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Théorie de la grande guerre/Livre II/Chapitre 1

La bibliothèque libre.
Traduction par Lt-Colonel de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (Introductionp. 111-122).
de la théorie de la guerre

CHAPITRE PREMIER

division de l’art militaire.


Faire la guerre c’est lutter, car la lutte est le seul principe efficace dans l’activité complexe que l’on nomme guerre dans son sens le plus étendu. Or, bien que dans la lutte les adversaires se mesurent au moyen de leurs forces physiques, on n’en saurait néanmoins exclure les forces morales, car à la guerre l’état de l’âme exerce l’influence la plus décisive sur les forces combattantes.

Obligé de lutter, l’homme a de bonne heure cherché dans les inventions le moyen de se donner l’avantage dans la lutte, et, par suite, celle-ci a fréquemment varié dans sa forme, mais, de quelque façon qu’elle se produise, sa notion reste invariablement la même et c’est toujours elle qui constitue la guerre.

Les premières inventions ont porté sur l’armement et sur l’équipement des combattants. Offensives ou défensives, les armes doivent être créées et on y doit être exercé dès avant la guerre ; elles doivent répondre aux nécessités de la lutte, et par conséquent elles en reçoivent la loi ; mais il est clair que l’activité qui les crée et s’en occupe ne fait uniquement que préparer la lutte et est différente de l’activité qui la dirige. L’armement et l’équipement n’appartiennent pas essentiellement à la notion de la lutte, car c’est encore lutter que de lutter sans armes.

La lutte détermine la nature des armes, et celles-ci modifient à leur tour la lutte. Il y a donc réciprocité d’action entre elles, mais la lutte n’en demeure pas moins une activité toute spéciale, et cela d’autant mieux qu’elle se poursuit dans un milieu spécial, le danger.

Si donc il est quelque part nécessaire de séparer les activités de diverses natures, c’est surtout dans l’étude de l’art militaire, et, pour faire ressortir toute l’importance pratique de cette idée, il suffit de rappeler le grand nombre de cas où, brillants dans une spécialité, des individus se sont montrés médiocres, voire même absolument incapables dans d’autres.

On arrive facilement, d’ailleurs, à séparer par la pensée les activités les unes des autres, lorsque l’on considère la force armée et équipée comme un moyen donné dont, pour faire judicieusement usage, il suffit de connaître les résultats principaux auxquels son emploi peut conduire.

Dans son sens propre, l’art militaire est donc l’art de diriger la guerre en utilisant à la lutte les moyens dont on a la disposition immédiate. Il va de soi cependant que, dans un sens plus étendu, l’art militaire comporte encore toutes les activités qui ont la guerre pour but, et particulièrement celles qui ont rapport à la création de la force armée, c’est-à-dire qui en assurent le recrutement, l’armement, l’équipement et l’instruction.

Pour arriver à édifier une théorie vraiment pratique, il est absolument nécessaire de séparer ces deux sortes d’activités. On comprend bien, en effet, que toute théorie d’art militaire, qui débuterait par déterminer une manière invariable d’organiser et d’employer les forces armées, ne serait applicable que dans les circonstances seules où les forces existantes pourraient précisément être organisées et employées de la sorte. Veut-on au contraire édifier une théorie qui se plie à la pluralité des cas et ne se trouve absolument inapplicable dans aucun, il la faut baser sur la majorité des moyens de combat habituels, ainsi que sur les plus importants des résultats auxquels ces moyens peuvent conduire.

Conduire la guerre revient donc à ordonner et à diriger la lutte. Or, si celle-ci consistait en un acte unique, nous n’aurions aucun motif de pousser plus loin la distinction entre les activités qui y concourent ; mais, comme nous l’avons montré dans le livre précédent, il n’en est pas ainsi, et la lutte se décompose en un nombre plus ou moins grand d’actes isolés et fermés que l’on nomme des combats, et qui constituent de nouvelles unités. De là naissent deux activités absolument distinctes, la tactique et la stratégie, dont la première ordonne et dirige l’action dans les combats, tandis que la seconde relie les combats les uns aux autres pour arriver aux fins de la guerre.

