durée d’un même instant, traversent deux plans parallèles. Soit la distance perpendiculaire de ces deux plans que l’on suppose d’abord parallèles au plan horizontal des et Soient et deux molécules infiniment voisines dont l’une est au-dessous du premier plan horizontal et l’autre au-dessus ; soient les coordonnées de la première et les coordonnées de la seconde. On désignera pareillement deux molécules M et M’ infiniment voisines, séparées par le second plan horizontal et situées, par rapport à ce second plan, de la même manière que et le sont par rapport au premier, c’est-à-dire, que les coordonnées de M sont et celles de M', sont Il est manifeste que la distance des deux molécules et est égale à la distance MM’ des deux molécules M et M' ; de plus, soit la température de et celle de soient aussi et les températures de M et M', il est facile de voir que les deux différences et sont égales ; en effet, en substituant d’abord les coordonnées de et dans l’équation générale on trouve


et, en substituant ensuite les coordonnées de M et M’, on trouve aussi Or la quantité de chaleur que envoie à dépend de la distance qui sépare ces molécules, et elle est proportionnelle à la différence de leurs températures. Cette quantité de chaleur envoyée peut être représentée par


la valeur du coëfficient dépend d’une manière quelconque de la distance et de la nature de la substance dont le solide est formé, est la durée de l’instant. La quantité de chaleur envoyée de M à M’, où l’action de M sur M’a aussi pour expression et le coëfficient est le même que dans la valeur puisque la distance MM' est égale à et que les deux actions s’opèrent dans le même solide ; de plus est égal à donc les deux actions sont égales.

Si l’on choisit deux autres points et extrêmement voisins l’un de l’autre qui s’envoient de la chaleur à travers le premier plan horizontal, on prouvera de même que leur action est égale à celles de deux points homologues N et N’ qui se communiquent la chaleur à travers le second plan horizontal. On en conclura donc que la quantité totale de chaleur qui traverse le premier plan est égale à celle qui traverse le second pendant le même instant. On tirera la même conséquence de la comparaison de deux plans parallèles au plan des et ou de deux autres plans parallèles au plan des et Donc, une partie quelconque du solide comprise entre six plans rectangulaires reçoit, par chacune des faces, autant de chaleur qu’elle en perd par la face opposée ; donc il n’y a aucune portion du solide qui puisse changer de température.

94.

On voit par là qu’il s’écoule à travers un des plans dont il s’agit une quantité de chaleur qui est la même à tous les instants, et qui est aussi la même pour toutes les autres tranches parallèles.

Pour déterminer la valeur de ce flux constant, nous la comparerons à la quantité de chaleur qui s’écoule uniformément dans un cas plus simple que nous avons déjà traité. Ce cas est celui d’un solide compris entre deux plans infinis et entretenus dans un état constant. Nous avons vu que les températures des différents points de la masse sont alors représentées par l’équation nous allons démontrer que le flux uniforme de chaleur qui se propage en sens vertical dans le solide infini est égal à celui qui s’écoule dans le même sens à travers le prisme compris entre six plans rectangulaires. Cette égalité a lieu nécessairement si le coëfficient de l’équation appartenant au premier solide est le même que le coëfficient c dans l’équation plus générale qui représente l’état du prisme. En effet, désignons par H dans ce prisme un plan perpendiculaire aux et par m et µ deux molécules extrêmement voisines l’une de l’autre dont la première m est au-dessous du plan H, et la seconde est au-dessus de ce plan, soient la température de m dont les coordonnées sont et la température de µ dont les coordonnées sont Choisissons une troisième molécule µ’, dont les coordonnées soient et dont la température soit désignée par On voit que μ et μ’ sont sur un même plan horizontal, et que la verticale élevée sur le milieu de la droite µµ’, qui joint ces deux points, passe par le point m, ensorte que les distances mµ, et mµ’ sont égales. L’action de m sur µ ou la quantité de chaleur que la première de ces molécules envoie à l’autre à travers le plan H dépend de la différence de leurs températures. L’action de m sur µ’ dépend de la même manière de la différence des températures des molécules, puisque la distance de m à µ est la même que celle de m à µ’. Ainsi en exprimant par l’action de m sur µ pendant l’unité de temps, on aura pour exprimer l’action de m sur µ’, étant un facteur inconnu, mais commun, et qui dépend de la distance mµ et de la nature du solide. Donc la somme des deux actions exercées pendant l’unité de temps est

Si l’on substitue, au lieu de et dans l’équation générale les coordonnées de m et ensuite celles de µ et µ’, on trouvera

La somme des deux actions de m sur µ et de m sur µ’ est donc

Supposons maintenant que le plan H appartienne au solide infini pour lequel l’équation des températures est et que l’on désigne aussi, dans ce solide, les molécules m, µ et µ’ dont les coordonnées sont pour la première, pour la seconde, et pour la troisième : on trouvera, comme précédemment, Ainsi la somme des deux actions de m sur µ et de m sur µ’, est la même dans le solide infini que dans le prisme compris entre six plans rectangulaires.

