The Lady of Lyons de M. E.L. Bulwer

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THE LADY OF LYONS
BY E. L. BULWER.

Nous n’avons rien dit d’Alice, seconde partie et complément d’Ernest Maltravers ; car nous aurions été forcé de répéter à propos d’Alice tout ce que nous avions dit d’Ernest Maltravers. Résolu à demeurer dans le vrai, peu soucieux de varier les formules de notre pensée pour le seul plaisir d’éviter la monotonie, nous aurions cédé à la nécessité de reproduire littéralement toutes les idées que nous avions précédemment exposées, et c’eût été pour le public et pour nous une tâche parfaitement inutile. Mais le nouveau drame de M. Bulwer mérite d’être raconté, car il ne ressemble, ni par le sujet, ni par les développemens, à la Duchesse de La Vallière. The Lady of Lyons, que j’appellerai la Dame de Lyon, ne trouvant dans notre langue aucune expression plus précise et plus fidèle, est précédée d’une préface où M. Bulwer explique ses prétentions littéraires et se plaint de ses ennemis politiques. Il faut avouer que les poètes d’aujourd’hui abusent singulièrement du droit d’écrire des préfaces. S’ils se contentaient de raconter, dans une causerie familière, comme l’auteur d’Ivanhoë, comme l’auteur de Cinna, ce qu’ils ont voulu faire, ce qu’ils espèrent avoir fait, d’indiquer modestement les fautes qu’ils ont commises, les mérites qu’ils s’attribuent, nous serions certes mal venu à nous plaindre. Mais nous professons un respect assez tiède pour les ouvrages qui ne s’expliquent pas d’eux-mêmes et ne se laissent pénétrer qu’à l’aide d’un commentaire ; et nous ne lisons qu’avec répugnance les dissertations où les poètes essaient de prouver au public qu’il ne les comprend pas, à la critique qui les désapprouve qu’elle s’est rendue coupable d’injustice. Malheureusement la préface de la Dame de Lyon n’est qu’une apologie très maladroite. Il paraît que la presse anglaise n’a pas témoigné pour la Duchesse de La Vallière une admiration suffisante, et qu’elle a même poussé la hardiesse jusqu’à se demander si M. Bulwer faisait bien d’abandonner le roman pour le drame. Sans s’abuser sur les défauts de Pelham et d’Eugène Aram, nos voisins se plaisent comme nous à proclamer l’intérêt qui recommande ces deux récits, et, après avoir jugé librement Rienzi et les Derniers jours de Pompeï, séparés de Pelham et d’Eugène Aram par un assez grand intervalle, ils se permettent d’appeler imprudentes les nouvelles tentatives de M. Bulwer. Pour répondre à ces censeurs envieux, à ces juges myopes, l’auteur de la Duchesse de La Vallière vient d’écrire la Dame de Lyon. On lui conteste le génie dramatique, et, pour fermer la bouche à ses détracteurs, pour imposer silence à ces doutes injurieux, il se hâte de construire un ouvrage destiné, comme la Duchesse de La Vallière, à la régénération du drame anglais. Il est vrai que l’auteur met cette espérance sur le compte de M. Macready ; mais nous ne pouvons prendre au sérieux cette affirmation. Si M. Bulwer ne partageait pas l’espérance de M. Macready, s’il ne se croyait pas appelé à régénérer la scène anglaise, à ressusciter Shakespeare, il aurait résisté à toutes les prières, à toutes les instances, et, prenant pour vraie l’opinion de la presse anglaise, il ne se fût pas exposé une seconde fois à l’indifférence du parterre. Personne ne voudra croire que M. Bulwer se soit résigné à écrire la Dame de Lyon par pure générosité. Quelle que soit son admiration, son amitié pour M. Macready, il n’aurait pas compromis sa réputation de romancier, dans une seconde tentative dramatique, s’il ne prétendait à l’héritage de Shakespeare. C’est pourquoi nous trouvons qu’il a mauvaise grâce à dire qu’il n’attache aucune importance à la Dame de Lyon. Que cette pièce réussisse ou échoue, qu’elle soit applaudie ou sifflée, la sérénité de l’auteur n’en sera pas troublée ; car il est bien décidé à ne plus rien écrire pour la scène. Il a touché le but qu’il se proposait ; il a prouvé à ses détracteurs son aptitude dramatique ; sa tâche est accomplie. Toutefois il ne dissimule pas la cause réelle de sa résolution. Malgré l’évidence de la démonstration entamée par la Duchesse de La Vallière et complétée par la Dame de Lyon, il se résignerait à multiplier des preuves désormais inutiles, s’il n’avait aperçu, dans les critiques dirigées contre ses ouvrages dramatiques, un levain d’inimitié politique. Ceux qui n’admirent pas les pièces de M. Bulwer sont tout simplement mécontens de ses discours au parlement. Jusqu’à présent, les débats de la chambre des communes n’avaient jeté aucun jour sur l’importance politique de M. Bulwer ; personne en France ni de l’autre côté du détroit ne songeait à lui donner une part dans les destinées de la Grande-Bretagne, et voici que dans une préface il nous révèle toute la grandeur de son rôle public. Nous ne voyions en lui qu’un faiseur de contes, et nous ignorions l’action qu’il exerce sur le gouvernement de son pays ; il a fallu que la Dame de Lyon fût rangée parmi les ouvrages médiocres pour que M. Bulwer nous donnât le secret de son importance politique. Littérairement, l’argument n’a pas grande valeur, mais il a du moins le mérite de la nouveauté, et nous le recommandons aux poètes mécontens et méconnus comme une consolation toute trouvée pour les blessures faites à leur amour-propre. Désormais un auteur sifflé, ou dont la pièce aura été jouée devant les banquettes, se réfugiera dans son importance politique. Il n’aura pas même besoin, pour invoquer l’argument inventé par M. Bulwer, de siéger sur les bancs de la chambre ; il lui suffira d’être électeur, ou d’avoir écrit une douzaine de pages sur les discussions parlementaires. Nous espérons que cette recette ne passera pas inaperçue et trouvera de nombreuses applications.

