Tragédies de Sophocle (Artaud)/Les Trachiniennes

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Traduction par Nicolas Artaud.
Tragédies de SophocleCharpentier (p. 409-459).


LES TRACHINIENNES

PERSONNAGES

DÉJANIRE.

UN MESSAGER.

UNE ESCLAVE.

LICHAS.

HYLLOS, fils d'Hercule et de Déjanire.

UNE NOURRICE.

UN VIEILLARD.

CHŒUR DE JEUNES TRACHINIENNES.

HERCULE.

La scène est à Trachine, ville de Thessalie, au pied du mont Œta : elle représente l’entrée du palais habité par Céyx, roi du pays, et par Déjanire.

DEJANIRE.

C’est parmi les hommes un antique adage bien souvent répété, qu’on ne saurait juger de la vie des mortels, et décider si elle est heureuse ou malheureuse, avant leur mort[1]. Mais moi, avant même d’aller chez Pluton, je sais combien la mienne est malheureuse et pénible, moi qui, dans la maison de mon père Œneus, à Pleuron[2], eus plus qu’aucune autre Étolienne de cruelles épreuves à subir, au moment de l’hymen. Pour prétendant j’avais un fleuve, Achéloos[3], qui, sous une triple forme, me demandait à mon père ; tantôt sous la figure d’un taureau tout entier, tantôt dragon à la croupe tortueuse, ou enfin en homme avec un front de taureau, et de sa barbe hérissée coulaient à grands flots les jets d’une source abondante. Dans l’attente de cet époux, malheureuse, j’invoquais toujours la mort, plutôt que de jamais partager sa couche. Mais dans les temps qui suivirent, arriva, au gré de mes vœux[4], le glorieux fils de Jupiter et d’Alcmène, qui entra en lutte avec lui, et me délivra[5]. Les phases diverses de leur combat, je ne saurais les raconter, car je les ignore ; ce serait au témoin indifférent de ce spectacle à en faire le récit. Car pour moi, j’étais frappée de stupeur, dans la crainte que ma beauté ne me fût un jour fatale. Mais enfin Jupiter, arbitre du combat, y donna une heureuse issue, si toutefois je puis l’appeler heureuse ; car depuis le jour où la victoire me fit entrer dans la couche d’Hercule, toujours je nourris de nouvelles alarmes, tremblante sur le sort de mon époux ; chaque nuit tour à tour ramène et emporte l’image de ses dangers. Je lui ai enfanté des fils[6], qu’il a vus à peine une fois, comme le laboureur qui, éloigné de ses champs, ne les visite qu’au temps des semailles et de la moisson. Voilà sa vie continuelle, il ne rentre dans ses foyers que pour en repartir, au service de je ne sais qui[7]. Et maintenant qu’il a accompli tous ses travaux, je suis dans les plus vives alarmes. En effet, depuis qu’il a donné la mort à Iphitos[8], nous vivons exilés ici, à Trachine[9], sous le toit d’un hôte[10], et personne ne sait où il s’est arrêté[11] ; mais moi, il me laisse d’amères angoisses par son départ ; et j’ai lieu de croire qu’il lui est arrivé quelque malheur. Car ce n’est pas une courte absence, mais dix mois et cinq autres encore se sont écoulés sans que j’aie rien appris de lui ; je redoute quelque grand malheur, à en juger par ces tablettes qu’il m’a laissées en partant, et je conjure les dieux qu’elles ne contiennent rien de funeste[12].

UNE ESCLAVE.

Chère maîtresse, ô Déjanire ! tu as déjà versé bien des larmes, exhalé bien des gémissements sur l’absence d’Hercule ; mais aujourd’hui, si les conseils d’une esclave peuvent éclairer ses maîtres, laisse-moi aussi te proposer un avis : comment donc, toi qui as tant d’enfants, n’envoies-tu pas l’un d’eux à la recherche de ton époux ; Hyllos, surtout, qui doit naturellement, s’il a quelque souci de son père, s’enquérir de sa destinée[13] ? Mais le voici lui-même tout proche, il accourt vers le palais ; si donc tu trouves que je parle à propos, tu peux user de son aide et de mes conseils.



DÉJANIRE.

Mon enfant, mon cher fils, de la bouche même la plus humble peuvent sortir les plus sages paroles. Car cette femme, tout esclave qu’elle est, m’a parlé le langage d’une personne libre.

HYLLOS.
Qu’a-t-elle dit ? apprends-le-moi, ma mère, si je puis le savoir.
DÉJANIRE.
Que, dans l’absence si prolongée de ton père, il est honteux pour toi de ne point t’enquérir des lieux où il est.
HYLLOS.
Mais je sais où il est, s’il faut en croire certains bruits.
DÉJANIRE.
Et en quel lieu de la terre, mon fils, le dit-on arrêté ?
HYLLOS.
On prétend que, l’année passée, il fut longtemps esclave d’une femme Lydienne[14].
DÉJANIRE.
On peut donc s’attendre à tout, s’il a supporté un tel opprobre.
HYLLOS.
Mais il a rompu ces liens, à ce que j’apprends.
DÉJANIRE.
Où donc annonce-t-on qu’il est à présent, vivant ou mort ?
HYLLOS.
On dit qu’il marche, ou du moins qu’il va marcher en Eubée, contre la ville d’Eurytos[15].
DÉJANIRE.
Et sais-tu, mon fils, quels oracles certains[16] il m’a laissés sur cette contrée ?
HYLLOS.
Lesquels, ma mère ? car je ne les connais pas[17].
DÉJANIRE.
C’est là, disent-ils, qu’il doit trouver la fin de sa vie, ou qu’après ce dernier travail, il doit passer le reste de ses jours dans un heureux repos. Donc, dans un péril si imminent, n’iras-tu pas, mon fils, au secours de ton père, puisque sa conservation assure notre salut, tandis que sa perte entraîne notre ruine ?
HYLLOS.
J’irai, ma mère, et si j’avais connu ces oracles, je serais depuis longtemps auprès de lui. Mais maintenant que je les connais, je ne négligerai rien pour savoir toute la vérité sur ce qui le touche, puisque le bonheur accoutumé des armes de mon père ne nous permet pas de concevoir des craintes anticipées, et de nous alarmer à l’excès[18].
DÉJANIRE.
Va donc, mon fils ; car, quelque tard qu’on le fasse, accomplir un devoir, dès qu’on le connaît, est toujours utile.



LE CHŒUR.
(Strophe 1.) Toi, que tour à tour la nuit enfante, en dépouillant son manteau d’étoiles, ou endort dans sa couche, Soleil, astre éclatant, je t’invoque, révèle-nous le séjour du fils d’Alcmène, dis-nous s’il habite quelque plage baignée par la mer, ou l’un des deux continents[19], toi dont l’œil étincelant[20] efface tout de sa vive lumière.

(Antistrophe 1.) J’apprends, en effet, que, tourmentée d’inquiétudes, Déjanire, disputée jadis par deux amants, aujourd’hui plaintive comme l’oiseau désolé, ne livre plus aux douceurs du sommeil ses yeux dont les pleurs sont taris, mais tremblante pour son époux absent et toujours pleine de son souvenir, l’infortunée s’inquiète et se consume sur sa couche solitaire, dans l’attente d’un événement fatal. (Strophe 2.) Car, ainsi qu’on voit sur la vaste mer les flots agités en sens contraires par le souffle infatigable du Notos ou de Borée, ainsi la vie d’Hercule est agitée et battue par les orages, comme la mer de Crète[21]. Mais toujours un dieu protecteur le préserve sain et sauf de la demeure de Pluton.

(Antistrophe 2.) Voilà pourquoi je blâme tes plaintes, et je veux les combattre, sans cesser de t’aimer. Car, je le dis, tu ne dois pas renoncer à la douce espérance. En effet, le fils de Saturne, qui gouverne le monde, n’a pas donné aux mortels un sort exempt de peines ; mais la joie et la douleur reviennent aussi régulièrement pour chacun de nous, que les révolutions de l’Ourse autour du pôle.

(Épode.) Rien n’est durable chez les mortels, ni la nuit parsemée d’étoiles, ni les chagrins, ni les richesses ; mais tout passe vite, et chacun est visité tour à tour par la joie et la tristesse. Aussi, reine, je te le dis, conserve toujours cette espérance ; car qui a jamais vu Jupiter si peu soucieux de ses enfants ?



DÉJANIRE.
C’est, je le suppose, la connaissance de mon malheur qui t’amène vers moi ; mais ces tourments que j’endure, puisses-tu ne les connaître jamais par ton expérience, toi qui ne les as pas encore éprouvés ! car la jeunesse s’élève dans des lieux riants, où ni les ardeurs du soleil, ni la pluie, ni le souffle des vents ne l’agitent, mais elle passe dans les plaisirs une vie exempte de peines, jusqu’au moment où la vierge, devenue femme, prend, dans une nuit, sa part de soucis, tremblante pour un époux ou pour des enfants[22] ; alors, en regardant son propre état, elle connaîtrait les maux qui m’accablent. J’ai eu bien des malheurs à déplorer ; mais le plus cruel que j’aie jamais connu, je vais vous le dire : Lorsque Hercule quitta son palais pour ce dernier voyage, il me laissa d’antiques tablettes, sur lesquelles étaient écrites ses volontés, ce

que jamais encore il n’avait jugé à propos de me faire connaître, quand il allait à ses autres combats ; il y marchait alors comme à la victoire, et non à la mort. Mais aujourd’hui il parle en époux expirant, il règle l’héritage auquel j’ai droit pour ma dot, et fait le partage de ses biens entre ses fils, enfin, il marque un terme fatal ; s’il reste, dit-il, un an et trois mois absent de cette contrée, alors dans cet intervalle, il doit mourir ; ou s’il franchit ce terme, il jouira désormais d’une vie exempte de peines[23]. Tel est, dit-il, l’arrêt des dieux sur la fin des travaux d’Hercule ; ainsi parla jadis le chêne antique de Dodone[24], par la voix de deux colombes. Or, nous sommes aujourd’hui au temps même où ces prédictions doivent s’accomplir. C’est là, mes amies, ce qui pendant les douceurs du sommeil me fait tressaillir d’effroi, dans la crainte qu’il ne me faille survivre au plus grand des héros.



LE CHŒUR.
Aie à présent bon espoir ; car je vois un homme venir vers nous, la tête couronnée[25] ; signe d’une heureuse nouvelle.



UN MESSAGER.
Déjanire, ma maîtresse, j’accours le premier dissiper tes alarmes. Sache, en effet, que le fils d’Alcmène est vivant, et victorieux, et rapporte du combat des prémices[26] pour les dieux de cette contrée.
DÉJANIRE.
Quelle est, vieillard, cette nouvelle dont tu me parles ?
LE MESSAGER.
Que bientôt ton époux tant désiré va se montrer à toi avec les insignes de la victoire.
DÉJANIRE.
Est-ce d’un des citoyens, ou d’un étranger que tu tiens cette nouvelle ?
LE MESSAGER.
C’est Lichas, le héraut, qui la répand parmi la foule, dans la prairie où paissent les troupeaux ; dès que je l’ai entendue, j’ai couru pour être le premier à te l’annoncer,

obtenir de toi quelque salaire, et mériter ta faveur.

DÉJANIRE.
Mais comment est-il absent, puisque tout prospère ?
LE MESSAGER.
Il ne lui est pas très-facile d’arriver, ô femme ; car tout le peuple de Malie[27] l’entoure et l’interroge, et il ne lui est pas possible d’avancer. Car dans le désir général d’apprendre les faits, la foule avide ne se calmera qu’après s’être pleinement satisfaite. Ainsi il lui faut, malgré lui, complaire à leurs vœux ; mais dans l’instant tu vas le voir paraître.
DÉJANIRE.
O Jupiter, qui règnes sur les prairies sacrées[28] de l’Œta,

tu nous envoies l’allégresse du moins, après une longue attente. Poussez toutes des cris de joie, ô femmes ! dans le palais, comme au dehors ; jouissons aujourd’hui du bonheur inespéré que fait luire pour moi cette nouvelle[29].

