Un Compagnon de Cortez - La Chronique de Bernal Diaz

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Un Compagnon de Cortez - La Chronique de Bernal Diaz
Revue des Deux Mondes3e période, tome 63 (p. 128-160).
LE
COMPAGNON DE CORTEZ

LA CHRONIQUE DE BERNAL DIAZ

Véridique Histoire de la conquête de la Nouvelle-Espagne, par le capitaine Bernal Diaz del Castillo, l’un des conquérans. Traduite de l’espagnol, avec une introduction et des notes, par M. José Maria de Heredia. Paris ; Lemerre.

C’est un rare et curieux livre, il dormait depuis le XVIe siècle dans les bibliothèques espagnoles. Un érudit vient de le traduire avec une passion d’artiste, qui trahit la plume hardie, coutumière des beaux sonnets ; le vieux langage castillan a passé sans effort dans un français naïf, presque contemporain de l’époque, tel que d’Aubigné ou Montluc eussent pu l’écrire. Si parfois le traducteur dépasse un peu la mesure permise dans l’archaïsme, on aurait mauvaise grâce à s’en plaindre, tant cette adaptation scrupuleuse rend bien l’esprit du pays et du temps, la gaucherie littéraire et l’emphase du cavalier espagnol. Le choix et la sagacité des notes qui éclairent le texte ne méritent pas moins d’éloges.

Nous connaissions par les historiens postérieurs cette épopée sans pareille, la conquête du Mexique. Prescott en a fait un tableau exact et animé ; mais je ne l’ai comprise, je ne l’ai vue vivre qu’en lisant le récit du soldat-chroniqueur. Tel un chapitre de Joinville ou de Froissart ressuscite la croisade et la guerre de cent ans mieux que les plus savans ouvrages. Bernal Diaz fut le Joinville de Cortez, avec moins de finesse et d’élévation, avec la même bonne foi. On retrouve dans sa narration le souffle épique des chansons de geste, le gracieux enfantillage des romans de chevalerie. Comme tous ses compatriotes, Diaz est nourri de cette littérature héroïque ; il cite l’Amadis, il s’écrie : « Que Dieu nous donne bonne fortune aux armes, comme au paladin Roland ! » — C’est don Quichotte, sérieux et servi à souhait, venu à son heure, dans la grande ferveur des découvertes et des aventures. De son vivant, Bernal Diaz avait soumis sa chronique au jugement de deux licenciés, « qui désiraient lire ce récit et pour qui j’éprouvais tout le respect qu’un homme ignorant éprouve naturellement pour des savans. Je les suppliai de ne faire ni changement ni correction dans le manuscrit, attendu que tout était écrit de bonne foi. Lorsqu’ils eurent lu l’ouvrage, ils me félicitèrent beaucoup de ma prodigieuse mémoire. Le style, me dirent-ils, était du bon vieux espagnol, sans aucun de ces traits et enjolivemens qu’affectent tant nos écrivains à la mode. Mais ils remarquèrent que j’aurais peut-être mieux fait de ne pas nous louer autant, mes compagnons et moi, et de laisser ce soin à d’autres. A quoi je répondis que c’était chose commune entre parens et voisins de dire du bien les uns des autres, — et si nous n’en disions pas de nous-mêmes, qui le ferait ? Qui, à l’exception de nous-mêmes, avait été témoin de nos combats et de nos exploits, à moins que ce ne fussent les nuages du ciel et les oiseaux qui volaient au-dessus de nos têtes ? »

Le grand attrait de ce livre, c’est qu’il nous fait ressentir de prime-saut la secousse du vieux monde au moment de son choc avec le nouveau. En suivant Diaz sur le golfe du Mexique, nous voyons les terres nouvelles sortir du rêve devant les yeux de cet enfant émerveillé ; il semble qu’on parcoure un de ces vénérables portulans, relevés par les premiers navigateurs, parchemin vide et blanc la veille, où le profil des côtes inconnues surgit et s’allonge d’heure en heure sous le crayon tremblant du pilote. — Mais avant de nous embarquer avec le compagnon de Cortez, quittons-le un instant, pour le mieux comprendre tout à l’heure : il ne nous en voudra pas, lui qui a la plume vagabonde et s’attarde volontiers hors de son sujet. La meilleure manière d’apprécier un livre, c’est peut-être de laisser tout leur vol aux pensées qu’il a suggérées. Je voudrais pénétrer l’état d’esprit de ces hommes du XVIe siècle, à l’instant où l’ancienne conception du monde se dérobe, où l’univers leur apparaît dans sa vérité et sa majesté. Il n’est pas dans toute l’histoire de drame moral plus saisissant. Le lieu de ce drame, c’est tout le champ de notre planète, qui va soudain s’étendre et reculer ses horizons, comme. la scène d’un théâtre quand la toile, de fond se relève, ouvrant des perspectives inattendues. Reportons nos âmes aux dernières années du XVe siècle ; situons nos esprits, autant qu’il est possible, dans l’atmosphère d’alors. Voici devant nous une mappemonde : faisons ce que le soleil faisait seul en ce temps (on le croyait du moins) ; tournons autour.


I

C’est la mappemonde de Martin Béhaïm, le précieux globe de cuivre, revêtu de vélin, qu’on voit à Nuremberg, dans le trésor de la ville. Par une coïncidence ironique, c’est en 1492 que le célèbre géographe fixe sur ce vélin la forme du monde ; son compas trace un hémisphère vide : pauvre savant ! Rien ne l’avertit qu’à cette heure un continent émerge de ce vide. Le globe de Martin Béhaïm, ce n’est encore que la parodie du globe de Dieu ; n’étaient les récentes découvertes des Portugais, qui ont allongé l’Afrique, les traces vagues de Marco Polo, qui ont élargi l’Asie, ce globe ne différerait guère de celui qu’eût pu dresser Ptolémée. Et d’abord, la terre est-elle une sphère ? Le géographe allemand le croit ; c’est une opinion à lui. D’autres la représentent comme un carré plat ; les plus orthodoxes lui supposent la figure d’un tabernacle. Les régions qui apparaissent en lignes certaines se sont à peine étendues depuis Hérodote ; elles sont limitées au nord par la côte de Norvège, au sud par l’Atlas, à l’occident par les colonnes d’Hercule, à l’orient par cette église flanquée de tours qui marque le saint tombeau sur les cartes du temps. Au-delà, ce sont en Afrique les états fabuleux du Prêtre Jean, en Asie les états fabuleux du Grand Khan, le Cathay, le royaume des épices, et la lointaine Cipango, qui sert de base aux antipodes, si tant est que la terre soit ronde. Beaucoup tiennent avec Homère que le fleuve Océan fait une ceinture aux trois continens soudés entre eux : ceinture de ténèbres et d’erreurs, à jamais infranchissable aux hommes. Ils sont enfermés dans ce cercle d’épouvantes comme les enfans dans une chambre obscure, tremblans à l’idée d’en sortir. Longtemps les Portugais, n’ont pas osé dépasser le cap Noun, arrêtés par de folles terreurs, par l’idée qu’au-delà, il n’y avait que le vide. Aussi bien qu’irait-on chercher dans l’abîme, à travers les brumes de l’Océan occidental, les glaces boréales et la fournaise australe ? Évidemment tous les fils d’Adam habitent la terre connue, le sang du Christ n’a coulé que pour elle. Et la terre étant bornée, le ciel l’est aussi ; il n’a d’autres étoiles que celles relevées depuis des milliers d’années par les pâtres de Chaldée. L’imagination est prisonnière de toute antiquité dans ces limites de l’espace qui sont devenues les limites de la pensée ; il n’y a qu’un problème pratique : trouver des routes sûres, par l’Arabie ou par le sud de l’Afrique, pour gagner les Indes et trafiquer au pays des épices.

Cependant, vers la fin du siècle, l’âme de ce vieux monde se trouble et souffre d’étranges tentations. Une idée nouvelle germe lentement, faisant sourire les uns et songer les autres, dans les comptoirs des marchands, dans les cabinets des géomètres, dans les entretiens des pilotes, sous les mâts oisifs qui dorment en rade. Comme toute idée nouvelle, comme tout ce qui naît de l’homme, celle-ci est fille d’un besoin matériel et d’une passion morale. Le besoin matériel est celui de trouver la richesse sur des routes neuves, les anciennes s’étant brusquement fermées. Depuis un demi-siècle, l’invasion de l’islam à l’orient de l’Europe et sur les côtes d’Asie-Mineure a obstrué les vieilles voies commerciales ; les Turcs ont saisi les ports qui servaient de points d’échange entre les caravanes de l’Orient et les vaisseaux de la Méditerranée. Venise, Gênes, Barcelone, les maîtresses de la mer intérieure et les entrepôts du monde, voient leurs galères immobilisées. D’autre part, les Portugais, les gens de l’Océan, gagnent les Indes par l’Afrique et menacent de concentrer dans leurs mains tout le négoce oriental. Que vont devenir ces trafiquans, ces marins entreprenans d’Italie et d’Espagne, repoussés de l’Archipel, devancés sur la côte africaine, étouffant dans la Méditerranée, certains de leur ruine s’ils ne découvrent pas une issue à leur activité ? C’est la lutte pour la vie, pour l’or et pour le pain. Voilà le mobile d’intérêt qui soulève l’idée nouvelle : où est l’aile qui l’emportera, la passion morale ?

Celle qui palpite dans la chrétienté depuis quatre siècles, la passion du Christ, la fièvre des croisades. On croit que la grande pensée du moyen âge est morte ; elle n’a fait que se transformer ; elle lance sur l’Océan les caravelles de Colomb, comme elle guidait les galères de saint Louis sur la mer d’Egypte. Le Génois illuminé a mûri son idée durant vingt ans ; ni lui ni son conseiller Toscanelli n’ont jamais soupçonné l’existence d’un nouveau continent ; ils croient seulement qu’en marchant à l’occident on peut atteindre l’Asie, convertir les peuples du Grand-Khan, trouver chez eux les trésors nécessaires pour armer la croisade, peut-être prendre les musulmans à revers. En 1480, Colomb a vu arriver à Cordoue deux religieux de Jérusalem, apportant le message du Soudan qui menaçait de détruire le saint tombeau ; de ce jour il a fait vœu de consacrer le bénéfice de ses découvertes à la délivrance du sépulcre, et ce vœu le tourmente jusqu’à la mort. Il voulait aller aux Indes : l’Amérique se lève en travers de sa route. Dès lors, l’objet change, mais non pas la passion. Colomb et tous ses successeurs, comme les souverains qui les envoient, poursuivent, sans préjudice des convoitises terrestres, un dessein supérieur : la conversion des païens. Libre à Michelet de nous dire, dans un monument d’éloquence et d’erreur, que la renaissance fut une réaction contre le moyen âge ; autant vaudrait affirmer que l’adolescence est une réaction contre l’enfance, alors qu’elle en est l’épanouissement. De tous les témoignages, de toutes les biographies, une vérité irréfragable jaillit : les bienfaiteurs de l’humanité, qui lui rendirent l’intégrité de son patrimoine au prix de tant de risques et de souffrances, continuaient le pieux effort des siècles passés ; en se jetant sur le Nouveau-Monde, comme leurs pères s’étaient jetés sur le monde arabe, ils croyaient faire le don gratuit de l’évangile, comme ceux-là l’avaient cru ; ils ignoraient que, par une rémunération cachée de la justice divine, ils trouveraient dans cette expansion ce que leurs pères y avaient trouvé, un trésor d’idées pour la civilisation future.

