Un Comédien devenu conseiller de cour

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Un Comédien devenu conseiller de cour
Revue des Deux Mondes3e période, tome 39 (p. 697-709).
UN COMÉDIEN
DEVENU CONSEILLER DE COUR

Quand Mlle Rachel parut pour la première fois à Berlin en 1850, on l’invita à venir jouer Polyeucte à Sans-Souci, et un conseiller de cour, attaché à sa personne en qualité de chaperon et de cicérone, fut chargé de diriger ses pas jusqu’à la galerie des Coquilles, où elle eut l’honneur d’être présentée à leurs royales majestés. Deux ans plus tard, à son second voyage, on la pria de venir réciter quelques scènes dans l’île des Paons, et le même conseiller de cour fut de nouveau commis au soin de lui faire les honneurs de Potsdam. Lorsqu’elle apprit de lui qu’on n’avait fait aucun préparatif pour la recevoir, qu’elle ne trouverait dans l’île des Paons ni théâtre, ni estrade, pas même une tente, qu’elle y réciterait Phèdre, Virginie, Adrienne Lecouvreur entre deux pelouses, les pieds sur le gravier, au bruit du vent et des fontaines, elle entra dans une violente colère, déclara qu’elle allait repartir sur-le-champ pour Berlin. — Comment ! en plein air! s’écria-t-elle. Me prend-on pour une saltimbanque, et peut-on croire que je m’en vais compromettre la réputation de la première comédienne du Théâtre-Français en figurant bénévolement dans une comédie champêtre? — Le conseiller de cour dut la retenir par sa robe et recourir à tous les artifices de la diplomatie pour apaiser sa juste indignation. Il lui représenta que ce qu’elle prenait pour un affront était le plus grand honneur qui lui pût échoir, qu’on la traitait non en comédienne, mais en femme de distinction qu’on entendait recevoir en invitée, que, ne montant pas sur les planches, elle se trouverait de plein-pied avec l’auguste société qui l’attendait. — Non, lui dit-il, jamais artiste n’aura été honorée d’une telle marque de faveur. Que ne dira-t-on pas en France quand on saura que vous avez pris le thé avec le roi de Prusse, avec l’empereur de Russie, et que cédant à leurs prières, vous avez consenti à leur donner en passant, au pied levé, un échantillon de votre merveilleux talent ! — Croyez-vous? répondit Mlle Rachel, devenue pensive. — Cependant, comme elle résistait encore, l’habile diplomate, après avoir fait appel à sa vanité, fit vibrer les cordes de l’intérêt. Il lui jura ses grands dieux que l’empereur Nicolas ne manquerait pas de la solliciter de venir passer quelque temps à Saint-Pétersbourg. — Songez-y, s’écria-t-il, cette soirée peut vous rapporter au plus bas mot trois cent mille francs.

L’illustre tragédienne finit par se rendre. Quelques instans après, elle se trouvait en présence de toute la famille royale de Prusse, de l’empereur et de l’impératrice de Russie, du grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, du prince Frédéric des Pays-Bas, de la cour dans tout son éclat. La nuit tombait. On alluma des bougies, le vent les éteignait; on alla chercher des cloches de verre. « Le sieur Raphaël, » qui devait donner la réplique à sa sœur, tenait une cloche dans sa main gauche, son livre dans sa main droit»;. Sur la pelouse, les généraux, les ambassadeurs, les ministres étaient rangés en demi-cercle. Malgré les cloches et malgré Raphaël, la tragédienne remporta un éclatant triomphe. Dès qu’elle eut fini, on l’aborda, on la complimenta, on la fêta, le roi fut charmant, l’empereur fut charmant, tout le monde fut charmant, et Mlle Rachel se retira le cœur épanoui, contente de tout le monde et d’elle-même.

A sa joie se mêlait un étonnement. Elle avait découvert qu’â l’aimable conseiller de cour qui venait de lui faire les honneurs de Potsdam, et dont la poitrine était chamarrée de décorations, était « un ancien camarade, » un comédien en rupture de ban. Le sieur Raphaël surtout ne pouvait revenir de sa surprise ; les décorations l’éblouissaient, le rendaient mélancolique et béant. — Hélas! s’écria-t-il, nous n’en sommes pas encore là en France! On nous y traite toujours en déclassés. — Il aurait été plus étonné encore s’il avait su que l’ancien camarade, devenu conseiller de cour, jouissait de la faveur toute particulière du roi son maître, lequel disait souvent : « Où est Schneider? Qu’on aille me chercher Schneider! Il me faut Schneider!» Il aurait ouvert de bien grands yeux si Schneider avait daigné lui apprendre qu’il accompagnait Frédéric-Guillaume IV dans tous ses voyages, qu’il avait part à bien des secrets, qu’il était mêlé à plus d’une affaire, que les solliciteurs s’adressaient souvent à lui dans leurs besoins, que son opinion comptait pour quelque chose, que non-seulement son souverain lui voulait beaucoup de bien, mais qu’il possédait la confiance de l’empereur Nicolas, qu’il était chargé de l’informer de tout ce qui se faisait et se disait à Berlin, que les correspondances qu’il envoyait à Saint-Pétersbourg étaient lues avidement par le maître absolu de quatre-vingt millions de sujets et passaient pour exercer quelque influence sur les événemens. Oui, l’ancien camarade était devenu quelque chose en Europe, une façon de personnage, presque une figure historique. L’histoire est bonne fille, elle ne dédaigne personne. Et cependant, au travers de toutes ces grandeurs qui auraient fait tourner une tête moins solide que la sienne, il avait conservé l’esprit, les allures, les rubriques, les routines, les défauts et les vertus de sa première profession, dont la marque est indélébile comme la tonsure. Schneider l’avait bien prouvé le 12 juillet 1852, quand il réussit à amadouer Mlle Rachel. Quelque diplomate aurait su trouver comme lui les argumens propres à la toucher? S’il est vrai que le potier hait le potier, il est également vrai que le potier seul s’entend à persuader le potier, parce que seul il sait lire à livre ouvert dans son âme.