LE CHŒUR.
Que le palais retentisse des accents de la joie mêlés aux sacrifices, pour le prochain retour de l’époux, que les cris d’allégresse des jeunes garçons célèbrent ensemble Apollon, dieu tutélaire, armé de son carquois[30] ; chantez Pæan[31], le dieu Pæan ; jeunes vierges, invoquez Diane, sa sœur, déesse d’Ortygie[32], redoutable chasseresse, armée de torches[33], et les nymphes ses compagnes !

Je me sens enlevée dans les airs[34] ; je ne te quitterai point, flûte sacrée qui maîtrises mon âme. Évoé ! voilà que le lierre dont je suis couronnée me trouble et m’excite aux combats de Bacchus[35]. Pæan ! ô Pæan !

Mais regarde, reine chérie, ce que tu as devant les yeux doit te rassurer.
DÉJANIRE.
Je le vois, chères amies, et mes yeux n’ont pas perdu leur vigilance, au point de ne pas voir ce cortège. Salut au héraut qui reparait après un si long temps, si tu apportes quelque nouvelle agréable !
LICHAS.
Oui, notre retour est heureux ; et ce bon accueil, ô femme, est bien dû à ce que nous avons fait ; car le guerrier qui revient vainqueur a droit à des paroles bienveillantes.
DÉJANIRE.
O le plus cher des hommes, réponds d’abord à ma première question, Hercule est-il vivant ?
LICHAS.
Je l’ai laissé plein de force et de vie, florissant, et exempt de mal.
DÉJANIRE.
En quels lieux ? sur le sol de la patrie, ou sur une terre étrangère ? Parle.
LICHAS.
Sur le rivage de l’Eubée ; il y dresse des autels, et fait des offrandes de fruits à Jupiter Cénéen[36].
DÉJANIRE.
Est-ce pour s’acquitter d’un vœu, ou pour obéir à un oracle ?
LICHAS.
C’est un vœu qu’il a fait, alors que ses armes dévastaient et subjuguaient le pays de ces femmes que tu vois devant toi.
DÉJANIRE.
Mais ces femmes, au nom des dieux, quelle est leur patrie, et qui sont-elles ? car elles sont dignes de pitié, si je ne m’abuse sur leurs malheurs.
LICHAS.
Hercule, lorsqu’il eut ruiné la ville d’Eurytos, les a choisies pour les consacrer au service des dieux et au sien.
DÉJANIRE.
Est-ce donc devant cette ville qu’Hercule a passé tous les jours innombrables de sa longue absence ?
LICHAS.
Non ; il dit lui-même en avoir passé la plus grande partie en Lydie, dans l’esclavage. Mais il ne faut pas, ô femme, lui reprocher un mal dont Jupiter est l’auteur[37].

Vendu à Omphale, reine barbare, il resta un an tout entier esclave, comme il le raconte lui-même ; et il conçut de cet affront un tel ressentiment, qu’il jura de punir l’auteur de cet attentat, et de le réduire un jour en servitude avec sa femme et ses enfants. Et sa parole n’a pas été vaine : mais quand il se fut purifié[38], il marcha avec une armée contre la ville d’Eurytos ; car il nommait celui-ci comme la cause unique de son affront ; Eurytos, en effet, qui l’avait reçu dans ses foyers, violant les droits d’une ancienne hospitalité, l’accabla d’outrages et médita contre lui des traitements ignominieux[39], disant qu’Hercule, quoique possesseur de flèches inévitables, le cédait toutefois à ses fils dans l’art des archers[40] ; il lui reprochait de se laisser fouler aux pieds comme un esclave par Eurysthée ; un jour enfin qu’il s’était enivré dans un banquet, il le chassa du palais. Aussi, dans sa colère, Hercule, rencontrant, sur les hauteurs voisines de Tyrinthe[41], Iphitos, qui cherchait les traces de cavales égarées, pendant que ses yeux étaient occupés d’un côté, et son esprit de l’autre, le précipita du haut de la montagne. Le maître de toutes choses, Jupiter, roi de l’Olympe, courroucé de cette action, le fit vendre en esclavage, et ne put souffrir qu’Hercule eût, pour la première fois, fait périr un homme par ruse. S’il l’eût attaqué à force ouverte, Jupiter lui eût pardonné sa juste vengeance ; car les dieux aussi détestent l’injustice. Cependant les fils d’Eurytos, qui se complaisaient insolemment à d’outrageantes paroles, sont tous maintenant dans l’empire de Pluton, et leur ville est esclave ; ces femmes que tu vois, et dont le bonheur s’est changé en des jours misérables, viennent ici pour te servir. Ainsi l’a voulu ton époux, et moi j’exécute ses ordres avec fidélité. Pour lui-même, aussitôt qu’il aura immolé des victimes pures à Jupiter Paternel[42], pour la prise de la ville, sois sûre qu’il viendra ; car de tout ce que je t’ai annoncé d’heureux, c’est là ce qu’il t’est le plus agréable d’entendre.

LE CHŒUR.
Maintenant, reine, ta joie peut se produire en toute assurance, avec ce que tu as sous les yeux[43] et ce que son récit vient de t’apprendre.
DÉJANIRE.
N’ai-je pas le plus juste sujet de me réjouir, quand j’entends ces brillants succès de mon époux ? Il est impossible que ces faits dont je suis témoin ne contribuent à ma joie. Cependant les esprits sages savent qu’au sein même de la prospérité, on doit craindre qu’elle ne nous

échappe un jour. Je me sens, en effet, mes amies, saisie d’une pitié profonde, à la vue de ces femmes infortunées, errantes sur une terre étrangère, sans parents, sans asile, qui, issues peut-être de pères libres, traînent aujourd’hui leur vie dans l’esclavage. O Jupiter, qui détournes les malheurs, puissé-je ne jamais te voir étendre ainsi ta main sur ma race, ou qu’au moins, si tu dois le faire, ce ne soit pas de mon vivant ! Telles sont les craintes que m’inspire la vue de ces femmes. O toi[44], jeune et tendre victime, qui es-tu ? vierge, ou mère ? Ton âge semble dire que tu ne portes pas encore ce titre, mais ton extérieur décèle une noble naissance. Lichas, de quelle famille est cette jeune étrangère ? quelle est sa mère ? quel père lui a donné le jour ? Parle, car j’éprouve la plus vive pitié pour elle, qui seule montre une âme si forte dans son malheur.

LICHAS.
Que sais-je donc ? pourquoi m’interroger ? peut-être parmi celles de cette ville, sa naissance n’est-elle pas des plus obscures.
DÉJANIRE.
Ne serait-elle pas de la race des rois, du sang d’Eurytos ?
LICHAS.
Je ne sais, je n’ai pas pris de longues informations.
DÉJANIRE.
N’as-tu pas même appris son nom de quelqu’un de ses compagnons du voyage ?
LICHAS.
Nullement ; j’ai rempli ma mission en silence.
DÉJANIRE.
Eh bien ! réponds toi-même, jeune infortunée ; car c’est aussi un malheur, que de nous laisser ignorer qui tu es.
LICHAS.
N’espère pas qu’elle rompe le silence plus qu’elle n’a fait jusqu’ici ; le moindre mot n’est pas encore sorti de sa bouche ; mais tout entière à son infortune, elle n’a cessé de verser des pleurs, depuis qu’elle a quitté sa patrie battue par les vents. La fortune lui est contraire, mais elle a droit à l’indulgence.
DÉJANIRE.
Eh bien ! laissons-la, et qu’elle entre dans l’intérieur, si tel est son désir, je ne veux pas à ses peines présentes ajouter d’autres peines ; c’est bien assez de celles qu’elle éprouve. Rentrons donc toutes, et toi, va où le devoir t’appelle, tandis que je disposerai tout dans ce palais.
(Les captives entrent dans le palais.)



LE MESSAGER.
D’abord, reste du moins un moment ici, afin d’apprendre, hors de leur présence, quels sont ceux que tu emmènes avec toi, et pour que, des choses dont tu n’es pas informée, tu saches ce que tu dois savoir ; car moi, j’en ai la connaissance entière.
DÉJANIRE.
Qu’y a-t-il donc, pour te presser ainsi sur mes pas ?
LE MESSAGER.
Arrête, et écoute-moi ; car jusqu’ici mes paroles n’ont pas été trompeuses, et celles que j’ai à te dire encore ne le seront pas davantage[45].
DÉJANIRE.
Faut-il donc rappeler ici les autres, ou veux-tu t’expliquer seulement devant ces jeunes Trachiniennes ?
LE MESSAGER.
Ainsi que toi, celles-ci peuvent tout entendre ; mais laisse aller les captives.
DÉJANIRE.
Elles sont déjà parties ; parle maintenant.
LE MESSAGER.
De tout ce que cet homme a dit tout à l’heure, il n’y a rien d’exact ni de vrai ; mais ou il nous trompe maintenant, ou il nous a trompés d’abord.
DÉJANIRE.
Que dis-tu ? explique-moi clairement tout ce que tu penses, car de tout ce que tu as dit je ne comprends rien.
LE MESSAGER.
J’ai entendu cet homme dire, en présence de nombreux témoins, que c’est pour cette jeune fille qu’Hercule a fait périr Eurytos et ruiné Œchalie aux tours élevées ; l’amour est le seul dieu qui l’ait poussé à cette guerre, et non son séjour en Lydie, ni son esclavage chez

Omphale, ni le meurtre d’Iphitos[46] ; maintenant Lichas passe cet amour sous silence, et contredit son premier langage. Hercule, n’ayant pu persuader à Eurytos de lui livrer sa fille, pour en faire sa concubine, saisit le prétexte le plus frivole pour envahir avec une armée la patrie de cette jeune fille, où cet Eurytos régnait, disait-il, et occupait le trône[47] ; il tue le roi, son père, et ruine la ville. Et maintenant, comme tu le vois, il rentre dans ses foyers, et envoie devant lui cette jeune fille, non sans de grands égards, et non en esclave, ne le pense pas ; et ce n’est pas vraisemblable, avec la passion dont il brûle pour elle. J’ai donc cru devoir, ô ma maîtresse, te révéler tout ce que je tiens de la bouche même de Lichas. Et cela, un grand nombre de Trachiniens l’ont entendu ainsi que moi sur la place publique, et il serait aisé de le confondre. Si ce que je dis ne t’est point agréable, je le regrette, cependant je n’ai dit que la vérité.

DÉJANIRE.
Malheureuse que je suis ! en quel abîme suis-je tombée ! quel fléau caché ai-je reçu sous mon toit ? Hélas ! son nom est-il aussi inconnu que le jurait celui qui l’a amenée ?
LE MESSAGER.
Oui, certes, elle brille par sa beauté et par sa naissance, fille d’Eurytos jadis elle se nommait Iole ; Lichas ne disait rien de sa famille, sans doute parce qu’il n’a pas pris d’informations[48].
LE CHŒUR.
Périssent, sinon tous les méchants, du moins quiconque ourdit le mal par des trames secrètes !
DÉJANIRE.
Chères amies, que faut-il faire ? car je reste confondue de ce que je viens d’apprendre.
LE CHŒUR.
Rentre dans le palais et interroge-le lui-même il avouera bientôt la vérité, s’il te voit prête à l’y contraindre par la force.
DÉJANIRE.
J’y vais ; en effet, ton conseil me paraît sage.
LE CHŒUR.

Et nous, devons-nous rester ? ou que faut-il faire ?

DÉJANIRE.
Restez, car le voici, sans message de ma part, mais de lui-même il sort du palais.