Quant à nous, qui n’avons jamais compté M. Bulwer parmi les orateurs de la chambre des communes, nous pouvons juger la Dame de Lyon en toute liberté. Pour être juste envers lui, nous n’avons besoin de réprimer aucune rancune. Le sujet de cette pièce est emprunté à un recueil de contes que nous ne connaissons pas ; il nous est donc impossible de juger si M. Bulwer a enrichi ou appauvri la donnée qu’il avait choisie. L’action se noue et se dénoue entre trois personnages : Pauline Deschapelles, Beauséant et Claude Melnotte. Les autres acteurs, tels que le père et la mère de Pauline, Glavis, ami de Beauséant, et la mère de Claude Melnotte, jouent un rôle tellement secondaire, qu’il suffit de les nommer. La pièce embrasse un espace de deux ans et demi, de 1795 à 1798. Le second titre : Amour et Orgueil, résume d’une façon vulgaire, mais assez nettement, les ressorts que M. Bulwer a mis en jeu. On a voulu trouver une ressemblance frappante entre la Dame de Lyon et Ruy Blas ; cette ressemblance purement fortuite, nous n’en doutons pas, ne résiste pas à l’examen. Il s’agit, dans la pièce anglaise, d’un paysan qui épouse la fille d’un riche marchand en se faisant passer pour grand seigneur, et ce paysan se prête à cette supercherie, comme Ruy Blas, pour servir une vengeance qui n’est pas la sienne. Mais là s’arrête la ressemblance, et M. Hugo, pour construire son ouvrage, n’avait pas besoin de connaître la Dame de Lyon. D’ailleurs, la biographie réelle d’Angelica Kauffmann vide le procès d’une façon décisive. L’invention de ce ressort, auquel on paraît attacher une si grande importance, n’appartient ni à M. Hugo, ni à M. Bulwer, ni à M. Léon de Wailly. Il s’est rencontré, en Angleterre, au XVIIIe siècle, un aventurier qui s’est donné pour le comte de Horn, et qui, à l’aide de ce mensonge, a réellement épousé Angelica Kauffmann. Ce ressort diversement employé par trois écrivains est tombé depuis long-temps dans le domaine public. Mais, lors même que M. Hugo eût emprunté cette donnée à M. Bulwer, il resterait toujours entre la Dame de Lyon et Ruy Blas une profonde différence. L’ouvrage anglais est un drame bourgeois qui ne prétend nous offrir ni l’aurore, ni le déclin d’une monarchie. Le caractère et la condition des personnages suffiraient pour absoudre M. Hugo de tout soupçon de plagiat, et les développemens de l’action ne permettent d’établir aucune comparaison entre les deux ouvrages.