On trouverait un résultat semblable, si l’on considérait l’action d’un autre point n inférieur au plan H sur deux autres ν et ν’, placées à une même hauteur au-dessus du plan. Donc, la somme de toutes les actions de ce genre, qui s’exercent à travers le plan H, c’est-à-dire, la quantité totale de chaleur qui, pendant l’unité de temps, passe au-dessus de cette surface, en vertu de l’action des molécules extrêmement voisines qu’elle sépare, est toujours la même dans l’un et l’autre solide.

95.

Dans le second de ces corps qui est terminé par deux plans infinis et pour lequel l’équation des températures est nous savons que la quantité de chaleur écoulée pendant l’unité de temps à travers une surface égale à l’unité et prise sur une section horizontale quelconque est étant le coëfficient de et la conducibilité spécifique ; donc, la quantité de chaleur qui, dans le prisme compris entre six plans rectangulaires, traverse pendant l’unité de temps, une surface égale à l’unité et prise sur une section horizontale quelconque, est aussi lorsque l’équation linéaire qui représente les températures du prisme est

On prouve de même que la quantité de chaleur qui, pendant l’unité de temps, s’écoule uniformément à travers une unité de surface prise sur une section quelconque perpendiculaire aux est exprimée par et que la chaleur totale qui traverse, pendant l’unité de temps, l’unité de surface prise sur une section perpendiculaire aux est exprimée par

Les théorèmes que nous avons démontrés dans cet article et dans les deux précédents, ne supposent point que l’action directe de la chaleur soit bornée dans l’intérieur de la masse à une distance extrêmement petite, ils auraient encore lieu si les rayons de chaleur, envoyés par chaque molécule, pouvaient pénétrer immédiatement jusqu’à une distance assez considérable, mais il serait nécessaire, dans ce cas, ainsi que nous l’avons remarqué dans l’article 70, de supposer que la cause qui entretient les températures des faces du solide, affecte une partie de la masse jusqu’à une profondeur finie.

SECTION VIII.

Mesure du mouvement de la chaleur en un point donné d’une masse solide.

96.

Il nous reste encore à faire connaître un des principaux éléments de la théorie de la chaleur, il consiste à définir et à mesurer exactement la quantité de chaleur qui s’écoule en chaque point d’une masse solide à travers un plan dont la direction est donnée.

Si la chaleur est inégalement distribuée entre les molécules d’un même corps, les températures de chaque point varieront à chaque instant. En désignant par le temps écoulé, et par la température que reçoit après le temps une molécule infiniment petite m, dont les coordonnées sont l’état variable du solide sera exprimé par une équation semblable à la suivante Supposons que la fonction soit donnée, et que par conséquent on puisse déterminer, pour chaque instant, la température d’un point quelconque ; concevons que par le point m on mène un plan horizontal parallèle à celui des et et que sur ce plan on trace un cercle infiniment petit ω, dont le centre est en m ; il s’agit de connaître quelle est la quantité de chaleur qui, pendant l’instant passera à travers le cercle ω de la partie du solide qui est inférieure au plan dans la partie supérieure. Tous les points qui sont extrêmement voisins du point m, et qui sont au-dessous du plan, exercent leur action pendant l’instant infiniment petit sur tous ceux qui sont au-dessus du plan et extrêmement voisins du point m, c’est-à-dire, que chacun de ces points placés d’un même côté du plan, enverra de la chaleur à chacun de ceux qui sont placés de l’autre côté. On considérera comme positive l’action qui a pour effet de transporter une certaine quantité de chaleur au-dessus du plan, et comme négative celle qui fait passer de la chaleur au-dessous du plan. La somme de toutes les actions partielles qui s’exercent à travers le cercle ω, c’est-à-dire, la somme de toutes les quantités de chaleur qui, traversant un point quelconque de ce cercle, passent de la partie du solide qui est inférieure au plan dans la partie supérieure, composent le flux dont il faut trouver l’expression.

Il est facile de concevoir que ce flux ne doit pas être le même dans toute l’étendue du solide, et que si en un autre point m’ on traçait un cercle horizontal ω’ égal au précédent, les deux quantités de chaleur qui s’élèvent au-dessus de ces plans ω et ω’ pendant le même instant pourraient n’être point égales ; ces quantités sont comparables entre elles et leurs rapports sont des nombres que l’on peut facilement déterminer.