LICHAS.
Que dois-je, femme, aller redire à Hercule ? Apprends-le-moi, car tu me vois au moment de partir.
DÉJANIRE.
À peine de retour, après une si longue absence, combien tu hâtes ton départ, avant même que nous ayons pu renouveler notre entretien !
LICHAS.
Mais si tu veux m’interroger sur quelque fait, je suis prêt à te répondre ?
DÉJANIRE.
Seras-tu sincère, et diras-tu la vérité ?
LICHAS.
Jupiter m’en est témoin, je dirai ce que je sais.
DÉJANIRE.
Quelle est donc cette jeune captive que tu viens d’amener ?
LICHAS.
Elle est de l’Eubée ; je ne saurais dire qui lui a donné le jour.
LE MESSAGER.
Holà ! regarde-moi un peu. À qui penses-tu parler ?
LICHAS.
Mais toi, pourquoi donc m’interroges-tu ainsi ?
LE MESSAGER.
Ose répondre à ma question, si tu as ton bon sens.
LICHAS.
C’est à la reine Déjanire, fille d’Œneus, épouse d’Hercule, et ma souveraine, si mes yeux ne s’abusent.
LE MESSAGER.
Voilà précisément ce que je voulais entendre de ta bouche. Tu dis donc qu’elle est ta souveraine ?
LICHAS.
Et à bon droit.
LE MESSAGER.
Eh bien ! de quel supplice te crois-tu digne, si tu es surpris à vouloir la tromper ?
LICHAS.
Comment ! la tromper ? que signifient ces énigmes ?
LE MESSAGER.
Il n’y a point d’énigmes ; c’est toi plutôt qui en dis ici.
LICHAS.
Je m’en vais. J’étais fou de t’écouter si longtemps.
LE MESSAGER.
Non pas, du moins avant d’avoir répondu à une courte question.
LICHAS.
Parle, si tu le désires ; car tu es passablement causeur.
LE MESSAGER.
Cette captive que tu as amenée au palais, tu la connais sans doute ?
LICHAS.
Il est vrai ; mais pourquoi le demandes-tu ?
LE MESSAGER.
Cette captive que tu feins de ne pas connaître[49] , n’as-tu

pas dit que c’était Iole, fille d’Eurytos ?

LICHAS.
Devant qui ? quel témoin viendra attester ici l’avoir entendu de ma bouche ?
LE MESSAGER.
Un grand nombre de citoyens ; au milieu de la place publique, une foule de Trachiniens a entendu tes paroles.
LICHAS.
Oui, j’ai dit l’avoir entendu raconter ; mais autre chose est rapporter un bruit, ou en avoir vérifié la certitude.
LE MESSAGER.
Un bruit ? N’as-tu pas déclaré, avec serment, que tu amenais l’épouse d’Hercule ?
LICHAS.
Son épouse ? moi ? Au nom des dieux, ma chère maîtresse, dis-moi quel est cet étranger ?
LE MESSAGER.
Un homme qui était présent, quand tu as dit que la ruine d’Œchalie avait eu pour cause une vive passion, et non la Lydienne[50], mais l’amour inspiré par Iole.
LICHAS.
O reine, ordonne que cet homme se retire, car perdre ses paroles avec un homme en délire n’est pas d’un homme sage.
DÉJANIRE.
Au nom de Jupiter, qui lance la foudre sur les bois qui couronnent la cime de l’Œta, ne me dérobe pas la vérité ; car tu n’as point affaire à une femme cruelle, ou ignorante de la condition humaine, qui n’accorde à aucun de nous un bonheur durable[51]. Celui donc qui résiste à l’Amour, et veut lutter avec lui[52], a perdu le sens ; car

il règne à son gré, même sur les dieux ; il règne sur moi-même, comment le nier ? et sur d’autres comme sur moi.Je suis donc une insensée, si je fais un crime à mon époux de la passion qui le dévore, ou si j’accuse cette femme, qui ne m’a fait ni mal ni outrage : il n’en est rien. Mais si c’est par obéissance que tu mens[53], tu fais là un triste apprentissage ; ou si c’est toi-même qui cherches à déguiser la vérité, en voulant rendre service, tu es bien coupable. Dis-moi donc toute la vérité ; car pour un homme libre il est honteux d’être appelé menteur. Quant à me tromper, tu ne peux le prétendre ; une foule de témoins, à qui tu as parlé, sont prêts à m’instruire. Si la crainte te retient, ta peur est mal fondée ; ignorer la vérité, voilà ce qui me serait funeste ; mais qu’y a-t-il de terrible à la savoir ? Hercule n’en a-t-il pas épousé beaucoup d’autres ? Et jamais aucune de ces femmes ne reçut de moi ni une mauvaise parole, ni un outrage. Il en sera de même pour celle-ci, dût-il se consumer d’amour pour elle ; car moi-même j’ai été saisie de pitié, en voyant que sa beauté lui avait été si funeste, et qu’elle était, sans le

vouloir, la cause de la ruine et de l’esclavage de sa patrie[54]. Mais en voilà assez là-dessus[55] : pour toi, je te le dis, tu peux mentir avec tout autre, mais avec moi sois toujours sincère.
LE CHŒUR.
Rends-toi à de si sages conseils, tu ne te repentiras pas de lui avoir obéi, et tu obtiendras ma reconnaissance.
LICHAS.
Je l’avouerai, ô maîtresse chérie, puisque je te vois mortelle, avec les sentiments d’une mortelle[56], et pleine d’indulgence, je te dirai toute la vérité, et ne cacherai rien. Oui, le récit de cet homme est fidèle. Cette captive a embrasé Hercule du plus ardent amour, et c’est pour elle que l’Œchalie, résidence de son père, a été livrée au carnage et à la dévastation. Mais il faut aussi lui rendre cette justice, il ne l’a jamais nié, et il ne m’avait point ordonné de le taire ; moi seul, dans la crainte d’attrister ton cœur par ce récit, ai commis cette faute, si tu veux l’appeler de ce nom. Maintenant que tu sais la vérité tout entière, dans l’intérêt commun, de toi et de ton époux, montre-toi bienveillante pour cette femme,

et reste fidèle à tes promesses. Oui, ce héros, invincible contre tous ses ennemis, s’est laissé subjuguer par cet amour.

DÉJANIRE.
Mon intention est aussi d’agir ainsi, et je n’irai pas volontairement aggraver mes maux, en luttant follement contre les dieux. Mais rentrons ; je veux te donner des instructions pour mon époux, et lui préparer des présents, en retour de ceux qu’il m’envoie ; tu ne dois pas partir les mains vides, toi qui es venu avec un si nombreux cortège.
(Ils entrent dans le palais.)



LE CHŒUR.
(Strophe.) Vénus déploie en tout temps sa puissance victorieuse. Je ne parlerai pas des dieux, je ne dirai pas comment elle séduisit Jupiter, ou le sombre Pluton[57], ou Neptune qui ébranle la terre[58]. Mais je dirai quels rivaux

se sont disputé Déjanire, avant l’hymen, et quels combats acharnés, parmi des tourbillons de poussière, ils ont livrés pour une telle épouse.

(Antistrophe.) L’un était Achéloos d’Œniade[59], fleuve redoutable, énorme taureau aux cornes menaçantes ; l’autre, venu de Thèbes, la ville de Bacchus, armé d’un arc, de flèches et d’une massue[60], était un héros, fils de Jupiter ; tous deux, enflammés d’amour, s’attaquent avec fureur ; et seule, au milieu de l’arène, la séduisante Vénus préside au combat.

(Épode.) Alors on entendait tour à tour le bruit des coups et des flèches retentir contre les cornes du taureau ; mutuellement entrelacés[61], les deux combattants heurtaient leurs fronts avec une violence terrible, et poussaient des gémissements[62]. La belle et tendre vierge, assise près du rivage, sur un lieu élevé, attendait son époux. Et moi, je redis ce que m’a raconté ma mère[63] ; la jeune fille attendait tristement l’issue du combat dont elle était le prix, puis elle s’éloigna de sa mère, comme une génisse délaissée.



DÉJANIRE.
Tandis que Lichas, prêt à partir, s’entretient avec les captives dans le palais, j’en suis sortie secrètement, chères amies, pour vous faire part du projet que je médite, et aussi déplorer avec vous mes infortunes ! Car ce n’est plus une vierge, non, je le pense, c’est une épouse que j’ai reçue, comme le nautonnier reçoit sur son navire une charge pesante, prix[64] humiliant de mon cœur dévoué. Et maintenant, nous voilà deux sur une même couche, destinées aux mêmes embrassements. Tel est le salaire dont le fidèle et honnête Hercule, comme je l’appelais, paye mes soins, pendant notre longue union. Je ne saurais pourtant m’irriter des folles et nombreuses passions auxquelles il est sujet, mais quelle femme pourrait vivre sous le même toit avec sa rivale, et consentir au partage de son époux ? Car, je le vois, sa jeunesse et ses charmes se développent, et les miens se flétrissent. L’œil de l’homme aime à ravir la fleur, et dédaigne la beauté flétrie. Je crains donc qu’Hercule ne me laisse plus que le nom d’épouse, et ne réserve son amour à la jeune captive. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit, la colère ne sied pas à une femme sensée ; mais, chères amies, le remède que j’ai contre elle, pour calmer ma douleur, je vais vous le dire. J’avais depuis longtemps conservé dans un vase d’airain un antique présent du vieux centaure qui n’est plus ; encore enfant, je le reçus de Nessos, à la poitrine velue, au moment de sa mort ; il s’occupait, moyennant un salaire, à passer les voyageurs sur le large fleuve Événos[65], fendant les ondes avec les mains, sans employer le secours de la rame, ni des voiles de navire. Lorsqu’envoyée par mon père, je suivais pour la première fois Hercule, en qualité d’épouse, le centaure me prit sur ses épaules[66] ; mais, au milieu du trajet, il porta sur moi une main lascive ; je jetai un cri, et aussitôt le fils de Jupiter se retourne[67], et lance une flèche ailée, qui traversa en sifflant la poitrine du monstre. Alors, près de mourir, il me dit : « Fille du vieil Œneus, puisque tu es la dernière que j’aurai transportée, tu garderas du moins, pourvu que tu m’obéisses, un fruit de mon passage ; si, en effet, tu recueilles de ma blessure le sang figé autour de cette flèche, que l’hydre de Lerne a trempée de son venin, tu auras un philtre puissant pour charmer le cœur d’Hercule, et le forcer de n’aimer aucune femme plus que toi. » Je me suis rappelé ses paroles, chères compagnes, et comme, depuis sa mort, je gardais soigneusement dans ma demeure ce philtre d’amour, j’en ai teint cette tunique, avec les précautions indiquées par le centaure vivant, et l’œuvre est accomplie. J’ignore et veux toujours ignorer un art funeste, et je déteste celles qui le pratiquent ; mais si,

par hasard, au moyen de ce philtre, je puis triompher de ma rivale, et ramener Hercule par ce charme, le voici tout préparé, si mon entreprise ne vous paraît pas vaine ; sinon, je renoncerai à mon projet.

LE CHŒUR.
Sans doute, si l’on peut ajouter foi à la vertu de ce charme, ton plan ne nous parait pas mauvais.
DÉJANIRE.
Quant à la foi qu’on peut y avoir, j’y crois, il est vrai, mais je n’en ai pas encore fait l’épreuve.
LE CHŒUR.
Cependant la certitude est nécessaire pour agir, et quelle que soit ta confiance, tu n’es certaine de rien, tant que l’épreuve n’est pas faite.
DÉJANIRE.
Nous saurons bientôt à quoi nous en tenir, car je vois Lichas déjà hors du palais ; dans peu de temps il sera près d’Hercule. Seulement je vous recommande le plus profond silence ; quand on fait le mal en secret, on échappe du moins à la honte.



LICHAS.
Que dois-je faire ? dis-le moi, fille d’Œneus ; car j’ai déjà tardé longtemps à partir.
DÉJANIRE.
J’y ai pensé ainsi que toi, Lichas, tandis que tu t’entretenais, dans l’intérieur, avec ces femmes étrangères ; tu porteras de ma part à mon époux ce péplus d’un tissu

précieux, comme un don de ma main[68]. En le donnant, avertis-le qu’aucun mortel ne le revêtisse avant lui, il ne doit être vu ni de la clarté du soleil, ni de l’enceinte sacrée[69], ni du foyer domestique, avant le jour où il paraîtra devant les dieux pour leur immoler des taureaux[70]. Car j’ai fait vœu que, si jamais je le voyais ou le savais sain et sauf dans le palais, je le revêtirais solennellement de cette tunique, et il offrirait aux dieux un sacrifice dans une robe nouvelle[71]. Et pour confirmer ce message, tu lui porteras un signe qu’il reconnaîtra aisément, puisqu’il y verra l’empreinte de ce cachet. Pars donc, et en messager fidèle, observe avant tout la loi de ne rien ajouter aux ordres que tu as reçus ; par là, tu mériteras à la fois ma bienveillance et celle d’Hercule.

