Traité élémentaire de la peinture/143

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Traduction par Roland Fréart de Chambray.
Texte établi par Jean-François DetervilleDeterville, Libraire (p. 120-121).


CHAPITRE CXLIII.

Des couleurs des choses qui sont éloignées de l’œil.

Plus l’air a de corps et d’étendue, plus il imprime vivement sa teinte sur l’objet qu’il sépare de l’œil ; de sorte qu’il donne plus de force à la couleur d’un objet, s’il est éloigné de deux mille pas, que s’il ne l’étoit que de mille seulement. Quelqu’un dira peut-être que dans les paysages les arbres de même espèce paroissent plus sombres de loin que de près ; mais cela n’est pas vrai lorsque les arbres sont égaux et espacés à même intervalle ; et au contraire cela est vrai, si les premiers arbres sont tellement écartés, que de près on voie au travers la clarté, et que les plus éloignés soient plus près à près, comme il arrive ordinairement sur le rivage et près des eaux, parce qu’alors on ne voit aucun espace ni la verdure des prairies ; mais on voit les arbres tous ensemble entassés, se faisant ombre l’un à l’autre : il arrive encore aux arbres que la partie qui demeure ombrée est toujours beaucoup plus grande que celle qui est éclairée, et les apparences de l’ombre se font bien voir de plus loin, joint que la couleur obscure qui domine par la quantité, conserve mieux son espèce et son image que l’autre partie qui est moins obscure ; ainsi, l’objet fait une plus forte impression sur l’œil par les endroits qui ont une couleur plus forte et plus foncée, que par ceux qui ont une couleur plus claire.