La division en tactique et en stratégie est maintenant d’un usage à peu près général, de sorte que, sans se rendre clairement compte du motif de cette division, chacun sait assez exactement aujourd’hui dans laquelle de ces deux actions il convient de classer tel ou tel fait isolément considéré. Nos recherches nous ont conduit à reconnaître que, partout adoptée de confiance, cette division repose sur des bases vraiment logiques, tandis que toutes les autres divisions imaginées par les écrivains n’ont jamais pu s’imposer à l’usage, parce qu’elles sont arbitraires et contraires à la nature même du sujet.

Nous divisons donc l’art militaire proprement dit en tactique et en stratégie, et nous répétons que la première enseigne à employer les forces dans les combats, et la seconde à employer les combats au but de la guerre.

Nous préciserons plus tard, dans un livre spécial, la notion du combat isolé ou indépendant, et nous verrons alors ce qui en constitue l’unité, mais, pour l’instant, nous devons nous borner à dire que, par rapport à l’espace c’est-à-dire entre combats concomitants, l’unité s’étend aussi loin que le commandement personnel, tandis que, par rapport au temps c’est-à-dire entre combats qui se succèdent à de faibles intervalles, l’unité se prolonge jusqu’au dénouement de la crise que tout combat comporte en soi.

Qu’ici des cas douteux puissent se présenter, comme par exemple dans les circonstances où plusieurs combats isolés peuvent en même temps être considérés comme n’en constituant qu’un, cela ne saurait condamner notre mode de division, car, de quoi qu’il s’agisse, il en est toujours ainsi dans la vie réelle où les différences ne se produisent jamais que par degrés successifs. Il est certain qu’il est des opérations qui, bien que considérées du même point de vue, n’appartiennent pas moins à la tactique qu’à la stratégie ; telles sont, par exemple, les dispositions préliminaires au passage d’un fleuve sur plusieurs points, ou encore l’occupation de positions très étendues prenant l’aspect d’une chaîne de postes, etc., etc., etc.

Ce n’est qu’au point de vue de l’emploi des forces que nous divisons ainsi l’art militaire en tactique et en stratégie, car il est encore à la guerre une quantité d’autres activités qui, bien qu’étrangères à cet emploi, s’en rapprochent cependant les unes plus et les autres moins, et y aident toutes. Ces activités ont invariablement pour objet l’entretien et la conservation des forces. On comprend bien, en effet, que, s’il faut tout d’abord recruter et instruire les troupes avant de les employer, il est absolument nécessaire de pourvoir à leurs besoins pendant leur emploi. À vrai dire, cependant, toutes les activités qui visent ce résultat ne peuvent être considérées comme préparatoires de la lutte que parce qu’elles se rapprochent beaucoup de l’action, et que, traversant tout l’acte de guerre, elles alternent constamment avec l’emploi des forces. Or comme, pour édifier une théorie vraiment pratique, la première condition est de séparer les choses hétérogènes, on est donc en droit, ainsi qu’on le fait d’ailleurs pour toutes les autres activités préparatoires, de séparer ces activités de la conduite proprement dite de la guerre, c’est-à-dire de l’art militaire pris dans son sens exclusif. Qui penserait en effet à rattacher toute la série des services des vivres, de l’entretien et de l’administration à la conduite même de la guerre, alors que ces services, bien qu’en relations constantes avec l’emploi des forces, sont cependant essentiellement différents de cet emploi ?

Nous avons dit de la lutte, au chapitre II du livre précédent, que, bien que de toutes les activités elle soit la seule qui produise directement ses effets à la guerre, les traits de toutes les autres se retrouvent néanmoins en elle parce qu’elles y viennent toutes aboutir. En nous exprimant de la sorte, nous avons voulu dire que la lutte, — le combat, — est le but général que toutes les activités cherchent à atteindre en suivant chacune les lois qui lui sont propres. Nous allons donner ici quelques développements à ce propos.

Les objets que poursuivent les activités autres que celle du combat sont de natures très différentes.