Pauline Deschapelles est fille d’un riche marchand de Lyon. Pour retrouver dans Pauline Marie-Anne de Neubourg, il faut plus que de la complaisance. La reine d’Espagne arrive à l’amour par l’abandon ; c’est l’ennui qui la pousse dans les bras de Ruy Blas. Si Charles II, au lieu de chasser les loups, s’occupait de sa femme, Ruy Blas n’entrerait pas dans le lit de la reine. Pauline Deschapelles est tout simplement belle, fière de sa beauté, coquette, gâtée par sa mère ; elle reçoit les hommages de tous les jeunes gens de Lyon comme un tribut qui lui est dû, et ne songe pas à les remercier de leur admiration. Elle croit que sa beauté lui permet de prétendre aux premiers partis, et, comme elle est riche, fille unique, elle désire devenir comtesse, marquise ou duchesse. Assurément un tel personnage n’a rien de commun avec Marie-Anne de Neubourg. Nous l’avons vu cent fois figurer à l’Opéra-Comique ; c’est un type de coquetterie vulgaire qui appartient depuis long-temps aux théâtres de toutes les nations. Pauline éconduit tous les prétendans qui se présentent, et ne veut donner sa main qu’à un homme titré. Malheureusement, dans les dernières années du XVIIIe siècle, ce désir était, en France, difficile à satisfaire, La noblesse étant abolie par une loi, Pauline est condamnée au célibat, à moins qu’elle ne passe la frontière pour choisir un mari dans une famille d’émigrés ; et, comme une pareille tentative aurait pour conséquence la confiscation des biens de son père, elle se contente d’humilier par ses refus tous les hommes qui essaient de la fléchir sans tenir compte du sort des candidats qui se sont déjà mis sur les rangs. S’il y a entre ce personnage et Marie de Neubourg la moindre analogie, nous avouons sincèrement qu’elle échappe à notre pénétration.

Beauséant, dans lequel on a voulu retrouver don Salluste, se sert, il est vrai, de Claude Melnotte pour humilier Pauline Deschapelles ; comme le chef des alcades de cour se sert de Ruy Blas pour humilier la reine d’Espagne. Mais il procède à sa vengeance bien plus simplement que l’homme d’état disgracié. Il sait qu’un jeune paysan est amoureux de Pauline, et il lui propose d’épouser celle qu’il aime. Il conclut avec lui un marché en bonne forme et s’engage à lui fournir tout l’argent nécessaire pour mener un train de prince. Il ne perd pas son temps, comme don Salluste, à dicter deux billets dont l’un est une énigme et l’autre une injure pour son secrétaire. Il dit à Claude Melnotte : Vous aimez Pauline, vous êtes pauvre et roturier ; elle est riche et ne veut donner sa main qu’à un homme titré. Je vous offre le moyen de l’épouser. Elle ne vous connaît pas, soyez prince, et sa main est à vous. Jurez de vous prêter à ma vengeance et de mentir jusqu’à la conclusion du mariage. Voici de l’or, et mettons-nous à l’œuvre. Certes, un pareil langage ne ressemble en rien aux paroles adressées par don Salluste à Ruy Blas.