La foi religieuse et la cupidité faisant bon ménage dans des âmes naïves : tels sont les deux grands ressorts qui ont poussé le vieux monde hors de lui-même. Je ne sais si l’un des deux eût suffi à produire cette immense révolution ; à coup sûr, ce n’eût pas été le second. L’histoire nous enseigne que la mer, comme la terre, appartient à qui porte une idée, à qui porte un Dieu.

Joignez à ces deux ressorts principaux les inquiétudes flottantes, les avertissemens secrets qui travaillaient le siècle à ce moment. Des mythes vagues, venus on ne sait d’où, avaient lentement préparé les imaginations durant le moyen âge : antiques traditions, propos chimériques des matelots, redits tour à tour sur les galères de Phénicie, d’Egypte et d’Etrurie, sur les barques des Ibères, des Maugrabins et des Normands ; vieilles sources, corrompues et obscures, tombées des livres grecs dans les écoles arabes, coulant par infiltrations souterraines dans le monde chrétien ; on les vit sourdre à la lumière, confluer et s’éclaircir, avec l’imprimerie, avec les leçons des docteurs chassés de Byzance. C’étaient la légende de l’Atlantide, l’Antilla d’Aristote et les îles Fortunées de Strabon ; l’île fantastique de Saint-Brandan, qu’on croyait apercevoir, par les temps clairs, au large des Canaries, et qui reculait devant les navigateurs ; l’île des Sept-Cités, colonisée jadis par un évêque et des moines qui n’étaient jamais revenus, paradis merveilleux de fleurs et de verdure, où le sable contenait de l’or. Des marins avaient passé des traités en règle avec les rois d’Espagne pour la conquête de ces visions, et Martin Béhaïm indique avec sérieux leur emplacement sur son globe ; on les retrouve sur d’autres cartes de l’époque, mirages qui devancent la réalité prochaine, comme les brouillards de l’aube enveloppent la ville devinée à l’horizon. En pensant aux géographes et aux alchimistes d’alors, on se dit que toute découverte, avant de se condenser en vérité, flotte quelque temps à l’état de rêve ; on devient indulgent et attentif pour les rêves. — Enfin, un aimant mystérieux attirait les hommes à l’ouest, par-delà les flots et les brumes redoutables de la mer ; comme on sent dans les vents plus tièdes, à l’approche du printemps, des parfums lointains apportés des terres du sud, les gens des côtes océanes, au printemps de la renaissance, respiraient des odeurs provocantes charriées par les alizés du bord des plages ignorées. Tout conspirait à précipiter les audacieux du côté où le monde, pris de malaise, cherchait un contre-poids absent.

Devançons ces audacieux, tournons sur la face encore vide de leur mappemonde, évoquons de ce néant les contours voilés qui vont apparaître tout à l’heure. Entre les deux océans qui lui assurent le silence, une terre est allongée, vierge au vague profil de femme endormie, la tête appuyée au pôle nord, les pieds sur le pôle sud, la taille ceinte par l’équateur, un bras étendu vers l’Asie, l’Alaska ; l’autre vers l’Europe, le Labrador. Cette terre est parée de grâces et d’enchantemens ; ses forêts, ses fruits, ses oiseaux, ses fauves, tout est bien à elle, tout sera surprise et prodige pour ceux qui y viendront d’un univers différent. Des multitudes humaines l’habitent ; beaucoup de ces peuplades vivent encore à l’état sauvage, mais d’autres ont formé des empires policés, des foyers de civilisation à peine inférieurs à ceux de l’ancien monde. Tels l’empire des Incas et surtout celui des Aztèques, au cœur de ce continent. Ces sociétés sont régies par des lois fort semblables à celles qui gouvernent l’autre hémisphère ; ici, comme là-bas, ces lois découlent des instincts éternels du cœur humain. Au sommet, l’idée religieuse et ceux qui la représentent ; immédiatement au-dessous, la force militaire et ceux qui la détiennent ; ensuite la justice, les sciences, les arts ; à la base, supportant tout le poids social, le travail. Cette civilisation a les plus frappantes analogies avec celle de l’ancienne Égypte ; on y retrouve le caractère de grandeur, l’esprit hiératique et administratif, la culture scientifique, les procédés artistiques, les formes architecturales et jusqu’aux hiéroglyphes de l’empire thébain. La cour des souverains du Mexique rappelle la magnificence des Pharaons ; ils vivent entourés de scribes, d’astronomes, d’architectes et d’orfèvres ; les peuples conquis sont employés à bâtir dans leurs villes des palais, des temples, des pyramides. Les croyances religieuses des Aztèques, est-il besoin de le dire ? sont celles de tous les hommes et s’accommodent là, comme partout, au degré de développement de chaque conscience. À l’origine du dogme et pour les plus sages, un Créateur suprême, maître de l’univers, Dieu unique, Dieu parfait, invisible et incorporel ; les prières des rituels mexicains, témoignent que cette pure notion existe pour ceux qui sont dignes de s’y élever. Pour les autres, pour le grand nombre des faibles et des ignorans, les attributs de la puissance suprême sont personnifiés, l’idée divine s’obscurcit dans un symbolisme d’autant plus grossier qu’on descend plus bas dans les couches populaires. Là, comme partout, on retrouve la tradition de la faute originelle et même la cérémonie du baptême, les dogmes de l’incarnation et du Messie. La nécessité du rachat par le sacrifice se traduit encore sous sa forme première et cruelle, les sacrifices humains. Les autels des idoles mexicaines ruissellent du sang des esclaves ; les Espagnols s’en indigneront et ne s’apercevront pas qu’ils appliquent cette idée sous une autre forme, dans leurs auto-da-fé de mécréans. Une anomalie étrange, chez ce peuple agricole et de mœurs douces, c’est le cannibalisme achevant les sacrifices humains ; non pas le cannibalisme bestial propre aux tribus sauvages, mais des agapes d’un caractère religieux, accomplies avec solennité et décence ; par un abus inévitable, ce qui était d’abord un rite passe dans les habitudes et devient une recherche raffinée sur la table des souverains et des riches. — En somme, dans ce Nouveau-Monde, il y a, une famille humaine identique à ses aînées de l’ancien monde, plus déshéritée, aussi perfectible, présentant les mêmes diversités individuelles, la grandeur et la clarté de l’âme chez quelques-uns, l’ignorance, la superstition et la férocité chez les masses, avec des formes qui nous blessent davantage, parce que ce ne sont pas celles auxquelles nous sommes habitués. Comme les docteurs de la Sorbonne, les savans du Collège des arts de Mexico croyaient et avaient le droit de croire que les splendeurs de la terre et du firmament étaient faites pour eux seuls, que rien n’existait par-delà leur horizon. Le sage Montézuma, régnant dans sa gloire sur les peuples conquis, pensait, tout comme l’empereur Charles-Quint, qu’il était le premier prince du monde, le parangon de la puissance et du bonheur.

Cependant, à la veille du jour où ces deux conceptions absolues vont se heurter et s’écrouler, des pressentimens mystérieux agitent le Nouveau-Monde comme l’ancien. On reparle plus que jamais de la vieille tradition relative à un Dieu bon et juste, à la face blanche, à la barbe noire, qui aurait quitté jadis la terre, emporté dans une barque vers les régions où le soleil se lève, en promettant ; de revenir un jour. Un cycle s’achève et Montézuma est persuadé que les temps sont mûrs pour l’accomplissement des prophéties. Son allié, le pieux roi de Tezcuco, est tourmenté de doutes religieux ; peu d’années avant l’arrivée des Européens, ce prince élève un temple au « Dieu inconnu, à la cause des causes, » d’où toutes les images sont exclues. Sur cette rive de l’Atlantique comme sur l’autre passe un frémissement avant-coureur. Ces hommes regardent vers le soleil levant et en attendent plus de lumière, tandis que ceux de là-bas regardent vers le soleil couchant. Les deux moitiés disjointes du globe, ennuyées de leur solitude, tressaillent d’une inquiétude d*amour et aspirent à se rejoindre sans se connaître ; l’Amérique, la vierge passive et résignée, pressent et redoute le souffle de l’Orient qui va la féconder.

Qui rapprochera ces deux fragmens de l’univers ? Entre eux l’océan étend sa large barre de ténèbres et de périls. Mare tenebrosum, portent les anciennes cartes. Dans le sillon stérile creusé en travers de la planète, toute route s’égare, nul souvenir ne guide l’homme, nulle certitude ne redresse ses erreurs ; jalouses du secret des deux mondes qu’elles gardent, les vagues roulent d’un pôle à l’autre, telles qu’elles s’échappèrent de la main de Dieu, n’ayant jamais rien porté ; les astres contemplent seuls l’épouvante de ces eaux désertes, nul corps n’a intercepté un de leurs rayons, nulle voix n’a troublé les lamentations de ce triste infini. — Miracle ! une lumière qui tremble au large, dans la nuit, sur la crête des flots ! Ce n’est pas une phosphorescence des lames, elle est petite et pâle ; ce n’est pas une étoile, elle est trop basse, et elle avance, droit devant elle, comme la pensée qui l’alluma. C’est bien une lampe, balancée à un mât, sur ces frêles vergues de la Sainte-Marie, la pauvre caravelle non pontée dont nos pêcheurs ne voudraient pas. Sainte lumière, elle va éclairer un monde, elle concentre dans sa flamme toute la science, toute la justice, tout l’idéal divin et humain qui manquent encore à ce monde. Cette lampe de Colomb, c’est toute l’épargne d’idées du passé, de Moïse au Christ, de Platon à Gutenberg, c’est tout l’avenir de révélations promis à l’humanité, après la réunion de tous ses domaines. Que les vents la respectent et la conduisent aux Lucayes ! Et derrière elle, durant ces années mémorables, voici d’autres feux pareils qui s’élancent et sillonnent la mer ténébreuse, brûlant chacun pour quelque découverte : les fanaux de Pinzon, de Balboa, de Pizarre, de Cortez, celui de Magellan enfin, qui va surprendre les étoiles du Sud et les solitudes du Pacifique. Le mot de la Genèse est réalisé à nouveau, l’esprit de Dieu est porté sur les eaux. Avant cinquante ans, Sébastien Cabot, le Français, dressera à son tour une mappemonde ; on y verra, sons les méridiens où Béhaïm marquait un gouffre béant, le profil du continent ressuscité et les images de vaisseaux nombreux voguant sur les deux océans domptés. En 1522, quand la Victoire, sortie avec Magellan du port de San-Lucar trois ans auparavant, rentre dans ce port, ayant vu chaque jour le soleil se coucher devant elle, toute la terre communique, l’homme a lié sa chaîne autour du globe, son prisonnier. O les vaillans cœurs qui ont fait cela ! Sans doute, il ne faudrait pas sonder les bas replis de ces cœurs, les entreponts de ces vaisseaux ; on trouverait là des pensées sordides, ici les dépouilles du pillage, des esclaves peut-être. Qu’importe ? Tout ce résidu de faiblesse humaine disparaît devant l’effort de la foi et de l’esprit, devant l’immense résultat moral assuré par cet effort. Regardez tout le long de l’histoire : les grandes œuvres de l’homme, quels que soient leurs mobiles équivoques, ont en elles une vertu secrète qui les transfigure et les purifie, qui élimine insensiblement pour le spectateur, et même pour l’acteur, ces mobiles secondaires : quand nos pauvres petits intérêts travaillent pour la vie universelle, le principe divin de notre nature agit à la façon du feu, épurant les scories du minerai d’or. Alors que les peuples de la Grèce, dans un élan comparable à celui du XVIe siècle, se répandirent sur la Mer Intérieure et colonisèrent les côtes barbares, il n’eût pas fallu regarder de trop près à leurs motifs : c’étaient des marchands affamés de lucre, en quête de bons comptoirs. Qui dit cela ? Quelques érudits. Pour nous tous, cette expansion se résume dans le rayonnement des arts et de la civilisation sur le monde antique. Nous ne savons pas si ces patrons de barques portaient des jarres d’huile ou de vin, nous savons qu’ils portaient Homère et Aristote. Et quand ces Grecs eux-mêmes voulurent symboliser leur génie maritime, comment se le représentèrent-ils ? Allez au Louvre, contemplez cette admirable Victoire de Samothrace qu’on vient de dresser dans l’escalier du musée ; la déesse est debout sur la proue de marbre de sa galère, prête à partir ; ses draperies et ses ailes palpitent sur son beau corps comme des voiles au vent ; elle montre la route aux flottes qui appareillent, elle reçoit celles qui rentrent au port. Ce qui respire dans l’orgueil de cette immortelle, ce n’est pas la convoitise des richesses, c’est l’esprit grec, l’esprit des mers, l’amour d’aller sur l’infini communiquer au loin son idéal de vérité et de beauté.

