Trente poésies russes/1

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L’Hirondelle

(D’APRÈS SOURIKOV )
















L’HIRONDELLE



Par le chemin, rêveuse et triste, une orpheline
Marche d’un pas timide et lent.
Toute jeune, et pourtant son front pâle s’incline
D’un air languissant et dolent.

Elle pousse de gros soupirs, l’infortunée !…
Une hirondelle, en tournoyant,
Voltige sur sa tête, à la suivre obstinée,
Et, parfois, tout en gazouillant,


Elle s’approche tant de l’enfant qu’elle frôle,
Ainsi que pour les caresser,
Les boucles de cheveux flottant sur son épaule.
En vain l’enfant veut la chasser :

« Petit oiseau, pourquoi me suis-tu, lui dit-elle.
Petit oiseau libre et joyeux,
Va-t’en. J’ai dans le cœur une peine mortelle
Et j’ai des larmes plein les yeux !

— Non ! Je m’attache à toi, pauvre âme désolée,
Et resterai sur ton chemin
Jusqu’à ce que mon chant t’ait un peu consolée ;
Je viens apaiser ton chagrin ;

« Car le triste secret de ta douleur amère,
Vois-tu, je ne l’ignore pas.
Écoute-moi. Je viens te parler de ton frère
Qui gémit prisonnier là-bas !


« Il m’a dit « Toi qui peux partir, ouvre ton aile ;
« Vers le doux nid que j’ai quitté,
« Va ! va porter l’écho de mon amour fidèle
« À mon beau pays regretté !

« Et là tu trouveras ma sœur, ma sœur chérie,
« Seule en notre pauvre maison.
« Approche-toi sans crainte, alors, et, je t’en prie,
« Murmure-lui tout bas mon nom.

« Et, tâchant de donner à ton gentil ramage
« Son plus doux et plus tendre accent,
« Dis-lui pour moi d’avoir espérance et courage
« Et de toujours aimer l’absent ! »