Traité de dynamique/1758/Partie 1/Chapitre 2

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CHAPITRE II.
Du Mouvement composé.
THÉOREME.

28. Si deux puissances quelconques agissent à la fois sur un corps ou point (Fig. 6.) pour le mouvoir, l’une de en uniformément pendant un certain tems, l’autre de en uniformément pendant le même tems, & qu’on acheve le parallélogramme ; je dis que le corps parcourra la diagonale uniformément, dans le même tems qu’il eût parcouru ou .

Soit la ligne inconnue parcourue par le corps ; il est certain (art. 6) que cette ligne sera une ligne droite, & que le corps la parcourra uniformément. Il n’est pas moins évident qu’elle sera dans le plan des lignes , , puiqu’il n’y a pas de raison pourquoi elle s’écarte de ce plan plutôt d’un côté que de l’autre. De plus, si lorsque le corps est arrivé à un point quelconque de cette ligne, on supposoit que deux puissances vinssent à agir sur lui, dont l’une tendît à le mouvoir suivant parallèle à avec la même vitesse qu’il a en suivant , & en sens contraire, & l’autre tendît à lui faire parcourir la ligne égale & parallèle à , & en sens contraire, dans le même tems qu’il auroit parcouru , il est clair que le corps resteroit en repos au point . Car sa vitesse & sa direction au point est précisément la même, que s’il étoit animé en ce point par deux puissances égales & parallèles aux puissances suivant & , & par conséquent égales & contraires aux puissances suivant , .

Cela posé, imaginons que le corps qui décrit la ligne , soit sur un plan qui puisse glisser librement entre les deux coulisses , , parallèles à . Qu’on fasse mouvoir ce plan entre les deux coulisses, de maniere que tous ses points décrivent des lignes égales & parallèles à , dans le même tems que le corps eût décrit la ligne ; & qu’en même tems les deux coulisses se meuvent en emportant le plan parallèlement à , & en sens contraire, avec une vitesse égale à celle que le corps auroit eûe suivant ; il est évident que tous les points du plan décriront uniformément des lignes , égales & parallèles à la diagonale du parallélogramme . Il est de plus évident que le corps ou point mobile , est tiré continuellement en cet état par quatre puissances contraires & égales deux à deux, & que par conséquent il doit rester en repos dans l’espace absolu. D’où il s’ensuit, que quand le corps ou point mobile est arrivé à un point du plan, ce point doit se trouver à la place que le corps occupoit quand il a commencé de se mouvoir. Ce qui ne sauroit être, à moins que la ligne ne tombe sur la diagonale , & le point sur le point [1]. Donc &c.

Remarque.

29. La démonstration qu’on apporte d’ordinaire du Théorême précédent, consiste à imaginer que le point se meuve uniformément sur une regle avec la vitesse qu’il a reçûe suivant , & qu’en même tems la ligne ou regle se meuve suivant avec la vitesse que le corps a reçûe suivant . On prouve très-bien dans cette supposition, que le point mobile décrit la diagonale . En général la plûpart des démonstrations communes de cette proposition sont fondées sur ce qu’on regarde les deux puissances suivant & , comme agissant sur le corps pendant tout le tems de son mouvement, ce qui n’est pas précisément l’etat de la question. Car l’hypothese est, que le corps tend à se mouvoir au premier instant suivant & à la fois, & l’on demande la direction & la vitesse qu’il doit avoir en vertu du concours d’action des deux puissan ces. Dès qu’il a pris une direction moyenne , les deux tendances suivant & n’existent plus ; il n’y a plus de réel que sa tendance suivant .

J’ai donc crû devoir prévenir cette difficulté, & faire voir que le chemin du corps est le même, soit que les deux puissances n’agissent sur lui que dans le premier instant, soit qu’elles agissent continuellement toutes deux à la fois sur le corps. C’est à quoi je crois être parvenu dans la démonstration que j’ai donnée ci-dessus.

Corollaire I.