Après vingt siècles, l’instigatrice divine est revenue sourire dans les havres de Palos et de San-Lucar. On s’y assemble pour chercher le pays de l’or et des épices, soit ; mais en chemin tant de visions neuves étonnent le regard, tant de périls éprouvent le cœur, que l’homme sent grandir et s’ennoblir son espoir. Pensez aux déchiremens, aux extases par où passèrent les premiers navigateurs espagnols. Dans l’inconnu, un seul lien les rattache à la patrie quittée et répond de leur salut, cette aiguille qui tremble dans la boussole, obstinée vers le nord. Voici qu’un jour, trompant la confiance des marins, l’aiguille décline brusquement et fuit le nord ; le lien est rompu ; ces hommes, ignorant la loi des variations, se demandent si cette partie de l’abîme échappe à l’influence du pôle : toutes leurs certitudes vacillent. Mais il leur reste les étoiles ; elles disparaissent aussi pour ceux qui descendent plus au sud, avec Magellan ; la polaire s’éteint, des constellations innomées troublent le firmament. Changer de ciel, angoisse horrible ! ils durent avoir la sensation de fuir la planète, de tomber dans un univers fou. Croit-on qu’ils perdirent courage ? L’un d’eux, Pigaffetti, nous raconte que Magellan « répandit des larmes de joie, quand il vit que Dieu lui permettait de se mesurer avec les dangers de la mer australe, le grand Océan-Pacifique. » Ainsi, pour ces gens qui trouvaient des mondes, toutes les assises de l’esprit furent bouleversées, des pensées nouvelles surgirent en eux comme les nouvelles étoiles se levaient au ciel. Jamais âmes humaines ne ressentirent un pareil ébranlement ; tout le siècle en a gardé la vibration et l’a transmise jusqu’à nous ; nul ne peut en calculer l’effet sur la suite des temps modernes. — Le chroniqueur espagnol m’a séduit, je veux parler de lui un peu longuement, parce qu’il rend témoignage de cette révolution morale et nous en apporte l’écho.


II

En 1514, un de ces vaisseaux qui cinglaient vers le couchant sur la mer soumise emmenait d’Espagne don Pedro Arias de Avila et, dans sa suite, un jeune homme de vingt ans, fils d’un pauvre gentilhomme de Castilla. Ce soldat de fortune, léger de harnais et riche d’espérances, était le futur historien Bernai Diaz. Il abandonna Pedro Arias en terre ferme, à l’époque où ce dernier fit trancher la tête à Balboa, et passa à Cuba dans l’espoir d’obtenir du gouverneur de cette île, Diego Velazquez, un bon lot d’Indiens. L’île regorgeait de compagnons qui sollicitaient comme lui ; la politique de Diego Velazquez était de lasser ces aventuriers et de les pousser à de nouvelles conquêtes, pour étendre les limites de son gouvernement. Au commencement de 1517, un riche colon de Cuba, Francisco Hernandez de Cordova, affréta trois navires et embaucha cent dix partisans, « dans le dessein de tenter l’aventure, de chercher et de découvrir de nouvelles terres. » Bernal Diaz, las d’attendre un établissement, prit du service dans l’expédition. Elle mit à la voile, sous la conduite du pilote Anton de Alaminos, le 8 février, doubla le cap Saint-Antoine et s’engagea en haute mer, du côté où se couche le soleil. « Vingt et un jours après notre départ de l’île de Cuba, nous vîmes terre, ce dont nous nous réjouîmes beaucoup, en rendant bien des grâces à Dieu, car cette terre n’avait jamais été découverte et personne n’en avait eu connaissance jusqu’alors. » C’était la pointe du Yucatan, et les navigateurs entraient dans le golfe du Mexique. Ils donnèrent à ce promontoire le nom, qu’il garde encore, de pointe de Cotoche, d’un mot que les naturels répétaient fréquemment. Ceux-ci étaient accourus en grand nombre dans des canots, dès que les navires de Cordova avaient atterri ; comme la langue de ces Indiens différait de celle de Cuba, on était réduit à se parler par signes. Ces premiers contacts des Espagnols avec les populations américaines éveillent l’idée d’un ballet prodigieux ; avant qu’on ait formé des truchemens, nulle communication possible entre ces frères qui se retrouvent et ont tout à s’apprendre. « Ils nous demandèrent, en faisant signe avec la main, si nous venions du côté où le soleil se lève, et nous répondîmes par signes que de là où se lève le soleil nous venions. » Le premier acte de cette pantomime est une aimable pastorale ; des hommes rouges, demi-nus, viennent aux vaisseaux des blancs et les engagent du geste à descendre à terre ; « une grande foule d’Indiens et d’Indiennes nous entouraient, tous riant et d’apparence très pacifique, comme s’ils ne venaient que pour nous admirer. » Des vieillards encensent les étrangers avec la résine du copal ; on leur présente des fruits inconnus.

Cependant les Espagnols aperçoivent des édifices de pierres et de chaux ; du sang frais, du sang humain, dégoutte des murs et souille les longues robes, les cheveux enchevêtrés des Indiens qui gardent ces charniers. Les étrangers, saisis d’horreur, s’informent ; on leur montre le ciel : c’est l’idée de Dieu, le grand lien des hommes et leur signe de commune origine, que les pauvres sauvages traduisent ainsi ; ces boucheries, ce sont leurs temples. Le bon Bernal Diaz s’indigne ; il n’a garde de rencontrer le raisonnement qui devrait tempérer son indignation. Qu’on mène un de ces Indiens à Séville, sur la place de Triana ; qu’on lui fasse voir l’échafaud du saint-office et les victimes humaines, liées dans les flammes aux statues des quatre apôtres ; l’Indien s’étonnera à son tour, et, pour lui expliquer d’un geste ce qui l’étonné, il faudra bien lui montrer le ciel. À cette heure, l’ombre d’erreur qui voilait la bonté divine était égale sur les deux hémisphères. — Arrivés au village des indigènes, les Espagnols inspectent les maisons et y trouvent des bijoux d’or. Grande joie : cette terre porte le fruit qu’ils cherchent, elle est bonne à prendre. Les malheureux Indiens, qui offrent le métal sacré à leurs hôtes en échange des colliers de verroterie, ne savent pas que leur or les condamne à la servitude, à l’extinction. Par quelle mystérieuse destination le signe de la richesse, de la puissance, est-il le même dans ce Nouveau-Monde ? Pourquoi cette matière et pas une autre, alors qu’il en est de plus belles, de plus rares ? Il faut voir sans doute, dans ce choix universel, l’effet de la volonté si marquée qui tend à rapprocher les diverses parties du monde dans l’unité finale. — Là, comme partout, l’or appela le sang. La dernière scène de ce drame muet, c’est le choc des armes, la mêlée furieuse de ces hommes qui s’ignoraient tout à l’heure, qui ne peuvent se dire pourquoi ils s’égorgent. « À la vue de l’or et des cases de chaux et de pierre, nous ressentîmes grand contentement d’avoir trouvé une telle terre,.. et tandis que nous étions à batailler avec les Indiens, le clerc Gonzalez chargea les coffres et l’or, et les idoles, et les porta au navire… »

Bataillant ainsi avec les naturels chaque fois qu’on descendait à terre, les soldats de Cordova poussèrent leurs explorations jusque dans la baie de Campêche, à un pueblo appelé Champoton ; sur ce point, la rencontre fut si rude qu’ils laissèrent sur le terrain cinquante-sept des leurs ; ils durent se rembarquer sans parvenir à faire de l’eau et souffrirent terriblement de la soif. « Notre armada étant composée d’hommes pauvres, nous n’avions pas l’argent nécessaire pour acheter de bonnes pipes d’eau. » Le scorbut se déclara dans l’équipage décimé, on vira de bord et on revint à La Havane. En achevant le récit de cette première expédition, Diaz conclut mélancoliquement : « En somme, nous tous, les soldats, qui allâmes à ce voyage de découvertes, y dépendîmes tous nos biens pour revenir, blessés et pauvres, à Cuba, trop heureux encore d’être revenus et de ne pas être restés morts avec nos autres compagnons… Oh ! quelle pénible chose que d’aller découvrir des terres nouvelles et de la manière que nous nous y aventurâmes ! »

Ce nonobstant, notre chroniqueur repartait l’année suivante sur le vaisseau de Grijalva, avec sa confiance et son enthousiasme refaits à neuf. Comme on sent bien, dans ce style naïf, les perpétuel va-et-vient d’une âme de marin ! Lasse et dégoûtée au retour du voyage, elle n’aspire qu’au repos ; sitôt qu’on le lui donne, elle se gonfle à nouveau d’audaces et d’espérances, elle cherche une voile qui la porte à de nouvelles désillusions. Le repos bande son ressort, l’action le détend, et toujours ainsi. C’est l’ivresse de la mer, dure quand elle vous tient en réalité, douce quand elle vous reprend par le souvenir ; ressaisi par les vagues, le marin ne voit que les fatigues, les dangers, l’horreur et l’ennui du stupide élément : laissez-le à terre, qu’il passe dans un port, qu’il aperçoive une frégate balancée sous le vent, et tout son cœur repartira pour l’aventure, pour le rêve de glisser entre l’eau et le ciel, vers l’inconnu, vers les plages et les étoiles nouvelles. Mais pourquoi dire le marin quand il suffit de dire l’homme ? Elle n’est pas seule, l’ivresse de mer, elles ne sont pas seules, les frégates, à convaincre le cœur d’inconséquence, à le rouler sans cesse du dégoût au désir…

Le 5 avril 1518, Juan de Grijalva, commissionné par le gouverneur Velasquez, quittait La Havane avec quatre navires et deux cent quarante compagnons, dont était Bernal Diaz. — Pas plus que son devancier, Grijalva ne devait faire d’établissement dans la terre de promission. Il reconnut les mouillages visités par Cordova, livra de nouveau bataille aux gens de Champoton et remonta vers le nord-ouest, en tenant toujours la côte. Quand on découvrait l’embouchure d’un fleuve, un des partisans descendait en prendre possession et lui laissait son nom. En quittant l’estuaire du rio de Guazacalco, un soldat de La Havane, San Martin, regardait le ciel ; il aperçut devant lui des lignes blanches dans les hauteurs ; c’étaient les crêtes neigeuses de la Sierra Madre, la grande chaîne mère du continent ; l’équipage les baptisa Sierra de San Martin ; cet homme grava son nom obscur sur ces neiges éternelles, comme il l’eût écrit sur le mur blanc d’une auberge. Un peu plus loin, on vit sur le rivage des Indiens qui faisaient signe d’avancer en agitant des bannières ; les Espagnols prirent terre et trouvèrent trois caciques, assis sous un arbre, qui les encensèrent ; ces gens parlaient une langue différente de celle du Yucatan : c’étaient les premiers Aztèques. Montézuma, avisé de l’arrivée des étrangers, avait envoyé ses gouverneurs s’enquérir du prodige ; les navigateurs ne comprirent pas alors ce que signifiait ce nom qu’ils entendaient prononcer avec respect. Ils montrèrent de l’or et des verroteries à cette nouvelle peuplade ; on leur apporta des bijoux d’un beau travail et des émeraudes. La flottille remonta jusqu’à Saint-Jean de Ulloa ; au-delà, elle eut à soutenir un premier combat contre les Mexicains, qui se comportèrent vaillamment. Découragés par l’insécurité des rades, battus par les vents de nord constans qui règnent dans le golfe, les pilotes refusèrent d’aller plus loin ; l’expédition mit le cap sur Cuba et rentra à La Havane au commencement de novembre, rapportant environ 20,000 pesos d’or.

