Tu seras journaliste/02

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CHAPITRE II


Jamais elle n’aurait cru qu’il fut si facile de mourir. Son pouls était normal ; elle tendait de tout son être vers l’au-delà. Non, le visage de la mort n’en est pas un qui grimace : c’est le visage d’une amie. Et dire que des mourants n’arrivaient pas à faire le sacrifice de leur vie, qu’ils suppliaient le Tout-Miséricordieux de leur accorder la grâce de souffrir encore et qu’elle, jeune et forte, dénouerait de son gré les entraves qui la liaient à la terre. Dans son cœur, elle pria Dieu, en échange de sa vie, de conserver l’existence à une femme heureuse.

Déjà l’eau, en débordant, avait éteint le gaz. Le fluide, libre, filtrait de l’étoile de fer.

Caroline s’allongea sur son lit.

« Dans deux heures », conclut-elle « je devrais être loin. »

Au bout de quinze minutes, elle se leva et absorba une potion somnifère afin d’écourter l’attente. Un peu plus tard, elle tira sa montre d’un tiroir : il était près de quatre heures. Une douleur à l’orteil gauche l’empêchait de se soumettre à l’engourdissement. En faisant le calcul de toutes les sollicitudes dont ce durillon avait été l’objet, elle sourit vaguement. « Une condamnée à mort, s’occuper d’un petit cor ! » Une toux fréquente la fit suffoquer à deux reprises.

Le mystère approchait.

Soudain, des fleurs du papier-tenture surgirent des mains gigantesques qui la soudèrent à son lit en feu, tandis qu’un roulis faisait tanguer les meubles.

En même temps, Caroline perçut le bourdonnement assourdi d’une abeille, mêlé à quelque tocsin grêle, auquel succéda peu après le cri strident d’une sirène. Qu’avaient-ils tous à geindre ici ? Et soudain, des glas ! quoi, on sonnait des glas à l’église de son village ? Ses glas, sans doute. Mais c’est le carillon des grands jours qui à son tour se met en branle. Et sonne ! la grosse cloche, et vole ! vole ! la petite cloche, et gronde ! le gros bourdon ! Toutes les cloches du monde accourent au chevet de la désespérée et jettent leur volée à travers sa tête coulée dans l’airain. Un ange d’une main diaphane les guide mollement et sur un signe, les sons s’amenuisent, ils ne sont plus qu’une musique… un soupir… un souffle…

« Mon Jésus, miséricorde ! »

Caroline venait de sombrer dans l’inconscience.