30. Si un corps parcourt ou tend à parcourir une ligne droite (Fig. 7) avec une vitesse quelconque, & qu’on prenne un point partout où l’on voudra sur cette ligne prolongée ou non, la vitesse pourra être regardée comme composée de la vitesse & de la vitesse . Car peut être regardée comme la diagonale d’un parallélogramme, dont , sont les côtés. Donc &c.

Fig. 7
Remarque.

31. Quelques Lecteurs pourront être surpris de ce que je tire la démonstration d’une proposition si simple en apparence, d’un cas général beaucoup plus composé ; mais on ne peut, ce me semble, démontrer autrement la proposition dont il s’agit ici, qu’en regardant comme un axiome incontestable, que l’effet de deux causes conjointes est égal à la somme de leurs effets pris séparé ment, ou que deux causes agissent conjointement comme elles agiroient séparément ; principe qui ne me paroît pas assez évident, ni assez simple, qui tient d’ailleurs de trop près à la question des forces vives, & au principe des forces accélératrices dont nous avons parlé ci-dessus art. 22. C’est la raison qui m’a obligé à éviter d’en faire usage, ayant d’ailleurs pour but dans ce Traité de réduire la Mécanique au plus petit nombre de principes possible, & de tirer tous ces principes de la seule idée du mouvement, c’est-à-dire de l’espace parcouru & du tems employé à le parcourir, sans y faire entrer en aucune façon les puissances & les causes motrices.

Corollaire II.

32. Si un corps est poussé suivant & (Fig. 8) par deux puissances accélératrices quelconques, sa direction sera la diagonale d’un parallélogramme fait sur des côtés , , proportionnels aux forces accélératrices suivant & ; & sa force accélératrice suivant sera à chacune des deux suivant & , comme est à & . Car soient & les espaces que le corps eût parcourus dans le commencement de son mouvement en vertu de chacune des puissances, on aura (art. 22) . Donc les lignes , , parallèles à , concourront au point de la diagonale . De même si , , sont les espaces parcourus en tems égaux en vertu de ces mêmes puissances, on aura le quarré du tems par ou par au quarré du tems par ou par , c’est-à-dire comme est à ; donc le point de concours des lignes , , sera encore sur la diagonale . Donc si on suppose que le corps se meuve sur la regle au premier instant, avec la force accélératrice qu’il a suivant , & que la puissance accélératrice suivant , agisse en même-tems sur la regle pour la porter de vers , le point décrira la diagonale , dans le même tems qu’il aurait décrit ou , & sa force accélératrice suivant , sera à chacune des forces suivant les côtés, comme la diagonale à chacun de ces mêmes côtés.

Fig. 8

De là on voit, comment à une force accélératrice quelconque, on peut en substituer d’autres, en tel nombre qu’on voudra.

Au reste, comme nous avons vû ci-dessus (art. 24) de quelle maniere on peut réduire à un mouvement uniforme l’effet instantané d’une puissance quelconque ; il est clair que la combinaison des effets de tant de puissances qu’on voudra, & la recherche de l’effet unique qui en résulte, se réduit par là fort aisément aux loix du mouvement composé uniforme.

Du Mouvement en ligne courbe, & des forces centrales.

33. Comme un corps tend de lui-même à se mouvoir en ligne droite, il ne peut décrire une ligne courbe, qu’en vertu de l’action d’une puissance qui le détour ne continuellement de sa direction naturelle. On peut déduire de l’article précédent, les principes du mouvement d’un corps sur une courbe.

Il est démontré qu’un arc infiniment petit d’une courbe quelconque, peut être pris pour un arc de cercle, dont le rayon seroit égal au rayon de la développée de cet arc de la courbe. On réduit par ce moyen le mouvement d’un corps sur une courbe quelconque, au mouvement de ce même corps sur un cercle dont le rayon change à chaque instant.

