Un Épisode de l’histoire religieuse du XVIIe siècle/02

La bibliothèque libre.
UN ÉPISODE
DE
L'HISTOIRE RELIGIEUSE
AU XVIIe SIÈCLE

II[1]
LA COMPAGNIE DU SAINT-SACREMENT ET LA CONTRE-RÉFORMATION CATHOLIQUE


I. — État de la contre-réformation en France vers 1630

On sait que, par le nom de « contre-réformation, » les historiens entendent la réforme du dedans qui, réclamée depuis longtemps, au sein même de l’Église catholique, par de bons esprits, s’y produisit enfin au xvie et au xviie siècle, à la suite du schisme protestant. Or, sans doute il est bien vrai que, dès 1563, quand le Concile de Trente se sépara, il avait à peu près fini de tracer le programme de cette réforme. Il est vrai que, dès le milieu du xvie siècle, des particuliers énergiques en avaient abordé l’exécution, — saint Ignace de Loyola, saint Charles Borromée, saint Philippe de Néri, saint Jean de Dieu, Pierre Fourier, César de Bus, — et qu’ils avaient créé, presque simultanément, en Italie, en Espagne et en France, quelques-uns des organes de rénovation interne ou d’action extérieure dont l’Église sentait, pour se réparer ou se développer, le besoin. Il n’est pas moins certain que le clergé français, non seulement dans le huis clos de sept ou huit conciles provinciaux, — dont le premier, celui de Reims, est de 1564, et le dernier, celui d’Avignon, de 1594, — mais au grand jour des Etats-Généraux et dans les assemblées de Notables, avait proclamé son désir, et parfois même une assez énergique volonté[2] de se conformer aux instructions du Concile de Trente. Enfin, je ne songe point à nier que les efforts et les premières fondations de Bérulle, du P. De Condren, de saint Vincent de Paul, de Bourdoise, datent de la fin du règne de Henri IV et de la première moitié de celui de Louis XIII. Mais tout cela ne fait pas qu’en 1627, où la Compagnie du Saint-Sacrement se fonda, la rénovation du catholicisme fût en France, je ne dis pas accomplie, mais seulement avancée. De croire que les faits vont aussi vite que les idées, et qu’ils suivent de près les promesses et les résolutions, — de croire aussi que les initiatives individuelles impliquent l’ébranlement simultané des corps publics, — ce sont des illusions dont les historiens doivent soigneusement se garder.

Les exécuteurs naturels et désignés de l’œuvre d’épuration et d’expansion rendue nécessaire par le succès du protestantisme et prescrite par le Concile de Trente, — les évêques, — n’y avaient, jusqu’alors, presque pas mis la main. Aussi bien en étaient-ils, pour la plupart, insoucieux ou incapables. Le Concordat de 1516 continuait à porter ses fruits. Les prélatures, remises, comme tous les bénéfices ecclésiastiques, à la nomination du Roi, étaient ouvertement réservées par lui aux cadets des grandes familles de vieille noblesse ou de haute bourgeoisie qui trouvaient là un débouché plus accessible que la magistrature, plus rémunérateur que l’armée[3]. Puis, parmi ces candidats de vocation intéressée ou contrainte qui abordaient, sans l’avoir appris, ce que Richelieu appelait « le plus difficile métier du monde, » ni les derniers Valois, ni Henri IV, au début de son règne, ni Richelieu lui-même, toujours politique, n’avaient fait ou ne continuaient à faire les choix les meilleurs ou les moins mauvais[4]. Un pamphlet du temps[5], qui pourtant se défend de révéler méchamment « la turpitude de nos pères spirituels, » s’indigne de voir dans l’Église de Dieu si peu « de gros bénéficiers qui vivent sobrement, qui aumônent, qui soient hospitaliers, » tant de pasteurs insuffisans et « sales. » Mettons qu’il exagère. Au moins est-il sûr que, vers 1625, sur les chefs des cent vingt-sept diocèses français, il y en avait bien près de dix à qui leurs mœurs ou leur réputation interdisaient toute idée de réformer autrui[6]. Dans le reste, les uns, — la majorité sans doute, — devenus riches propriétaires et hauts seigneurs de par leur prélature, avaient assez à faire de plaider contre leurs vassaux et redevanciers, et de dresser le terrier de leur évêché. Les autres cumulaient des charges d’Etat peu compatibles avec la résidence ou même avec le caractère sacré. Du Vair, évêque à Lisieux, était garde des sceaux, à la suite de la cour. MM. d’Ossat, de Joyeuse, Léonor d’Estampes, du Perron, de Beauvau, Henri de Sourdis, de la Valette, de Marquemont, de la Rochepozay, archevêques ou évêques de Rennes, de Narbonne, de Chartres, de Sens, de Nantes, de Bordeaux, de Toulouse, de Lyon, de Poitiers, passaient leur vie soit à la cour, soit dans les ambassades, soit même à la tête des armées ou des flottes. Enfin plusieurs d’entre eux, doctes et beaux esprits, fils de la Renaissance, séduits par les succès de Pierre Charron et de saint François de Sales, s’ingéniaient à « humaniser » la théologie, l’apologétique et la controverse, ou bien, à l’exemple de l’oratorien Baronius et des jésuites Bellarmin et Sirmond, s’enfonçaient dans l’érudition ecclésiastique[7] et faisaient de leur palais épiscopal une « librairie. » Dans cette diversité, où sont, vers 1025, les évêques qui « fassent leurs visites, aient soin de leurs troupeaux, ordonnent les prêtres en s’enquérant de leurs mœurs et examinant leur doctrine[8] ? » Ces rares prélats[9], que satisfaisait la besogne modeste de l’évêque, que tentait la besogne ingrate du réformateur, on les reconnaît vite dans l’histoire : leur première et fondamentale démarche est d’instituer un séminaire et de réunir périodiquement le clergé du diocèse : seminarium condit, célébrat synodos, disent les listes chronologiques du P. Gams. Or, les noms d’évêques auxquels le savant bénédictin peut ajouter cette mention ne sont, entre 1590 et 1630, qu’au nombre de douze ou quinze au plus, et saint Vincent de Paul avouait, en 1644, qu’il n’y avait pas plus de quatre séminaires dans le royaume.

Pourtant la nécessité de purifier l’Eglise et de raviver son action continuait d’apparaître. Et non pas uniquement aux doctes et dévots de l’élite ecclésiastique ou laïque, mais à la masse même des fidèles, ou du moins, — n’exagérons rien, — à la bourgeoisie catholique. Attachement encore affectueux à la vieille Eglise contemporaine de la nation et grandie avec elle, foi toujours vive, crainte ingénue et logique d’être mal conduit au salut par des prêtres paresseux ou ignorans, bien des causes entretenaient alors dans la classe moyenne de la population française ce souci religieux que le spectacle de la moralité sévère du protestantisme et l’écho de ses récriminations contre la « Babylone » papiste contribuaient aussi à tenir en éveil. Ce souci public, les pamphlets du temps, on l’a déjà vu, l’attestent : l’histoire des États-Généraux et des assemblées de notables le démontre. On sait[10] quelle place tinrent dans les cahiers du Tiers-État, depuis 1560 jusqu’en 1614 et 1627, les plaintes et les griefs contre une Eglise que ses fils voudraient voir se corriger elle-même pour les amender à leur tour. Car ce ne sont pas seulement, notons-le, les vices et les abus du clergé que visent ces reproches et ces doléances : c’est aussi la décadence de la piété et des mœurs chez les laïques. Si le Tiers veut des gens d’Eglise plus vertueux et plus savans, ce n’est pas seulement, ce n’est pas surtout par héritage des taquineries anticléricales du moyen âge : c’est parce qu’il lui faut des sermons plus fréquens, des visites épiscopales plus régulières, une surveillance plus exacte et plus étroite, par les évêques, des péchés publics, blasphèmes, inobservation du dimanche[11], plaisirs immoraux ou livres hétérodoxes : — appel insistant, et bien curieux, du peuple catholique français à l’Église afin qu’elle consentit à maintenir, par l’accomplissement de sa fonction spirituelle, sa maîtrise sociale.