Ces activités sont de deux sortes. Les premières appartiennent encore à la lutte et s’identifient avec elle par certains côtés, tandis que, par certains autres, elles aident à la conservation de la force armée. Les secondes n’ont exclusivement que cette dernière destination et, par les résultats qu’elles atteignent, n’exercent qu’une influence conditionnelle sur la lutte.

Les marches, les cantonnements et les camps constituent les objets des premières de ces activités, tandis que le service des subsistances, le service de santé et le remplacement de l’armement et de l’équipement constituent les objets des secondes.

Faire marcher les troupes et les employer sont choses à peu près identiques. La marche dans le combat, généralement appelée évolution, ne constitue pas encore rigoureusement il est vrai l’emploi des armes, mais elle est si intimement et si nécessairement liée avec cet emploi, qu’elle forme partie intégrante de ce que l’on nomme le combat. Quant à la marche en dehors du combat, elle n’est autre chose que l’exécution de la détermination stratégique qui fixe quand, où et avec quelles forces un combat doit être livré, toutes choses que la marche peut seule permettre de réaliser.

La marche en dehors du combat est donc tout d’abord un instrument stratégique, mais, comme à tout moment les troupes qui l’effectuent doivent être en état de pouvoir combattre, son exécution n’est pas moins soumise aux lois de la tactique qu’à celles de la stratégie. Lorsque, par exemple, on prescrit à une colonne de marcher en deçà d’un cours d’eau ou d’une côte montagneuse, la disposition est stratégique, car elle suppose la possibilité d’un combat que l’on préfère livrer à l’adversaire en deçà plutôt qu’au delà du cours d’eau ou de la côte montagneuse ; mais lorsque, au lieu de faire marcher les troupes dans la vallée même, on leur fait suivre les hauteurs qui dominent cette vallée, ou qu’on les subdivise en plusieurs petites colonnes en vue d’en faciliter la marche, on obéit à des considérations tactiques ayant rapport à la manière dont on compte employer les forces si l’occasion de combattre vient à se présenter.

L’ordre intérieur de la marche est en rapport constant avec les dispositions à prendre pour le combat. Il est donc de nature tactique, car il n’est autre chose que la première des dispositions préparatoires du combat.

La marche étant l’instrument au moyen duquel la stratégie répartit les combats qui sont ses principes efficients, et ceux-ci ne comptant souvent que par leurs résultats et non par leur exécution effective, il n’a pu manquer que, dans les considérations théoriques, on ne mentionnât souvent l’instrument à la place du principe actif. C’est ainsi que l’on parle souvent de marches savantes décisives, en pensant aux combinaisons de combats auxquelles ces marches ont conduit. Cette manière de s’exprimer est naturelle et présente l’avantage de donner de la concision à l’expression ; nous ne la repoussons donc pas ; mais il y a là un sous-entendu et une substitution d’idées dont il importe de se rendre exactement compte, si l’on ne veut pas s’embarquer dans une fausse direction.

On commet une faute de cet ordre, lorsque l’on attribue aux combinaisons stratégiques une force indépendante des résultats tactiques. On combine des marches et des manœuvres, et l’on atteint son but sans avoir combattu ; d’où l’on conclut que, même sans combattre, il est un moyen de réduire l’adversaire à se soumettre. Nous montrerons, par la suite, la grandeur de cette erreur et toutes les conséquences qu’elle entraîne.

Cependant, bien que la marche constitue ainsi manifestement une partie intégrante du combat, il est d’autres objets auxquels on l’utilise qui n’ont aucun rapport avec lui et ne sont, par suite, ni tactiques ni stratégiques. Telles sont les dispositions prises exclusivement en vue d’assurer ou d’augmenter le bien-être et le confort des troupes, les constructions de ponts et de routes, etc., etc., etc., toutes choses qui ne sont pas indispensables et dont on pourrait, en somme, se passer. Dans maintes circonstances les opérations de cet ordre, — prenons par exemple la construction d’un pont sous les yeux de l’ennemi, — se rapprochent très fort de l’emploi des troupes et s’identifient presque avec cet emploi, mais, par elles-mêmes, elles n’en constituent pas moins toujours cependant des activités étrangères et dont la théorie ne rentre pas dans celle de la conduite de la guerre.