La puissance qui retient un corps sur une courbe, est appellée particuliérement force centrale, quand elle est toujours dirigée vers un point fixe ; mais nous la nommerons ici force centrale en général, soit qu’elle tende vers un point fixe ou non. Cette puissance n’est par sa nature qu’une puissance accélératrice ou retardatrice, dont la direction est différente de celle du corps. On peut, par tout ce qui a été dit ci-dessus, (art. 24 & 32) réduire à un mouvement uniforme l’effet instantané de cette puissance, en regardant comme un polygone d’une infinité de côtés la courbe qu’elle fait décrire au corps ; & cet effet est double de celui que la force centrale produiroit dans la courbe considérée exactement comme courbe. Ainsi, supposons qu’un corps décrive un arc de cercle infiniment petit , (Fig. 5) en vertu d’une puissance, qui au point le détourne de la ligne droite suivant une direction donnée : si on regarde le cercle comme un polygone, la corde sera la ligne que le corps aura décrite dans l’instant précédent, & égale & en ligne droite avec , celle qu’il tend à décrire l’instant suivant. Donc tirant parallèle à la direction de la force centrale en , sera l’effet instantané de cette puissance ; au contraire, si on consideroit le cercle comme cercle rigoureux, la tangente seroit la ligne que le corps tendroit à décrire, & l’effet de la puissance qui le retiendroit sur la courbe.

La ligne divisée par le quarré du tems employé à la parcourir, est (art. 18. 22 & 26) l’expression de la force accélératrice en vertu de laquelle le corps décrit la courbe ; or cette ligne est égale au quarré de la ligne ou de l’arc ou , divisé par , & est au diametre du cercle, comme le sinus de l’angle que fait la force centrale avec la courbe, est au sinus total [2] ; de plus, la ligne divisée par le tems employé à la parcourir, est (art. 15) l’expression de la vitesse du corps. Donc dans une courbe quelconque, l’effet de la force centrale est comme le quarré de la vitesse divisé par le rayon de la développée, & multiplié par le rapport du sinus total au sinus de l’angle que fait cette force avec la courbe.

En général, l’élément du tems étant supposé constant, la force centrale est représentée par la ligne dans la courbe polygone, & par dans la courbe rigoureuse. Il faut par conséquent avoir égard à cette différence d’expression dans la comparaison des effets de deux forces centrales ; & pour ne pas faire l’un des effets double de ce qu’il est par rapport à l’autre, il faut considérer les deux courbes, ou toutes deux comme polygones, ou toutes deux comme rigoureuses.

Les forces centrales, & en général toutes les forces accélératrices (si par le mot de force nous n’entendons que les effets) sont entr’elles comme les petits espaces qu’un corps parcourt dans un même instant en vertu de ces forces. On a coutume de comparer toutes ces forces à la force accélératrice constante que nous connoissons le mieux, je veux dire à la pesanteur. Si est l’espace qu’un corps pesant parcourt dans un tems fini , sera l’espace qu’il parcourra dans le tems , & si l’arc est supposé parcouru dans le même tems , la force centrale sera à la pesanteur, comme la ligne, à , ou comme a .

Or soit le rayon de la développée de la courbe en , le sinus de l’angle que fait la direction de la force centrale avec la courbe, le sinus total, l’espace que le corps parcourroit uniformément dans le tems avec la vitesse qu’il a en , on aura ; . Donc l’effet instantané de la pesanteur est à celui de la force centrale, comme à ou comme à ; & ainsi le rapport de ces deux effets, que la plûpart des Géometres prennent pour celui des causes mêmes, est exprimé en termes finis [3].




  1. Puisque le point mobile doit rester en repos dans l’espace absolu, il faut que le mouvement du plan sur lequel on le suppose, l’emporte en sens contraire précisément de la même quantité dont il se seroit avancé sans le mouvement du plan ; donc quand il a décrit une ligne , le point du plan qui étoit en , au commencement du mouvement, doit avoir décrit & être par conséquent en ; d’un autre côté ce point a dû décrire une ligne parallèle à la diagonale ; donc la ligne ne peut être que la diagonale même.
  2. Car ou est le double du sinus de l’angle .
  3. On trouvera dans l'Encyclopédie au mot Force, plusieurs autres Théorémes & Remarques sur la mesure de la force centrifuge. Ce que nous en disons ici, suffit pour l’objet que nous nous proposons.