Seulement, comme à cette tâche la plupart des prélats se dérobent, on demande à l’Etat de les y contraindre, ou mieux, de les y suppléer. C’est le vœu plus ou moins explicite, et le vœu répété pendant soixante-dix ans, de toutes les assemblées nationales, et, dans leur sein, du Tiers-Etat surtout, dès 1560, à Orléans, puis à Blois en 1576, à Paris en 1614, à Rouen en 1626. C’est vers le Roi que l’on se tourne ; c’est ce Roi, restaurateur désormais accepté de la paix matérielle, que l’on conjure de pourvoir de même à l’ordre moral et religieux, d’assurer la double réforme du clergé et du peuple chrétien, d’y appliquer, comme à des matières de police ordinaire, les forces de son autorité grandissante. Et il n’est que juste de convenir que, si, en France, l’Etat a accaparé les fonctions spirituelles, il y fut à de certains momens invité par l’inertie de l’Eglise, autorisé et poussé par les sollicitations des fidèles.

À ces sollicitations, qui la flattaient dans ses visées d’omnipotence, la royauté de la fin du XIVe siècle et du commencement du XVIIe n’avait garde d’être sourde. Elle y répondit par ces ordonnances d’Orléans (1560), de Blois (1579), de Paris (1624 et 1629), dans chacune desquelles bon nombre d’articles nous montrent le pouvoir laïque intervenant en des questions purement religieuses, pénétrant dans l’Eglise pour y faire la police spirituelle de l’Eglise. C’est alors, par exemple, que les cours souveraines sont investies du droit de tenir la main à la création des séminaires ; les procureurs généraux, de vérifier si les évêques résidaient, et, en cas d’absence irrégulière, de saisir leur temporel.

Toutefois il n’entrait pas dans les plans de la royauté française d’aller, dans cette voie, aussi loin que l’exigeait la réelle détresse religieuse de l’Eglise nationale.

D’abord elle refusait, en dépit des instances réitérées du clergé, de recevoir le Concile de Trente, et, par conséquent, de laisser prendre officiellement pour base, pour méthode et pour sanction de la réforme ecclésiastique les décrets, que venait de promulguer, avec une intelligence indéniable, l’autorité la plus compétente en la matière. Et, là-dessus, le Tiers-Etat, où les Parlementaires dominaient, était encore plus intransigeant que la Cour. Henri IV et Richelieu exprimaient au moins des regrets polis de cette opposition au Concile, disaient ou laissaient dire, promettaient même parfois qu’on ne s’y obstinerait pas toujours[12]… Mais, quand il advenait au clergé, en un accès de hardiesse, de déclarer qu’il publierait lui-même en France le Concile, sous sa responsabilité propre, et qu’ « à la charge de leur conscience, » les prélats en observeraient les constitutions et canons[13], ce n’était pas seulement les protestans qui alors pressaient la Cour d’annuler cette téméraire initiative[14], c’était le Tiers-Etat, champion obstiné des « libertés de l’Eglise gallicane, des « privilèges de la cour de France, » des « droits des cours de justice françaises, » ennemi farouche des « empiétemens de la cour de Rome. » Et alors on voyait à Paris le prévôt des marchands défendre, par sentence, « à tous les ecclésiastiques du ressort de la prévôté et vicomte, de tenir le Concile pour reçu, et même d’innover aucune chose dans la police ecclésiastique sans la permission du Roi, à peine de la saisie de leur temporel et d’être traités comme criminels de lèse-majesté[15]. »

Mais la contradiction était flagrante. D’un côté, l’on reprochait aux évêques leur insouciance ; de l’autre, par ce rejet du Concile, on l’encourageait, ou tout au moins on la rassurait. François Miron, le porte-paroles du Tiers en 1614, s’en apercevait bien, quand, tout en maintenant les fins de non-recevoir de l’opposition parlementaire au Concile, il engageait néanmoins « MM. du clergé à se mettre d’eux-mêmes dans l’exécution et observation de ce Concile, » à le « prendre pour règle et modèle de leurs mœurs et actions[16]. » Une règle, pour être obéie, quand elle va surtout contre la routine et les intérêts, a besoin du prestige officiel[17]. Laissés facultatifs, abandonnés « à la conscience de chacun, » légalement suspects et contestables, les décrets de Trente n’avaient nulle force, ni sur les évêques, ni sur le clergé, ni sur les fidèles. En invitant l’Eglise française à se corriger et à se restaurer, on lui en refusait le moyen le plus naturel et le plus efficace.

D’ailleurs, dans la pratique même, la royauté, ni le Tiers-Etat, — toujours agissant de conserve, — n’étaient pas plus touchés de la logique. A une pieuse affection pour son Eglise nationale se mêlait, dans la bourgeoisie surtout parlementaire, l’imprescriptible défiance laïque contre les intrusions et empiétemens du clergé, et la patriotique rancune de sa conduite factieuse et de ses intrigues espagnoles pendant la Ligue. Et dans le gouvernement, à une bienveillance, — intéressée du reste, — pour l’Eglise dont il escomptait les « dons gracieux, » se mêlait la suspicion d’un absolutisme accapareur à l’égard de toute autorité rivale, de toute initiative concurrente. De là, dans cette période, de nombreuses marques d’inconséquence. Ici les consuls de Condom[18] réprimandent l’évêque de tarder trop à créer un séminaire ; là, le Parlement de Bordeaux déclare abusive la punition infligée par l’archevêque à un curé non résident. François Miron prodigue au clergé les exhortations les plus sévères et le convie à se relever ; mais, quand Charles Miron, son frère, évêque d’Angers, veut réformer son clergé, qui regimbe, coût le monde lui fait la vie si dure qu’il est obligé d’abandonner son diocèse, et, dans un procès entre lui et ses chanoines, c’est contre l’évêque réformateur que le Parlement de Paris prend parti.

En fin de compte, la contre-réformation catholique, encore négligée vers 1627 par la grande majorité des évêques, réclamée par le Tiers-Etat, approuvée et adoptée par la royauté, n’était, quand on en arrivait au faire et au prendre, ni secondée de bon cœur par le Tiers-Etat, ni accomplie de bonne volonté par la royauté. Elle restait, parmi ces équivoques, comme pendante[19] et l’on commence à s’expliquer déjà qu’au milieu du règne de Louis XIII, les catholiques perspicaces, convaincus et ardens aient ressenti le besoin de faire leurs affaires eux-mêmes.

J’ajoute que l’on s’en rend encore mieux compte à la date précise de 1627, où la Compagnie du Saint-Sacrement fut conçue.

