Traité élémentaire de la peinture/106

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Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 89-93).


CHAPITRE CVI.

De la couleur qui ne reçoit point de variété, (c’est-à dire, qui paroît toujours de même force sans altération), quoique placée en un air plus ou moins épais, ou en diverses distances.

Il se peut faire quelquefois que la même couleur ne recevra aucun changement, quoiqu’elle soit vue en différentes distances ; et ceci arrivera quand la qualité de l’air et les distances d’où les couleurs seront vues, auront une même proportion. En voici la preuve. A, soit l’œil, et H, telle couleur que l’on voudra, éloignée de l’œil à un degré de distance en un air épais de quatre degrés ; mais parce que le second degré de dessus A M N L est une fois plus subtil, et qu’il a la même couleur que le degré d’air qui est au-dessous, il faut nécessairement que cette couleur soit deux fois plus loin de l’œil qu’elle ne l’étoit auparavant ; c’est-à-dire, aux deux degrés de distance A F et F G plus loin de l’œil, et elle sera la couleur G, laquelle étant élevée ensuite au degré d’air qui est deux fois plus subtil à la seconde hauteur A M N L, qui sera dans le degré O M P N, il est nécessaire de la transporter à la hauteur E, et elle sera distante de l’œil de toute l’étendue de la ligne A E, que l’on prouve être équivalente en grosseur d’air à la distance A G, ce qui se démontre ainsi. Si dans une même qualité d’air la distance A G interposée entre l’œil et la couleur en occupe deux degrés, et que A E en occupe deux et demi, cette distance suffit pour faire que la couleur G, portée à la hauteur E, ne reçoive point d’altération ; parce que les deux degrés A C et A F étant dans la même qualité d’air, sont semblables et égaux, et le degré d’air C D, quoique égal en longueur au degré F G, ne lui est pas semblable en qualité, parce qu’il se trouve dans un air deux fois plus épais que l’air de dessus ; ainsi, la couleur est aussi vive à un degré d’éloignement dans l’air supérieur, qu’elle l’est à un demi-degré d’éloignement dans l’air inférieur, parce que l’air supérieur est une fois plus subtil que celui de dessous : tellement qu’en calculant premièrement la grosseur de l’air, puis les distances, vous trouverez les couleurs changées de place, sans qu’elles aient reçu d’altération, ni dans leur force, ni dans leur éclat, ni dans la beauté de leur teinte, et voici comment. Pour le calcul de la qualité ou de la grossièreté de l’air, la couleur H est placée dans un air qui a quatre degrés de grossièreté ; la couleur G est dans un air qui en a deux, et la couleur E est dans un air qui n’en a qu’un. Voyons maintenant si les distances auront une proportion également réciproque, mais converse ; la couleur E se rencontre éloignée de l’œil de deux degrés et demi de l’œil, la couleur G est à deux degrés, et la couleur H à un degré ; mais comme cette distance n’a pas une proportion exacte avec l’épaisseur de l’air, il faut nécessairement faire un troisième calcul, à-peu-près de cette manière ; le degré A C, comme je l’ai supposé, est tout-à-fait semblable, et égal au degré A F, et le demi-degré C B est semblable,


mais non pas égal au degré A F, parce que c’est seulement un demi-degré en longueur, lequel vaut autant qu’un degré entier de la qualité de l’air de dessus, si bien que par le calcul on satisfait à ce qui avoit été proposé ; car A C vaut deux degrés d’épaisseur de l’air de dessus, et le demi-degré C B en vaut un entier de ce même air de dessus, et un qui se trouve encore entre B E, lequel est le quatrième. De même A H a quatre degrés d’épaisseur d’air ; A G en a aussi quatre, c’est-à-dire, A F qui en vaut deux, et F G qui en vaut encore deux, lesquels pris ensemble font quatre ; A E en a aussi quatre, parce que A C en contient deux, et C B en contient un, qui est la moitié de A C, et dans le même air ; et il y en a dessus un tout entier dans l’air subtil, lesquels ensemble font quatre : de sorte que si la distance A E ne se trouve pas double de la distance A G, ni quadruple de la distance A H, elle est rendue équivalente d’ailleurs par C B, demi-degré d’air épais, qui vaut un degré entier de l’air subtil qui est au-dessus ; et ainsi nous concluons ce qui étoit proposé, c’est-à-dire, que la couleur H G E ne reçoit aucune altération dans ces différentes distances.