Une troisième armada se reforma aussitôt, celle-ci beaucoup plus considérable. Il n’était bruit, dans toute l’île, que des découvertes faites par Cordova et Grijalva ; les récits de leurs soldats, le peu d’or qu’ils avaient recueilli, tout grossissait en courant sur les lèvres, à travers les imaginations tendues vers le merveilleux. Des colons, pourvus de bonnes commanderies d’Indiens à Cuba, les abandonnaient ou les engageaient pour aller conquérir les mines espérées en terre ferme. La fièvre d’or battait son plein ; le long rêve des alchimistes était enfin réalisé ; il ne s’agissait que de risquer un peu de sang pour le transmuter en pépites. L’historien Gomara disait alors de la cour de Castille qu’elle « bouillonnait de convoitise. » Qu’était-ce donc de cette avant-garde espagnole campée à Cuba, de ces gouverneurs qui n’avaient qu’à étendre la main sur les royaumes entrevus ? Diego Velazquez, homme ambitieux et rapace, venait de dépêcher son chapelain à l’évêque Juan de Fonseca, président du conseil des Indes, pour obtenir la patente des pays découverts ou à découvrir par ses vaisseaux dans la Nouvelle-Espagne. En réalité, il se préoccupait moins de fonder des établissemens que d’emplir son trésor par de fructueuses razzias. Ce fut dans ce dessein qu’il réunit toutes ses ressources, au retour de Grijalva, pour armer une flotte imposante de dix bâtimens. D’ardentes compétitions s’élevèrent pour le commandement de l’armada. Il fallait à Velasquez un homme capable et sûr, qui ne le frustrât pas d’une part du butin.

Il y avait alors dans l’île un hidalgo des bons lignages d’Estramadure ; Hernando Cortez y Monroy. Quelques biographes l’ont dit vieux-chrétien ; c’était du moins le fils d’un capitaine, de race noble et pauvre. A dix-neuf ans, échappé de Salamanque, navré de quelques mauvais coups dans les équipées amoureuses de Séville, turbulent, inquiet, il regardait vers la mer ; une des voiles qui partaient de San-Lucar sur l’Océan occidental l’avait ramassé comme tant d’autres. Tombé à Saint-Domingue, il avait pris part à la conquête de Cuba et à quelques expéditions en terre ferme ; partout il s’était montré homme de bon conseil et de bras vaillant ; mais les emplois obscurs n’allaient pas à son humeur. En 1519, Cortez avait trente-quatre ans ; il guettait toujours une de ces occasions éclatantes de fortune qui flottaient dans l’air au XVIe siècle, appelant les téméraires. Jusqu’à ce moment, il avait peloté en attendant partie, vécu du revenu d’une petite commanderie d’Indiens, dépensé son ardeur dans les aventures galantes, auxquelles il était fort enclin et qui lui avaient attiré de fâcheux démêlés avec le gouverneur. Ce fut à lui pourtant que pensèrent deux familiers de l’entourage de Velazquez pour la capitainerie-générale de l’armada. Ces honnêtes courtiers firent accord avec leur protégé ; il devait partager avec eux toutes les dépouilles qu’il rapporterait de la Nouvelle-Espagne. Ainsi s’organisaient ces expéditions pour l’exploitation de l’Amérique, par des sociétés en commandite d’influences et de capitaux, de tout point semblables aux banques de nos jours. « Cet accord fait, Andrès Duero et le trésorier eurent de telles façons avec le Diego Velazquez, ils lui dirent de si bonnes et si mielleuses paroles, louant fort Cortez comme personne digne de cette charge et comme capitaine fort vaillant et qui lui serait fidèle,.. qu’ils le persuadèrent et que Cortez fut choisi pour capitaine-général. » Le gouverneur se rendit à grand’peine, il se défiait de l’homme. Comme il menait Cortez à la messe pour le présenter au peuple, le bouffon Cervantes cria derrière eux : « Prends garde, mon maître Diego, de ne point pleurer la mauvaise affaire que tu as faite à cette heure ! » Les meneurs de cette affaire battirent le fou pour lui fermer la bouche. Cependant Cortez s’équipait de son mieux ; sachant qu’il avait à séduire, pour les entraîner à sa suite, des enfans glorieux et fanfarons, il s’efforçait de les éblouir par la montre et les folles espérances : « Il commença à se parer et se faire brave en sa personne beaucoup plus que devant et se mit un panache de plumes avec sa médaille d’or, qui lui seyaient fort bien. Or il n’avait pas de quoi faire ces dites dépenses, étant en cette saison fort endetté et pauvre, encore qu’il eût de bons Indiens de commanderie. Mais il dépensait tout pour sa personne et en ajustemens pour sa femme, étant nouvellement marié. Il était affable de sa personne, bien-aimé et de bonne hantise, et avait été deux fois alcade en la ville de Santiago de Barracoa, où il habitait, ce qui, en ces pays, se tient à grand honneur. Et certains marchands de ses amis, nommés Jaime Tria et Pedro de Xérès, le voyant avec une capitainerie en bon chemin, lui prêtèrent 4,000 pesos d’or et lui donnèrent, en outre, des marchandises sur la rente de ses Indiens. Et aussitôt il fit faire des aiguillettes d’or qu’il mit sur un habit de velours et des étendards et bannières ouvrés d’or avec les armoiries royales et une croix de chaque côté, et une inscription en latin qui disait : « Frères, suivons le signe de la sainte croix avec foi sincère et par lui nous vaincrons. » Et il fit immédiatement publier ses bans et battre ses tambours et trompettes au nom de Sa Majesté, informant toutes personnes qui voudraient aller en sa compagnie aux terres nouvellement découvertes pour les conquérir et peupler, qu’il leur serait donné leur part de l’or, argent et joyaux qui y seraient trouvés, et commanderies d’Indiens après la pacification. »

Ces façons magnifiques réussirent ; tous les aventuriers de l’île accoururent à l’appel du jeune capitaine. Il alla tour à tour publier son ban à Santiago, à La Trinidad et enfin à La Havane. Comme il achevait ses préparatifs dans ces deux derniers ports, Velazquez, entrepris par les candidats évincés, se ravisa et dépêcha des courriers pour lui retirer le commandement, pour se saisir de sa personne si possible. Mais la diplomatie et la bonne grâce du capitaine-général lui avaient déjà gagné les cœurs de ses compagnons : « Nous autres tous, nous aurions joué la vie pour Cortez, » dit Bernal Diaz. Négociant, gagnant du temps, puis brusquant les choses, il leva enfin l’ancre, emmenant en dépit du gouverneur les vaisseaux que Velazquez ne devait plus revoir. L’armada, forte de onze bâtimens, portait cinq cent huit hommes, dix canons et seize chevaux. Les chevaux, amenés d’Espagne à grands frais, étaient encore dans le Nouveau-Monde un luxe militaire très rare et très coûteux. Diaz, conquis dès le premier jour par Cortez. et qui lui restera fidèle de son épée et de sa plume dans toutes les fortunes, Diaz fait ici un dénombrement de l’armée sur le mode homérique. Il décline les qualités des chefs de marque, mais surtout celles des chevaux ; tous les seize y passent, avec leur robe et leur histoire, comme au début d’une chanson de geste. Anton de Alaminos, qui avait conduit les deux premières expéditions, était pilote-mayor, et fray Bartolomé de Olmedo chapelain. Les principaux lieutenans de Cortez, Christoval de Oli, Pedro de Alvarado, Sandoval, se dessinent en quelques traits significatifs ; ces personnages reviendront sans cesse dans le récit, avec leurs sobriquets, leurs montures, leur physionomie commune de demi-dieux, ce je ne sais quoi de naïf et d’épique qui les pose tout d’abord, dans la narration du chroniqueur, comme les rois grecs au début de l’Iliade ou les douze pairs de Charlemagne. — Le 10 février 1519, la messe entendue, les conquérans firent voile au sud.


III

Dès la première relâche, à la pointe de Cotoche, un hasard heureux fournit à l’expédition ce qui lui manquait le plus, un truchement. Un des Indiens capturés par Grijalva fit entendre aux Espagnols qu’il y avait, à quelque distance dans l’intérieur, deux esclaves blancs comme eux. Cortez envoya une mission avec des présens pour s’assurer de la chose et racheter les Européens s’il s’en trouvait. La mission ramena un esclave semblable aux Indiens et parlant avec effort l’espagnol ; cet homme était un clerc du nom d’Aguilar, lecteur d’évangile, qui s’était perdu dans une tempête depuis plus de quinze ans avec toute une troupe de colons de Saint-Domingue. Il conta comment les vents l’avaient poussé sur la côte inconnue ; ses compagnons avaient été sacrifiés et mangés, à l’exception d’un certain Guerrero, gardé comme lui en esclavage, puis libéré, et qui refusait de rejoindre ses compatriotes. Quand les envoyés de Cortez vinrent pour les délivrer, dit le chroniqueur, « l’Aguilar s’achemina vers son compagnon, qui se nommait Gonzalo Guerrero, qui lui répondit : « Frère Aguilar, je suis marié ; j’ai trois fils, et on me tient ici pour cacique et capitaine en temps de guerre. Allez avec Dieu ; pour moi, j’ai la figure tatouée et les oreilles percées. Que diraient de moi ces Espagnols s’ils me voyaient ainsi accommodé ? Et puis, voyez ces trois miens petits enfans : qu’ils sont jolis ! Par votre vie, donnez-moi de ces grains de verroterie verte que vous apportez, et je dirai que mes frères me les envoient de mon pays. » — Et mêmement l’Indienne, femme du Gonzalo, apostropha l’Aguilar et lui dit, fort en colère, en son langage : « Voyez donc un peu cet esclave qui vient appeler mon mari ! Allez-vous-en et ne vous mêlez point de bavarder davantage. » — Et l’Aguilar recommença à parler au Guerrero, lui remontrant qu’il était chrétien et qu’il ne perdit point son âme pour une Indienne, et que s’il les tenait pour sa femme et ses enfans, qu’il les emmenât avec lui puisqu’il ne les voulait pas laisser. Et pour chose qu’il pût lui dire et pour bien qu’il l’admonestât, l’homme ne voulut point venir. Il paraît que ce Gonzalo Guerrero était homme de mer, natif de Palos. »

Renforcée de ce précieux auxiliaire, l’escadrille s’avança dans la baie de Campêche. A Tabasco, Cortez livra sa première grande bataille aux Indiens, réunis en masse sur le rivage pour s’opposer au débarquement ; ces indigènes plièrent, épouvantés par les chevaux, et on en fit un grand massacre. Il ressort des récits de Diaz que dans toutes ces rencontres, où les Espagnols étaient dans la proportion d’un contre cinquante, soixante et plus, ils durent la victoire à leur petite cavalerie bien plus encore qu’à leur artillerie ; les Indiens, assez vite aguerris à la poudre, ne pouvaient surmonter la frayeur superstitieuse que leur inspiraient ces monstres rapides, qu’ils croyaient faits d’un seul corps, homme et cheval : on voit ici comment dut se former dans l’antiquité le mythe des Centaures, chez quelque peuplade de la vieille Grèce attaquée pour la première fois par des cavaliers asiatiques. — Après le combat de Tabasco, tandis que les vainqueurs pansaient les blessures des hommes et des chevaux avec de la graisse d’Indiens, les caciques de la contrée vinrent offrir la paix ; ils proposaient des bijoux d’or et un présent de vingt jeunes femmes. Les Espagnols refusèrent d’accepter ces infidèles avant qu’elles eussent reçu le baptême. Aguilar les catéchisa sommairement, fray Bartolomé procéda à la cérémonie, et les principaux de l’expédition se les adjugèrent aussitôt sans autre combat de conscience. Cette scène, qui reviendra à satiété sous la plume de Diaz, comme le complément obligé de toute négociation avec les Mexicains, peint d’un seul trait la religion de ces hommes, aussi scrupuleuse sur la forme qu’accommodante sur le fond.