Louis Schneider est mort il n’y a pas longtemps, et on vient de publier ses Mémoires; ils sont d’une lecture agréable, et surtout ils sont pleins de précieuses instructions à l’usage des comédiens qui ne savent pas se contenter de leur talent, grand ou petit, et qui aspirent à devenir des personnages dans l’état; c’est un traité pratique sur l’art de parvenir[1]. Né en 1805 d’un père qui jouait supérieurement du cor de chasse et d’une mère qui avait conquis à Breslau et ailleurs une certaine réputation de cantatrice, Schneider était enfant de la balle. L’objet de son premier et secret amour fut une contrebasse; il aimait à s’endormir en lui passant ses bras autour du cou. Cet enthousiasme fut détrôné par celui que lui inspirèrent les Cosaques qu’il vit arriver en 1813 à Berlin ; il lui parut qu’un hetman étal; plus intéressait qu’une contrebasse. Ses parens le ramenèrent à une vue plus saine des choses en le faisant monter sur les planches dès l’âge de neuf ans. Il eut quelque peine à prendre son métier au sérieux; deux formidables soufflets qu’il reçut, et dont le souvenir se logea profondément et à jamais dans sa mémoire à côté des Cosaques et de la contrebasse, le rendirent plus appliqué ; c’est une méthode qui en vaut une autre. Il avait juste quinze ans quand, le 14 mai 1820, il eut le bonheur de paraître sur la grande scène de l’Opéra royal de Berlin. Il éprouva, nous dit-il, un mouvement de vif orgueil en lisant pour la première fois son nom écrit en toutes lettres sur l’affiche. Ce qui le flattait le plus, c’est qu’il se considérait comme appartenant désormais au service du roi; de tous les mots de la langue, servir était celui qui lui plaisait le plus; il s’était donné en se jurant de ne jamais se reprendre. Quoiqu’il eût une voix de ténor assez agréable, l’opéra n’était pas son fait; sa vraie vocation était pour le vaudeville et encore plus pour ta simple farce. Il finit par se concilier les bonnes grâces du public berlinois; il jouissait de quelque renommée en Allemagne. Cependant, quels que fussent ses succès, il paraît avoir senti de bonne heure qu’au théâtre il ne se tirerait jamais hors du pair, et de bonne heure aussi il avisa aux moyens de faire autrement son chemin.

Mazarin estimait que la première de toutes les qualités est d’avoir la main heureuse, que le bonheur est un genre de mérite qui peut remplacer les autres et que rien ne remplace. Schneider a été presque toujours heureux ; mais le bonheur, quoi qu’on en dise, ne vient pas en dormant. Ce n’est pas assez d’attendre l’occasion, il faut la flairer et la guetter. Schneider ne ménageait ni ses pas ni ses peines; il se trouvait toujours à l’heure propice dans l’endroit où il pouvait rencontrer un homme utile, sur le chemin où passent les princes, et si le hasard l’aidait, il aidait aussi le hasard. Personne ne sut mieux que lui faire un usage utile de tous les petits moyens. On a dit que cent nits ne vaudront jamais un éléphant ; il n’en est pas moins vrai que lorsqu’on ne possède pas un grand génie, les petits talens, soutenus par l’industrie et par l’intrigue, en peuvent tenir lieu. Dès sa plus tendre jeunesse, Schneider s’occupa d’avoir à son arc autant de cordes qu’il lui était possible. Il avait appris à écrire; il composait des nouvelles, des historiettes, des vaudevilles. Ce n’était, à vrai dire, que de la petite littérature; mais il avait le don de plaire, l’art de flatter sans qu’il y parût, l’esprit d’à-propos, et ses à-propos parvenaient toujours à leur adresse. En 1833, il voulut ménager à Frédéric-Guillaume III, pour le jour anniversaire de sa naissance, la surprise la plus douce au cœur d’un roi de Prusse. Il transcrivit sur une feuille de grand format les paroles d’un chant national, accompagnées d’un commentaire de sa façon et surmontées d’un portrait du roi. Il fit tirer cette feuille à 120,000 exemplaires, l’expédia à tous les régimens, et il sut si bien s’y prendre que, quand le jour fut venu, de Saarlouis à Tilsit, de Cosel à Stralsund, l’armée prussienne tout entière entonna au coup de midi le même cantique en l’honneur de son souverain. Le roi fut sensible à cette invention et voulut du bien à l’inventeur. Ce n’est pas tout d’être heureux, il faut s’ingénier et se tracasser.