LICHAS.
Puisque je remplis sérieusement l’office de Mercure, je ne manquerai en rien à mon devoir envers toi, de remettre ce coffre dans l’état où il est, et de répéter fidèlement tes paroles.
DÉJANIRE.
Pars à l’instant ; car tu sais à fond en quel état les choses sont dans ce palais.
LICHAS.
Je le sais, et je dirai à Hercule que tout va bien.
DÉJANIRE.
Tu connais aussi, pour l’avoir vu, l’accueil amical que j’ai fait à la jeune étrangère.
LICHAS.
Oui, et mon cœur en a été saisi de joie.
DÉJANIRE.
Que pourrais-tu dire encore ? car je crains de te faire parler du désir que j’ai de le revoir, avant de savoir si je suis moi-même désirée par lui.



LE CHŒUR.
(Strophe 1.) O vous qui habitez les ports de ces parages, et les bains d’eaux chaudes qu’entourent les rochers, et les hauteurs de l’Œta, et le golfe Maliaque, et le rivage de la chaste déesse aux flèches d’or[72], lieux où les Grecs célèbrent les assemblées des Thermopyles[73],

(Antistrophe 1 .) La flûte aux sons mélodieux va bientôt vous faire entendre ses accents retentissants, qui n’ont rien de discordant, mais qui, accompagnée des chants sacrés, égale la douceur de la lyre. Car le fils de Jupiter et d’Alcmène revient dans son palais, chargé de dépouilles conquises par son courage :

(Strophe 2.) Tandis qu’il errait sur les mers, loin de sa patrie, nous sommes restées douze mois entiers à l’attendre, sans rien savoir de lui. Hélas ! sa triste épouse, le cœur accablé de douleur, se consumait sans relâche dans les larmes ! Mais enfin Mars[74], en terminant la guerre d’Œchalie, l’a délivrée des peines qui affligeaient ses jours.

(Antistrophe 2.) Qu’il revienne, qu’il revienne ; que son vaisseau, poussé par mille rames, ne s’arrête qu’après avoir atteint notre port, et qu’abandonnant cette île[75] où il sacrifie, il arrive, appelé par nos vœux[76], le cœur changé par ce charme séducteur, selon la promesse du centaure !
DÉJANIRE.
O femmes ! que je crains d’avoir été trop loin dans tout ce que j’ai fait !
LE CHŒUR.
Qu’y a-t-il donc, Déjanire, fille d’Œneus ?
DÉJANIRE.
Je ne sais ; mais je tremble de reconnaître bientôt qu’une espérance trompeuse m’a rendue l’instrument de quelque malheur.
LE CHŒUR.
Ne s’agirait-il donc pas des présents que tu as envoyés à Hercule ?
DÉJANIRE.
Oui, sans doute ; aussi, jamais je ne conseillerai à personne de tenter une épreuve incertaine[77].
LE CHŒUR.
Apprends-nous, s’il est possible, le sujet de tes craintes.


DÉJANIRE.
Il m’est arrivé une chose qui, si je vous la raconte, ô femmes, vous surprendra comme un prodige inattendu. En effet, le blanc flocon de laine d’une brebis à la belle toison, que j’avais pris pour teindre cette tunique, je l’ai vu se dissiper en fumée, sans être touché par une main mortelle[78], mais se consumer de lui-même, et se résoudre en cendres, sur la terre où il était tombé. Mais, pour que vous sachiez comment tout s’est passé, je m’expliquerai plus longuement. Je n’ai omis aucune des instructions que me donna le farouche Centaure, quand une flèche meurtrière lui eut déchiré les flancs, j’en ai conservé le

souvenir ineffaçable, comme si elles avaient été gravées sur une table d’airain ; il me recommanda, et je l’ai fait exactement[79], de garder ce sang dans le réduit le plus secret, loin de la flamme et des rayons du jour, jusqu’au moment où je l’appliquerais fraîchement. Je me suis conformée à ses prescriptions ; et aujourd’hui, voulant m’en servir, je me suis retirée à l’écart, et j’ai teint une tunique avec la toison arrachée à une brebis de nos troupeaux, j’ai ensuite plié cette tunique, et l’ai renfermée dans un coffre, sans l’exposer à la lumière du soleil, pour l’envoyer à Hercule, comme vous l’avez vu. Mais en rentrant, je vois un prodige incroyable, incompréhensible pour l’homme : ces flocons de laine arrachés à la brebis pour teindre la tunique[80], je les avais jetés par mégarde au grand air, aux rayons du soleil ; à peine échauffés, ils se dissipent et se réduisent en poussière, assez semblable à celle du bois coupé par la scie ; et sur la terre où ils gisaient, bouillonnait une écume qui se figeait, comme de la grappe mûre jaillit l’épaisse liqueur de la vigne consacrée à Bacchus. Dans ma détresse, je ne sais que penser, et déjà je me vois coupable de quelque crime affreux. Quelle raison, en effet, aurait eue ce monstre, en mourant, de me montrer de l’affection, à moi qui causais sa mort ? Non ; mais il m’a flattée d’espoir, afin de perdre celui qui l’avait percé de ses flèches. Hélas ! je le comprends trop tard, quand le mal est sans remède. C’est moi seule, infortunée, si mon pressentiment ne m’abuse, qui l’aurai fait périr ! Je sais, en effet, qu’une de ses flèches causa d’insupportables douleurs à Chiron[81], qui était immortel, et qu’elles donnent la mort à toutes les bêtes sauvages qu’elles atteignent ; comment donc échapperait-il au venin qui découla de la blessure du monstre, du moins autant que j’en puis juger ? Mais je suis résolue, s’il lui arrive malheur, de mourir aussi, du même coup. Car vivre déshonorée n’est pas supportable, pour une femme qui préfère à tout le renom d’une âme bien née.

LE CHŒUR.
Sans doute il est nécessaire de reculer devant les actes horribles ; mais il ne faut pas bannir toute espérance avant l’événement.
DÉJANIRE.
Dans les desseins coupables, il ne reste plus même d’espérance capable de rassurer notre cœur.
LE CHŒUR.
Mais la colère s’adoucit[82] pour les fautes involontaires, et la tienne mérite l’indulgence.
DÉJANIRE.
Ce n’est pas l’auteur du mal qui peut parler ainsi, mais celui qui ne porte pas le poids du crime.
LE CHŒUR.
Mieux vaudrait pour toi garder le silence sur ce fait, si tu ne veux en parler à ton fils ; car le voici de retour, après être allé à la recherche de son père.



HYLLUS.
O ma mère[83] ! que n’as-tu cessé de vivre ? ou que n’es-tu la mère d’un autre, ou que n’as-tu au fond du cœur des sentiments moins coupables ?
DÉJANIRE.
Qu’ai-je donc fait, ô mon fils, qui mérite tant de haine ?
HYLLUS.
Sache que ton époux, sache que mon père a reçu en ce jour le coup mortel de ta main.
DÉJANIRE.
Hélas ! mon fils ! que m’annonces-tu là ?
HYLLUS.
Un fait malheureusement trop réel, car l’acte une fois commis n’est-il pas irrévocable[84] ?
DÉJANIRE.
Que dis-tu, mon fils ? quel homme a pu avec certitude m’accuser d’avoir commis un crime si odieux ?
HYLLUS.
Moi-même, j’ai vu les cruelles souffrances de mon père, ce n’est pas par ouï-dire.
DÉJANIRE.
Où l’as-tu rencontré ? où l’as-tu vu ?
HYLLUS.
Puisqu’il faut que tu le saches, je dois te dire tout. Lorsque, après avoir ruiné la célèbre ville d’Eurytos, il partit, emportant les trophées de la victoire, et les prémices

réservées aux dieux, il s’arrêta en Eubée, sur le cap Cénée battu des deux côtés par les flots, où il éleva des autels à Jupiter[85] son père, et les orna de feuillage, et c’est là que j’eus le bonheur de le voir, après l’avoir si longtemps désiré. Au moment où il allait faite couler sur l’autel le sang des victimes, arriva le héraut Lichas, apportant ton présent, la tunique mortelle. Hercule la revêtit selon ton désir ; il immole douze taureaux superbes[86], prémices de ses dépouilles, puis il présente aux autels d’autres victimes, en tout, cent de toute espèce. Et d’abord l’infortuné, le cœur joyeux, satisfait de sa nouvelle parure, adressait aux dieux ses prières ; mais à peine la flamme du sacrifice s’éleva-t-elle du bûcher pour consumer les victimes, la sueur coule de son corps, la tunique s’attache à ses flancs et se colle sur sa chair[87] ; une douleur cuisante pénètre jusqu’à la moelle de ses os, puis un venin mortel comme celui de l’hydre fatale dévore ses membres. Alors il appelle le malheureux Lichas, qui était innocent de ton crime, et lui demande par quelle trahison il lui a apporté cette tunique ; l’infortuné, qui ne savait rien, répond que le présent venait de toi seule, qui l’avais chargé de l’apporter. En ce moment, une convulsion violente déchire les entrailles d’Hercule, il prend Lichas par le talon[88], et le lance contre un rocher battu par les flots ; de sa tête entr’ouverte, la cervelle jaillit sur sa chevelure avec le sang. Tout le peuple jette un cri lamentable, à la vue de Lichas broyé et d’Hercule en délire, et personne n’osait l’approcher, il se roulait à terre, puis se relevait en poussant des cris aigus, qui faisaient retentir les rochers d’alentour, les montagnes escarpées des Locriens et les promontoires de l’Eubée. Enfin épuisé, l’infortuné, tantôt retombant à terre, tantôt jetant des cris affreux, maudit le funeste hymen qui l’unit à toi, malheureuse, et cette alliance avec Œneus, devenue le fléau de sa vie ; puis, levant ses yeux hagards et troublés[89], il m’aperçoit dans la foule où je fondais en larmes, et m’appelle : « Viens, mon fils, ne me fuis pas dans mon malheur, dusses-tu expirer avec moi ; enlève-moi de ces lieux, et surtout dépose-moi en un lieu où nul mortel ne puisse me voir ; mais si tu as quelque pitié, porte-moi au plus tôt loin de cette ile, ne me laisse pas mourir ici. » Après cette demande, nous le plaçons sur un esquif, et nous l’avons à grand’peine amené sur ces bords, rugissant au milieu des convulsions ; vous allez le voir tout à l’heure, ou vivant encore, ou venant d’expirer. Tel est, ô ma mère, l’attentat que tu as médité et accompli contre mon père ; puisse la Justice vengeresse, puisse Érinnys en tirer le châtiment mérité, s’il m’est permis de former un pareil vœu ! Oui, je le puis, car tu as la première violé tout devoir, en faisait périr le plus grand des hommes qui aient paru sur la terre, et dont tu ne verras jamais l’égal.

LE CHŒUR.
Pourquoi le retires-tu sans répondre ? Ne vois-tu pas que par ton silence tu t’accuses toi-même[90] ?
HYLLOS.
Laissez-la se retirer. Puisse un vent favorable hâter sa fuite et l’éloigner de mes regards ! Lui siérait-il, en effet, d’être fière à tort du nom de mère, elle dont l’action n’a

rien d’une mère ? Qu’elle parte donc contente ; le bonheur qu’elle a donné à mon père, puisse-t-elle l’obtenir à son tour !



LE CHŒUR.
(Strophe 1.) Voyez, ô jeunes compagnes, avec quelle promptitude s’est accomplie cette ancienne parole de l’oracle, qui prédit que le fils de Jupiter, quand la douzième moisson[91] serait achevée et le nombre de ses mois révolu[92], verrait enfin le terme de ses travaux ; et un vent favorable accomplit le cours de ces événements. Car comment celui qui ne voit plus la lumière pourrait-il encore, après sa mort, être soumis à une si laborieuse servitude ?

(Antistrophe 1.) Si la perfidie fatale du centaure l’enveloppe des ombres du trépas[93], en livrant ses flancs au poison enfanté par la mort et par l’hydre monstrueuse, comment pourrait-il voir encore la lumière, lorsque le sang de l’hydre terrible le consume, et que le venin meurtrier du centaure à la noire crinière, mêlé dans ses veines, dévore ses entrailles[94] ?