Une de ces Indiennes, fille d’un cacique de grande race, dévolue d’abord à Puertocarrero, revint ensuite à Cortez ; ce fut la fameuse doña Marina. Cette femme, d’une intelligence et d’un caractère au-dessus du commun, tient dorénavant l’un des premiers rôles dans le drame raconté par Bernal ; c’est l’Égérie du conquérant, toujours à ses côtés, lui rendant les plus signalés services dans les grandes épreuves. Elle apprit assez promptement l’espagnol et le mexicain pour remplacer Aguilar, interprète médiocre ; Cortez mena toutes ses négociations par l’intermédiaire de doña Marina ; elle fut le premier trait d’union entre les deux races ; elle prêcha et convertit des milliers de ses compatriotes. « L’homme de Marie, » le Malinche, comme prononçaient les Indiens, tel fut par la suite le surnom du capitaine castillan dans tout le Mexique. Quand Diaz fait parler les indigènes, c’est toujours par cette appellation que Cortez est désigné. Le conquérant eut de doña Marina un fils, Martin Cortez, et la maria par la suite à un hidalgo, Juan Xaramillo. Elle avait été abandonnée tout enfant par sa mère au cacique d’un village voisin, et Diaz nous retrace la scène de famille dont il fut témoin quelques années plus tard, quand la mère de doña Marina, mandée à une assemblée pour la pacification des provinces, vit sa fille aux côtés du vice-roi. « La mère et le frère étant venus, la mère reconnut clairement que Marina était sa fille, car elle lui ressemblait fort. Et ils eurent peur d’elle, croyant qu’elle les avait mandés pour les tuer, et ils pleuraient. Quand la doña Marina les vit ainsi pleurer, elle les consola et leur dit de ne pas avoir peur, que lorsqu’ils la livrèrent ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, et qu’elle leur pardonnait. Et leur ayant donné quantité de joyaux d’or et de vêtemens, elle leur dit de s’en retourner à leur pueblo ; que Dieu lui avait fait grand merci de l’ôter de l’adoration des idoles et de la faire chrétienne, et de lui donner un fils de son maître et seigneur Cortez, et de permettre qu’elle fût mariée avec un gentilhomme comme était son mari Juan Xaramillo ; que, quand bien même on la ferait cacique de toutes quantes provinces il y avait en la Nouvelle-Espagne, elle ne le voudrait point ; qu’elle prisait plus haut que chose au monde le service de son mari et de Cortez. Et tout ce que je dis là, je le lui ai entendu dire à elle-même très expressément, et je le jure amen. A mon sentiment, cette aventure ressemble à ce qui advint, en Égypte, à Joseph et à ses frères, quand ils vinrent en son pouvoir lors de l’affaire du blé. »

Le jour du jeudi saint, l’armada jeta l’ancre à Saint-Jean de Ulloa, et Cortez mit le pied sur cette terre du Mexique, où il devait gagner un royaume. Un envoyé de Montézuma se présenta aussitôt au camp, avec des peintres chargés de reproduire sur de grandes pièces d’étoffe les vaisseaux, les chevaux, les canons, les visages des capitaines étrangers. Cette fois on pouvait s’entendre, et les Espagnols apprirent l’existence de l’empire aztèque. Quelques jours après, de nouveaux ambassadeurs, de Montézuma apportaient à Cortez des présens magnifiques : un soleil d’or, une lune d’argent, un casque rempli de pépites. A la vue de ces trésors, au récit de ces merveilles, l’âme de l’aventurier s’enflamme et s’affole ; tous les élémens confus qui bouillonnent en elle, curiosité, convoitise, soif de gloire, prosélytisme de la foi, tout conspire à fortifier cette âme dans le plus mâle dessein qu’un homme ait jamais formé. Cortez communique son enthousiasme à ses compagnons, il apaise les séditions naissantes dans le camp, déjoue les brigues, gagne ses adversaires ; pour couper toute retraite aux espérances et les lier uniquement à la réussite de ses projets, il risque le grand coup de folie et de sagesse : il noie ses vaisseaux. Plus de communications désormais avec la mère pairie, partant plus de regards en arrière ; volontairement, cette poignée d’hommes s’isole dans le monde inconnu qu’elle vient d’ouvrir ; il faudra le maîtriser ou y périr. On épargne un seul bâtiment qui fait voile pour l’Espagne ; deux affidés de Cortez vont plaider sa cause et lutter contre les envoyés de Velazquez, à Madrid, devant le conseil des Indes, et jusque dans les Flandres, auprès de Charles-Quint. Tandis qu’il se lance à la conquête d’un empire avec de si faibles moyens, le capitaine obscur doit encore, pour assurer d’avance cette conquête hypothétique, faire tête à tous les puissans du siècle, par delà les mers, dans la patrie lointaine où on l’ignore. — Pour remplacer la flotte détruite qui devait lui servir de base d’opérations, Cortez fonde sur le rivage sa première ville, la Vera-Cruz, un peu au nord de la ville actuelle de ce nom. L’opération se réduisit à ceci : « Un poteau de justice fut planté dans la place, et au dehors une potence. » Entre ces deux monumens significatifs, qui inauguraient la cité à venir, on éleva des fortifications sommaires ; quelques soldats demeurèrent à leur garde, avec les magasins et les non-valeurs de la petite armée. Cortez, entraînant tout le reste derrière lui, s’engagea dans l’intérieur, sur la route de Mexico. Dès les premiers pas, ce soldat si téméraire se révèle un politique incomparable ; ses vues sont toujours justes et pénétrantes, ses moyens appropriés aux circonstances, tantôt la séduction de la parole, tantôt de grossiers prestiges, de feintes colères, et, il faut bien le dire, un large emploi de la perfidie. Je ne sais si Cortez avait lu Machiavel, mais, mieux encore que Borgia, le capitaine espagnol incarne le souple et cruel génie du XVIe siècle. Dans la conduite de ses plans, on retrouve tour à tour le clair regard, les secrets de tragédien d’un Bonaparte, les ruses enfantines d’un Ulysse, et malheureusement aussi la rapacité d’un Shylock quand il faut défendre ses sacs d’or. Avec les pauvres instrumens d’information dont il dispose, Cortez étudie l’empire qu’il veut entamer, il en reconnaît les parties faibles, les désagrège et les exploite. Il y a dans les provinces de Montézuma de vieilles républiques dissidentes, des populations hétérogènes qui supportent impatiemment la domination aztèque et souffrent des exactions impériales ; ce sont des alliés désignés.

La première ville qui offrit l’hospitalité aux Espagnols fut Cempoalla, la grande cité des Terres-Chaudes, où vivait le peuple totonaque ; ce peuple confiant et paisible accueillit les étrangers avec des couronnes de roses, en brûlant devant eux le doux encens des gommes copales. Les cavaliers lancés en éclaireurs ayant aperçu de loin les murs blanchis à la chaux et reluisans sous le soleil, ils revinrent à bride abattue, criant à leurs compagnons que les murailles de la ville enchantée étaient d’argent poli. Ce détail montre bien la cupidité et la tension furieuse de toutes les imaginations. Comme Cortez entrait en pompe dans Cempoalla, entouré des caciques, on annonça à ceux-ci l’arrivée des collecteurs de l’impôt impérial. Les caciques « changèrent de couleur et se mirent à trembler la peur. » Cortez vit cinq Mexicains, de contenance haute et arrogante, vêtus de riches mantes brodées, suivis d’esclaves qui les éventaient avec des chasse-mouches ; ces personnages tenaient d’une main des roses qu’ils respiraient, de l’autre un bourdon avec son crochet. Les caciques expliquèrent à leur hôte que ces exacteurs venaient lever les tributs qui ruinaient la nation totonaque. L’Espagnol n’hésite pas sur le parti à prendre ; il pousse ses nouveaux amis à la révolte, fait saisir les Mexicains par ses soldats, les maltraite ostensiblement et les expédie, chargés de chaînes, à la Vera-Cruz ; mais sous-main il les renvoie à Montézuma avec des paroles flatteuses, en se vantant de les avoir arrachés à la sédition. Son plan est fait : soulever les populations contre l’empereur, sans se brouiller ouvertement avec lui, l’affaiblir, tout en lui donnant le change, et se ménager, autant que possible, un accueil pacifique à Mexico.

Sur un seul point cette politique prudente cède à la passion, — sur le point de la religion. Les cœurs castillans sont encore tout brûlans de cet esprit des croisades dont je parlais tout à l’heure ; ils n’admettent pas de compromis avec les intérêts de la foi ; la vue d’une idole les jette hors d’eux-mêmes : pour l’abattre, ils risquent tous les résultats acquis. Étrange religion d’ailleurs, violente et naïve, salie d’alliages douteux ! Que Bernal Diaz la fait bien revivre, quand il nous raconte le premier prêche aux Indiens, au milieu des échanges, entre les marchés d’or ! Tout en troquant les verroteries contre les métaux précieux et les émeraudes, les Espagnols annoncent le Christ ; le théologien chargé de cette mission, c’est la néophyte doña Marina, l’amie de Cortez ; par son intermédiaire, le fray Bartolomé invite les païens à briser leurs idoles de bois et de pierre, il leur révèle un Dieu unique et immatériel ; et comme conclusion de cet enseignement, le bon père engage ses nouvelles ouailles à placer dans leurs temples les statues de la Madone, des grands saints espagnols, à les encenser et orner de fleurs. D’après nos façons de penser, il semblerait que cette logique dût singulièrement troubler l’esprit des malheureux Indiens ; qu’on y regarde de plus près, on comprendra que c’était là la seule voie de réussite pour la doctrine meilleure. Les Indiens n’étaient pas mûrs pour les vérités abstraites ; ils les laissaient échapper et ne retenaient que les signes nouveaux ; comme à tous les peuples qui changent de culte, il fallait leur rendre la transition insensible, modifier l’objet de leur idolâtrie avant d’en déraciner le principe. Sans doute les Espagnols n’avaient pas prémédité tout cela, ils ne s’inquiétaient guère de ménager la lente évolution du cerveau humain, quand ils remplaçaient la statue de Quetzalcoatl par celle de saint Jacques ; mais la sagesse de Dieu, qui passe celle des hommes, avait prémédité pour eux.