C’est l’époque où Richelieu ne se gênait plus d’aucun scrupule pour pratiquer cette politique « réaliste » et laïque, très peu inquiète de froisser, voire de combattre ouvertement le Saint-Siège, et visiblement décidée à subordonner les intérêts de l’Eglise à ceux de l’Etat. On sait aussi quelle opposition lui faisaient, sous la conduite du cardinal de Bérulle et de Michel de Marillac, les « Dévots, » qui, appuyés sur les « catholiques zélés, fort nombreux alors dans le royaume[20], » préconisaient, à l’encontre, « la chimère d’une politique confessionnelle[21]. » Mais de ces hardiesses scandaleuses de Richelieu, dans sa diplomatie comme dans son gouvernement intérieur, « Dévots » de cour et « zélés » de province ne devaient-ils pas naturellement induire une irrémédiable indifférence du cardinal-ministre pour le relèvement spirituel et moral du clergé et des fidèles catholiques ? De ce « pontife des calvinistes, » de ce « patriarche des athées, » pouvait-on attendre qu’il s’intéressât jamais à la renaissance de l’Eglise de France ? Sans doute on se trompait, puisque, dès 1624, les papiers de Richelieu[22] nous le montrent faisant, dans ses préoccupations, une place à ce grand sujet, et esquissant, pour l’avenir, un plan de réformes religieuses qui répondait presque de tous points aux vœux du Tiers-Etat et même à ceux du clergé[23]. Mais ses pensées d’avenir étaient secrètes, tandis que ses actes publics et présens s’affirmaient, de plus en plus impropres à faire espérer qu’il devint jamais l’exécuteur ou l’auxiliaire d’une restauration du « règne de Dieu » dans le royaume de France. C’est pourquoi cette année 1626, où il accordait aux huguenots une paix contre laquelle les « Dévots » s’exclamèrent et où il faisait déclarer au Roi sa volonté de n’employer à l’égard des Réformés que « toutes bonnes voies de douceur, en attendant, » patiemment, « qu’il plût à Dieu de les illuminer ; » — cette année où il travaille à détacher de l’Empereur les Electeurs catholiques et à donner le meilleur chef possible à la coalition des Allemands protestans[24] ; — cette année où, ayant convoqué une assemblée de Notables, il l’entretient de finances, de police, de guerre et de marine, sans dire un seul mot, je pense, de cette réforme ecclésiastique que les assemblées précédentes mettaient toujours en tête de leur programme ; — cette année enfin, où, malgré toutes ces païennes audaces, Richelieu voit son crédit auprès de Louis XIII s’affermir de plus en plus et défier la cabale[25], fut précisément celle où, dans l’esprit d’un grand seigneur de piété exaltée et combative, le duc de Ventadour, germa l’idée d’un « comité d’action catholique, » — pour employer, avec M. Allier, une expression moderne, mais exacte, — l’idée d’une association qui vînt au secours de l’Eglise, de plus en plus négligée et trahie. Et, si rien ne nous autorise à dire que le cardinal de Bérulle, — qui, favori de la Reine mère, travaillait alors plus que jamais à renverser Richelieu, — ait fait partie de la Compagnie du Saint-Sacrement naissante, tout nous permet de supposer qu’il la connut et l’approuva, puisque son ami et confident intime, son « directeur de conscience, » le P. De Condren, y adhéra des tout premiers. Et ainsi la fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement risque, très vraisemblablement, d’avoir été liée avec la politique générale du parti catholique d’alors. Les chefs de ce parti, mystiques autant qu’hommes d’Etat, virent sans doute en elle, avec un espoir joyeux, un complément admirablement conçu des efforts que l’initiative individuelle, à défaut de l’Etat et des évêques, avait tentés, en vue de purifier la vie intérieure et de fortifier l’expansion extérieure de l’Eglise.

Ces efforts s’étaient traduits principalement, on le sait, par la multiplication des établissemens monastiques, qui fut prodigieuse dans les vingt dernières années du XIVe siècle et les vingt-cinq premières du XVIIe, surtout aussitôt après la mort de Henri IV. On a évalué à près de 15 000 les couvens existant en France en 1626[26]. Et ces couvens, pour la moitié au moins, venaient d’être fondés par des ordres nouveaux, de qui le caractère montre clairement à quelles nécessités ils prétendaient pourvoir.

De ces ordres nouveaux, un quart à peine, on l’a remarqué souvent[27], se vouait à l’ascétisme contemplatif et cloîtré : les trois quarts étaient des congrégations « séculières » et qui ne méritaient pas seulement ce nom parce qu’elles ne s’astreignaient point à la règle claustrale, mais parce qu’elles pratiquaient tous les moyens de se mettre en contact avec le siècle et d’y entrer : — l’assistance publique, dont les ordres mendians se font de plus en plus une spécialité ; — l’enseignement, auquel les Jésuites, dès l’origine, les Oratoriens, malgré Bérulle, les Ursulines, les Bernardines, les Clarisses se consacrent avec tant d’ardeur qu’en peu de temps la France est couverte de leurs collèges ou écoles ; — le ministère ecclésiastique, enfin, dont, malgré leurs statuts, leurs promesses ou les défenses papales, elles ne tardent pas à se laisser ou à se faire charger. Soit qu’elles placent leurs membres dans les fonctions de curé ou de vicaire, soit que, dans les paroisses, à côté de l’église, elles ouvrent aux fidèles les chapelles de leurs couvens[28], elles s’immiscent dans la vie quotidienne de l’Eglise, et se mêlent, par l’administration des sacremens, au clergé ordinaire dont elles affectent de ne pas se distinguer même par le costume. Tel avait été[29] le plan de saint Charles Borromée, — l’initiateur de génie à qui toujours il faut remonter dans l’histoire religieuse d’alors, — lorsqu’il fondait, en 1578, ces Oblats de Saint-Ambroise, « pépinière, nous explique-t-on, « d’ouvriers évangéliques, » qu’une règle, très simple, ne servait qu’à « dégager des embarras du siècle, » et, loin de les empêcher de remplir « toutes les fonctions ecclésiastiques, » les mettait en état « de s’y consacrer avec une ardeur plus entière. » C’est là le type sur lequel s’étaient fondés, d’abord les Oratoriens de Bérulle, « non point religieux, » disaient-ils eux-mêmes, mais « prêtres associés en vue de travailler pour les évêques, sous eux et pour eux ; » — puis les Prêtres de la mission de Saint-Vincent-de-Paul, — les Prêtres missionnaires de la Congrégation de Saint-Joseph à Lyon, — les Clercs de la Mission ; — d’autres encore, comme, en 1642, les Eudistes. Et, tout en voulant se discerner du clergé ordinaire par une supériorité morale, dont parfois on leur reprochait l’orgueil méprisant[30], la plupart de ces congrégations ne veulent point s’en séparer au regard de la hiérarchie. Elles déclarent « faire partie du corps du clergé séculier. » Leur tactique est visible : — s’adjoindre à ce clergé pour le stimuler et le supplanter au besoin.

Toutefois, bien des obstacles s’opposaient à cette infusion dans l’Eglise française d’une activité nouvelle, et stérilisaient les efforts des congrégations. Leur établissement, d’abord, dépendait des goûts, variables selon les lieux, et souvent, sans doute, capricieux et superficiels, des populations. Ici, c’étaient les Jésuites, là les Oratoriens dont, sans raisons visibles, on s’engouait. Ici, c’était la Visitation, là, le Carmel que réclamait ou repoussait, avec une chaleur également inexplicable, la bourgeoisie dévote. De ces préférences, l’effet le plus clair était de faire naître entre ces ordres des jalousies qui les brouillaient. Et, dans cette répartition fortuite, ce succès inégal et ces concurrences, l’action qu’ils exerçaient ne pouvait pas avoir cette universalité, cette cohérence et cette suite qu’eût exigées l’accomplissement de la contre-réformation.

Le succès des congrégations était lié aussi à des conditions financières. Les fortunes de tant de colonies monastiques, semées en trente ans par un zèle plus hâtif que circonspect sur un pays appauvri, n’étaient pas encore constituées. Beaucoup d’entre elles ne pouvaient se passer du concours des municipalités. Et, quoique les ordres mendians fussent à plusieurs égards les plus utiles (pour le soin des malades pendant les épidémies alors si fréquentes), c’étaient ceux que les villes attiraient le moins et dont elles se lassaient le plus vite à cause de la charge qu’ils leur imposaient.