(Strophe 2.) Cette infortunée, imprévoyante de ces effets funestes, et voulant prévenir le malheur dont la menaçait ce nouvel hymen, ne remarqua pas que ces conseils partaient d’une âme ennemie, dont le commerce devait être fatal ; et maintenant la malheureuse gémit, elle verse des torrents de larmes ; mais le destin s’avance et révèle un grand désastre perfidement préparé.

(Antistrophe 2.) Une source de larmes s’est ouverte, le mal se répand et s’accroît ; ô dieux ! jamais le noble fils de Jupiter n’eut à souffrir de ses ennemis mêmes des maux si dignes de pitié. O trop funestes armes, qui, renversant les murs élevés d’Œchalie, amenèrent ici cette jeune captive ! Mais c’est Vénus qui, en servant secrètement leurs amours, a été la cause[95] véritable de tous ces maux.

LE CHŒUR.
Me trompé-je ? n’entends-je pas des gémissements qui s’échappent du fond de ce palais ? que dois-je dire ?

Bien certainement j’entends des cris, ce sont des cris de douleur ; il est arrivé quelque chose de nouveau dans cette demeure.

Mais vois cette vieille qui s’avance vers nous, le visage attristé, le front obscurci ; elle nous apprendra ce qui se passe.



LA NOURRICE.
O jeunes filles, de quels maux terribles pour nous le présent envoyé à Hercule a été la cause !
LE CHŒUR.
Quelle nouvelle, ô vieille, nous apportes-tu ?
LA NOURRICE.
Déjanire a, sans faire un pas, terminé le dernier des voyages[96].
LE CHŒUR.
Ce n'est assurément pas sa mort que tu nous annonces ?
LA NOURRICE.
J’ai tout dit.
LE CHŒUR.
L infortunée est-elle morte ?
LA NOURRICE.
Je le répète.
LE CHŒUR.
Ah ! malheureuse ! de quelle manière dis-tu qu’elle a péri ?
LA NOURRICE.
De la manière la plus triste, si l'on songe à l’acte même.
LE CHŒUR.
Dis-moi, femme, quelle fin a terminé sa vie ?
LA NOURRICE.
Elle-même s’est donné la mort.
LE CHŒUR.
Quel délire ou quel mal a causé la mort de cette femme, instrument d’un trépas funeste[97] ? Comment a-t-elle pu seule accomplir le dessein d'ajouter sa mort à une autre mort ?
LA NOURRICE.
Par le tranchant d’un fer cruel.
LE CHŒUR.
Tu as vu, malheureuse, ce spectacle horrible ?
LA NOURRICE.
J’ai tout vu, car j’étais auprès d’elle.
LE CHŒUR.
Comment la chose s’est-elle passée ? dis-le-moi, je te prie ?
LA NOURRICE.
C’est elle qui, de sa main, s’est frappée elle-même.
LE CHŒUR.
Que dis-tu ?
LA NOURRICE.
La vérité.
LE CHŒUR.
Cette jeune épouse nouvellement arrivée a attiré sur cette maison de grands désastres.
LA NOURRICE.
Trop sans doute ! mais si tu avais vu de près tout ce qu’elle a fait, ta pitié serait bien plus vive encore.
LE CHŒUR.
Et le bras d’une femme a osé accomplir un tel acte ?
LA NOURRICE.
D’une manière terrible ; mais je vais te l’apprendre, et tu reconnaîtras la vérité de mon récit[98]. Après qu’elle fut rentrée seule dans le palais, et qu’elle eut vu son fils préparer une litière pour retourner au devant d’Hercule, elle se cacha en un lieu où nul ne pût la voir, puis, tombant au pied des autels, elle se plaignit avec des cris lamentables de ce qu’elle devenait veuve ; et si elle touchait quelqu’un des objets jadis à son usage, l’infortunée pleurait ; errante çà et là dans le palais, si quelqu’un de ses fidèles serviteurs se trouvait sur ses pas, la malheureuse pleurait à cette vue, accusant elle-même sa propre destinée, et gémissant sur sa maison désormais privée d’enfants. Mais après ces premiers épanchements, je la vois s’élancer tout à coup vers la chambre d’Hercule ; et moi, cachée dans l’obscurité, je l’observais en silence ; je la vois étendre de riches couvertures sur le lit d’Hercule, puis, quand elle eut terminé ces apprêts, s’élancer, s’y asseoir, et dire avec des torrents de larmes : « O lit, ô couche nuptiale, adieu pour jamais ! car vous me recevez ici pour la dernière fois. » À ces mots, d’une main assurée elle détache l’agrafe d’or qui fixait sur son sein le haut de son péplus, et se découvre l’épaule et le bras gauche tout entier[99] ; et moi, hâtant ma course autant que je le pouvais, je vas annoncer ces apprêts à son fils ; mais, pendant cette allée et venue rapide, nous la voyons se frapper d’un glaive à double tranchant, sous le foie et les entrailles[100]. À cette vue, son fils pousse un cri ; instruit trop tard de ce qui s’était passé dans le palais, le malheureux comprit le désespoir qui avait porté

Déjanire à se frapper, pour se punir d’avoir été induite par le Centaure à cet acte odieux. Alors, ce fils infortuné, donnant un libre cours à ses larmes, ne cessait de gémir et de la couvrir de ses baisers, puis il se jetait auprès d’elle, et restait étendu à ses côtés, se désolant de l’avoir injustement accusée[101], et d’être à la fois privé de sa mère et de son père pour le reste de sa vie. Telles sont leurs infortunes. Celui donc qui compte sur deux ou plusieurs jours de vie est insensé, car on n’est pas sûr même du lendemain, avant d’avoir heureusement passé le jour présent.



LE CHŒUR.
(Strophe 1.) À qui donnerai-je d’abord mes regrets ? De quel côté est le sort le plus funeste ? hélas ! je ne saurais le décider.

(Antistrophe l.) Ici, nous avons un douloureux spectacle, là une attente cruelle ; spectacle ou attente également déplorables.

(Strophe 2.) Puisse un vent favorable, soufflant sur nos demeures, m’enlever loin de ces lieux[102], de peur que la seule vue du vaillant fils de Jupiter ne me fasse mourir aussitôt de terreur ! Car on dit qu’il revient devant ce palais, déchiré par des souffrances incurables, triste objet d’effroi !

(Antistrophe 2.) Il est donc près de nous, et son approche me fait gémir comme le rossignol plaintif. Voici, en effet, un cortège inaccoutumé d’étrangers. Où le portent-ils ? avec une sollicitude amie, ils s’avancent d’un pas lent et silencieux. Hélas ! il est lui-même sans voix. Que dois-je penser ? est-il mort, ou sommeille-t-il ?

(Ici l’on voit s’avancer le cortège qui accompagne le corps d’Hercule, que l’on apporte endormi sur le devant de la scène.)

HYLLOS.
Hélas ! mon père ! quel malheur me causent tes souffrances ! Que faire ? que résoudre ? Ah ! malheur à moi !
UN VIEILLARD.
Tais-toi, mon enfant, de peur de réveiller les cruelles douleurs d’un père furieux. Car il respire encore, quoique déjà voisin du trépas. Comprime, étouffe tes cris[103].
HYLLOS.
Que dis-tu, vieillard ? il vit ?
LE VIEILLARD.
Prends garde de le tirer de son assoupissement, et ne va pas ranimer une maladie terrible, délirante, ô mon fils !
HYLLOS.
Mais mon triste cœur éclate, sous le poids intolérable de sa douleur.
HERCULE.
O Jupiter ! en quel lieu de la terre suis-je arrivé ? Chez quels mortels me vois-je étendu, en proie à d’incurables souffrances ? Hélas ! malheureux que je suis ! voici de nouveau le mal cruel qui me dévore. Hélas !
LE VIEILLARD.
Ne savais-tu donc pas qu’il valait mieux cacher ta douleur en silence, et ne pas écarter le sommeil de ses yeux ?
HYLLOS.
Ah ! c’est que je ne saurais comment supporter l’aspect de ses souffrances !
HERCULE.
Autels que j’élevais sur le promontoire de Cénée ! quel prix me réserviez-vous, à moi malheureux, pour de si riches offrandes ! O Jupiter, à quel affront as-tu livré ton fils ! Plût aux dieux que je n’eusse jamais connu de tels maux, et ressenti ces incurables douleurs, qui causent mon délire ! Quel enchanteur, quelle main expérimentée dans l’art de guérir, si ce n’est celle de Jupiter, aurait la puissance de les calmer ? Ne puis-je voir un tel miracle[104], même de loin ? Ah ! ah ! laissez-moi endormir mes souffrances, laissez-moi dormir pour la dernière fois ! Pourquoi me toucher ? pourquoi m’incliner ? cruel ! tu me fais périr. Tu as réveillé le mal assoupi, tu me blesses !.... il s’attache à moi, ô malheur ! Voici qu’il revient. Où êtes-vous, ô les plus ingrats de tous les Grecs, vous dont j’ai tant de fois purgé les mers et les forêts, au péril de ma vie ? Et maintenant, dans mes souffrances, personne ne m’apportera-t-il le fer ou la flamme qui doit me guérir[105] ? Ah ! personne ne voudrait-il me trancher la tête, et me délivrer d’une vie odieuse ? Hélas ! hélas !
LE VIEILLARD.
O fils de ce héros ! mes forces seraient impuissantes à le secourir ; viens donc toi-même à son aide ; car ton œil trouvera plus aisément que le mien les moyens de le sauver.
LA NOURRICE.
Me voici, je le touche de mes mains ; mais je ne saurais, ni par moi-même, ni par aucun autre, découvrir de remède qui lui fasse oublier ses douleurs. C’est Jupiter qui

les envoie.

