Trois mois dans les Pyrénées et dans le midi en 1858/Course à la vallée de la Glère

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Luchon, vendredi, 9 juillet.


COURSE À LA VALLÉE DE LA GLÈRE.


Parti à une heure à cheval avec P... pour l’hospice et la route de la Glère. Pour guide Ribis, un jeune homme qui a été dragon, et a servi en Crimée. — Absence de soleil ; le paysage a des teintes sombres et monotones ; les sommets sont couverts de nuages. Le chemin s’élève jusqu’au fond de la vallée de Luchon, vallée bien moins resserrée que celle de Cauterets et plus cultivée, mais dont les prairies sont moins fraîches et moins irriguées. On trouve une très-belle forêt de hètres, mais le soleil manque pour rompre et animer l’obscurité du feuillage. L’hospice de Luchon, lieu de refuge pour l’hiver et auberge pour l’été ; on s’y arrête toujours une demi-heure pour faire manger les chevaux, quoiqu’on ne soit qu’à une heure et demie de Luchon ; situé aux trois quarts de la vallée, en face les grands rochers qui s’élèvent de chaque côté du port de Vénasque. Le nouveau chemin de la Glère, qui commence au bas de la montée du Port, suit le tracé d’un projet de chemin de fer international. Ce n’est encore qu’un sentier, destiné à devenir un chemin de voiture, qu’on a ouvert cette année en coupant le flanc de la montagne ; l’an prochain, ce sera une des promenades les plus faciles et les plus fréquentées de Luchon. Plus loin, le chemin quitte la vallée de la Pique et entre dans celle de la Glère. Superbe végétation, et qui me rappelle les belles forêts d'Allemagne. À mesure qu’on monte, elle diminue, et on arrive aux premières neiges. La vallée est terminée par une enceinte de rochers nus alu-dessus desquels est le Port. Mis pied à terre, et chassé devant nous les chevaux, qui descendent au galop une pente très-difficile. Désordre, tumulte de rocs, de verdure, et d’eaux écumantes. Cela me rappelle la scène où Gœthe place le monologue de Faust fuyant la tentation ; cette magnifique poésie me revient à l'esprit.

Il semble en descendant qu’on se jette tête

baissée dans le gouffre de verdure qui s’enfonce au-dessous de soi. Nature sauvage et fraîche de montagne, comme je l'aime ; c’est le glen agrandi. — Deux hêtres, dont l’un pousse droit, et dont l’autre, se divisant en deux branches, se penche sur son fière, l’étreint et l’embrasse de ses deux bras, et ne fait plus qu’un avec lui : la perfection dans l’amour. — En bas, tourné à droite pour aller à la cascade des Demoiselles, jolie petite chute, et dans un entourage plein de délicatesse et de fraîcheur. Neat little woodland recess. Comme la cascade du commencement de Waverley. Nous rentrons à six heures.
Luchon, samedi, 10 juillet.

Toujours le même temps ; les sommets sont enveloppés de nuages. Passé la matinée à épuiser toutes les combinaisons possibles. Nous partons après déjeuner avec et monsieur A. M... pour le Plan de la Serre ; et en route nous nous décidons à refaire la promenade d’hier. Nous suivons l’autre rive du torrent, et montons, à travers un superbe bois de hêtres, à la cascade du Parisien. Elle tombe au milieu du bois eu plusieurs petites chutes étagées et gracieuses. Redescendus à l’hospice, et repris le chemin de la Glère ; j’admire encore davantage une seconde fois.

Que de choses, dans la nature comme dans l’art, ont besoin d’être savourées, pénétrées, et font plus d’impression, déjà connues et goûtées, à une seconde entrevue ! La curiosité est moins préoccupée, et l’on est tout entier à la jouissance, au sentiment du plaisir.

Grande partie projetée pour demain en Espagne.