Les camps, — et nous entendons par cette expression, en opposition avec celle de cantonnements, toutes les dispositions dans lesquelles les forces sont assez concentrées pour pouvoir immédiatement combattre, — les camps, disons-nous, constituent un état de repos et par conséquent de réfection, et supposent la fixation stratégique d’un combat sur leur emplacement même. Leur trace doit donc contenir la ligne fondamentale d’un combat, — condition première de tout combat défensif, — et par conséquent ils appartiennent essentiellement à la fois à la tactique et à la stratégie.

Les cantonnements, qui permettent de donner un repos plus complet aux troupes, appartiennent comme les camps à la stratégie par leur situation et leur étendue, et à la tactique par l’ordre intérieur et les dispositions à prendre en vue du combat.

Il est vrai que, en même temps que de refaire les troupes, les camps et les cantonnements ont encore généralement un autre but, tel par exemple que de couvrir une contrée ou de conserver une position, mais ils peuvent parfaitement aussi n’avoir que la première de ces destinations. Rappelons-nous, en effet, que les buts que la stratégie poursuit peuvent être très différents, par la raison que tout ce qui présente un avantage peut être le but d’un combat. La conservation de l’instrument avec lequel on fait la guerre doit donc nécessairement être très fréquemment l’objet des combinaisons partielles de la stratégie.

Si donc, en pareil cas, la stratégie n’a uniquement en vue que la conservation des forces, elle ne se trouve pas néanmoins pour cela sur un terrain étranger et ne sort pas de l’emploi des forces, car c’est toujours employer les forces que de les former sur un point quelconque du théâtre de guerre.

Par contre, lorsque la conservation des troupes en état de rassemblement exige la coopération d’activités telles que le service des subsistances et celui de propreté dans les camps et cantonnements, ainsi que la construction des baraques et l’établissement des tentes, ces activités sont étrangères à l’emploi de la force armée et n’ont aucun rapport avec la tactique et la stratégie.

Les retranchements mêmes, qui, par leur emplacement et leurs dispositions, font évidemment partie de l’ordre de bataille et constituent par conséquent des objets tactiques, n’appartiennent cependant pas, quant à l’exécution de leur construction, à la théorie de la conduite de la guerre. Les connaissances techniques et les aptitudes particulières que ces travaux exigent doivent en effet déjà exister dans l’armée avant qu’on n’enseigne aux troupes la théorie spéciale du combat.

De tous les objets qui n’ont trait qu’à la conservation matérielle des forces, parce que par aucun de leurs côtés ils ne s’identifient avec le combat, le service des subsistances est celui qui s’en rapproche le plus, par la raison que, étant à peu près quotidien et intéressant chacun des membres de l’armée, il pénètre l’acte de guerre dans tous ses éléments stratégiques. Nous disons dans tous ses éléments stratégiques, parce que, bien que le cas puisse cependant se présenter exceptionnellement, la nourriture des troupes, pendant le combat même, ne peut presque jamais exercer d’influence sensible sur l’action tactique. Il y a donc la plus grande réciprocité d’action entre l’emploi stratégique des troupes et les soins à donner à leur alimentation ; aussi rien n’est-il plus fréquent que de voir la question des subsistances concourir à la détermination des grandes lignes stratégiques d’une campagne ou d’une guerre. Quoi qu’il en soit, cependant, et quelque importance décisive qu’il puisse prendre, le service des subsistances n’en constitue pas moins une activité essentiellement différente de l’emploi des troupes, et qui n’exerce d’influence sur cet emploi que par les résultats qu’elle produit.

Les objets des autres activités administratives, que nous avons mentionnées plus haut, se rapprochent beaucoup moins de l’emploi des forces. Quelque incontestable que soit son importance pour la conservation de l’armée, le service de santé, par exemple, ne s’exerce que sur une petite partie du personnel, et par conséquent son influence n’est que très faible et très indirecte sur tout le reste. Le remplacement des objets d’armement et d’équipement, lorsqu’il n’est pas assuré par un service spécial faisant partie de l’organisation même de l’armée, n’a lieu qu’a des époques déterminées, et, par suite, il n’en peut être également que très rarement question dans les déterminations stratégiques.