HERCULE.
Mon fils, ô mon fils, où es-tu ? par ici, prends-moi par ici, soulève-moi. Hélas ! cruel destin ! il s’élance de nouveau sur moi, je le sens, il s’élance, ce mal qui me tue ! impitoyable, cruel ! ô Pallas, Pallas ! je sens ses nouvelles atteintes. O mon fils ! par pitié pour ton père, tire le glaive, plonge-le dans mon sein[106] ; on ne saurait t’en faire un crime. Guéris les maux qui causent mon délire, et que je dois à ta mère impie ! Puissé-je aussi la voir à son tour, en proie au même supplice[107] ! Frère de Jupiter, secourable Pluton, viens, assoupis-moi du sommeil de la mort ; ôte la vie à un infortuné.
LE CHŒUR.
Je frémis, chères compagnes, de voir tant d’infortunes rassemblées sur un si grand héros.
HERCULE[108].
Que d’épreuves, que de rudes travaux ont déjà exercé mes bras et mes épaules[109] ! Mais jamais encore, ni l’épouse de Jupiter, ni l’odieux Eurysthée ne me furent si funestes que la fille d’Œneus, dont la perfidie m’enveloppe de cette tunique, tissue par les mains des Furies[110], et qui me fait mourir. Il s’attache à mes flancs, il dévore mes entrailles, il pénètre dans mes veines, et tarit jusqu’à la source de mon sang, et tout mon corps se dissout, enlacé dans ces liens inextricables[111]. Ainsi, ce que n’ont pu ni de puissantes armées, ni les Géants, enfants de la Terre, ni les Centaures , ni la Grèce, ni les Barbares, ni toute la Terre purgée de tant de monstres, une femme, une femme seule, avec la faiblesse de son sexe, m’a fait périr, sans le secours du glaive. O mon fils, montre-toi vraiment digne de ce nom, et ne te laisse pas imposer par le titre de mère. Livre-la-moi, que ta main la traîne jusqu’à moi, pour que je sache clairement si tu as plus de compassion pour mes souffrances, que pour la vue de son corps, victime d’un châtiment mérité. Va, mon fils, ose m obéir, aie pitié d’un père, dont la destinée est assez lamentable, moi qui pousse des gémissements comme une vierge timide, et pourtant personne ne m’a jamais vu cette indigne faiblesse ; mais j’ai toujours supporté mes revers sans gémir, et maintenant la violence du mal m’arrache des pleurs efféminés[112] ! Viens donc, approche-toi de ton père, et contemple les maux qui m’accablent. Car je vais me montrer sans voile à vos yeux. Vous tous, regardez ce corps en lambeaux, voyez mes souffrances et mon état pitoyable. Hélas ! hélas ! malheureux que je suis ! ah ! ah ! la convulsion du mal me brûle de veau[113], il pénètre mes flancs. Le cruel fléau qui me dévore, ne me laissera pas de relâche. O Pluton, reçois-moi dans les enfers ; foudre de Jupiter, frappe-moi ! Roi des dieux, ô mon père, jette, lance sur moi les traits de ta foudre ! Car il se ranime encore, il me consume, il m’attaque avec toute sa fureur ! O mains redoutables ! poitrine robuste ! bras qui m’étiez si chers ! est-ce vous qui domptiez le lion de Némée, ce fléau des pâtres, ce monstre énorme et terrible, et l’hydre de Lerne, et les Centaures, race à double forme, aux jambes de coursiers, outrageuse, déréglée, violente, et le sanglier d’Érymanthe, et aux enfers, le chien à trois têtes, monstre invincible, issu de l’horrible Échidna[114], et aux extrémités du monde, le dragon gardien des pommes d’or[115] ? J’ai affronté bien d’autres périls innombrables, et jamais nul ennemi ne triompha de moi ! et maintenant brisé, déchiré, je suis consumé par un poison insaisissable, moi que l’on dit fils d’une mère illustre et de Jupiter, maître des cieux. Mais sachez-le bien, quoique je ne sois plus qu’une ombre, et que je ne puisse me soutenir, il me reste du moins assez de forces pour me venger de celle qui m’a causé ces maux. Qu’elle approche seulement, afin de montrer à tous par son expérience, qu’Hercule, pendant sa vie et à sa mort même, a châtié les méchants.
LE CHŒUR.
O malheureuse Grèce ! à quel deuil je la vois condamnée, si ce héros lui est ravi !
HYLLOS.
O mon père, puisque tu m’as permis de répondre, prête silence et écoute-moi, malgré le mal dont tu souffres. Car je ne te demanderai rien que ce qui est juste. Cède à ma prière[116], et calme ce ressentiment qui dévore ton cœur, car tu ne pourrais ainsi reconnaître ce que tes vœux ont d’intempestif, et ta colère d’inutile.
HERCULE.
Dis-moi vite ce que tu as à me dire, car mes souffrances m’empêchent de comprendre ces longues énigmes.
HYLLOS.
Je veux te parler de ma mère, de son sort présent, et de son crime involontaire.
HERCULE.
O le plus pervers des hommes ! tu oses encore rappeler le souvenir d’une mère qui a tué ton père ! tu veux que j’entende son nom !
HYLLOS.
C’est que les choses en sont au point où le silence n’est plus possible.
HERCULE.
Non, ne me parle point d’elle, après le crime qu’elle a commis.
HYLLOS.
Tu ne me défendras pas du moins de te dire ce qu’elle a fait aujourd’hui.
HERCULE.
Eh bien ! parle, mais prends garde de te montrer indigne de moi.
HYLLOS.
Je parle. Ma mère est morte, le fil de ses jours vient d’être tranché.
HERCULE.
Par quelle main ? il y a quelque maléfice dans le prodige que tu m’annonces.
HYLLOS.
Elle-même s’est donné la mort, nul autre ne l’a frappée.
HERCULE.
Ah ! malheur ! avant de périr de ma main, comme elle le devait !
HYLLOS.
Toi aussi, tu calmerais ta colère, si tu savais tout.
HERCULE.
Tes paroles sont étranges ; explique donc ce que tu veux dire.
HYLLOS.
Voici la vérité ; elle a failli, avec une intention honnête.
HERCULE.
Quoi ! honnête, misérable ! quand elle a tué ton père ?
HYLLOS.
Dans l’espoir de s’assurer ton amour par un philtre, elle s’est égarée, à la vue de cette nouvelle épouse.
HERCULE.
Y a-t-il parmi les Trachiniens un enchanteur si habile ?
HYLLOS.
Le centaure Nessos, qui n’est plus, lui avait persuadé que ce philtre réveillerait ton amour.
HERCULE.
Hélas ! hélas ! c’est fait de moi ! je suis perdu, oui, je suis perdu, je ne verrai plus la lumière. Je comprends enfin à quelle extrémité je suis réduit. Pars, mon fils, car tu n’as plus de père ; appelle auprès de moi tous tes frères, appelle aussi l’infortunée Alcmène[117], que Jupiter nomma vainement son épouse, pour entendre les oracles qui prononcèrent autrefois sur mon sort, autant que je me les rappelle aujourd’hui.
HYLLOS.
Alcmène n’est pas en ces lieux, mais à Tyrinthe, sur les bords de la mer[118], où elle a fixé sa demeure ; elle y a emmené plusieurs de tes enfants qu’elle élève ellemême, et d’autres[119] habitent la ville de Thèbes. Mais nous, qui sommes ici présents, si tu as des ordres à nous donner, mon père, nous les exécuterons fidèlement.
HERCULE.
Toi donc, écoute-moi : te voici en âge de montrer par tes actes si tu es digne d’être appelé mon fils. Jadis, en effet, mon père m’avait prédit que nul homme vivant ne me donnerait la mort, mais qu’un jour je la recevrais d’un habitant des enfers. C’est donc le farouche Centaure, conformément à l’oracle divin, qui, après sa mort, m’ôte ainsi la vie. Je te révélerai encore un autre oracle plus récent, qui s’accorde avec le premier, et le confirme ; je l’écrivis tel qu’il me fut rendu par un des chênes prophétiques consacrés à mon père, quand j’entrai dans le bois sacré des Selles[120] montagnards, qui couchent sur la terre ; il m’annonça aussi qu’au temps même où nous sommes, je verrais le terme des travaux qui me furent imposés ; et j’espérais de ces paroles une vie heureuse ; mais elles m’annonçaient seulement que je dois mourir ; et, en effet, les morts n’ont plus de travaux à subir. Maintenant donc que l’événement se déclare, il te convient, mon fils, de me donner une nouvelle assistance, et, sans attendre que mes paroles s’aigrissent, de t’empresser à me seconder, fidèle à la loi sacrée qui prescrit d’obéir à son père.
HYLLOS.
O mon père, je tremble d’avoir engagé une telle contestation ; mais je t’obéirai en tout ce que tu me commanderas.
HERCULE.
Donne-moi d’abord ta main droite.
HYLLOS.
Et pourquoi me demandes-tu si vivement ce gage de foi ?
HERCULE.

Hésites-tu à me le donner ? refuserais-tu de me complaire ?

HYLLOS.
La voici, et je ne te refuserai rien.
HERCULE.
Jure à présent par la tête de Jupiter, qui m’a donné le jour.
HYLLOS.
Que dois-je jurer de faire ? je suis tout prêt.
HERCULE.
Que tu exécuteras les ordres que je te donnerai.
HYLLOS.
Je le jure, et j’en prends Jupiter à témoin.
HERCULE.
Si tu violes ton serment, appelle sur toi des malédictions.
HYLLOS.
Les imprécations sont inutiles, car je t’obéirai ; toutefois j’y voue ma personne.
HERCULE.
Tu connais le mont Œta, consacré à Jupiter ?
HYLLOS.
Oui , j’y ai souvent offert des sacrifices sur le sommet.
HERCULE.
Eh bien ! c’est là que tes mains et celles des amis que tu choisiras, devront porter mon corps, et après avoir coupé un grand nombre de chênes aux racines profondes, et d’oliviers sauvages, tu y placeras mon corps, et prenant une torche de pin ardente, tu mettras le feu au bûcher. Mais point de pleurs ni de gémissements ; si tu es vraiment mon fils, accomplis ce devoir avec fermeté, sans une larme, sans un soupir ; autrement, je t’ attendrai, et une fois descendu aux enfers, mes imprécations pèseront toujours sur toi.
HYLLOS.
Hélas ! mon père, qu’as-tu dit ? quel acte exiges-tu de moi ?
HERCULE.
Ce qu’il faut accomplir ; sinon, je ne suis plus ton père, et tu n’es plus mon fils[121].
HYLLOS.
Hélas ! encore une fois, à quel crime me contrains-tu, mon père ? que je sois meurtrier, parricide !
HERCULE.
Non, ce n’est pas là ce que je veux ; mais, dans les maux auxquels je suis en proie, sois mon sauveur, mon seul libérateur.
HYLLOS.
Comment serai-je ton libérateur, en livrant ton corps aux flammes ?
HERCULE.
Mais si ce triste office t’épouvante, au moins fais le reste.
HYLLOS.
Certes, je ne refuse pas de porter ton corps.
HERCULE.
Et le bûcher que je t’ai demandé, le construiras-tu aussi ?
HYLLOS.
Pourvu que ma main n’y mette pas la flamme, je suis prêt à faire le reste, et tu n’auras rien à regretter de ma part.
HERCULE.
Cela suffira ; à ces importants services ajoute encore une légère grâce.
HYLLOS.
Quoi que tu me demandes, je le ferai.
HERCULE.
Tu connais sans doute la fille d’Eurytos ?
HYLLOS.
C’est Iole que tu veux dire, je le suppose.
HERCULE.
Elle-même. Je te fais donc, mon fils, cette dernière recommandation : quand j’aurai cessé de vivre, si tu as quelque respect pour ma mémoire, si tu te souviens des serments prêtés à ton père, prends-la pour épouse, ne rejette pas mes vœux. Qu’aucun autre homme que toi ne reçoive celle qui partagea ma couche ; ô mon fils, sois toi-même son époux. Cède à mes désirs : le refus de cette légère faveur te ferait perdre tout le mérite de tes premiers bienfaits.
HYLLOS.
Grands dieux ! si tu es en délire, m’irriter contre toi serait mal ; mais si tu es dans ton bon sens, comment supporter de pareilles propositions ?
HERCULE.
Ainsi tu refuses de rien faire de ce que je te demande ?
HYLLOS.
Quoi donc ! épouser celle qui seule a causé la mort de ma mère, et l’état déplorable où je te vois ! Quel homme pourrait s’y résoudre, à moins d’être aveuglé par les dieux vengeurs ? Mieux vaut mourir moi aussi, ô mon père, que vivre avec mes plus cruels ennemis.
HERCULE.
Voilà un homme qui paraît vouloir manquer à ses devoirs envers son père mourant ! Mais la malédiction des dieux t’atteindra, si tu désobéis à mes ordres.
HYLLOS.
Hélas ! ton langage annonce l’approche de ton mal[122].
HERCULE.
C’est toi, en effet, qui réveilles mes douleurs assoupies.
HYLLOS.
Malheureux ! en quels embarras je me trouve !
HERCULE.
Tu ne juges donc pas à propos d’obéir à ton père ?
HYLLOS.
Mais apprendrai-je donc, mon père, à faire une action impie ?
HERCULE.
Il n’y a pas d’impiété à réjouir mon cœur.
HYLLOS.
Tu m’ordonnes donc absolument de le faire ?
HERCULE.
Oui, je te l’ordonne, et j’en atteste les dieux !
HYLLOS.
Eh bien ! je le ferai, je ne résisterai plus, en prenant les dieux à témoin que tu me le commandes ; car jamais je ne saurais être coupable, en t’obéissant, mon père.
HERCULE.
Tu parles enfin un digne langage ; ajoute à ces bienfaits, mon fils, la grâce de la promptitude ; pose-moi sur le bûcher avant que mes douleurs se raniment et que la fureur m’égare. Allons, hâtez-vous, enlevez-moi ; oui, voilà le terme de mes souffrances, c’est la fin de ma vie.
HYLLOS.
Rien n’empêche plus que tes ordres s’accomplissent, puisque tu le commandes, et que tu nous y contrains, mon père.
HERCULE.
Allons, ô mon âme[123], endurcie par les souffrances,

avant que ce mal ne se réveille, mets à ma bouche un frein d’airain, et comprime tes cris, pour accomplir avec joie, toute pénible qu’elle est, cette dernière épreuve.