Mais le grand écueil des congrégations était la cohabitation avec le clergé séculier, curés, chanoines, évêques. Le bon accord dépendait des deux parties. Or, — pour ne parler ici que des rapports des évêques avec les religieux, — s’il est vrai que les meilleurs d’entre les prélats (tel, à Bordeaux, François de Sourdis) fussent d’ordinaire les plus favorables à ces « corps de volontaires, » qui, avec une jeune ardeur, venaient réveiller la routine endormie des « vieux régimens et de la milice hiérarchique » ordinaire ; — si ceux même des prélats que distrayaient d’autres besognes (tel, à Lyon, Denys de Marquemont) savaient reconnaître, dans les religieux, des « coadjuteurs » ou des suppléans bienvenus, sur lesquels ils pouvaient se reposer en sécurité de la restauration, négligée par eux, de leur diocèse ; — il y avait aussi des évêques, il y en avait davantage, qui prenaient ombrage de ces collaborateurs hors cadres, indépendans, étrangers, et qui les accusaient de vouloir « soustraire le gouvernement des âmes à ceux qui, par leur office, en sont chargés et responsables[31]. »

De leur côté, les ordres monastiques faisaient souvent tout ce qu’il fallait pour justifier ces défiances. Je ne parle pas seulement de leurs prétentions à ne relever que du Pape, dont se devaient froisser les évêques même les moins gallicans, pour peu qu’ils fussent jaloux de leur autorité ou attachés à leur tâche pastorale et soucieux du bon ordre de leurs troupeaux On sait, de reste, combien ces prétentions des réguliers à l’autonomie étaient altières et opiniâtres. Il n’est guère de diocèse de France dont les archives n’offrent quelque relation tragi-comique des combats affrontés contre l’Ordinaire par des moines ou des nonnes qui refusent de laisser inspecter leur chapelle ; — de l’ouverture, manu militari, des portes d’un monastère par l’évêque réduit à l’assiéger ; — d’un procès soutenu en Parlement à grand renfort d’injures et d’anathèmes réciproques, touchant une immunité violée ou une élection contestée[32]. Il y avait plus encore, à l’époque précise où nous sommes. Il y avait, depuis 1625, cette lutte des religieux d’Angleterre (et, spécialement, des Jésuites) contre l’évêque délégué par le Pape en ce pays et contre le clergé séculier des communautés catholiques. À ce débat, porté par les deux partis devant la Sorbonne, les évêques de France s’étaient spontanément mêlés, et non sans raison, car la thèse soutenue en l’espèce par les insubordonnés était en général et pour tout l’épiscopat singulièrement menaçante. Puisque, disaient les Jésuites, les réguliers peuvent faire et font effectivement dans les diocèses et les paroisses tout ce que fait le clergé séculier, ils doivent être placés, — sinon au-dessus, — au moins sur le même pied. Bien plus, qu’est-il besoin de curés et d’évêques ? La milice monastique ne suffit-elle pas ? Et même, directement dépendante qu’elle est, et inspirée de Rome, ne vaut-elle pas mieux ? Des assertions de cette sorte s’autorisaient, sans doute, de l’immense travail qu’en effet, dans plusieurs pays, les Jésuites avaient fourni au profit de l’Eglise contre la Réforme ; mais elles trahissaient une ambition qui n’allait à rien moins qu’à bouleverser la forme antique de l’Église en substituant à la hiérarchie traditionnelle et aux cadres fixes et régionaux l’initiative démocratique et mobile des congrégations internationales et romaines. On conçoit qu’en 1625, l’Assemblée du clergé se montrât « fort irritée des entreprises des différens ordres contre la juridiction » des Ordinaires, fort pressée de « réduire sous l’autorité des évêques » toutes les insubordinations monastiques que manifestait alors la bruyante querelle de l’Oratoire et des Carmélites, — et qu’elle ne craignît même pas, pour mettre fin à cette anarchie naissante, de demander avec vivacité la réunion d’un concile national[33]. Et bientôt, — à partir de 1631, — un évêque, Jean-Pierre Camus, le fougueux et fleuri disciple de saint François de Sales, allait se faire devant le public l’avocat de ses confrères[34] et de l’Église officielle, dans une suite d’écrits où sont exposés, je pense, tous les griefs passés, présens et futurs du clergé séculier contre les congrégations envahissantes.

Ajoutons que, si, dans l’armée innombrable de moines de toute robe accourue à la rescousse de l’Église, les recrues récentes avaient une valeur morale impossible à nier, — les Jésuites, par exemple, qui déjà s’imposaient au respect de leurs ennemis mêmes par une austérité sans reproche, — les vieux ordres étaient fort déchus. Si fort qu’en 1622, l’évêque de Paris, Henri de Gondi, n’avait pas de peine à obtenir de la piété scandalisée de Louis XIII qu’on entreprendrait une réforme générale de tous les couvens. Cette réforme, confiée au cardinal de La Rochefoucauld assisté de quatre prélats et de huit conseillers d’État ou maîtres des requêtes, se poursuivit de 1623 à 1638[35], et, durant cette période, tout indique que les réguliers étaient pour ainsi dire sur la sellette. C’est alors que le très catholique Parlement de Rouen s’avise avec effroi que les congrégations ont dans ces dernières années pullulé plus que dans le courant de plusieurs siècles[36]. Le gouvernement, malgré les sentimens religieux de Louis XIII, d’Anne d’Autriche, des chanceliers alors aux affaires, apporte désormais des restrictions défiantes aux autorisations que, quinze ans plus tôt, il prodiguait[37]. Richelieu, dans le mémoire secret que nous citons plus haut, ne parle de rien moins que de fermer, « sans exception quelconque, tous les monastères de filles[38]. » En sorte qu’à tous les inconvéniens que nous venons de voir s’opposer à l’efficacité de l’action régénératrice des congrégations au sein du catholicisme français, s’ajoutait, dans le temps où la Compagnie du Saint-Sacrement se fonda, une sorte de discrédit.

Ainsi donc, il s’en fallait de beaucoup que l’extension des ordres monastiques suffit à satisfaire les catholiques inquiets des intérêts délaissés de l’Église, à compenser la torpeur persistante des prélats et l’indifférence égoïste de l’État, à assurer toute seule cette réforme des abus ecclésiastiques et ce renouveau de l’activité, défensive ou créatrice, du catholicisme, dont on attendait, en vain, depuis si longtemps, la manifestation générale et concertée. Replacée, — ainsi que nous venons d’essayer de le faire, — parmi les circonstances d’ordre religieux et politique où elle se produisit, la fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement ne nous apparaît point comme elle risque d’apparaître si, d’une part, on la considère isolément, et si, en même temps, on s’imagine que le catholicisme avait, d’ores et déjà, reconquis sa situation triomphante d’avant la Réforme. On ne voit pas en elle une superfétation débordante et gratuitement agressive, un excès conquérant du « zèle » des catholiques militans d’alors, mais bien le complément nécessaire, logique et opportun de ce mouvement de contre-réformation catholique, conduit avec si peu de coordination et de suite, ou plutôt abandonné à lui-même et à la grâce de Dieu. On s’étonne moins de ces grands désirs, de cette audace à toucher à tout, que professèrent, dès le début, M. De Ventadour et ses amis, et qui, sans ce regard sur les choses ambiantes, semblent quelque peu puérils en leur voracité. Si, à leur activité, les confrères ne prescrivent, comme le répète d’Argenson, « ni bornes, ni mesure, ni restrictions[39], » c’est que leur idée de derrière la tête, la raison d’être de leur groupement, n’est en somme rien moins que celle-ci, — de tâcher que cette contre-réformation tant souhaitée, tant proclamée, tant retardée, se fasse enfin[40].

Et c’est aussi pourquoi ils donnent à leur association cette constitution, d’une si originale nouveauté, que les Annales de Voyer d’Argenson nous montrent se perfectionnant avec les années. De ce projet hardi de faire aboutir la grande œuvre de restauration religieuse que soixante ans d’histoire n’avaient qu’ébauchée, résultent — outre ce secret dont j’ai déjà montré la nécessité et qui, à présent, s’entend encore mieux, j’imagine, — toutes les autres particularités que nous offrent ou les Statuts primitifs ou les Résolutions ultérieures de la singulière Compagnie.

Et d’abord son caractère résolument séculier.