À ce moment, alors que se noue le drame des races et des dieux, le récit de Bernal prend toute l’ampleur et le mouvement d’un chant d’épopée ; il nous montre tour à tour Cortez haranguant ses bandes sur le rivage de la mer, Montézuma en proie aux angoisses dans son palais de Mexico, les puissances célestes et les démons engagés dans le choc des deux mondes. Ce sont les situations de l’Iliade, développées avec les mêmes moyens merveilleux, avec la même croyance robuste : voici la flotte et les camps argiens, voilà les murs de Troie et la douleur de Priam, le ciel intéressé à la lutte, les divinités protectrices ou hostiles atteintes par les péripéties. Déjà, à Tabasco, un cavalier, monté sur un cheval gris truité, a combattu devant les Espagnols, « et il se pourrait que, comme le dit Gomara, ce fût le glorieux apôtre Monsieur saint Jacques ou Monsieur saint Pierre, et que moi, pécheur, je n’aie point été digne de le voir. » — À Cempoalla, comme Cortez enjoint à ses alliés de briser les idoles et de mettre à leur place la Madone, le peuple se révolte, prend les armes, entoure les Espagnols ; les caciques déclarent qu’il ne leur convient point d’abandonner ces dieux qui leur donnent la santé, de bonnes semailles, et tout ce dont ils ont besoin. « Alors Cortez parla, nous recordant de saintes et bonnes doctrines. Comment, disait-il, pourrions-nous rien faire de bon, si nous ne défendions l’honneur de Dieu, en abolissant les sacrifices que ces gens font à leurs idoles ? Il nous recommanda de nous tenir prêts à la bataille, au cas qu’ils voudraient nous empêcher d’abattre leurs dieux, qui à tout prix, même au coût de notre vie, devaient en ce jour rouler sur le sol. » — Au moment d’en venir aux mains, les pauvres Indiens hésitent, terrifiés par les canons et les chevaux des Teules, — ils appelaient ainsi les Espagnols, d’un mot qui signifiait dans leur langue : les immortels. — « Les caciques tremblans dirent qu’ils n’étaient point dignes de s’approcher de leurs dieux, et que si nous les voulions renverser, ce ne serait point de leur consentement, mais que nous étions libres de les abattre nous-mêmes et de faire à notre volonté. À peine eurent-ils dit que nous montâmes, au nombre d’environ cinquante soldats et précipitâmes les idoles, qui roulèrent en morceaux, lesquelles étaient en forme de dragons épouvantables aussi grands que des veaux ; d’autres figuraient des moitiés d’hommes et de grands chiens, et toutes d’horrible aspect. Quand ils virent leurs dieux ainsi brisés en morceaux, les caciques et les prêtres qui se tenaient avec eux pleuraient et se couvraient les yeux, et dans leur langue totonaque leur disaient de leur pardonner, qu’ils n’avaient plus le pouvoir de les défendre. » — On recrépit à la chaux les murailles du temple, sanglantes des sacrifices ; les charpentiers taillèrent une croix, façonnèrent une image de Notre-Dame, et l’on confia la garde du sanctuaire régénéré aux anciens prêtres, après avoir rasé leurs chevelures. — Tandis que la croix victorieuse monte et avance le long des sierras, sur la route de Mexico, Montézuma implore ses dieux. — « Il paraît que le Montézuma était fort dévot à ses idoles, qui se nommaient Tezcatepuca et Huichilobos (celui-ci, à ce qu’ils disaient, était le dieu de la guerre, et Tezcatepuca le dieu de l’enfer), et qu’il leur sacrifiait chaque jour des enfans dans l’espoir d’apprendre d’eux ce qu’il devait faire de nous ; car il songeait, dans le cas où nous ne repartirions point dans les navires, à s’emparer de nous tous pour nous faire reproduire et avoir de notre race, et aussi pour avoir de quoi sacrifier. D’après ce que nous sûmes depuis, ses idoles lui répondirent qu’il n’eût garde d’écouter Cortez ni les paroles qu’il lui envoyait dire au sujet de la croix, et qu’il eût soin de ne point laisser porter l’image de Notre-Dame en sa ville. » — L’empereur aztèque, abandonné aux irrésolutions qui doivent le perdre, attend avec une frayeur religieuse les étrangers ; il négocie pour les détourner de sa capitale et ne se résout pas à la résistance ; sa volonté est paralysée par ces pressentimens obscurs, propres aux races et aux monarchies condamnées ; il se rappelle les anciennes traditions qui prophétisent l’arrivée d’hommes blancs, le retour du dieu jadis exilé vers le soleil levant.


IV

Il faut renoncer à suivre les conquérans étapes par étapes ; ce serait refaire l’histoire de Prescott, qui a toutes les qualités d’une histoire définitive. Je ne m’attache qu’aux parties saillantes du récit de Bernal Diaz, à celles qui ressuscitent le temps, qui nous font pénétrer ces imaginations surmenées, ces âmes avides et intrépides. Au sommet des sierras, Cortez rencontre les républicains de Tlascala, la grande ville des Terres-Froides ; 50,000 guerriers, au dire de Bernal, lui barrent la route. Les 400 Espagnols, s’étant tous confessés et ayant communié, chargent bravement cette armée, la mettent en déroute ; la république fait sa paix, propose son alliance contre Montézuma. Cortez entre dans la ville, les caciques lui offrent de l’or, des roses et des jeunes filles. Ici encore le chroniqueur raconte longuement la belle défense de ses compagnons, qui exigeaient, avant d’accepter ce don gracieux, la conversion préalable des idolâtres ; il faut lire l’étrange sermon prononcé par doña Marina sur les matières de foi. Néanmoins, le prosélytisme défaillit devant l’émotion de cette ville populeuse ; fray Bartolomé, plus sage que les laïques, conseilla de différer ; on se contenta de baptiser les jeunes Tlascaltèques, avant de les distribuer aux soldats chrétiens, et d’ériger une croix dans le temple en y tolérant le voisinage des idoles. Grossie par le contingent de ses nouveaux alliés, l’armée descend dans la vallée de Mexico. À ce moment, l’audace et l’esprit d’aventure débordant dans les cœurs de ces hommes inspirèrent à l’un d’eux un trait de curiosité qui confondit l’âme superstitieuse des indigènes ; comme l’armée contournait le volcan Popocatepetl, alors en pleine éruption, un soldat, Diego de Ordas, s’élance et gravit les pentes de lave, malgré les cris des Indiens. Il arrive au bord du cratère, au sommet du géant américain, plus élevé de 3,000 pieds que notre Mont-Blanc ; de là, à travers le voile de flamme et de fumée, les yeux d’un blanc jettent leur premier regard sur la belle vallée centrale du continent : Diego aperçoit les lacs, les nombreuses cités, les riches cultures, et, miroitant sur les eaux bleues, les murs, les palais, les temples d’une capitale orgueilleuse autant que Rome ou Byzance.

A Cholula, la première ville de la vallée, les Espagnols échappent à un grand danger. Cortez est averti par sa fidèle Marina d’un complot des habitans, qui voulaient l’égorger par surprise avec sa petite troupe ; il attire les suspecte dans le préau du palais où il habite et en fait à l’improviste un effroyable carnage. C’est la première circonstance où le capitaine-général mérite les accusations de cruauté si souvent formulées contre lui par Las Casas ; encore faut-il se rappeler la nécessité où étaient les Européens de maintenir leur prestige par la terreur. Qu’on juge de ce qui les attendait s’ils avaient faibli aux portes de Mexico ! « Nous apprîmes de manière très certaine que les idoles de Montézuma lui conseillèrent de nous laisser entrer à Mexico avec des apparences pacifiques ; que, dès que nous serions entrés, en nous ôtant les vivres et l’eau ou en levant un quelconque des ponts, il lui serait aisé, dans un seul jour de bataille, de nous massacrer tous jusqu’au dernier ; qu’alors il pourrait faire des sacrifices à Huichilobos, qui lui avait donné ce conseil, et à Tezcatepuca, son dieu de l’enfer, se rassasier, lui et les siens, de nos cuisses, de nos jambes et de nos bras, et avec les tripes, le tronc et le reste, assouvir la faim des couleuvres, serpens et tigres qu’il tenait dans des maisons de bois, comme je le conterai plus avant, à son temps et lieu. »

Malgré ces funèbres perspectives, les Espagnols brûlent d’entrer dans la ville du mirage, la Venise américaine qui rit devant eux sur son lac. L’entreprise était malaisée ; l’ancienne Mexico, bâtie tout entière sur la lagune, ne communiquait avec la terre ferme que par trois chaussées courant sur de longues digues ; ces chaussées étaient coupées de place en place par des canaux et des ponts-levis ; une fois engagée sur les digues, la colonne risquait d’être séparée et surprise dans une série de traquenards où la cavalerie ne serait d’aucun service. En supposant l’accueil le plus favorable, que deviendrait cette poignée de soldats perdue au cœur d’une capitale qui comptait alors, d’après les évaluations les plus modérées, au moins 300,000 habitans ? C’était de quoi réfléchir ; mais si les Espagnols avaient réfléchi, Diaz ne nous raconterait pas cette série de prodiges. Plus la prouesse était folle, plus elle les sollicitait. Ils se rapprochaient chaque jour du but, négociant, pratiquant les voisins mécontens, établissant dans les places les garnisons de leurs alliés. Cependant Montézuma, désireux de les écarter, peu soucieux de livrer bataille, leur dépêchait ambassade sur ambassade, faiblissait et se résignait peu à peu à recevoir ces terribles hôtes. Ils arrivèrent à Iztapalapa, un faubourg de la capitale, au bord du lac. Écoutez le cri de surprise, le cri de liesse de ces hommes : le monde réel leur donne la vision des féeries imaginées dans les romans fabuleux des âges précédens. « Lorsque nous vîmes tant de cités et de bourgs bâtis dans l’eau, et, sur la terre ferme, d’autres grandes villes, et cette chaussée si bien nivelée qui allait tout droit à Mexico, nous restâmes ébahis d’admiration. Nous disions que cela ressemblait aux demeures enchantées décrites dans le livre d’Amadis, à cause des grandes tours, des temples et des édifices bâtis dans l’eau, tous de chaux et de pierre. Quelques-uns même de nos soldats demandaient si cette vision n’était pas un rêve. Il n’y a pas à s’ébahir de la forme de mon discours, car il faut considérer que je ne sais comment décrire ces choses qui n’avaient jamais été ni vues, ni ouïes, ni même rêvées et que nous vîmes de nos yeux. » — Diaz s’extasie sur les palais où on les logea, les salles boisées de cèdre, ornées de tapisseries et de peintures, les jardins de fleurs et de fruits, coupés d’étangs où circulent les barques, les volières d’oiseaux rares : « Je répète que je restai à regarder tout cela, convaincu qu’on n’avait jamais découvert dans le monde de si nobles terres (car en ce temps il n’y avait pas de Pérou et il n’en était même pas question…) Aujourd’hui, toute cette ville est par terre, ruinée, et il n’en reste rien debout. » Le lendemain, 8 novembre 1519, les conquérans s’engagèrent sur la chaussée de Mexico et franchirent l’enceinte, émerveillés de ce qu’ils voyaient, de ce qu’ils faisaient, émerveillant le peuple rouge sorti tout entier au-devant d’eux : « Quoique cette chaussée soit bien large, elle était comble et ne pouvait contenir toute la foule, qui allait vers Mexico ou en sortait pour nous venir voir. La multitude était telle que nous ne pouvions nous tourner, sans compter ceux qui remplissaient les tours et les temples ou qui venaient, en canots, de tous les points de la lagune. Il n’y avait pas de quoi s’étonner, car ces gens n’avaient jamais vu ni chevaux, ni hommes comme nous. Devant ce spectacle admirable, nous ne savions que dire, n’osant croire à la réalité de ce qui nous apparaissait… Et nous n’étions même pas quatre cent cinquante soldats, et nous n’avions certes pas oublié les entretiens et les avis des gens de Tlascala,.. de nous bien garder d’entrer à Mexico, si nous ne voulions tous y être égorgés. Que les curieux lecteurs examinent, d’après ce mien récit, si la chose ne méritait pas d’être pesée. Aussi, y eut-il jamais dans l’univers hommes plus audacieux que nous ? »