Schneider ne s’exerçait pas seulement dans la petite littérature, il poussait sa pointe dans tous les sens. Il était passé maître en escamotage, en tours de passe-passe; il savait filer la carte, en tout bien tout honneur. Il se piquait de jouer de l’harmonica et de battre des timbales « avec virtuosité. » Il s’entendait aussi à menuiser, à tourner, à empailler les oiseaux; il collectionnait des gravures, de vieux instrumens de musique, des luths, des théorbes, des guitares. A la ville comme à la cour tout cela peut servir, même les vieilles guitares, et il le savait. Mais ce qui lui servit plus que tout le reste, ce furent les langues étrangères, qu’il possédait à fond et parlait couramment. Il apprit le français d’un harpiste à qui il donnait en retour des leçons d’allemand, l’italien d’une danseuse qui l’avait pris en gré, l’espagnol de deux attachés d’ambassade auxquels il rendait de petits services, le portugais d’un prédicateur fraîchement revenu de Lisbonne; il apprit plus tard l’anglais et ne négligea aucune occasion de se perfectionner dans le russe, qu’il avait entendu parler dans son enfance. L’empereur Charles-Quint disait qu’apprendre une langue étrangère, c’est se donner une âme de plus. Schneider ne se souciait pas de se donner une âme de plus; la tienne lui suffisait pour ce qu’il voulait en faire. Mais il avait deviné par instinct tous les avantages que procure la polyglottie, le parti qu’on en peut tirer pour se débrouiller dans plus d’un cas embarrassant; il soupçonnait avec raison qu’on a plus de chances d’obtenir d’un protecteur certaines choses quand on les lui demande dans sa langue. Provisoirement il se servait d sa science pour mettre au théâtre cent et quelques pièces, qu’il traduisit successivement du français, de l’anglais, de l’espagnol. C’est ainsi qu’il pelotait en attendant partie.

Il ne suffit pas d’étudier les langues et d’acquérir beaucoup de petits talens; il faut avoir l’esprit d’entreprise joint à l’esprit d’opportunité, il faut un jour ou l’autre accoucher d’une idée heureuse, attacher son nom à quelque chose, inventer un grelot et le suspendre soi-même à son cou. Schneider avait fait en 1822 son volontariat d’un an. En 1830, il déploya tant de zèle dans les exercices de la landwehr qu’il fut nommé sous-officier. Il savait qu’en Prusse on arrive à tout par l’armée, qu’on n’arrive à rien sans elle. Un peu plus tard, il lui tomba dans les mains un numéro d’un journal militaire qui se publiait à Paris, ce fut pour lui un trait de lumière. Christophe Colomb avait découvert l’Amérique, Schneider venait de découvrir son grelot. Il imagina de fonder et de rédiger lui tout seul une revue hebdomadaire, intitulée l’Ami du soldat (Soldatenfreund), et destinée à donner toutes les nouvelles propres à intéresser l’armée, en les accompagnant de sages et édifiantes réflexions. Il composa un numéro d’essai, qu’il fit parvenir au roi Frédéric-Guillaume III, lequel daigna le corriger de sa propre main. Ce journal fut habilement lancé et fort bien accueilli; uns fortune durable lui était assurée. Désormais Schneider fut connu de tous les officiers sous le nom de l’ami du Soldat. Le roi ai nait passionnément le théâtre et s’occupait beaucoup de son armée; il avait deux raisons de prendre Schneider en goût. Tous les lundis, pendant l’hiver, on donnait au palais des représentations où ne figuraient que les acteurs bien vus de la cour. Schneider était habituellement de la partie, et le roi venait le trouver quelquefois dans les coulisses pour parler au comédien de ce qui concernait son état. Quand il le rencontrait à quelques pas de là dans le salon bleu attenant à la salle de spectacles, il ne voulait plus avoir affaire qu’à l’ami du soldat, à qui il indiquait ce qu’il devait mettre ou ne pas mettre dans son journal.