Pour refaire le « siècle » selon l’idéal catholique, c’est dans le siècle même qu’il faut chercher des ouvriers. Et donc la Compagnie du Saint-Sacrement se défendra avant tout d’être une association extérieure au monde telle que sont ou doivent être les congrégations monastiques. D’ecclésiastiques, elle n’admettra que ceux qui sont « répandus dans le monde, » mêlés à la « vie commune. » C’est surtout, en somme, parmi les laïques qu’elle se recrutera ; ce sont eux qui, tout en laissant aux prêtres la primauté d’honneur, se réserveront le principal de la direction et le réel de l’action[41].

Et ces laïques, on les prendra partout, dans toutes les classes, au moins dans les classes dirigeantes de la société, dans tous les « emplois. » On ne leur demandera pas, comme en ces confréries où les hommes du monde viennent exprès pour dépouiller l’homme du monde, d’oublier leur situation temporelle, mais, au contraire, de s’en souvenir et de s’en servir : la Compagnie, pour son grand dessein, a besoin d’ouvriers variés, et elle utilisera, chacun « selon son pouvoir et sa condition, » ces confrères dont le premier « exercice » spirituel, tous les matins, doit être « de se demander quel moyen ils ont, dans leurs œuvres » ordinaires et professionnelles, « de procurer la gloire de Dieu[42]. » Bientôt même, qui plus est, on décide que, dans cette armée toute mondaine, si l’on peut dire, les religieux ne doivent pas même être reçus ; qu’ils y nuiraient non seulement parce que, comme nous l’avons vu, la règle les empêcherait de jurer à la Compagnie l’indispensable secret, mais aussi parce que tout ordre monastique a son « esprit » spécial[43], sa destination propre, et qu’il s’attache de préférence à tel ou tel genre de bonnes œuvres. Il ne faut pas que des religieux introduits dans la Compagnie risquent, même à bonne intention, d’y faire prévaloir leurs desseins de bien fragmentaire aux dépens de la curiosité infinie, de l’activité encyclopédique, de l’ambition omnivore, si l’on peut dire, d’une association dont « l’esprit doit être, non l’esprit particulier » de tel ou tel couvent, mais « l’esprit général de l’Eglise universelle. »

De là, aussi, au moins en partie, la si curieuse indépendance, vis-à-vis du pouvoir et des évêques, à laquelle la Compagnie, après d’assez courtes hésitations, se résigne ou se complaît. Son programme, elle le sentit de bonne heure, devait encourir le blâme des puissances établies, non pas seulement parce qu’il l’obligeait, nous l’avons vu, à empiéter sur leurs attributions, mais encore parce qu’il l’amenait à souligner leurs impuissances ; et enfin parce qu’il la mettait, en chaque lieu, par l’universalité généreuse de ses conceptions, au-dessus des préoccupations locales et des vues étroites[44]. En revanche, ce à quoi elle tient et très sensément, dès le début, c’est à se rattacher à l’autorité spirituelle la plus haute, à relever du Siège suprême et central de l’Eglise. Voilà le lien qui lui convient, celui qui lui suffit. L’histoire des efforts qu’elle fait en ce sens, et que M. Allier ne voit pas, je crois, sous leur vrai jour[45], achève bien, si je ne me trompe, de fixer son caractère et de marquer, avec la profondeur de son dessein, l’ampleur de sa volonté. C’est à peine née, à peine organisée, et au moment même où son échec auprès de l’archevêque de Paris devrait l’humilier, qu’elle ne craint pas de tenter auprès du Pape une démarche paradoxale et qui pourrait sembler impudente et imprudente à la fois : elle sollicite de lui l’approbation que lui refusait l’archevêque[46]. Mais le bref qu’après un an et demi d’attente, elle reçoit, en 1633, n’était point ce qu’elle voulait : encouragement banal, accompagné du cadeau de « quelques indulgences, » comme à la première venue des confréries de paroisse ! Rome n’avait pas compris. Dépitée, la Compagnie patiente et travaille. En 1043, un nouveau nonce, Bagni, arrive à Paris. A peine débarqué, il consent, grâce apparemment à l’entregent de quelques-uns des anciens diplomates membres de la Compagnie de Paris, à faire une visite à cette assemblée clandestine[47]. La glace ainsi rompue, on continua sans doute de documenter et de conquérir l’envoyé du Pape. Lorsqu’en 1651, il revient[48] à l’ « assemblée, » c’est porteur d’une approbation orale du Saint-Siège, et le voilà qui accepte de faire partie, lui-même, du groupe parisien.

Enfin, en 1655, le 26 novembre, — date mémorable que D’Argenson note avec solennité, — le nonce apostolique fait remettre à ses confrères[49] « une lettre que le secrétaire d’Etat du pape Innocent X lui écrivait pour lui témoigner l’estime qu’il faisait de la Compagnie du Saint-Sacrement, » et il ne craint pas de laisser à la Compagnie cette lettre dont la copie fut mise au registre et l’original dans les archives comme un « gage précieux. » Et ce ne fut pas tout encore. Retourné à Rome, Bagni ne manqua pas, sans doute, comme il l’avait promis, « d’informer le Pape du bien » que faisait la société secrète et « de ses droites intentions pour la religion et pour l’Eglise romaine[50], » si bien qu’en 1659, il ne songeait à rien moins qu’à en établir à Rome, vraisemblablement de l’aveu du Pape, une pareille. Cette fois, on était entendu pleinement. Le malheur voulut qu’à ce moment, taquinée par Mazarin, la Compagnie de Paris eût à se souvenir plus de sa prudence et de son secret que de son ambition illimitée et de son « esprit universel. » Sans quoi, établis à Rome, confirmés du Pape, ayant, auprès du Saint-Siège, un « supérieur » qui fût vite devenu une manière de « général, » qui sait si les « fils » de M. De Ventadour n’eussent pas ajouté au fécond ensemble d’organes religieux dont l’Eglise de Rome est la capitale, un organe nouveau, plus puissant encore que n’importe lequel des corps monastiques antérieurs ? Alors la Compagnie du Saint-Sacrement eût été vraiment, dans l’Eglise universelle, une sorte d’Eglise occulte autorisée ; et l’on peut se demander ce que n’aurait pas été capable d’accomplir, en devenant internationale, cette ligue de toutes les ressources et de toutes les ardeurs du catholicisme séculier, travaillant et combattant avec la double force de l’indépendance et du secret.


II. — COMMENT IL CONVIENT D’APPRÉCIER L’ŒUVRE DE LA COMPAGNIE DU SAINT-SACREMENT

L’histoire religieuse et politique de la France entre 1600 et 1640, qui nous fait mieux comprendre la naissance et l’organisation de la Compagnie du Saint-Sacrement, nous aide aussi à en juger l’œuvre.

Dans l’activité multiforme que nous avons essayé de résumer au début de cette étude, un départ s’impose évidemment. — Il y a, d’abord, ces œuvres purement spirituelles, d’évangélisation lointaine ou de vigilance prochaine, qui devaient paraître aux Confrères du Saint-Sacrement les plus directement conformes à leur grand projet d’aider l’Eglise dans sa régénération et son réveil. Laissons-les de côté, si l’on veut. Car, peut-être, en dehors des historiens, le nombre n’est-il pas grand de ceux qui ont le libéralisme d’applaudir, lorsqu’il s’agit de croyances qui leur sont étrangères, aux efforts faits par des hommes de bonne foi pour propager un idéalisme bienfaisant. — Une autre partie, dans l’œuvre de la Compagnie, appelle, sans conteste, une estime sans réserves. C’est cette assistance aux pauvres et aux souffrans, qui, vu la misère affreuse, perpétuelle, universelle et visible du peuple, en France, au XVIIe siècle, aurait dû être la principale préoccupation et la perpétuelle hantise de tous les « honnêtes gens, » de tous les esprits cultivés, à plus forte raison de toutes les âmes chrétiennes de ce temps, — et qui, pourtant, ne l’a pas été.