Quant à Claude Melnotte, principal personnage de la pièce, il est, je l’avoue, dessiné d’une façon très vulgaire ; mais il est à peu près impossible qu’un tel personnage ne réussisse pas au théâtre ; car il résume tous les sentimens avec lesquels la foule est familiarisée depuis long-temps. Il aime ardemment Pauline Deschapelles ; et pour lui plaire, pour l’attendrir, il se voue à l’étude, il se transforme. Fils du jardinier de M. Deschapelles, resté seul avec sa mère, il se livre à tous les exercices de corps et d’esprit qui doivent faire de lui un homme accompli. Depuis l’escrime et la danse jusqu’à la musique, jusqu’à la peinture ; depuis l’histoire jusqu’aux mathématiques, jusqu’aux sciences naturelles, il veut tout connaître, afin de devenir digne de l’amour et de la main de Pauline. Grace à la volonté ferme qui le soutient, grace à l’espérance qu’il a conçue, il devient en peu d’années capable de remplir les fonctions les plus élevées et les plus diverses. Je me défie généralement des hommes doués d’une aptitude encyclopédique ; je ne crois guère aux génies capables de se placer entre Pitt et Newton, entre Mozart et Raphaël ; mais la foule est rarement du même avis, et ajoute volontiers foi aux miracles opérés par l’amour. Il me paraît donc naturel qu’elle applaudisse aux efforts de Claude Melnotte et qu’elle voie dans sa passion pour Pauline un talisman tout puissant. Il semble que tous ces ressorts soient depuis long-temps hors de service, et pourtant il est bien rare que ces ressorts manquent leur effet ; car la foule réunie dans une salle de spectacle accepte facilement ce qu’elle dédaignerait dans un livre. Les pensées les plus vulgaires, pourvu qu’elles aient un fonds de vérité, ne manquent jamais de l’émouvoir. Si ces pensées sont confiées à un acteur éminent, elles prennent dans sa bouche tout le charme de la nouveauté. Or, M. Macready a prouvé aux juges les plus sévères qu’il est en mesure de faire valoir les idées les plus banales, de rajeunir les paroles les plus décrépites. Il y a dix ans, il trouvait moyen d’animer les pâles tragédies de Sheridan Knowles ; j’apprendrais sans étonnement que le rôle de Claude Melnotte est devenu entre ses mains une création vraiment poétique.

Il n’y a rien à dire de M.  ni de Mme Deschapelles. Niaiserie et crédulité, tels sont les deux mots qui résument ces deux caractères. Le colonel Damas est un brave militaire qui, depuis vingt ans, a figuré dans quelques centaines de vaudevilles. C’est une vieille connaissance que nous n’avons pas le courage de critiquer. La mère de Claude Melnotte a pour son fils une admiration sans bornes ; elle le prend pour un prodige, et conçoit à peine le dédain de Pauline.

Ainsi, tous les personnages de la Dame de Lyon se séparent profondément des personnages de Ruy Blas. Il n’y a pas un des acteurs du drame français qui soit possible, et tous les acteurs de la pièce anglaise sont d’une trivialité qui échappe à la discussion. La construction générale de la pièce répond à la conception des acteurs. L’analyse individuelle des caractères mis en jeu par M. Bulwer a dû faire pressentir l’action dramatique ; aussi nous suffira-t-il de la résumer rapidement.

Au premier acte, nous assistons à la toilette de Pauline Deschapelles. Tandis qu’une femme de chambre est occupée à la coiffer, à placer des fleurs dans ses cheveux, M. Beauséant, ci-devant marquis, vient la demander en mariage. Le père, la mère et la fille refusent à l’unanimité l’alliance de Beauséant. C’est un riche parti, toute la ville de Lyon connaît sa fortune ; mais il n’a plus de blason, et Pauline, fidèle aux leçons de sa mère, a résolu de n’épouser qu’un homme revêtu d’un titre éclatant. Elle veut être marquise ou duchesse, et, tant qu’elle n’aura pas trouvé l’occasion de satisfaire ce vœu impérieux, rien ne pourra la décider à l’abandon de sa liberté. Après de nombreuses et ferventes prières, Beauséant se retire confus et humilié. À peine a-t-il quitté le seuil de la maison où son orgueil a été si rudement éprouvé, qu’il rencontre un de ses amis nommé Glavis. Il lui confie son chagrin, et Glavis lui apprend qu’il a comme lui demandé la main de Pauline et obtenu la même réponse. Dès ce moment, Beauséant et Glavis forment le projet de se venger. On entend des cris de joie ; les deux amis interrogent le maître de l’auberge devant laquelle ils se trouvent, et apprennent qu’on célèbre le triomphe de Claude Melnotte, proclamé prince de la fête, comme le tireur le plus adroit ; car nous avons omis de dire que Beauséant et Glavis se sont rencontrés aux environs de Lyon. Le prince de la fête sera prince de Côme, et Pauline s’appellera, pendant un jour, princesse de Côme. Beauséant décide Claude Melnotte à le venger par un mensonge qui doit mettre entre les bras du jardinier poète la fille de son ancien maître.