Hélas ! de tous les témoignages de bienveillance que lui prodiguait le roi, celui que Schneider convoitait le plus lui était obstinément refusé. Toujours ingénieux, il s’était proposé en 1835 pour donner gratis des leçons de russe à l’école militaire. Le ministre de la guerre aurait voulu l’en récompenser en le décorant ; le roi fit la sourde oreille. Peu auparavant Schneider lui avait fait hommage de petits récits qu’il avait composés sous le titre de Schauspielernovellen pour réhabiliter la profession du comédien, et qui sont assurément ce qui ! y a de mieux dans son bagage littéraire. Il avait représenté dans l’une de ses nouvelles Talma comblé d’honnêtetés et de caresses par Napoléon et profitant des bonnes dispositions où il voyait son terrible maître pour lui demander le ruban rouge, sur quoi l’empereur lui tournait le dos, en disant : Nein ! Adieu, Talma. Schneider espérait bien qu’o i ne le prendrait pas au mot. Quelques jours après, comme il arpentait le salon bleu, le roi, qui parlait, comme on sait, un langage bref, incohérent et haché, l’interpella en ces termes : — « M’avez envoyé votre dernier livre… Quelque chose là dedans m’a beaucoup plu, surtout Talma !… Connaissance très juste des situations… Ne va pas toujours comme on veut ; me réjouis de ce que vous l’avez compris… Situation très bien peinte, très bien appréciée, surtout Talma !… Lirai aussi les autres. » Malgré sa déception, Schneider n’en demeura pas moins attaché à « l’inoubliable Frédéric-Guillaume III. » Il se vante même d’avoir obtenu de lui une dernière marque d’attention dont il aima toujours à se souvenir. C’était le 10 mai 1840, peu de temps avant la mort du roi, qui était déjà gravement malade. Schneider jouait à l’opéra, dans un intermède intitulé les Hamadryades, le rôle bouffon du dieu Borée. Il descendait brusquement de la frise à l’aide d’une machine qui, après l’avoir lancé au-delà de la rampe, le ramenait au milieu du théâtre. Ce soir-là, par suite d’un changement de décoration, il se présenta du côté où on ne l’attendait pas, et le roi, qui était seul dans sa loge avec la princesse de Liegnitz, sourit en le voyant paraître. « J’ai eu son dernier sourire », nous dit Schneider, et il paraît croire que ce fut un sourire d’étonnement et d’admiration. Il se pourrait aussi qu’en ce moment le roi se fût souvenu d’un entretien qu’il avait eu avec lui dans le salon bleu et qu’il se fût dit: « Quelque chose là dedans me plaît beaucoup… Me réjouis de n’avoir pas donné l’aigle rouge à un homme volant. » Il est bon qu’il y ait des hommes volans mais les préjugés ont aussi leur raison.

Schneider finit par avoir l’aigle rouge. En attendant, ce qui le consolait, c’est qu’un jour l’empereur Nicolas l’avait presque embrassé. On l’avait fait venir à Kalisch pour y donner des représentations avec quelques-uns des premiers sujets du théâtre de Berlin. Ce fut là qu’il eut. la joie de contempler pour la première fois, par le trou du rideau, celui qu’il appelait « le plus bel homme qu’il fût possible de voir, l’idéal de la beauté humaine. » Il lui fut présenté pendant une répétition. — « Je suis charmé, Schneider, défaire votre connaissance, lui dit l’empereur. J’ai déjà entendu parler de vous. À ce qu’il paraît, vous êtes un demi-soldat. — Majesté, répondit fièrement Schneider, tout Prussien est un soldat complet, » Il avait eu soin, comme on peut croire, d’apporter dans sa maille avec ses costumes la collection de l’Ami du soldat ; il obtint qu’elle fût mise sous les yeux de sa majesté, qui peu de jours après lui en fit son compliment. — « L’empereur me frappa sur l’épaule avec une affabilité peu commune ; puis, me saisissant par le bras, il m’attira vers lui, il eut presque l’air de m’embrasser. Je ne savais où j’en étais, j’avais sans doute l’attitude et le visage d’un bienheureux qui voit le ciel s’ouvrir. » Du coup l’empereur Nicolas s’abonna pour vingt-cinq ans à l’Ami du soldat ; chaque année il acquittait le prix de son abonnement par l’envoi d’une bague. Schneider en reçut jusqu’à dix-huit, et il les méritait bien ; l’Ami du soldat l’appliquait, toujours à bien parler de M. le prieur, et il engageait 1 armée prussienne à se considérer comme l’avant-garde de l’armée russe. En 1847, Schneider fut appelé à Saint-Pétersbourg ; il eut l’honneur de jouer devant la cour et, le lendemain, l’empereur lui fit voir sa garde pour qu’il lui rendît témoignage dans son journal. — « Est-ce à votre cocher, monsieur, disait maître Jacques, ou à votre cuisinier que vous voulez parler ? car je suis l’un et l’autre. — C’est à tous les deux, » répondait Harpagon. — Schneider s’acquittait à merveille de son double rôle de comédien et de touriste militaire ; il les remplissait tous deux avec une égale aisance. Il avait toujours eu beaucoup de talent pour les travestis ; c’était le genre où il excellait.