Il faut savoir gré à la Compagnie du Saint-Sacrement d’en avoir eu dès l’origine, d’en avoir conservé jusqu’à la fin la passion infatigable. Elle eût pu se faire l’instrument de la contre-réformation catholique en France, sans consacrer à la charité autant qu’elle le fît de son temps et de ses ressources. Que, dans cette charité, elle ait été la collaboratrice de « M. Vincent » ou bien son inspiratrice, — comme on est grandement tenté de le croire, après avoir suivi l’enquête si précise et si originale de M. Allier sur ce point, — toujours est-il que nous la trouvons mêlée à toutes les œuvres de bienfaisance auxquelles les noms du saint missionnaire et de ses trop peu nombreux disciples sont restés, jusqu’à présent, seuls attachés. Elle a même, dans le bien, plus que le zèle chaleureux d’un Vincent de Paul : elle a l’ingéniosité d’un Théophraste Renaudot. Elle devance son temps. De nos modernes sociétés pour la protection de la jeune fille, contre la licence des rues, de nos « justices de paix, » de nos « secrétariats du peuple, » de nos patronages ouvriers, elle conçoit l’idée et parfois esquisse l’ébauche. Et si, dans ces voies nouvelles et prématurément ouvertes, il ne lui fut pas donné de rien fonder de durable, elle parvient du moins, dans les entreprises où la vieille charité du moyen âge se sentait moins dépaysée, à former des institutions qui devaient lui survivre (Sociétés de Paroisses, Sociétés des Visiteurs des prisons). Tout cela, sans aucun doute, est très digne de louange, encore qu’il s’y mêle toujours une arrière-pensée, ou, pour parler plus juste, une pensée très avouée de propagande catholique. Assurément les « Mémoires sur l’Esprit de la Compagnie, que d’Argenson analyse, prescrivent au « Supérieur » de « toujours s’informer du spirituel, de la croyance et de la conduite chrétienne de ceux que l’on a visités[51] ; » mais l’historien, qui sait le lent progrès des choses, ne s’étonne pas qu’au sortir du XIVe siècle, avant Descartes, avant Bayle, avant Leibniz, des croyans fervens, groupés par leur amour pour l’Eglise, unis en vue de la défense et de la diffusion de leur foi, aient associé ou même subordonné leur charité à leur foi, l’humanité à l’Eglise, et qu’ils n’aient pas eu l’intuition anticipée de notre neutralité philanthropique et de notre bienfaisance purement humaine.

Mais, à côté de la propagande spirituelle, à côté de l’œuvre charitable et moralisatrice, il y eut dans l’entreprise de la Compagnie du Saint-Sacrement toute une suite de campagnes agressives, dont l’odieux s’accroît pour nous des procédés secrets qu’elle y employa. Ici encore, pourtant, sur quelques points, il est juste de mesurer ou de modérer le blâme. Nous indignerons-nous, par exemple, de l’ardeur des confrères à extirper les compagnonnages ouvriers, comme si leur conduite en cette affaire manifestait seulement, ainsi que M. Allier paraît le penser, une partialité aussi peu chrétienne que peu équitable en faveur de « patrons » exploiteurs contre des travailleurs syndiqués[52] ? Il est exact que les confréries de Compagnons paraissent être sorties, au XVe siècle, de la protestation des ouvriers contre la tyrannie des « Maîtres[53] » ; mais leur histoire secrète, — car, elles aussi, ne l’oublions pas, furent des « cabales » mystérieuses, — est, encore aujourd’hui, assez peu connue, et ce que nous savons, d’autre part, sur l’état d’abaissement et de grossièreté brutale des classes populaires à la fin du moyen âge et au XIVe siècle est assez inquiétant pour que nous n’ayons pas le droit de jeter trop vite la pierre aux hommes qui attaquèrent alors le Compagnonnage au nom de la morale. Il serait très téméraire d’admettre que les accusations portées contre les « Devoirs, » à plus d’une reprise, par la Faculté de théologie de Paris, par les Officiaux, par les Parlemens, par le pouvoir royal, étaient purement calomnieuses ; rien ne nous permet d’affirmer que la Compagnie du Saint-Sacrement ne pût pas croire sincèrement qu’en poursuivant les Compagnons, elle continuait sa lutte générale contre les impuretés contemporaines.

A un autre point de vue, ses procédés contre les Juifs, les Illuminés, les Blasphémateurs[54], les Libertins, ont droit aussi à quelque excuse. L’inquisition perfide, la violence méchante et impitoyable[55] dont la Compagnie use à leur égard ne lui fut point particulière. Elle n’eut, à l’égard de ces diverses catégories de parias, ni l’initiative ni le monopole de l’intolérance cruelle. Il ne faut pas oublier qu’il était légal, honorable, méritoire aux yeux de la société laïque, de traquer tous ces impies qu’elle ne se lassait pas de mettre « hors la loi. » Ces horribles peines portées contre les blasphémateurs, nul ne les jugeait telles, sauf peut-être le gouvernement qu’un secret instinct politique avertissait de ne pas trop prodiguer les excès de force et de ne pas multiplier les spectacles d’une justice barbare. Quand ces peines furent adoucies, en 1617 et en 1620, ce fut apparemment contre le sentiment public, puisqu’en 1614, le Tiers-Etat lui-même réclamait contre les blasphémateurs le renouvellement de l’ordonnance affreuse de saint Louis.

L’état d’âme du peuple protestant n’était pas, à cet égard, supérieur, — surtout, comme d’ailleurs il était naturel, dans les pays où la Réforme tenait l’autorité. — Le mouvement réel de tolérance excité dans les Églises calvinistes par le supplice de Michel Servet et par la courageuse campagne qu’avaient menée, à cette occasion, Sébastien Castellion[56], Lelio Socin et leurs amis, se poursuivait sans doute, mais lentement ; et, du reste, allait-il, chez les « latitudinaires » les plus généreux, jusqu’à étendre aux contempteurs déclarés et publics de la foi chrétienne ou des cérémonies du culte la mansuétude dont on commençait d’accepter un peu l’idée entre chrétiens de communions diverses ? On en peut douter, à lire la confession de foi de ces Arminiens de Hollande[57], qui s’étaient faits les plus ardens adeptes et les plus zélés propagateurs des idées de Castellion. A côté de protestations vives contre tout despotisme ecclésiastique et contre tout appel au bras séculier dans les controverses, — à côté de déclarations, d’une fraternité largement accueillante pour quiconque, sous quelque nom et dans quelque mesure que ce fût, se réclamerait du christianisme, — un chapitre singulier subsiste, consacré spécialement aux incrédules et aux impies, et où sont consignées les « vengeances de Dieu » qui les attendent, non seulement en l’autre vie, non seulement dans l’ordre spirituel et mystique, mais ici-bas et dans l’ordre temporel, sous forme de « châtimens publics et exemplaires. » C’est que, si le bon sens social s’ouvrait forcément en certains endroits à cette tolérance dont le gouvernement de Henri IV avait osé faire entrer le principe dans la loi française et imposer à tout un peuple l’acceptation, — je veux dire à « la tolérance mutuelle, dans l’Église, entre fidèles séparés par des divergences qui n’atteignent pas les fondemens de la foi[58], » — lorsqu’il s’agissait des négateurs ou des insulteurs des « vérités fondamentales, » la conscience protestante ne s’ouvrait pas plus facilement que la conscience catholique à une clémence dont partout se scandalisaient les zélés et s’inquiétaient les prudens. La distinction, déjà invoquée au temps de Servet par ses juges, entre l’ « hérésie » parfois excusable et le « blasphème » toujours punissable, subsistait encore évidemment dans la Réforme.