97.

Nous connaissons déjà la valeur du flux constant pour le cas du mouvement linéaire et uniforme ; ainsi dans un solide compris entre deux plans horizontaux infinis dont l’un est entretenu à la température et l’autre à la température le flux de chaleur est le même pour chaque partie de la masse ; on peut le considérer comme ayant lieu dans le sens vertical seulement. Sa valeur correspondante à l’unité de surface et à l’unité de temps est désignant la distance perpendiculaire des deux plans, et la conducibilité spécifique ; les températures des différents points du solide, sont exprimées par l’équation

Lorsqu’il s’agit d’un solide compris entre six plans rectangulaires parallèles deux à deux, et lorsque les températures des différents points sont exprimées par l’équation linéaire la propagation a lieu en même temps selon les trois directions des des et des la quantité de chaleur qui s’écoule à travers une portion déterminée d’un plan parallèle à celui des et est la même dans toute l’étendue du prisme ; sa valeur correspondante à l’unité de surface et à l’unité de temps est dans le sens des elle est dans le sens des et dans celui des

En général la valeur du flux vertical, dans les deux cas que l’on vient de citer, ne dépend que du coëfficient de et de la conducibilité spécifique cette valeur est toujours égale à

L’expression de la quantité de chaleur qui, pendant l’instant s’écoule à travers un cercle horizontal infiniment petit, dont la surface est ω, et passe ainsi de la partie du solide qui est inférieure au plan du cercle, dans la partie supérieure, est, pour les deux cas dont il s’agit,

98.

Il est aisé maintenant de généraliser ce résultat et de reconnaître qu’il a lieu quel que soit le mouvement varié de la chaleur exprimé par l’équation

En effet, désignons par les coordonnées du point m, et sa température actuelle par . Soient les coordonnées d’un point µ infiniment voisin du point m et dont la température est sont des quantités infiniment petites ajoutées aux coordonnées elles déterminent la position des molécules infiniment voisines du point m, par rapport à trois axes rectangulaires, dont l’origine est en m, et qui seraient parallèles aux axes des , des , et des En différentiant l’équation


et remplaçant les différentielles par on aura, pour exprimer la valeur de qui équivaut à l’équation linéaire les coëfficients sont des fonctions de dans lesquelles on a mis pour les valeurs données et constantes qui conviennent au point m.

Supposons que le même point m appartienne aussi à un solide compris entre six plans rectangulaires, que les températures actuelles des points de ce prisme, qui a des dimensions finies, soient exprimées par l’équation linéaire et que les molécules placées sur les faces qui terminent le solide soient retenues par une cause extérieure à la température qui leur est assignée par l’équation linéaire. sont les coordonnées rectangulaires d’une molécule du prisme, dont la température est et qui est rapportée aux trois axes dont l’origine est en m.

Cela posé, si l’on prend pour valeurs des coëfficients constants, qui entrent dans l’équation du prisme les quantités qui appartiennent à l’équation différentielle ; l’état du prisme exprimé par l’équation coïncidera, le plus qu’il est possible, avec l’état du solide ; c’est-à-dire, que toutes les molécules infiniment voisines du point m auront la même température, soit qu’on les considère dans le solide ou dans le prisme. Cette coïncidence du solide et du prisme est entièrement analogue à celle des surfaces courbes avec les plans qui les touchent.

Il est évident, d’après cela, que la quantité de chaleur qui s’écoule dans le solide à travers le cercle ω, pendant l’instant est la même que celle qui s’écoule dans le prisme à travers le même cercle ; car toutes les molécules dont l’action concourt à l’un et à l’autre effet, ont la même température dans les deux solides. Donc, le flux dont il s’agit a pour expression, dans l’un et l’autre solide, Il serait si le cercle ω, dont le centre est m, était perpendiculaire à l’axe des et si ce cercle était perpendiculaire à l’axe des

La valeur du flux que l’on vient de déterminer varie dans le solide d’un point à un autre, et elle varie aussi avec le temps. On pourrait concevoir qu’elle a, dans tous les points de l’unité de surface, la même valeur qu’au point m, et qu’elle conserve cette valeur pendant l’unité de temps ; alors le flux serait exprimé par il serait dans le sens des et dans celui des Nous employons ordinairement dans le calcul cette valeur du flux ainsi rapportée à l’unité de temps et à l’unité de surface.

99.