Au second acte, nous assistons au mariage de Pauline et de Claude. Beauséant et Glavis tremblent à chaque instant que leur vengeance n’échoue, car ils ont dans le colonel Damas un surveillant très incommode. Le colonel Damas veut parler italien au prince de Côme, et Claude Melnotte ne sait que répondre, car il n’entend pas la langue de ses états. Cependant, après quelques secondes d’hésitation, il répond effrontément que l’italien prononcé par le colonel Damas n’a jamais été la langue des hommes bien élevés, des hommes de qualité, et Mme Deschapelles demande grace à son altesse pour la grossièreté du colonel Damas. Claude Melnotte, pour se dédommager du rôle misérable qu’il a consenti à jouer, se permet plusieurs espiègleries très vulgaires, mais qui seraient sans doute applaudies au boulevard comme des tours du goût le plus fin. Il offre à Mme Deschapelles la tabatière d’or que lui a prêtée Beauséant, à Pauline un jonc de diamans que Glavis lui a confié comme complément de son costume de prince, et les deux amis se consolent en songeant que la vengeance est le plaisir des dieux, et que, pour goûter ce plaisir, on ne doit pas lésiner. Pour échapper à la surveillance du colonel Damas, Beauséant fabrique une lettre datée de Paris, par laquelle un membre du gouvernement français le prévient que son ami le prince de Côme a été dénoncé, et qu’il ne peut demeurer plus long-temps temps à Lyon sans risquer d’être emprisonné. Mme Deschapelles, plutôt que de renoncer à nommer sa fille princesse, presse la signature du contrat, et consent, sur les instances de Beauséant, à la célébration immédiate du mariage. Leurs altesses monteront en voiture dès qu’elles auront reçu la bénédiction nuptiale. C’est Beauséant qui se charge de préparer leur fuite. Resté seul avec Pauline, Claude Melnotte lui parle de son amour en termes très fleuris, et lui demande si elle le suivra sans regret, si c’est lui ou son titre qu’elle aime. Pauline avoue qu’elle a d’abord aimé le prince, mais qu’à ses yeux le prince et l’homme sont aujourd’hui confondus. Riche ou pauvre, dans un palais ou dans une chaumière, elle ne cessera jamais de le chérir. Rassuré par ces paroles, Claude Melnotte se pardonne le mensonge auquel il s’est résigné pour obtenir la main de Pauline, et le mariage est conclu. Cependant, avant la signature du contrat, le colonel Damas trouve moyen de rencontrer le prince de Côme et de le provoquer. Brave et habile, Claude Melnotte désarme son adversaire, et dès ce moment ils deviennent les meilleurs amis du monde.

Au troisième acte, nous retrouvons Pauline et son mari à l’auberge où s’est tramé le complot de Beauséant et de Glavis. Pour échapper aux railleries de ses laquais que Beauséant a détrompés, Claude emmène Pauline chez sa mère. Effrayée par quelques paroles échangées entre la mère et le fils, Pauline interroge son mari, et lui arrache l’aveu du mensonge auquel il s’est prêté. Mais Claude est désormais dégagé du serment qu’il a fait à Beauséant. Il a promis d’épouser Pauline ; sa promesse une fois accomplie, il redevient maître de lui-même, et il rend à Pauline sa liberté, qu’elle croyait avoir perdue sans retour. Il écrit à M. Deschapelles le récit complet de l’intrigue qui lui a livré sa fille, et il confie Pauline aux soins de sa mère. Quant à lui, il ne rentrera dans la chaumière où il a conduit la femme qu’il aime que pour la rendre à son père. À peine Claude est-il sorti que Beauséant paraît et réussit à éloigner la mère de Claude, en lui disant que son fils l’attend dans le village. Alors commence entre Beauséant et Pauline une lutte grossière, qui serait déplacée dans un livre, et qui doit, au théâtre, exciter l’impatience et le dégoût. Beauséant dit effrontément à Pauline : Je vous ai perdue, vous êtes la femme d’un paysan, mais je vous aime ; et si je ne peux plus vous donner mon nom, je peux encore vous soustraire au mari que je vous ai donné. Et, comme Pauline ne répond à cette proposition que par le mépris, il essaie d’obtenir par la force ce qu’il n’a pu obtenir de l’orgueil humilié. Claude Melnotte arrive à temps pour sauver l’honneur de la femme qu’il aime. Beauséant s’éloigne en jurant de se venger ; Pauline commence à aimer son mari.