Toutefois il arrive un âge où les contradictions de la vie se font sentir. Schneider finit par se trouver embarrassé de ses deux moi, dont l’un gênait l’autre. li était au bout de son talent, il découvrit que le bout de son talent n’était pas le bout de son ambition. Les embrassemens des empereurs ne lui suffisaient plus, il s’irritait de ne voir briller à sa boutonnière que la fleur des champs. On lui offrit la direction du théâtre de Hambourg ; il refusa : — « Moi, le royaliste par excellence, s’écriait-il, m’en aller vivre dans une république ! l’ami du soldat se confiner dans une ville de marchands ! l’homme le plus affamé de belles connaissances se réduire au métier de directeur de théâtre ! » — Il aspirait à faire peau neuve, il attendait l’occasion ; la révolution de 1848 la lui fournit. Règle générale, la première chose à faire pour les gens médiocres qui veulent parvenir est de s’enrôler parmi les partisans des opinions exagérées ; c’est encore de tous les grelots celui qui fait le plus de bruit, celui qui s’entend de plus loin. « Ce que les extrêmes ont de consolatif, a dit le cardinal de Retz, est qu’ils sont décisifs quand ils sont bons, » Schneider professait le légitimisme le plus immaculé et le plus intolérant ; il avait les constitutions en horreur, il ne croyait qu’à l’épée et au droit divin, il gémissait sur les concessions libérales que s’était laissé arracher le successeur de Frédéric-Guillaume III. Louis Schneider était plus royaliste que le roi, et personne n’était le meilleure foi que lui; cet honnête homme n’a jamais affecté des opinions qu’il n’avait pas, mais il savait se servir de celles qu’il avait. Au mois de mai 1848, quand Berlin était en proie à la fièvre révolutionnaire, il trouva l’occasion de proclamer courageusement ses principes dans une réunion publique. Cela fit esclandre, son audace lui valut deux formidables charivaris et plus tard, à Hambourg, une tempête de sifflets, à laquelle il opposa un front d’airain. Quelques jours après il avait quitté définitivement le théâtre, et il se trouvait à pied; mais, à quelques mois de là, comme la vertu est quelquefois récompensée, il était devenu lecteur du roi Frédéric-Guillaume IV, ce qui prouve que le cardinal avait raison et que les extrêmes ont quelque chose de consolatif.

Frédéric-Guillaume IV ne tarda pas à prendre en grande amitié son lecteur. Il déclarait que ses plus chères délices, seine grösste Wonne, étaient d’entendre lire Schneider, et il est permis de croire que Schneider lisait fort bien. Tour à tour il lisait les vers des autres ou sa prose à lui, des historiettes, des récits humoristiques, des descriptions sentimentales qu’il composait pour la circonstance. La faveur dont il jouissait lui suscita des envieux et causait surtout un sensible déplaisir à Alexandre de Humboldt. C’était un terrible homme que Humboldt; il y avait en lui des dessous dangereux, son apparente bonhomie était fourrée d’impitoyable malice. Quand il faisait patte de velours, la griffe était là, prête à sortir; c’était le roi des égratigneurs. Ajoutons qu’il aimait à s’écouter, et qu’on l’écoutât, et qu’il n’y en eût que pour lui. Plus d’une fois Frédéric-Guillaume IV l’interrompit au milieu d’une histoire en lui disant : « Vous nous direz le reste un autre jour; Schneider a quelque chose à nous lire. « Il s’en vengeait en écrivant au poète Tieck : — « Nos plus chères délices (nous en avons tâté aujourd’hui encore) sont le pitoyable pathos et les facéties dramatico-historiques du patriotique et militaire comédien Schneider. Cet homme me fera mourir; votre solitude vous sauve. » Le jour même où il accommodait si bien Schneider en écrivant à Tieck, il avait accommodé Tieck de toutes pièces en causant affectueusement avec Schneider. L’auteur du Cosmos était coutumier du fait.

Les Mémoires de Schneider sont le journal d’un amour-propre heureux. Il y énumère avec une infatigable complaisance toutes les marques de distinction qui lui furent octroyées et il cherche à nous communiquer toute la joie qu’il en ressentit. Il nous apprend que, le 15 octobre 1850, il fut nommé conseiller de cour, que, le 5 juin 1856, l’impératrice douairière de Russie, qui se trouvait en visite à Berlin, daigna le charger de pousser sa chaise roulante et de mettre un coussin sous ses pieds, que le 9 décembre de l’année précédente, le roi l’avait appelé par-devant témoins son très cher Schneider, mein liebster Schneider, et qu’un jour la reine l’appela : mon cher monsieur le conseiller de cour. Quelle ne fut pas son émotion quand il fut invité pour la première fois à souper avec la famille royale, quand il vit son couvert mis en face de leurs majestés! Le major de Manteuffel lui affirma que, depuis qu’il y avait une cour de Prusse, jamais pareil honneur n’avait été conféré à une personne de condition bourgeoise. Nous avons oublié de dire que, dès le 18 janvier 1850, il avait reçu l’aigle rouge de quatrième classe, et c’est ainsi que tout vient à point à qui sait attendre ou, pour mieux dire, à qui sait s’y prendre. Bien d’autres décorations lui échurent en partage; il voyait sa brochette s’allonger d’année en année. L’empereur Nicolas l’avait gratifié de l’ordre de Saint-Stanislas. Schneider était devenu le correspondant de l’Abeille russe, à laquelle il rapportait les mille détails intimes qu’il était en possession de bien connaître. La plupart de ses correspondances n’étaient point publiques, on les envoyait à l’empereur, elles étaient dévorées par d’augustes yeux qui en faisaient leur pâture favorite. On sait que le tsar avait fortement désapprouvé la conduite de son royal beau-frère pendant la crise de 1848. Il ne pouvait lui pardonner d’avoir octroyé une constitution à la Prusse; il estimait qu’un souverain qui se respecte ne parlemente pas avec la révolution, qu’il n’est permis de causer avec elle qu’à coups de canon. Schneider entrait dans ses sentimens, et les doléances dont ses lettres étaient pleines réjouissaient le cœur du tsar, qui écrivait un jour au général de Rauch, attaché militaire de Prusse à la cour de Russie : « Il n’y a plus dans ce monde que trois bons Prussiens, moi, vous et Schneider. » L’ancien comédien eut le tort de savourer ce compliment, qui aurait dû lui sembler suspect; mais nous avons déjà dit que, quand on a joué dans sa jeunesse beaucoup de travestis, cela laisse un certain trouble dans le cerveau, un certain vague dans la conscience. Au surplus, s’il honorait le roi de Prusse comme son maître, l’empereur Nicolas fut toujours son dieu.