Dans une litière, sous un dais ouvragé d’or et d’argent, de perles et d’émeraudes, les caciques portent un personnage somptueusement vêtu, entouré de toute la pompe, qui sied au souverain d’un des plus riches empires du globe. C’est Montézuma, venu à la rencontre de ses hôtes. Il met pied à terre devant Cortez et l’embrasse. Résigné à la fatalité qu’il prévoit, incliné déjà sous l’ascendant de ces maîtres que les anciens dieux ont tristement annoncés, Montézuma fait la pénible démarche avec bonne grâce et haute mine. Dès le premier abord, les Espagnols sont séduits par sa courtoisie, sa générosité ; on sent dans le langage de Diaz un respect involontaire pour cette grandeur malheureuse qui va déchoir. Marina traduit les complimens réciproques ; les deux hommes qui personnifient à cette heure deux mondes entrent de front dans la capitale du Mexique, suivis par tout le peuple aztèque. Pour les soldats castillans c’est le point culminant de l’épopée, l’enivrement suprême de l’aventure. Montézuma conduit Cortez au palais qu’il lui destine et dit : « Malinche, vous êtes dans votre maison, vous et vos frères ; reposez-vous ! »

Les Espagnols n’étaient pas gens à se reposer. L’explication de leurs succès est dans la discipline, la vigilance infatigable de ces hommes de fer. Pendant des mois ils dormirent dans leurs armures, serrés autour de leur chef, la main sur l’épée. Diaz nous dira plus loin comment ses compagnons étaient harassés. « Par le corps, par la bouche, nous ne rejetions plus que sang et poussière, épaissis en caillots dedans nos entrailles, car nous avions toujours les armes sur le dos, sans arrêter ni nuit ni jour, si bien qu’en quinze jours de temps, cinq de nos soldats étaient morts de douleurs de côté. » — A peine reçus dans la place, les conquérans n’ont qu’une idée : s’en emparer. Leurs convoitises s’exaspèrent à la vue du faste qui entoure Montézuma et dont Bernal nous fait de mirifiques récits. Ce sont les raffinemens de luxe et d’étiquette d’un sultan d’Orient. L’empereur mangeait seul, servi par les femmes de son harem ; on mettait à contribution toutes les provinces de l’empire pour approvisionner sa table de fruits, de poissons, de gibiers délicats, de chairs d’enfans en bas âge ; sa seule boisson était une mousse de cacao ; on en distribuait de grands pots, avec les reliefs de la table, aux deux cents gardes qui veillaient dans les salles du palais. Après le repas, on lui présentait du tabac dans des tubes de liquidambar ; il se laissait distraire aux chansons et aux danses des ballerines, des bouffons et des bateleurs. Un intendant-général tenait ses livres de comptes, de grands tableaux peints sur toile et représentant les jardins, les viviers, les bains, les parcs réservés à la chasse dans la campagne de Mexico. Diaz visita la Maison des fauves, où l’on entretenait des tigres, des jaguars, des pumas ; la Maison des serpens, où l’on gardait des corbeilles de vipères et de crotales à sonnettes, nourris avec les corps des Indiens sacrifiés ; la Maison des oiseaux, où l’on élevait toutes les brillantes espèces du tropique, pour fournir des plumes aux brodeuses ; les Mexicains estimaient par-dessus tout les dessins en plumage sur les étoffes et les armures. Il y avait dans la ville tout un quartier de ces brodeuses et tisseuses ; un de joailliers et de lapidaires, aussi habiles dans leur art, nous dit Bernal, que les meilleurs orfèvres d’Espagne ; quant aux sculpteurs et aux peintres, notre chroniqueur compare les plus fameux à son compatriote Berruguète. Un autre quartier était peuplé par les armuriers de la cour, un par les baladins, acrobates et danseurs. Le pieux Montézuma se rendait fréquemment au grand temple, élevé sur une pyramide de 114 degrés ; là il adorait les dieux Huichilobos et Tezcatepuca, idoles monstrueuses, revêtues d’or et de pierreries ; devant ces idoles, sur des trépieds, brûlaient dans l’essence de copal les cœurs des victimes humaines. Sur le faîte du temple, des instrumens de musique rendaient au vent des sons douloureux ; on entendait toute la nuit « le bruit épouvantable et triste du grand tambour de Huichilobos pendant les sacrifices. » De ce sommet on dominait toute la ville ; « et parmi nous il y avait des soldats qui, ayant été en beaucoup d’endroits du monde, et à Constantinople, et dans toute l’Italie et à Rome, dirent que place si bien alignée et ordonnée, de telle dimension et de si nombreux peuple, ils ne l’avaient oncques vue. »

Le trop confiant Montézuma avait précisément logé ses hôtes dans le palais où était conservé le trésor de l’empire. A la vérité, il avait pris la précaution de murer la porte de la chambre d’or ; mais ; « l’humeur espagnole étant de pénétrer tout et de vouloir tout savoir, » Cortez fit sonder les murs par ses charpentiers et découvrit la cachette, pleine de lingots, de bijoux, de pierres fines. Les gens de Castille se ruèrent sur cette proie magnifique : comment la garder, au vu et su de tous ? Alors Cortez conçoit et exécute un coup de force à peine croyable ; prétextant quelques entreprises des caciques de la côte sur son établissement de la Vera-Cruz, il se rend au palais avec l’élite de ses compagnons, saisit Montézuma au milieu de ses gardes, et moitié violence, moitié persuasion, il ramène l’empereur prisonnier dans le camp espagnol. Peu de jours après, pour affirmer sa dictature, il fait brûler sur la grande place les caciques turbulens de la Vera-Cruz ; pendant l’exécution, on met les fers aux pieds de Montézuma. C’était fou ; cela réussit : Diaz nous dit pourquoi. — « Certes, les curieux qui liront ceci doivent considérer les grandes actions que nous accomplîmes alors : faire échouer les navires ; oser entrer dans une si forte cité, après tant d’avertissemens du massacre qu’on nous y préparait ; avoir la prodigieuse hardiesse d’oser arrêter le grand Montézuma, roi de cette terre, au cœur de sa ville, dans son propre palais, au milieu de la multitude des guerriers de sa garde ; enfin oser brûler ses capitaines devant ses palais et le mettre lui-même aux fers tandis que s’exécutait l’arrêt. Bien souvent, à présent que je suis vieux, je m’arrête à considérer les choses héroïques que nous fîmes en ce temps. Elles me sont présentes, il me semble les voir. Et je le dis, ces hauts faits n’étaient réellement pas exécutés par nous, mais nous venaient, tout adressés, de la main de Dieu. »

Sauf l’incident des fers, la captivité de Montézuma fut douce et déguisée. Cortez, institué de sa propre autorité protecteur de l’empire aztèque, laissait au monarque déchu l’illusion du pouvoir, les jouissances du luxe, les prosternations des courtisans ; entre ses gardiens étrangers, le malheureux souverain recevait les ambassades des tributaires et écoutait les plaids de ses sujets. Dans toute la chronique de Bernal Diaz, je ne sais rien de plus attachant que le récit de cet épisode ; la figure de Montézuma s’y dessine avec des parties de grandeur, de sagesse, de générosité, qui la placent moralement bien au-dessus des cupides Espagnols. Par sa bonté et sa munificence, le prisonnier a vite fait de gagner les cœurs de ses geôliers ; tous l’adorent et le plaignent ; au spectacle de cette infortune si peu méritée, tous éprouvent une impression indéfinissable de mélancolie et de respect ; le ton du chroniqueur trahit à merveille cette impression, elle est rehaussée plutôt que diminuée par les avanies burlesques qu’il nous rapporte naïvement. Les soldats qui se relaient pour veiller sur Montézuma l’importunent de leurs demandes ; il les comble de cadeaux et de paroles gracieuses. Diaz lui-même avoue que, se trouvant de garde un jour et étant alors fort jeune, il insinua respectueusement à l’empereur qu’il avait grande envie d’une belle Indienne ; Montézuma lui en donna une aussitôt et ajouta par surcroît, du moins Diaz l’assure : « Ce soldat paraît être de noble condition. » Quelques-uns de ces gens grossiers manquent de déférence au captif, il les relève avec douceur et dignité. Cortez jouait aux palets avec lui pour le distraire ; le rapace aventurier n’imagine-t-il pas de tricher son adversaire ? Comme Alvarado marquait doubles les points de son capitaine, dans une partie intéressée, Montézuma plaisante finement ce fripon, met les rieurs de son côté, et leur abandonne avec mépris cet or dont il sont si avides. On avait placé auprès de lui un petit page espagnol, Orteguilla ; le prisonnier et l’enfant se prennent d’amitié l’un pour l’autre. Je passe bien des traits semblables, qui donnent à ce récit la grâce simple d’un vieux fabliau. — De temps en temps, on mène Montézuma prier ses dieux au temple ; malgré les prêches répétés de fray Bartolomé et de Marina, il reste fidèle à sa piété nationale ; elle seule console cette âme, brisée par la claire vision de la fatalité, résignée au sort qui vient toujours plus noir, ayant tout abdiqué de sa grandeur passée, sauf les façons royales et les sentimens chevaleresques. Il lui restait à souffrir une dernière humiliation : Cortez l’adjure de prêter serment de vasselage au roi de Castille et de faire prêter ce serment à son peuple. Montézuma essaie de lutter encore, puis, assemblant les caciques des provinces, il leur explique que les maîtres blancs prédits par les dieux sont venus du soleil levant et que la volonté du ciel est manifestement avec eux. « Ayant ouï cette harangue, ils répondirent tous, avec force larmes et soupirs, qu’ils feraient ce qu’il commandait. Et ils prêtèrent serment d’obéissance à Sa Majesté, avec des marques de profonde tristesse. Montézuma ne put retenir ses larmes. Et nous l’aimions tant et de si bon cœur que, le voyant ainsi larmoyer, nos yeux s’attendrirent, et que plus d’un soldat pleura tout comme Montézuma, tant était grand l’amour que nous avions pour lui. » — En lisant ces pages dans le livre de Bernal, il semble entendre le gémissement d’un palmier sauvage, entamé par la hache du colon, et s’inclinant lentement pour mourir, sans rien perdre de sa noblesse et de sa grâce. — On sait que l’empereur périt lors du grand soulèvement, atteint par les flèches de ses sujets comme il s’interposait entre les deux camps. Ce sage, abreuvé de chagrin, refusa de laisser panser ses blessures, et Diaz répète que les Espagnols « le pleurèrent comme un père. »

