Traité sur les apparitions des esprits/I/51

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CHAPITRE LI.

Maniere d’expliquer les Apparitions.

LEs Apparitions en ſonge, par exemple, celle de l’Ange[1], qui dit à S. Joſeph de tranſporter l’Enfant Jeſus en Egypte, parce que le Roi Hérode vouloit le faire mourir ; cette Apparition renferme deux choſes : la premiere, l’impreſſion qui ſe fit dans l’idée de S. Joſeph d’un Ange qui lui paroiſſoit, la ſeconde, la prédiction ou la révélation de la mauvaiſe volonté d’Hérode. L’une & l’autre eſt au-deſſus des forces ordinaires de notre nature ; mais nous ne ſçavons pas ſi elle eſt au-deſſus du pouvoir d’un Ange : il eſt certain qu’elle ne s’eſt pû faire que par la volonté & par l’ordre de Dieu.

Les Apparitions d’une Ame, d’un Ange & d’un Démon, qui ſe font voir revêtus d’un corps apparent, & ſeulement en ombre & en fantôme, comme celle de l’Ange qui ſe fit voir à Manué pere de Samſon, & qui s’évanouit avec la fumée du Sacrifice, & de celui qui tira S. Pierre de priſon, & diſparut de même après l’avoir conduit le long d’une rue ; les corps que ces Anges prenoient, & que nous ſuppoſons avoir été ſeulement apparens & aëriens, ſouffrent de grandes difficultés ; car ou ces corps leur étoient propres, ou ils leur étoient étrangers ou empruntés.

S’ils leur étoient propres, & que l’on ſuppoſe avec pluſieurs anciens & quelques nouveaux, que les Anges, les Démons, & même les Ames des hommes ont une eſpece de corps ſubtil, tranſparent & aërien, la difficulté conſiſte à ſçavoir comment ils peuvent condenſer le corps tranſparent, & le rendre viſible d’inviſible qu’il étoit ; car s’il étoit toujours & de ſa nature ſenſible & viſible, il y auroit une autre eſpece de miracle continuel à le rendre inviſible, & à le dérober à nos ſens ; & ſi de ſa nature il eſt inviſible, quelle puiſſance le peut rendre viſible ? De quelque maniere qu’on enviſage cet objet, il paroît également miraculeux, ou de rendre ſenſible ce qui eſt purement ſpirituel, ou de rendre inviſible ce qui eſt de ſa nature palpable & corporel.

Les anciens Peres de l’Egliſe qui donnoient aux Anges des corps ſubtils, & de la nature de l’air, expliquoient ſelon leurs principes plus facilement les prédictions faites par les Démons, & les opérations merveilleuſes qu’ils cauſent dans l’air, dans les élémens, dans nos corps, & qui ſont beaucoup au-deſſus de ce que les hommes les plus ſubtils & les plus ſçavans peuvent connoître, prédire & opérer. Ils concevoient de même plus facilement que les mauvais Anges peuvent cauſer des maladies, qu’ils rendent l’air corrompu & contagieux, qu’ils inſpirent aux méchans de mauvaiſes penſées & des déſirs injuſtes, qu’ils pénétrent nos penſées & nos déſirs, qu’ils prévoient des tempêtes & des changemens dans l’air, & des dérangemens dans les ſaiſons ; tout cela s’explique avec beaucoup plus de facilité dans l’hypotheſe que les Démons ont des corps compoſés d’un air très-fin & très-ſubtil.

S. Auguſtin[2] avoit écrit qu’ils pouvoient auſſi découvrir ce qui ſe paſſe dans notre eſprit & dans le fond de nos cœurs, non-ſeulement par nos paroles, mais auſſi par certains ſignes & certains mouvemens extérieurs, qui échappent aux plus circonſpects ; mais réfléchiſſant ſur ce qu’il avoit avancé dans cet endroit, il ſe rétracta, & avoua qu’il avoit parlé trop affirmativement ſur une matiere peu connue, & que la maniere dont les mauvais Anges pénetrent nos penſées, eſt une choſe très-cachée, & qu’il eſt très-difficile aux hommes de découvrir & d’expliquer : ainſi il aime mieux ſuſpendre ſon jugement ſur cela, & demeurer dans le doute.

  1. Matth. II. 13. 14.
  2. S. Aug. lib. 2. retract. c. 30.