Il faut lui rendre justice. Cet excellent homme n’avait pas le bonheur faquin, insolent, provocant, le bonheur qui fait la roue, le bonheur des paons. Il se contentait de ce bonheur modeste, discret, aimable, qui inonde le cœur d’une joie secrète, qui n’insulte personne, qui ne se trahit au dehors que par le luisant du regard et les délicieuses moiteurs de la peau. Schneider avait des vertus. Il savait attendre, il était patient. Le 20 novembre 1852, il avait déjà fait au roi deux cents lectures, et il n’était pas encore question d’honoraires; on s’en tenait à lui rembourser ses frais de voiture quand il devait se rendre à Charlottenbourg. Sans doute il avait lu Gil-Blas, il se souvint de l’entretien des deux pies et de l’invention dont s’avisa le seigneur de Santillane pour insinuer au duc de Lerme que les eaux étaient fort basses. Il imagina d’écrire sur le lecteur du grand Frédéric, Dantal, un savant mémoire, auquel il ajouta la liste très exacte de ses deux cents lectures; mais ce soir-là, quand il se présenta à Sans-Souci son portefeuille de maroquin sous la bras, le roi, qui peut-être se doutait de quelque chose, l’empêcha de déballer. Heureusement, quatorze mois plus tard, sa situation fut réglée; on lui assura un traitement annuel de cinq cents thalers et on l’indemnisa de l’arriéré. Non-seulement Schneider savait attendre, il était avisé, circonspect, s’avançait toujours bride en main et redoutait les accidens. Il assistait quelquefois aux chasses à courre en frac noir et en cravate blanche. Le roi L’engagea un jour à se procurer une casaque rouge; il s’y refusa modestement, allégua qu’il se rappelait ses origines et se déliait des mauvaises langues. Cette réponse lui fait honneur. Un homme qui sait renoncer au savoureux plaisir de porter une casaque rouge mérite toutes les prospérités.