HYLLOS.
Enlevez-le, mes compagnons, lavez-moi de tout reproche, vous, témoins des événements qui se passent ici, et faites-en retomber l’iniquité sur les dieux, qui , après lui avoir donné le jour et l’avoir nommé leur fils, le voient souffrir ainsi sans pitié[124]. Nul mortel ne prévoit l’avenir, mais le présent est affligeant pour nous, honteux pour les dieux, cruel surtout pour le héros qui, entre tous les hommes, subit de telles souffrances.
LE CHŒUR.
Vous aussi, jeunes Trachiniennes, ne restez pas en ces lieux, et suivez-nous ; vous venez de voir des morts récentes de grands personnages, et bien des calamités inouïes ; mais aucun de ces faits ne s’est accompli que par la volonté de Jupiter[125].


FIN DES TRACHINIENNES.
NOTE SUR LE VERS 1063

DES TRACHINIENNES.



Sed videamus Herculem ipsum, qui tum dolore frangebatur, quum immortalitatem ipsa morte quærebat. Quas bic voces apud Sophoclem in Trachiniis edit ? Cui quum Dejanira sanguine Centauri tinctam tunicam induisset, inhæsissetque ea visceribus, ait ille :

O multa dictu gravia, perpessu aspera,
Quæ corpore exantlavi, atque animo pertuli !
Nec mihi Junonis terror implacabilis,
Nec tantum invexit tristis Eurystheus mali,
Quantum una vecors Œnei partu edita.
Hæc me irretivit veste furiali inscium ;
Quæ lateri inhærens morsu lacerat viscera,
Urgensque graviter pulmonum haurit spiritus.
Jam decolorem sanguinem omnem exsorbuit :
Sic corpus clade horribili absumptum extabuit.
Ipse illigatus peste interimor textili.
Hos non hostilis dextra, non Terra édita
Moles Gigantum, non biformato impetu
Centaurus ictus corpori infixit meo,
Non Graia vis, non barbara ulla immanitas,
Non sæva terris gens relegata ultimis,
Quas peragrans, undique omnem hinc feritatem expuli :
Sed feminea vi, feminea interimor manu.
O nate, vere hoc nomen usurpa patri,
Nec me occidentem matris superet caritas ;
Huc arripe ad me manibus abstractam piis.
Jam cernam, mene, an illam potiorem putes.
Perge, aude, nate, illacryma patris pestibus ;
Miserere ! gentes nostras flebunt miserias.
Heu ! virginalem me ore ploratum edere,
Quem vidit nemo ulli ingemiscentem malo ?
Sic feminata virtus afflicta occidit.
Accede, nate, adsiste, miserandum adspice
Evisceratum corpus lacerati patris.
Videte cuncti ; tuque cœlestum sator,
Jace, obsecro, in me vim coruscam fulminis.
Nunc, nunc dolorum anxiferi torquent vertices,
Nunc serpit ardor : o ante victrices manus,
O pectora, o terga, o lacertorum tori !
Vestro ne pressu quondam Nemæus leo
Frendens efflavit graviter extremum halitum ?
Hæc dextra Lernam tetram, mactata excetra,
Placavit ; hæc bicorporem afflixit manum.
Erymanthiam hæc vastificam abjecit helluam,
Hæc a Tartarea tenebrica abstractum plaga
Tricipitem eduxit Hydra generatum canem ;
Hæc intercessit tortu multiplicabili
Draconem, auriferam obtutu observantem arborem.
Multa alia victrix nostra lustravit manus,
Nec quisquam e nostris spolia cepit laudibus.
Cicéron, Tusculanes, II, c. 8.