A Genève, au moins, sûrement. La doctrine de Calvin et de Bèze, quoique discutée depuis 1553, n’avait pas cessé d’y dominer, et elle s’y appliquait couramment. Témoin, — pour ne rien dire des sentences d’amende honorable, de prison ou de verges que relatent, contre les menues fredaines de quelques « libertins » les registres du Conseil ou de la Compagnie des Pasteurs[59], — cette affaire de Nicolas Anthoine, exactement contemporaine des premières manifestations de « zèle » de la Compagnie du Saint-Sacrement : pauvre fou, condamné à mort, étranglé et brûlé à Genève, en 1632, comme « judaïsant, » et dont l’aventure n’est pas moins répugnante que celle de ce Simon Morin, contre qui M. Allier nous montre la Compagnie de M. De Ventadour acharnée avec une animosité tenace. « Pour nous, disaient dans leur arrêt les pasteurs de Genève, notre devoir est de montrer que l’Eternel ne laisse point impunis ceux qui, par curiosité audacieuse, scrutent les mystères au-delà de la Révélation… Celui qui voudra sonder la majesté de Dieu sera abîmé par sa gloire. » En France, il est vrai, deux ministres, — Mestrezat et Ferry, — eurent le courage de faire entendre alors à leurs frères genevois les conseils de l’humanité et du bon sens ; à Genève même, « quelques gens murmurèrent et dirent qu’il y avait là trop de sévérité[60] ; » mais la foule pensait, comme la majorité des juges, qu’en présence d’une avérée transgression « à la seconde Table de la Loi, » il n’y avait pas à hésiter, et qu’il fallait, sans vain scrupule, « ôter le méchant. »

Enfin on peut, avec trop de vraisemblance, dire plus encore. Qui sait si alors un philosophe se fût trouvé pour oser désapprouver nettement, au nom de la raison, la punition, par le fer et le feu, des insultes à ce que tout le monde alors, comme les pasteurs de Genève et les confrères du Saint-Sacrement, appelait « l’honneur de Dieu ? » Cet « honneur » n’était pas seulement une piété, mais une institution. Politiquement, juridiquement, la religion chrétienne supportait l’édifice civil : donc les outrages faits à ses mystères essentiels étaient des attentats révolutionnaires à la sécurité aussi bien qu’à la majesté de l’Etat. S’il y avait des crimes « méritant griève punition corporelle, » c’étaient ceux-là, au premier rang, et l’impitoyable répression du « blasphème » anti-chrétien, au moins quand il s’exprimait en paroles et en actes, ne pouvait pas ne pas apparaître aux plus éclairés comme une mesure logique et juste de défense sociale[61]. C’est ici l’un de ces cas où l’histoire, qui peut juger, mais qui doit juger avec intelligence, doit défalquer de la responsabilité individuelle la part de l’aveuglement général.

Mais il en va tout autrement de la guerre qu’à partir de 1632, la Compagnie du Saint-Sacrement fit aux Protestans français. Elle est, nous essaierons de le démontrer, inexcusable historiquement.