Son étoile lui est demeurée fidèle jusqu’à sa mort. Il avait joui de la bienveillance de Frédéric-Guillaume III, il avait pénétré fort avant dans la faveur de Frédéric-Guillaume IV, il n’a point déchu sous le présent règne. A vrai dire, ses talens de lecteur furent de moins en moins goûtés, mais le roi Guillaume eut toujours de l’amitié pour lui et lui fit la gracieuseté de l’emmener avec lui dans ses campagnes de Bohême et de France. Ses entrevues presque quotidiennes avec son souverain lui permettaient de satisfaire toutes ses curiosités; mais un chercherait vainement dans son autobiographie des révélations curieuses touchant les grands événemens qu’il a vus de si près. Est-ce de sa part excès de discrétion, ou faut-il croire qu’il appartenait à cette race d’hommes à qui Vauban reprochait de regarder le monde par le trou d’une serrure? Le fait est que ses Mémoires trompent sur plus d’un point l’attente du lecteur; il n’y parle guère que de lui. Toutefois, dans son récit de la campagne de France (il la fit tout entière dans une patache ou plutôt dans un fiacre qu’il avait frété à Mayence, cap et queue) ou trouve çà et là quelques observations judicieuses qui témoignent en faveur de son bon sens. Il raconte qu’il eut le chagrin de voir à Saint-Ingbert et à Saarbrück « de chastes vierges allemandes, keusche deutsche Jungfrauen, » jouer de la prunelle et coqueter sans vergogne avec des prisonniers français, a Je déclare, nous dit-il, que je n’ai jamais vu aucune Française se comporter de la sorte à l’égard d’un de nos soldats, et cet aveu me coûte. » En revanche, il rencontra près de Pont-à-Mousson l’un des gros bonnets d’un village voisin qui cherchait partout le roi de Prusse pour lui remettre une dénonciation contre le maire de sa commune, « lequel n’était, sel)n lui, qu’un maraud, un gredin, un cuistre de maire, un cochon de bonapartiste, convaincu d’avoir voté oui dans le dernier plébiscite. » Il insinue à ce propos que pareille chose se verrait plus difficilement en Prusse. Il remarque aussi que l’armée allemande a dû une notable partie de ses succès à sa fortune autant qu’à sa bravoure et à sa discipline. « Qui oserait nier, s’écrie-t-il, que nous ayons eu un insolent bonheur? Les généraux ennemis étaient frappés d’une cécité qui n’a pas sa pareille dans l’histoire de la guerre, et la masse des fautes commises par les Français l’emporte de beaucoup sur le nombre de nos succès mérités et de nos combinaisons heureuses. » Les Allemands, nous dit-il encore, n’eurent que deux mécomptes, qu’à la vérité ils sentirent vivement. Le premier fut que généraux et soldats, tout le monde, après Sedan, se flattait d’en avoir fini et d’entrer dans Paris sans coup férir. « On se plaisait à penser que la nation française n’avait plus ni nerf ni ressort; personne ne voulait croire à l’héroïsme d’abnégation et d’endurance dont les Parisiens ont fait preuve pendant la moitié d’une année. » On ne s’affligea pas moins « de s’être laissé jouer par M. Thiers, lorsqu’il prétendit avoir besoin d’une semaine entière pour obtenir de l’assemblée de Bordeaux la ratification des préliminaires de paix. Ce fut sur cette assurance que le roi fonda son calcul. il s’était promis que toutes les troupes employées au siège passeraient au moins vingt-quatre heures dans la capitale. 30,000 hommes devaient entrer le premier jour et être relevés le lendemain à midi par 30,000 autres. Comme à ce moment il y aurait 60,000 hommes réunis, le roi se proposait de passer chaque jour une revue aux Champs Élysées, jusqu’à ce que le dernier de ses soldats fût entré dans Paris. Toute cette combinaison fut déjouée par la ruse du futur président de la république, qui obtint sur l’heure ce qu’il déclarait ne pouvoir obtenir qu’en une semaine au moins. Le chagrin qu’on éprouva à cette fatale nouvelle, tout le monde le devine; les sentimens du roi et de sa brave armée furent mis à une cruelle épreuve. »

Une longue possession et l’habitude du bonheur engendrent le dégoût, la lassitude ou l’indifférence ; le charme est rompu, les sensations s’émoussent, on se blase, on se refroidit. Il n’en fut pas ainsi pour Schneider. Il garda jusqu’au bout la fraîcheur de ses joies et de ses espérances, jusqu’au bout il s’étonna de sa fortune. Chaque matin il se frottait les yeux en se disant : Est-ce un rêve? est-ce arrivé? est-ce bien moi? Il ravivait ses jouissances par d’incessans retours sur le passé. Pendant la guerre de 1866, il fit une pointe sur Prague, et le nouveau gouverneur de la Bohême, le général Vogel de Falkenstein, lui fit la grâce de l’inviter à dîner au Hradschin : « A l’âge de huit ans, nous dit-il, humble ri jeton d’une famille de comédiens, j’avais logé à Prague dans une misérable auberge de faubourg, et du sein de mon indigence j’avais contemplé avec stupeur le Hradschin et ses magnifiques palais. Maintenant je me trouvais assis dans les appartemens impériaux à côté d’un général victorieux, qui me traitait en hôte de conséquence et ne me marchandait pas ses empressemens. Je ne me suis jamais défendu contre de telles impressions, mais au contraire je leur sais gré de me préserver d’une sotte outrecuidance. » En 1870, il savoura en vrai gourmet les gracieuses attentions qu’on avait pour lui, les amitiés que lui faisaient les princes, le plaisir de converser avec eux et de s’asseoir à leur table. A vrai dire, il éprouva à Varennes une mortification assez vive, en entendant un pensionnat de jeunes filles s’écrier tout d’une voix : « Qui est ce monsieur ? serait-ce un aumônier ou un apothicaire ? » S’approchant d’une jalousie, il leur cria : « Pardon, mesdames, ni apothicaire ni aumônier, mais bien le rédacteur des bulletins de batailles de sa majesté le roi de Prusse. » Il fut bien dédommagé de cette mésaventure lorsqu’après la signature de l’armistice, se promenant à Saint-Cloud, il eut l’agréable surprise d’être salué respectueusement par un groupe d’officiers prussiens, qui avaient pris ce petit homme corpulent pour M. Thiers ; il n’eut garde de les détromper. En 1851, il avait été pris pour M. de Manteuffel, président du ministère prussien. Voilà deux bonnes fortunes auxquelles son amour-propre fut sensible.