FIN
  1. Le scholiaste reproche ici un anachronisme à Sophocle, pour avoir mis dans la bouche de Déjanire une sentence attribuée à Solon. (V. Hérodote, I, 32, et 86.) Mais Balzac observe très-bien que le sens commun est antérieur à tous les philosophes. La même pensée termine l’Œdipe Roi. Elle a été reproduite aussi par Euripide, Andromaque, 100 ; Troyennes, 517 ; par Ovide, Mét. III, 135 ; et par d’autres.
  2. Ville d’Étolie.
  3. Fleuve qui sépare l’Étolie de l’Acarnanie, et se jette dans la mer Ionienne.
  4. Ἀσμένη δέ μοι ἤλθε : cette élégante expression se trouve aussi dans la Paix d’Aristophane, v. 582 : ὡς ἀσμένοις ἡμῖν ἤλθες ! « combien ta venue nous est agréable ! »
  5. En effet, Œneus, père de Déjanire, avait résolu de donner sa fille au vainqueur d’Achéloos.
  6. Le scholiaste nous dit leurs noms : Hyllos, Ctésippos, Glénos, Oditès.
  7. On sait les travaux qu’Eurysthée, roi de Mycènes, imposa à Hercule. Et de plus, il s’était mis au service d’Augias et de Laomédon.
  8. Hercule s’était exilé, selon l’usage, pour expier son crime involontaire. Iphitos était fils d’Eurytos, roi d’Œchalie.
  9. Ville de la Phthiotide, en Thessalie, au pied du mont Œta et près du golfe Maliaque.
  10. Céyx, roi de Trachine.
  11. Le récit de Lichas, aux vers 248 et suivants, fera connaître l’exil d’Hercule chez Omphale, qui lui fut imposé par Jupiter.
  12. Ces tablettes, dont Déjanire ne dit ici qu’un mot, et qu’elle fera connaître avec plus de détails, v. 155-165, contenaient le testament d’Hercule.
  13. Littéralement : « s’il passe pour jouir d’un heureux sort. »
  14. Omphale, comme on le verra plus bas.
  15. Œchalie, ville de Thessalie, dans Homère. Mais plus tard les poètes en mirent une dans l’Eubée.
  16. Le même vers se trouve dans les Phéniciennes d’Euripide, v. 707, avec la seule différence de ταῦτα, pour μῆτερ.
  17. Il sera question de ces oracles aux vers 822 et suivants.
  18. L’édition de Dindorf supprime ces deux vers : au contraire, l’édition de F. Didot supprime les deux vers suivants. J’ai adopté la ponctuation de M. Boissonade.
  19. Il entend ici la Grèce et l’Asie.
  20. Ainsi Antigone, v. 879, appelle le soleil l’œil sacré de la lumière. Dans les Nuées, v. 285, « l’œil infatigable de l’éther. » Eschyle, dans les Perses, v. 428, appelle la lune l’œil de la nuit.
  21. Littéralement : « une sorte de mer de Crète possède Hercule, et accroît les travaux de sa vie. » Horace parle aussi des tempêtes de la mer de Crète. Od. l. I, 26 :
    Tristitiam et metus
    Tradam protervis in mare Creticum
    Portare ventis.
  22. C’est l’idée que Racine a développée dans Andromaque, acte III, sc. 4 :
    Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
    Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;
    Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
    En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
    Lorsque de tant de biens qui pourraient nous flatter,
    C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
  23. Les éditions de Dindorf et de F. Didot suppriment ces trois derniers vers.
  24. Sur l’oracle de Dodone, voyez Iliade, XVI, 233-53 et II, 750 ; Odyssée, XIV, v. 327-8 ; Hérodote, II, c. 56 et 57. Hésiode avait aussi parlé du chêne sacré des Pélasges à Dodone, dans un fragment conservé par Strabon, l. VII. Voir aussi Religions de l’antiquité, par Guigniaut, t. II, p. 536 et suivantes.
  25. Les messagers, porteurs d’heureuses nouvelles, se couronnaient la tète. Voir Œdipe Roi, v. 82 ; Agamemnon d’Eschyle, v. 493 ; Hippolyte d’Euripide, v. 806 ; Plutus d’Aristophane, v. 757.
  26. Les prémices du butin étaient consacrées aux dieux. Virgile, Énéide, XI, v. 15 :
    Hæc sunt spolia et de rege superbo
    Primitiæ
    Ovide, Fast III, 729 :
    Te memorant, Gange totoque Oriente subacto,
    Primitias magno seposuisse Jovi.
  27. Ville de Thessalie, près de Trachine.
  28. ῍Ατομον, intacte : qui jamais n’avait reçu l’atteinte de la faux, ni des troupeaux. Telle est aussi la prairie consacrée à Diane, dont parle Hippolyte, v. 73 et suivants, dans Euripide.
  29. Littéralement : « car nous jouissons à présent de la lumière inespérée de cette nouvelle, qui s’est levée pour moi. » ῍Ομμα φήμης, expression hardie, comme il s’en trouve souvent dans Sophocle. — Voir la note sur le vers 304 de Philoctète.
  30. Pindare, Pythiq. IX, 45, appelle Apollon εὐρυφαρέτρας.
  31. Pæan, nom d’Apollon, comme dieu qui guérit.
  32. Nom de l’île de Délos.
  33. ᾿Αμφιπυρον, qui porte une torche dans chaque main. C’est un attribut d’Hécate. (Voir Œdipe Roi, v. 198, et les Grenouilles d’Aristophane, v. 1406.)
  34. Ce passage prouve que le Chœur dansait aussi en chantant. Voyez aussi Ajax, v. 701 et suivants.
  35. C’est-à-dire à la danse.
  36. Du nom de Cénée, promontoire de l’Eubée.
  37. Ζὲυς ὅτου πράκτωρ φανῆ. Plus bas, v. 680, nous verrons encore : Κύπρις τῶν δ᾽έφάνη πράκτωρ. Cette expression est imitée des Euménides d’Eschyle, v. 319-320 :
    Πράκτορες αῖματος
    Αὺτῷ τελέως ὲφάνημεν.
  38. Du meurtre d’Iphitos. Voir plus haut, v. 38.
  39. Voyez un peu après, vers 268.
  40. Eurytos était lui-même habile archer, d’après l’Odyssée, VIII, v. 224. V. aussi Théocrite, Idyll. 24, v. 103 et suivants.
  41. Ville de l’Argolide, près d’Argos, non loin du golfe Argolique.
  42. On sait que Jupiter était le père d’Hercule. Voyez plus bas, v. 753, où πατρῴῳ Διὶ est employé dans ce sens. Mais ici l’épithète a un caractère plus général,comme dans l’Électre d’Euripide, v. 671. Au vers l468 des Nuées, Strepsiade engage son fils à révérer Jupiter paternel ; sur quoi Phidippide répond qu’il le trouve bien arriéré, ὰρχαῖος.
  43. Les captives qu’Hercule a envoyées à Déjanire.
  44. Ici, Déjanire s’adresse à la jeune Iole.
  45. Ces paroles indiquent bien clairement que ce personnage est le même qui est venu précédemment informer Déjanire, de la prochaine arrivée d’Hercule, nouvelle qu’il tenait de Lichas.
  46. Ces deux vers sont supprimés dans les éditions de Dindorf et de F. Didot.
  47. Même observation pour les vers qui précèdent.
  48. Allusion ironique aux paroles de Lichas. Voir plus haut, vers 317.
  49. C’est-à-dire, dont tu prétends ne pas connaître la naissance. — Voyez au commencement de la scène, v. 401.
  50. Omphale, et le désir de se venger de son esclavage.
  51. Littéralement : « et qu’il n’est pas dans la nature de cette condition humaine, que les mêmes soient toujours heureux. »
  52. Littéralement : « quiconque veut, comme un lutteur, en venir aux mains avec l’amour. »
  53. Plus exactement : « si c’est de lui que tu apprends à mentir. » et deux vers plus bas : « Mais si c’est toi qui te l’enseigne à toi-même... »
  54. Sénèque le tragique a imité ce passage dans Herc. Œt., v. 219 :
    Proh, sæve dolor,
    Formaque mortem paritura mihi :
    Tibi cuncta domus concidit uni.
  55. Littéralement : « que ceci soit livré au cours des vents. »
  56. Epicharme, le premier, a dit :
    Θνατὰ χρὴ τὸν θνατὸν, οὺκ ὰθάνατα τὀν θνατὁν φρονεὶν.
    « Mortel, tu dois conserver les sentiments d’un mortel, et non d’un immortel. »
  57. Le Chœur fait allusion à l’enlèvement de Proserpine. Sénèque a imité ce passage. Herc. Œt., v. 558 :
    Tu fulminantem sæpe domuisti Jovem,
    Tu furva nigri sceptra gestantem poli,
    Turbæ ducem majoris, et dominum Stygis.
  58. Allusion au passage d’Homère cité par Longin, Iliade, XX, 57 et suivants.
  59. Ville de l’Acarnanie, non loin de l’embouchure de l’Achéloos.
  60. Virgile, Énéide, VIII, 220 :
    Rapit arma manu, nodisque gravatum
    Robur.
  61. ᾿Αμφιπλεκτοι κλἱμακες, sorte de lutte qui consistait à saisir l’adversaire par derrière, et à grimper sur son dos comme par une échelle. Ovide, Métam. IX, 51, décrit ainsi la lutte des deux champions :
    Quarto
    Exuit amplexus, adductaque brachia solvit :
    Impulsumque manu (certum mihi vera fateri)
    Protinus avertit, tergoque onerosus inhæsit.
    Si qua fides, neque enim ficta mihi gloria voce
    Quæritur, imposito pressus mihi monte videtur.
  62. Cicéron, Tusculanes ; II, c. 23, donne l’explication de ces gémissements : « Pugiles vero, etiam quum feriunt adversarium, in jactandis cæstibus ingemiseunt ; non quod doleant, animo ve succumbant, sed quia profandenda voce omne corpus intenditur, venitque plaga vehementior. »
  63. Cette opposition des jeunes Trachiniennes, qui ne connaissent l’amour que par les récits maternels, avec Déjanire, qui n’avait pas même les consolations de sa mère, n’est pas sans délicatesse.
  64. ᾽Εμπόλημα, emplette.
  65. Fleuve d’Étolie, qui baigne Calydon.
  66. L’aventure du Centaure avec Hercule et Déjanire est racontée par Apollodore, l. II, c. 7, 6 ; Ovide, Métam. 10, 104-133 ; Sénèque, Herc. Œt., 499-534.
  67. Hercule avait traversé le fleuve avant Déjanire. Ovide, ibid. :
    Nam clavam et curvos trans ripam miserat arcus...
    Jamque tenens ripam, missos dum tolleret arcus,
    Conjugis agnovit vocem.
    Le récit de Sénèque est différent.
  68. Sénèque, Herc. Œt., 570 :
    Fidele semper regibus nomen, Licha,
    Cape hos amictus nostra quos nevit manus.
  69. L’enceinte qui entourait l’autel.
  70. Littéralement : « avant que paraissant lui-même en public, il ne le montre aux dieux, le jour où il immolera des taureaux. »
  71. « Et de le montrer aux dieux, sacrificateur nouveau, dans un nouveau vêtement. » — C’était un usage chez les anciens, de revêtir des habillements nouveaux, ou nouvellement lavés, quand on offrait des sacrifices.
  72. Épithète homérique, Iliade, XIV, 183.
  73. Chaque mot de cette strophe contient un détail caractéristique pour la topographie des contrées voisines de Trachine. Ainsi on y voit figurer le mont Œta, le golfe Maliaque, l’Artémisium, détroit formé par la côte de la Thessalie et l’île d’Eubée, sur laquelle s’élevait le temple de Diane ; enfin les Thermopyles, où se trouvaient des sources d’eaux chaudes, et où se tenaient les assemblées des Amphictyons (Hérodote, VII, 200). — Ici le poète a étendu jusqu’aux Thermopyles et au pays de Trachine la circonscription de l’Artémisium, que les géographes ont beaucoup plus restreinte. — Qu’on nous permette, pour tout commentaire, une courte citation d’Hérodote (l. VII, 176) : « Les Thermopyles touchent, du côté du couchant à une montagne absolument impraticable, remplie de précipices, et qui se rattache à l’Œta. Du côté de l’orient, le chemin est borné par la mer et par des marais. Dans l’intérieur du défilé, on trouve des bains d’eaux chaudes, que les naturels du pays appellent les Chytres (chaudières ou baignoires), et l’on voit près de ces bains un autel consacré à Hercule. »
  74. Οἱστρηθεἱς, furieux. — Dindorf et Ahrens donnent στρωθεὶς, qui signifie au contraire apaisé, calmé.
  75. L’Eubée.
  76. Πανἰμερος, au lieu de πανάμερος.
  77. Littéralement : « une confiance non justifiée par la certitude. »
  78. « Par aucun des gens de la maison. »
  79. Ce vers est supprimé dans les éditions de Dindorf et de F. Didot.
  80. Vers également supprimé dans les mêmes éditions.
  81. Sur la blessure de Chiron, l’on peut lire le récit d’Ovide, Fastes, l. V, v. 387 et suivants, et Apollodore, bibl. II, c. 5.
  82. ᾽Οργὴ πέπειρα, mollis, mitis : métaphore tirée des fruits que la maturité amollit.
  83. Le texte ajoute : « je préférerais une de ces trois choses.... »
  84. Dans Ajax, v. 377, le Chœur exprime la même pensée. Le scholiaste cite aussi ce passage de Pindare, Olymp. II, v. 29 : « Le temps même, le père de tous les êtres de tous les êtres, ne saurait anéantir les actions accomplies, justes ou injustes. »
  85. Plus haut, v. 236-7, Lichas a rapporté les mêmes faits, à peu près dans les mêmes termes. Pour πατρώω Διὶ, voyez la note sur le vers 288.
  86. Ἐντελεῖς, sans défaut. — On ne pouvait immoler, dans les sacrifices, que des victimes sans tache.
  87. Le texte ajoute : ῶστε τεκτονος, c’est-à-dire, comme les draperies d’un statuaire sont adhérentes au corps ; comparaison appropriée au goût d’un public chez qui le sentiment des arts était développé au plus haut degré. Voir Alceste v. 349.
  88. Littéralement : « par le pied, là où s’attache l’articulation. »
  89. Le texte dit : « par la fumée : » sans doute celle du sacrifice. »
  90. Le texte ajoute : « avec ton accusateur. » Ce départ silencieux et inopiné de Déjanire, qui va bientôt se donner la mort, est plus éloquent que toutes les paroles. Telle est aussi la sortie de Jocaste, dans l’Œdipe Roi, v. 1061. (Voy. encore Antigone, v. 1238.)
  91. Dans l’Électre d’Euripide, v. 1154, on trouve δεκέτεσι σποραῖσιν, après dix semailles.
  92. La contradiction que l’on croit voir ici avec des passages précédents, où il s’agit de quinze mois, et non de quinze années, s’explique par un oracle que cite Apollodore (II, 4, 12), et qui annonçait qu’Hercule verrait après douze ans le terme de ses travaux.
  93. Φονίᾳ νεφέλᾳ χρίει est ici l’équivalent de l’expression d’Homère,
    Θανὰτον μελαν νέφος ὰμφεκὰλυψεν,
    dans l’Iliade, XVI, v. 349 ; a l’Odyssée, IV, v. 180.
  94. Il y a dans le texte κέντρ´ ἐπιζέσαντα, les aiguillons qui le brûlent.
  95. Πράκτωρ. Voir plus haut la note sur le vers 251.
  96. Littéralement : « Elle est partie pour le dernier des voyages, d’un pied immobile »
  97. Le Chœur appelle ici Déjanire αἰχμᾷ βέλεος κακοῦ, la pointe d'un trait funeste, parce qu'elle a donné la mort à Hercule, au moyen de cette tunique teinte du sang du Centaure, empoisonnée par la flèche du héros.
  98. Quelques traits de ce récit ont été reproduits par Virgile, lorsqu’il peint les derniers moments de Didon (Æn., ch. IV, v. 645 et suivants) :
    Altos.
    Conscendit furibunda rogos...
    Incubuitque toro, dixitque novissima verba.
  99. On peut comparer toute ce passage avec le récit de la mort de Polyxène, dans Hécube, v. 564 et suivants.
  100. Ainsi, dans l’Odyssée, IX, 301 :
    Πρὁς στῆθος, ὃθι φρένες ἥπαρ ἒχουσεν.
  101. ῍Ως νιν ματαίως αἰτίᾳ βάλοι κακῇ: la même expression se retrouve dans Œdipe Roi, v. 656-7.
  102. Les exemples de pareils vœux, de la part des malheureux, sont fréquents dans les poètes. Odyssée, XX, v. 63. Eschyle, Suppliantes, v. 792 et suiv. Hippolyte, v. 729 et suiv. Ion, v. 795 et suiv.
  103. Le texte dit : « en mordant tes lèvres. »
  104. J’adopte, avec Hermann, le point d’interrogation, qui seul donne à cette phrase un sens raisonnable.
  105. On trouve un vœu semblable, dans Philoctète, v. 747-9.
  106. Littéralement : « frappe-moi à la clavicule. »
  107. Voir encore Philoctète, v. 794-5, et 1040-2.
  108. Tout ce passage, dans lequel Hercule mourant exhale ses plaintes, a été traduit par Cicéron, Tusculanes, II, 8-9, jusqu’au vers 1103 ; on trouvera cette imitation à la fin de la pièce. On peut en rapprocher aussi l’imitation d’Ovide, Métam. IX, 176-204.
  109. Allusion au soulagement qu’il procura au géant Atlas, fatigué de porter le ciel sur ses épaules.
  110. Avant Sophocle, Eschyle avait dit dans Agamemnon', v. 1580 :
    Ἰδὡν ύφαντοῖς ἐν πέπλοις Ἐρινύων
    Τὸν άνδρα τόνδε κεἰμενον.
    Cicéron traduit ainsi :
    Hac me irretivit veste furiali inscium.
    Le mot ἁμφίβληστρον, qui désigne ici la tunique, est employé par Eschyle, Choéphores, v. 492.
  111. Ἀφράστῳ, inexprimable, inexplicable, mystérieux. C’est ce que plus bas vers 1104, il appelle τυφλῆν ἄτην, un poison insaisissable
  112. Cicéron a resserré ce passage en deux vers :
    Heu ! virginalem me ore ploratum edere.
    Quem vidit nemo ulli ingemiscentem malo ?
  113. Sénèque, Herc. Œt., 1277 :
    Urit ecce iterum fibras,
    Incaluit ardor : unde nunc fulmen mihi ?
  114. Sophocle suit ici Hésiode, qui fait naître Cerbère d’Échidna et de Typhon, ainsi que Hygin, dans son préambule : mais dans l’Œdipe à Colone (v. 1574), il lui donne une autre origine.
  115. Sur les nymphes Hespérides, v. Hésiode, Théogonie, v. 214, et l’Ènéide, IV, v. 480 et suivants.
  116. Δός μοι σεαυτὸν, « livre-toi à moi. » Comme Térence, Adelphes, acte V, sc. 3, v. 32 : Da te hodie mihi.
  117. Dans l’Hercule furieux d’Euripide, v. 339, Amphitryon dit de même :
    ΅Ω Ζεῦ, μάτην άρ᾿ όμόγαμον σ᾽ἑκτησαμην.
    « O Jupiter, c’est donc en vain que tu as partagé ma couche nuptiale ! »
  118. On a vu, au vers 270, que Tyrinthe était sur le golfe Argolique.
  119. Les enfants d’Hercule étaient très-nombreux ; Apollodore, l. II, c. 7 et 8, en compte soixante-douze, dont il donne les noms.
  120. Prêtres de Jupiter, à Dodone. Ces détails sont pris de l’Iliade, XVI, 235 — Voir plus haut, la note sur le vers 172.
  121. Littéralement : « deviens le fils d’un autre père, et ne sois plus appelé le mien. »
  122. Littéralement : « bientôt, à ce qu’il semble, tu diras que tu es saisi par ton mal. »
  123. Platon, dans le Phédon, cite un passage de l’Odyssée, XX, v. 17, où Ulysse apostrophe aussi son cœur.
  124. Ici, le reproche s’adresse à Jupiter.
  125. Un manuscrit de Brunck, et les anciennes éditions attribuaient ces quatre derniers vers au Chœur, dans la personne des coryphées parlant ainsi aux jeunes filles qui composent. Mais Hermann a prétendu que c’est Hyllos qui continue, et il est suivi par Bothe, Dindorf et Ahrens. Cependant, il n’y a nulle raison de manquer à l’usage constant de terminer le drame par les paroles du Chœur, auquel il appartient de servir d’organe au poète ; et de plus, après les amers reproches que vient d’adresser aux dieux le jeune Hyllos, blessé dans sa tendresse filiale, par la mort de sa mère et de son père, c’est le Chœur qui doit manifester, eu finissant, l’impression religieuse de l’action tragique, et rappeler que, même parmi ces luttes terribles du Destin, prévalait toujours l’ordre du monde réglé par les dieux.