Qu’on ne s’y trompe pas, cependant, nous ne prétendons nullement que, dans certains cas isolés, ces objets ne puissent prendre une importance capitale. L’éloignement des hôpitaux et des dépôts de munitions peut très justement parfois être considéré comme la cause de déterminations stratégiques très importantes ; nous n’entendons ni le nier ni le passer sous silence, mais, ne traitant exclusivement ici que la question théorique, nous n’avons pas à nous préoccuper des rapports de fait d’un cas particulier, et nous affirmons que cette influence est trop rare pour donner au service de santé, et à celui du remplacement des armes et des munitions, une véritable importance sur la direction des opérations, et que par conséquent, et au contraire de ce qu’il convient de faire pour le service des subsistances, il ne semble pas utile de tenir compte, dans la théorie de la conduite de la guerre, des différents systèmes d’application de ces services, et des résultats auxquels ils peuvent conduire.

Il ressort des considérations que nous avons exposées dans ce chapitre, que les activités sont de deux sortes à la guerre : celles qui ne font que préparer l’action, et celles qui la constituent elle-même. Cette division doit donc aussi se retrouver dans la théorie.

La création, l’instruction, l’entretien et la conservation de toutes les forces de combat ressortissent aux connaissances et aux aptitudes des activités préparatoires. L’artillerie, le génie, la tactique élémentaire, l’organisation et l’administration des forces armées et toutes les activités analogues rentrent évidemment dans ce groupe. Quant à la théorie même de la guerre, elle emploie les moyens organisés au but de la guerre, elle ne réclame des activités préparatoires que les résultats qu’elles produisent, et n’a besoin de connaître que la valeur des moyens qu’elles lui fournissent. Cette théorie peut indifféremment être désignée sous les noms d’art militaire, de théorie de la conduite de la guerre ou de théorie de l’emploi des forces armées. Pour nous, ces trois expressions signifient une seule et même chose.

Cette théorie traitera donc du combat comme de la lutte proprement dite, et des marches, des camps et des cantonnements comme de trois états intermédiaires qui s’identifient plus ou moins avec le combat. Elle ne considérera pas l’entretien des troupes comme l’une de ses activités propres, mais elle en utilisera les résultats comme tous les autres moyens mis à sa disposition.

Ainsi pris dans ce sens restreint, l’art militaire se subdivise lui-même en tactique et en stratégie. La première a trait à la forme, et la seconde à l’emploi du combat. Par le combat, l’une et l’autre touchent aux états transitoires, — marches, camps et cantonnements, — de sorte que ces objets sont tactiques ou stratégiques selon qu’ils se rapportent à la forme ou à la signification du combat.

Bien des lecteurs trouveront sans doute qu’il est superflu d’établir une distinction si marquée entre deux choses aussi voisines l’une de l’autre que la tactique et la stratégie, et cela par la raison que cette distinction ne peut exercer aucune influence directe sur la conduite même de la guerre. Nous reconnaissons, en effet, qu’il y aurait pédanterie à rechercher sur le champ de bataille même les résultats immédiats d’une pareille classification théorique, mais le premier souci de toute théorie doit être de séparer les unes des autres les idées qui se trouvent si fréquemment enchevêtrées et souvent même confondues, et l’on n’en arrive à examiner facilement et clairement les choses qu’après s’être entendu sur leurs noms et leurs significations. Alors seulement l’auteur et le lecteur se trouvent au même point de vue et se peuvent comprendre. Bien que la tactique et la stratégie se pénètrent l’une l’autre dans l’espace et dans le temps, elles n’en constituent pas moins deux activités essentiellement distinctes, et l’on ne peut se rendre compte des rapports qui les unissent et des lois auxquelles chacune d’elles obéit qu’après en avoir exactement fixé la notion.