Schneider a dressé dans ses Mémoires l’état le plus circonstancié des quatre cent quinze lectures qu’il eut l’honneur de faire à Frédéric-Guillaume IV, et dans ses narrations de voyages il apporte beaucoup de minutie à nous raconter l’heur ou le malheur de chacune de ses couchées. Il ne faut pas lui faire un crime de cette surabondance de détails oiseux ; c’est un péché véniel. Ce qu’on a plus de peine à lui pardonner, ce sont des silences qui étonnent. A qui se vante d’avoir vécu sur l’Olympe, on demande volontiers des nouvelles de Jupiter. Il semble que Schneider n’ait pas vu Jupiter ou qu’il n’ait pas voulu le voir. Si nous ne possédions pas d’autre document que son livre sur l’histoire de ces vingt-cinq dernières années, il nous serait impossible de deviner qu’il y a eu de son vivant à Berlin un homme assez considérable qui s’appelait M. de Bismarck, et qui a exercé une certaine influence sur les destinées de la Prusse. A peine a-t-il une ou deux fois jeté négligemment ce nom à la fin d’une ligne ; mais son silence n’est pas de l’oubli, c’est une vengeance. M. de Bismarck, en arrivant au pouvoir, s’avisa que l’ancien comédien se mêlait de dire son mot dans certaines affaires qui ne le regardaient point, et on assure qu’en plus d’une rencontre il le remit à sa place. D’ailleurs, en sa qualité de pur royaliste, de légitimiste immaculé, Schneider, qui se proclamait lui-même le dernier des particularistes prussiens, considérait l’illustre conseiller du roi Guillaume comme un dangereux révolutionnaire, comme un malfaiteur politique, comme le destructeur de la vieille bonne Prusse, dont il avait de ses mains creusé la fosse. Schneider lui en voulait d’avoir doté son pays du suffrage universel, il avait ses entreprises en horreur, il jugeait qu’un roi de Prusse déroge en devenant empereur d’Allemagne. Ses ressentimens l’entraînaient si loin qu’à Versailles, en présence d’une nombreuse assistance, le chancelier dut lui reprocher l’inconvenance qu’il commettait en affectant de ne point le saluer. Schneider, dressant la crête, lui répondit : « Il me semble que de nous deux c’est moi qui suis l’aîné. » Cette réponse est en vérité le couronnement de sa vie; les historiens futurs la graveront sur l’airain; en fin de compte, c’est par là que Schneider appartient à l’histoire[2].

Quelque agréables qu’ils puissent être, le fond des Mémoires de Schneider paraît un peu mince quand on songe que l’auteur a vécu pendant de longues années au centre des plus grands événemens et qu’il était en situation de tout voir et de tout savoir. Il allègue par forme d’excuse qu’en ce qui concerne la guerre franco-allemande, il a évité à dessein de parler de beaucoup de choses qu’il savait, qu’il a consigné ses plus précieux souvenirs dans de courtes notices, qui ne verront le jour qu’après la mort des intéressés, « alors qu’on ne pourra plus le soupçonner de vouloir gagner de l’argent ou satisfaire sa vanité, » à quoi il ajoute en profond philosophe que la vanité nous quitte avec la vie. Ceci nous rappelle qu’un Polonais disait naguère à un romancier de notre connaissance : « Quel beau roman vous pourriez écrire si je vous racontais ma vie! » Qu’à cela ne tienne, répliqua le romancier mis en appétit, je suis tout oreilles. — Le Polonais se gratta le front; après avoir un peu rêvé ; « Malheureusement, reprit-il, ce qu’il y a d’intéressant dans mon histoire, je ne peux pas le dire, et ce que je peux dire n’est pas intéressant. » Les Mémoires de Schneider nous révèlent tous les secrets d’une curieuse destinée de comédien parvenu; mais on ne peut s’empêcher de croire que ce qu’il a dit est moins intéressant que ce qu’il aurait pu dire. Hormis quelques anecdotes piquantes, hormis un léger crayon de la vie des cours et une peinture assez colorée des tempêtes qui agitaient le Berlin révolutionnaire de 1848, ces trois volumes de quatre cents pages ne nous font connaître que Louis Schneider. C’est bien quelque chose ; peut-être n’est-ce pas assez.


G. VALBERT.

  1. Aus meinem Leben, von Louis Schneider, 3 vol. in-8o. Berlin, Mittler und Sohn; 1879 et 1880.
  2. Cette réponse est relatée dans l’ouvrage anonyme Berlin und Petersburg dont nous avons parlé tout récemment ici même, et que la version la plus accréditée attribue à M. Eckardt de Hambourg, auteur de trois volumes intéressans sur la société russe. On prétend que c’est M. de Bismarck qui lui a mis la plume à la main, dans le temps où, certain d’attirer l’Angleterre dans l’alliance austro-prussienne, le chancelier de l’empire ne se souciait plus de ménager la Russie. Malheureusement l’écrivain hambourgeois n’a pas été assez expéditif, et son pamphlet a paru au lendemain des élections anglaises, qui déconcertaient tous les calculs et tous les plans. M. de Bismarck, paraît-il, a été chagriné de ce contre-temps; mais il a dû lire avec plaisir dans ce livre un peu tardif les pages consacrées à la mémoire du russophile Schneider ; ce pauvre homme y est traité avec une rigueur qui touche à l’injustice et qui respire la rancune.