Au quatrième acte, Claude remet Pauline entre les mains de son père, et part avec le colonel Damas, dans l’espérance de s’illustrer sur le champ de bataille, et de mériter la main de Pauline. Mais, avant de partir, il l’autorise à faire annuler leur mariage. Ici M. Bulwer a placé une scène qui n’a rien de neuf ni d’élevé, mais qui doit émouvoir. Pauline s’efforce de retenir par ses larmes l’homme qui l’a humiliée ; et, lorsqu’enfin elle le voit résolu à partir, elle lui promet de l’attendre et de ne pas briser le lien qui les unit.

Au cinquième acte, Claude Melnotte reparaît sous le nom du colonel Morier. Le colonel Damas, devenu général, en annonçant à son camarade de bivouac que Pauline va épouser Beauséant, essaie de le consoler et de lui persuader qu’il trouvera facilement cent femmes aussi belles, aussi dignes d’amour que Pauline. Cependant la partie n’est pas encore perdue ; le contrat n’est pas signé ; le divorce n’est pas même prononcé. Le général et le colonel se rendent chez M. Deschapelles et apprennent bientôt que Pauline, en promettant sa main à Beauséant, n’a pas oublié Claude Melnotte. M. Deschapelles est ruiné, et c’est pour le sauver, pour relever son crédit, que Pauline consent à épouser Beauséant. En recevant la main de Pauline, Beauséant doit donner à M. Deschapelles une somme considérable. Cette somme, le colonel Morier la fournira, car il s’est enrichi au service de la république française. Pauline reconnaît dans le colonel Morier son mari qu’elle a fidèlement attendu pendant deux ans, et qu’elle ne trahissait que pour sauver son père. Claude et Pauline sont unis, M. Deschapelles retrouve son crédit, et Beauséant est livré à ses remords.

À coup sûr, il serait impossible de discuter sérieusement le mérite de cette pièce. Il suffit de la raconter, et chacun, en parcourant ce rapide sommaire, pourra se former une opinion précise sur l’œuvre de M. Bulwer. La Dame de Lyon est aussi pauvre de conception que la Duchesse de La Vallière, et, si l’auteur a voulu, par cette seconde tentative, démontrer l’étendue de ses facultés dramatiques, nous croyons qu’il n’a pas réussi dans son projet. Il fera donc bien de s’en tenir là, et de ne pas entamer une troisième démonstration. Le style de la Dame de Lyon n’est ni pire, ni meilleur, que le style de la Duchesse de La Vallière ; seulement nous devons dire que le mélange des vers et de la prose, tenté par M. Bulwer dans sa seconde pièce, est d’un effet malheureux, et nous croyons que l’exemple de Shakespeare ne saurait justifier ce mélange. Poète, acteur et directeur, a-t-il mêlé volontairement les vers et la prose dans la même pièce ? Il est permis d’en douter. Quant à l’exemple des tragiques grecs, il est encore moins concluant ; car, si les personnages et le chœur ne parlent pas dans un rhythme uniforme, du moins ils parlent toujours en vers, et la déclamation notée des acteurs d’Athènes donnait, sans doute, à cette variété de rhythmes un charme dont le dialogue parlé ne peut nous donner l’idée. Si donc M. Bulwer veut imiter Shakespeare, il faut qu’il renonce au mélange des vers et de la prose, et qu’il s’efforce de reproduire la grandeur et la beauté idéale de son modèle. Qu’il relise Othello et qu’il juge la dame de Lyon, il sera plus sévère que nous pour son œuvre.


Gustave Planche