ALFRED REBELLIAU.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.
  2. G. Picot, Histoire des Etats-Généraux, IV, 296, 330.
  3. Félix Robiou, Essai sur l’histoire de la littérature et des mœurs pendant la première moitié du XVIIe siècle, p. 561 et suivantes.
  4. Lacombe, Henri IV et sa politique, p. 49. — D’Avenel, Richelieu et la monarchie absolue, t. III, p. 239, 248.
  5. La Promenade des Bonshommes, p. 18 et suivantes.
  6. MM. De Broc, Léonor d’Estampes, de la Rivière, de Lavardin, de Gondi, d’Eschaux, de Guise, etc. Touchant les mœurs et manières du cardinal de Guise, archevêque de Reims, de Léonor d’Estampes, évêque de Chartres, voyez un article d’Alfred Maury sur les Assemblées du Clergé, Revue des Deux Mondes, 1879, t. Ier. Sur l’état général du clergé, Faillon, Vie de M. Olier, t. II, p. 1 à 9 ; l’abbé Houssaye, le Cardinal de Bérulle et l’Oratoire, p. 2 à 12 ; Jullian, Histoire de Bordeaux, p. 432 ss., et autres histoires provinciales.
  7. Jacques et Jean du Perron, Gabriel de l’Aubespine, Henri Sponde, Nicolas Coeffeteau, Armand Jean du Plessis de Richelieu, sont les plus connus. Mais ils avaient beaucoup d’émulés : Arnauld de Pontac, Arnauld Sorbon, François de Harlay, La Rochepozay, Octave de Bellegarde, André Fremyot, Paul Boudot, René de Beaune, etc.
  8. Expressions du pamphlet ci-dessus indiqué.
  9. A Angers, Charles Miron et Guillaume Fouquet de la Varenne ; à Auch, Léonard de Trapes et Léonard de Vic ; à Avranches, François de Péricard (qui fut membre de la Compagnie du Saint-Sacrement) ; à Bordeaux, François IV d’Escoubleau de Sourdis ; à Narbonne, Louis de Vervins ; à Périgueux, François de la Béraudière ; à Poitiers. Godefroy de Saint-Belin ; à Rouen, François II de Harlay ; à Tours, Simon de Maillé-Brézé ; à Troyes. Roger de Beauffremont. A ceux que Gams signale, ajoutons : à Beauvais, Augustin Potier ; à Châlons-sur-Marne, Henri Clausse ; à Auxerre, François de Donadiou et Gilles de Souvré. — A titre d’exemple, voir sur l’administration réformatrice de François de Sourdis, l’abbé Allain, dans les Comptes-rendus du Congrès scientifique international des catholiques, Bruxelles, 1894.
  10. Voyez l’ouvrage si riche de faits et d’idées de M. Georges Picot, Histoire des États-Généraux.
  11. G. Picot, IV, p. 391 : « Ce fut le Tiers État qui se chargea (en 1614) de demander la stricte observation des dimanches et fêtes. Le clergé s’était contenté de réclamer pour les lieux saints les marques du respect public et des mesures destinées à obtenir le silence autour des églises pendant le service divin. »
  12. Georges Picot, t. IV, 327. D’Avenel, III, 319.
  13. Georges Picot, t. IV, 329.
  14. Traité secret de Londres, 1616 (G. Picot, t. IV, p. 330.)
  15. D’Avrigny, Mémoires chronologiques (année 1615) t. Ier, p. 230.
  16. G. Picot, t. IV, p. 329, note 1.
  17. Voyez une lettre de l’évêque de Montpellier, en 1637 (Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français, t. V, p. 37.
  18. Bertrand, Histoire des Séminaires de Bordeaux et de Bazas, t. III, p. 4 ; l’abbé Houssaye, le Cardinal de Bérulle et l’Oratoire, p. 12.
  19. Cf. d’Avrigny, Mémoires chronologiques, t. Ier, p. 42, 43, 45, 226, 229, 230.
  20. Le P. Grillet, Histoire de Louis XIII. t. Ier, p. 479, 480.
  21. L’abbé Houssaye, le Cardinal de Bérulle et Richelieu, p. 52. G. Fagniez. Le Père Joseph et Richelieu, t. Ier, y 186 188. 219.
  22. Papiers d’Etat de Richelieu publiés par Avenel, t. II, p. 159, 168. ss. Plans concertés, probablement en 1624-1625, par Richelieu et l’évêque Charles Miron.
  23. Par l’acceptation du Concile de Trente, au moins dans la mesure où les droits du Roi n’en seraient pas lésés.
  24. Fagniez, t. Ier, p. 265, 272, 274.
  25. Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 61 et suivantes. Fagniez, ouvrage cité, t. Ier, p. 163.
  26. D’Avenel, ouvrage cité, t. II, p. 240.
  27. Henri Martin ; Caillet, ouvrage cité.
  28. Dont la propreté coquette, observe l’évêque Camus, attirait le public plus que les églises paroissiales, que la Compagnie du Saint-Sacrement avait tant de peine à nettoyer.
  29. Hélyot, Histoire des ordres monastiques, édition de 1714, t. VIII, p. 34, 61, 77 ; D’Avenel, ouvrage cité, t. III, p. 345 ss.
  30. Voyez les livres de l’évêque Camus indiqués plus loin.
  31. Expressions de J. -B. Camus, évêque de Belley, le Voyageur inconnu (1630), p. 224, 233, 256, 275, 281 ss. ; le Directeur spirituel désintéressé (1631), p. 87, 88, 91, 93, 358, 401, ss.
  32. Voyez, au hasard, Jullian, Histoire de Bordeaux ; Bertrand, Vie de Mgr de Béthune ; Carro, Histoire de Meaux ; L. De Raynal, Histoire du Berry, t. IV.
  33. L’abbé Houssaye, le Cardinal de Bérulle et Richelieu, p. 75, 80.
  34. Outre ses ouvrages cités plus haut, voyez l’Antimoine bien préparé, 1632 ; le Traité de la pauvreté évangélique (Besançon, 1634) ; le Traité de la désappropriation claustrale (ib. 1634) ; le Rabat-Joye du triomphe monacal (Lille, 1634) ; les Prérogatives du pastoral paroissial bien défendues (1642) ; les Devoirs paroissiaux soutenus ; l’Honneur et la Fréquentation des paroisses maintenus contre leur mépris et désertion ; la Direction pastorale justifiée ; Considérations hiérarchiques, etc. Sur le changement, à cet égard, de l’archevêque François de Harlay, voyez Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. IV, 434.
  35. D’Avrigny, Mémoires chronologiques, t. Ier, p. 314 et suivantes. Caillel, L’administration de Richelieu, t. Ier, p. 164, etc.
  36. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, t. IV, p. 430-434. Cf. Inventaire des Archives communales de Dijon, B. 269. A Beauvais, au contraire (1619-1622), c’est la municipalité qui résiste à l’établissement des Ursulines protégées par le Roi. (Rose, Archives communales de Beauvais, p. 30).
  37. Carro, Histoires de Meaux, p. 521. Il résulte d’une lettre du garde des sceaux Marillac à Mathieu Molé (29 juill. 1628, Mémoires de Molé, édition Champollion-Figeac, t. 1er, p. 516), que l’on avait accordé, « il y a quinze ans, » aux Augustins déchaussés la permission de « s’établir partout où bon leur semblerait dans le royaume, » mais « le Roi ne veut plus, — ajoute-t-il, — que j’accorde de ces remissions générales, mais seulement des particulières, où je vois le consentement de l’évêque et des habitans, » c’est-à-dire « des maires et échevins. »
  38. Avenel, Papiers d’État de Richelieu, t. II, p. 74.
  39. Instructions rédigées par Du Plessis-Montbard, en 1660, dans le Mémoire de D’Argenson, édition Beauchet-Filleau, p. 193-197. Voir spécialement le n°16 : « La septième voie qui fait le fond des œuvres de la Compagnie. »
  40. Sur l’effet que l’activité de la Compagnie peut avoir eu « pour préparer un moment presque unique dans l’histoire du catholicisme français, » voyez une très bonne page de M. Allier (p. 125-126).
  41. Le Directeur (ecclésiastique le plus souvent) fait les prières au commencement et à la fin des assemblées ; c’est le Supérieur qui les prépare, les préside, les dirige, et qui, dans l’intervalle, agit avec les officiers. Voyez, sur ce judicieux emploi de tous les talens et de toutes les aptitudes, un mémoire de M. De Renty dans D’Argenson, édition Beauchet-Filleau, p. 273 (n° 6) : « Le Supérieur a besoin de prévoir plusieurs ordres de personnes pour les employer aux occasions : 1° celles qui ont le plus l’esprit de la Compagnie pour présenter leur advis dans les choses importantes qui la regardent ; 2° les personnes d’autorité et d’intelligence aux grandes affaires pour les leur adresser ; 3° les personnes riches, pour les dépenses aux grandes prisons et en autres lieux qui pourraient être à charge (aux autres) ; 4° les personnes spirituelles, pour consoler et fortifier les affligés ; 5° les personnes exactes, pour travailler aux affaires douteuses et difficiles ; 6° ceux qui sont propres et connaisseurs, pour acheter et négocier les choses nécessaires aux pauvresses lieux d’apprentissage pour les enfans, » etc.
  42. Statuts, ms. f° 62 v° ; D’Argenson, page. 193 et suivantes.
  43. Statuts, ms. F° 142 et suivans.
  44. D’Argenson, p. 196.
  45. Allier, p. 47-49. Ailleurs, du reste (p. 149), M. Allier observe avec raison que les projets de la fondation de séminaires des Missions étrangères « reflètent une des préoccupations les plus constantes de la Compagnie, son attachement étroit et direct au centre même de la catholicité. »
  46. D’Argenson, p. 24-25.
  47. D’Argenson, p. 93. Arrivé à Paris le 7 mai, le nonce alla à la Compagnie le 28 ; accompagné seulement, notons-le, d’un « missionnaire esclavon, » des indiscrétions duquel la Compagnie n’avait probablement rien à craindre.
  48. Ibid., p. 130.
  49. Ibid., p. 156.
  50. Ibid., p. 165.
  51. Remarquons, du reste, qu’il n’y a pas : « de ceux que l’on visitera. »
  52. Allier, p. 197-198.
  53. Martin Saint-Léon, Le Compagnonnage. Petit-Dutaillis, Histoire de France Lavisse, t. IV, page 138 et suivantes.
  54. J’entends ici les blasphémateurs anti-chrétiens et non les « blasphémateurs » protestans que la Compagnie identifia parfois avec eux. C’est ainsi qu’en Hollande le clergé calviniste, d’après un « latitudinaire » du temps (Hoost, dans Gérard Brandt, Histoire de la Réforme aux Pays-Bas, traduction française, t. Ier, p. 340), comprenait, sous le nom de blasphémateurs, papistes, luthériens, etc.
  55. Allier, p. 214-232, 384-429.
  56. Voyez pour quelques-uns des faits qui suivent, F. Buisson, Sébastien Castellion, t. II, page 291 et suivantes ; t. Ier, p. 348-349, et notes.
  57. Dans Gérard Brandt, Histoire de la Réforme en Hollande, traduction française, t. III, p. 220 ss.
  58. Titre d’un écrit d’un disciple de Castellion à cette époque, dans F. Buisson, t. II, p. 322, note 1.
  59. « En 1607, un enfant de douze ans, nommé Etienne Tissot, fut battu dans la place du collège pour avoir dit, en entendant des éclats de tonnerre, que Dieu, ayant bu tout son vin en étant ivre, s’occupait à rouler ses tonneaux. » Voyez Jean Picot (Histoire de Genève, t. III, page 129 et suivantes), qui cite d’autres exemples analogues de 1609, 1615, 1617, 1651. — En 1628, un étudiant, Rémond de la Croix, fut condamné à mort à Genève « comme blasphémateur, jureur, renieur des Saintes Écritures, les convertissant en railleries, se moquant des pasteurs et les calomniant. » Mais il fut gracié. Voyez Gaberel, Histoire de l’Église de Genève, t. II, p. 101 et p. 291 ; et, sur l’affaire de Nicolas Anthoine, la France protestante de Haag et Bordier, 2e édition.
  60. Spon, Histoire de Genève, édition de 1730, t. I, p. 495.
  61. Si ces faits, bien connus, avaient besoin de preuves, il suffirait de renvoyer aux traités de Jure Belli ac Pacis et de Imperio summarum potestatum circa sacra de Grotius et aux traités des Lois civiles et des Délits et des Crimes de Domat. Grotius réduit autant qu’il peut les opinions irréligieuses punissables, mais l’athéisme et la négation de la Providence lui paraissent toujours « coerceri. posse… nomine humanæ societatis. »