Ce théorème sert en général à mesurer la vitesse avec laquelle la chaleur tend à traverser un point donné d’un plan situé d’une manière quelconque dans l’intérieur d’un solide dont les températures varient avec le temps. Il faut, par le point donné m, élever une perpendiculaire sur le plan et élever en chaque point de cette perpendiculaire des ordonnées qui représentent les températures actuelles de ses différents points. On formera ainsi une courbe plane dont l’axe des abscisses est la perpendiculaire. La fluxion de l’ordonnée de cette courbe, qui répond au point m, étant prise avec un signe contraire, exprime la vitesse avec laquelle la chaleur se porte au-delà du plan. On sait que cette fluxion de l’ordonnée est la tangente de l’angle formé par l’élément de la courbe avec la parallèle aux abscisses.

Le résultat que l’on vient d’exposer est celui dont on fait les applications les plus fréquentes dans la théorie de la chaleur. On ne peut en traiter les différentes questions sans se former une idée très-exacte de la valeur du flux en chaque point d’un corps dont les températures sont variables. Il est nécessaire d’insister sur cette notion fondamentale : l’exemple que nous allons rapporter indiquera plus clairement l’usage que l’on en fait dans le calcul.

100.

Supposons que les différents points d’une masse cubique dont le côté est , aient actuellement des températures inégales représentées par l’équation Les coordonnées sont mesurées sur trois axes rectangulaires dont l’origine est au centre du cube, et qui sont perpendiculaires aux faces. Les points de la surface extérieure du solide ont actuellement la température o, et l’on suppose aussi que des causes extérieures conservent à tous ces points leur température actuelle o. D’après cette hypothèse, le corps se refroidira de plus en plus, tous les points situés dans l’intérieur de la masse auront des températures variables et, après un temps infini, ils acquerront tous la température o de la surface.

Or, nous démontrerons, par la suite, que l’état variable de ce solide est exprimé par l’équation


le coëfficient est égal à est la conducibilité spécifique de la substance dont le solide est formé, est la densité, et la chaleur spécifique ; est le temps écoulé.

Nous supposons ici que l’on admet la vérité de cette équation, et nous allons examiner l’usage que l’on en doit faire pour trouver la quantité de chaleur qui traverse un plan donné parallèle à l’un des plans rectangulaires.

Si, par le point m, dont les coordonnées sont on mène un plan perpendiculaire aux on trouvera, d’après l’article précédent, que la valeur du flux, en ce point et à travers le plan, est ou La quantité de chaleur qui traverse, pendant l’instant un rectangle infiniment petit, situé sur ce plan et qui a pour côtés et est


Ainsi la chaleur totale qui, pendant l’instant , traverse l’étendue entière du même plan, est


la double intégrale étant prise depuis jusqu’à , et depuis , jusqu’à . On trouvera donc, pour l’expression de cette chaleur totale,

Si l’on prend ensuite l’intégrale par rapport à depuis jusqu’à on trouvera la quantité de chaleur qui a traversé le même plan depuis que le refroidissement a commencé, jusqu’au moment actuel. Cette intégrale est elle a pour valeur à la surface

en sorte qu’après un temps infini la quantité de chaleur

perdue, par l’une des faces, est Le même raisonnement s’appliquant à chacune des six faces, on conclut que le solide a perdu par son refroidissement complet une chaleur totale dont la quantité est ou puisque équivaut à Cette chaleur totale, qui se dissipe pendant la durée du refroidissement, doit être en effet indépendante de la conducibilité propre qui ne peut influer que sur le plus ou moins de vitesse du refroidissement.

100.

On peut déterminer d’une autre manière la quantité de chaleur que le solide perd pendant un temps donné, ce qui servira, en quelque sorte, à vérifier le calcul précédent. En effet la masse de la molécule rectangulaire, dont les dimensions sont est par conséquent la quantité de chaleur qu’il faut lui donner pour la porter de la température 0 à celle de l’eau bouillante est et s’il fallait élever la molécule à la température cette chaleur excédente serait

Il suit de là que pour trouver la quantité dont la chaleur du solide surpasse, après le temps celle qu’il contiendrait à la température 0, il faut prendre l’intégrale multiple entre les limites , , , , , .

On trouve ainsi, en mettant pour sa valeur, savoir :


que l’excès de la chaleur actuelle sur celle qui convient à la température 0 est ou, après un temps infini, comme on l’a trouvé précédemment.

Nous avons exposé, dans cette introduction, tous les éléments qu’il est nécessaire de connaître pour résoudre les diverses questions relatives au mouvement de la chaleur dans les corps solides, et nous avons donné des applications de ces principes, afin de montrer la manière de les employer dans le calcul ; l’usage le plus important que l’on en puisse faire est d’en déduire les équations générales de la propagation de la chaleur, ce qui est l’objet du chapitre suivant.

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