V

Je dépasse mon but. Ne pouvant analyser en détail les quatre volumes de la Véridique Histoire, je voulais me restreindre à la période qui m’a surtout séduit, le moment du contact entre les deux races, de la rencontre des deux âmes. Ceux qui liront jusqu’au bout le livre de Bernal Diaz verront se dérouler en traits nouveaux l’histoire connue : l’arrivée de la flotte et de l’armée envoyées par le gouverneur de Cuba pour supplanter Cortez, la résolution du hardi capitaine, laissant l’empire conquis et l’empereur prisonnier à la garde d’une centaine de soldats, courant avec le reste à la côte, battant son rival et lui prenant l’armée de menace, qui devient une armée de secours ; le retour à Mexico, le soulèvement des Aztèques, la « Nuit triste, » et le massacre des conquérans. L’écrivain, qui en réchappa, trouve des couleurs effrayantes pour peindre l’horreur de cette nuit, l’escalade furieuse du temple, les combats désespérés sur la chaussée, l’agonie, les supplices et les sacrifices de ses compagnons. Enfin il nous conte le siège, la prise et la destruction de la capitale, l’établissement définitif des Espagnols, leur rayonnement dans les provinces ; il nous dit leurs querelles intestines, monotone commentaire de l’axiome énoncé par lui quelque part : « L’or, on le sait, est communément désiré par tous les hommes, et qui plus en a, plus en veut avoir. »

Le lecteur se lasserait si je le menais à travers les cent dix-neuf batailles qu’énumère complaisamment le seul témoin ayant survécu. Laissons batailler le bon soldat ; mais, avant de l’oublier, empruntons-lui encore une page où toute son époque revit, comme en un vieux tableau flamand. Il s’agit des réjouissances qui suivirent la prise de Mexico. « Cette grande et populeuse cité, si renommée dans l’univers, ayant été gagnée, après avoir rendu à Notre-Seigneur et à sa mère bénie force grâces, avec certains vœux et promesses à Dieu Notre-Seigneur, Cortez commanda de faire un banquet dans Cuyoacan, en signe de liesse de cette prise. Il avait à cet effet, en quantité, du vin d’un navire arrivé au havre de la Villa-Rica et des porcs qu’on lui avait amenés de Cuba. Pour faire la fête, il fit convier, dans les trois camps, tous les capitaines et soldats dont il lui sembla devoir tenir compte. Quand nous parûmes au banquet, il n’y avait pas de tables dressées, ni même de sièges pour le tiers des capitaines et soldats présens. Le désarroi fut grand, et certes il eût mieux valu que ce banquet ne se fît point, pour maintes fâcheuses choses qui y advinrent, et aussi parce que la plante de Noé en fit extravaguer quelques-uns. Hommes il y eut qui… » (Suit un détail que Rabelais seul se chargerait de raconter.) « D’autres disaient qu’ils achèteraient des chevaux avec des selles d’or ; des arbalétriers soutenaient qu’avec les parts qu’on leur allait bailler ils n’auraient plus dans leur trousse que des carreaux d’or ; d’autres s’en allaient roulant par les degrés. Les tables levées, les dames entrèrent en danse avec les galans chargés de leurs armes. Il y avait de quoi rire. Les dames étaient peu nombreuses et il n’y en avait point d’autres dans tout le camp, ni dans la Nouvelle-Espagne. Je laisse de les nommer par leurs noms et de rapporter la satire qu’on en fit le lendemain. Mais je veux dire que les tant malséantes choses advenues au festin et danses faisaient murmurer le bon moine fray Bartolomé de Olmedo. Il dit à Sandoval combien ce lui paraissait mal et la belle façon que nous avions de rendre grâces à Dieu et de nous recommander à sa protection. Le Sandoval, tout à la chaude, répéta à Cortez ce que grondait et grommelait fray Bartolomé, Et le Cortez, qui était discret, le fit appeler et lui dit : « Padre, je ne me pouvais refuser à divertir et réjouir les soldats avec ce que Votre Révérence a vu, mais je l’ai fait contre mon gré. A présent, c’est à Votre Révérence à ordonner une procession, dire une messe, nous prêcher et exhorter les soldats à ne point rober les filles des Indiens, ni larronner, ni armer noises, mais à agir en catholiques chrétiens afin que Dieu nous soit bienfaisant. » Fray Bartolomé, ignorant ce qu’avait dit Sandoval et croyant que la pensée venait de son ami le bon Cortez, lui en sut gré. Et le Frayle fit une procession où nous marchions, enseignes levées, avec des croix de place en place, en chantant les litanies, et que fermait une image de Notre-Dame. Le jour suivant, fray Bartolomé prêcha. A la messe, plusieurs communièrent après Cortez et Alvarado, et nous rendîmes grâce à Dieu pour la victoire. »

On rencontre, dans la Chronique du conquérant, bien des pages semblables ; elles sont l’agrément et la curiosité de ce livre. On y trouve mieux encore, la leçon morale qui fait penser après qu’on a fermé le volume. Si les livres sont de bons amis, c’est qu’ils mettent l’âme en rumeur sans la contraindre et souffrent qu’on les quitte du pas distrait d’Horace et de Montaigne ; c’est qu’ils nous ramènent, par des chemins nouveaux, à nos songeries accoutumées, à ce point du temps qui est notre siècle, à ce point de l’espace qui est notre pays. — En lisant Diaz, j’écoutais vivre à grand bruit ces hommes de la renaissance, je les voyais violenter les faits et la fortune, brasser l’impossible, marcher dans leur folie, et, ce qui est d’un fâcheux exemple, y réussir. Je revenais à nous, à notre conception du problème de la vie, si différente de la leur, à nos découragemens, à notre lassitude d’être et d’agir. — Quatre siècles ont achevé l’œuvre entreprise par Colomb et ses premiers imitateurs. D’efforts en efforts, la soif de connaître et déposséder a mené les navigateurs jusqu’au dernier récif de corail qui blanchit dans le Pacifique ; la conquête du globe est accomplie ; l’homme de nos jours le tient tout entier dans sa main, ce globe emprisonné dans un réseau de routes rapides, ceint d’un fil qui fait circuler en quelques secondes, tout autour des larges flancs de la planète, la pensée d’un inconnu. Le travailleur s’est acquitté de la tâche magnifique désignée au labeur des ancêtres ; il est maître de son domaine, il finit de l’asservir à l’aide des grandes lois de la nature dont il a capté le secret. Que va faire ce roi heureux et tout-puissant ? Regardez au centre même de sa puissance : il fléchit sous un découragement moral sans précédent dans l’histoire, il s’abat dans un nihilisme amer. Interrogez ses politiques, ses philosophes, ses lettrés ; les plus accrédités sont consentans sur un point, l’épuisement des idées, l’inutilité d’agir, l’abdication de la volonté humaine devant la fatalité des choses et l’omnipotence des faits. Comme les peuples de l’an mille, nous semblons attendre, sans espoir, la dissolution d’un univers fini ; et quand nous nous laissons distraire un instant à la lecture d’un livre du XVIe siècle, nous trouvons tous le même cri : « Heureux les hommes d’alors qui savaient croire, aimer, agir, vivre en un mot ! » Est-ce donc qu’il n’y a plus rien à faire ici-bas et que le laboureur est au bout de son sillon ? S’il en était ainsi, notre accablement serait justifié.

Durant ces mêmes années où l’on découvrait les Indes, un artiste, un découvreur de mondes, lui aussi, était enfermé à Rome, dans la Sixtine. Il s’ingéniait à peindre sur l’étroite voûte de la chapelle tout le poème de la destinée humaine ; il voulait en donner le sens et le secret dans la figure du premier homme. Jusqu’à Michel-Ange, les peintres qui retraçaient la création d’Adam représentaient un joli adolescent, niaisement heureux dans de riants jardins, où un bon vieillard guidait ses pas. Le pinceau du grand philosophe balaya cette fantasmagorie et trouva la vérité : qui ne se rappelle l’admirable tableau et n’a mieux compris sa propre vie en le contemplant ? Jehovah, fuyant dans le ciel, jette sur une lande déserte un homme dans la vigueur de l’âge, nu, triste et fort ; devant ce banni, une haute et sombre montagne se dresse ; le geste du Créateur dit à sa créature : « Gravis ! » Au premier regard, on se sent pris de pitié pour ce condamné, de colère contre le décret divin ; mais, pour peu qu’on réfléchisse, on pénètre la miséricorde de ce décret ; l’Adam de la Sixtine, tombé du ciel, n’oublie son infortune qu’en gravissant la montagne qui le rapproche de son lieu d’origine. Le labeur qu’il y faut le distrait, partant le console ; l’orgueil de chaque degré vaincu, la beauté de chaque horizon découvert rendront à ce voyageur chagrin la confiance en lui-même et la joie. Si jamais il parvenait au but de son effort, au sommet de la montagne, alors commencerait son véritable malheur.

Par bonheur, la montagne ne sera jamais gravie. Lors même qu’il n’y aurait plus rien à conquérir dans l’univers visible, l’infini du monde intellectuel nous resterait encore. Un poète russe l’a dit en beaux vers : « De même que l’Océan enveloppe le globe terrestre, la vie terrestre est tout enveloppée de songes ; vienne la nuit, et le flot bat le rivage de ses vagues sonores ; sa voix nous harcèle et nous sollicite… » Ce ne sont pas seulement des songes, mais des idées et des vérités cachées qui forment cette atmosphère morale épandue autour de nous comme les eaux profondes autour de la terre. C’est peu d’avoir assujetti les océans ; il reste à explorer bien des pays d’idées, de ceux où l’on voyage par la pensée. Il n’est pas téméraire de supposer que beaucoup de nos certitudes philosophiques, politiques et sociales sont aussi enfantines, aussi absurdes que l’étaient les certitudes cosmographiques du moyen âge. Voilà l’Amérique proposée aux audacieux de notre temps ; ce ne seront pas les périls et les disgrâces qui leur manqueront ; le bienfait et la gloire des découvertes ne seront pas moindres. L’inquiétude féconde qui tourmentait le XVIe siècle, qui l’a conduit de révélations en révélations, de Colomb, l’inquiet d’un monde, à Galilée, l’inquiet d’un ciel, cette même inquiétude nous tourmente ; faute d’aliment, faute d’idéal, elle se ronge et s’aigrit en nous. La science a clairement établi plusieurs des lois immuables qui régissent les esprits et les choses ; nous nous prosternons anéantis devant ce mécanisme de l’univers, et, comme nous croyons le voir tout entier, nous nous croisons les mains de désespoir sous la force de ces roues de fer qui nous broient. Notre lâcheté vient de notre orgueil. Nous ne voyons pas tout. Les surprises de la vie nous enseignent chaque jour que nous ignorons encore un grand nombre de ces lois ; l’intervention de celles que nous ignorons dans celles que nous connaissons, voilà la part du miracle, la chance et le recours qui ne nous sont pas interdits. Et comme les horizons reculent à mesure que l’homme s’élève dans la connaissance, il ne s’agit que de reporter plus arrière, plus haut, cette Loi suprême, initiatrice des autres, à laquelle croyaient nos pères, cette volonté secourable qui nous permet, tout débiles que nous sommes, de lutter contre l’aveugle fatalité. Qui croit à cette assistance supérieure peut « discuter avec les faits » » et « faire plier les circonstances, » n’en déplaise aux axiomes contraires, lieux-communs du découragement général. Dans la certitude de sa haute origine, l’homme puise une force pareille à celle qui soutenait Cortez, le fils d’Europe, au milieu des multitudes indiennes ; tout ce que son imagination rêve peut être réalisé, tout ce que son cœur désire peut être atteint. Pour cela, il ne faut que vivre, comme vivaient ces gens du XVIe siècle, c’est-à-dire vouloir, essayer, risquer. Nous éprouvons de plus en plus une invincible timidité à vivre, l’analyse maladive empoisonne les sources de l’action. Singulier conseil, et bien inutile, ce semble, à donner aux hommes : vivre ! Pourtant, c’est celui qu’il faut répéter aux enfans, quand nous les assemblons pour leur communiquer le dernier mot de notre sagesse : « Vivez, vivez à plein cœur ; ce jeu ne va pas sans dangers, sans erreurs, sans souffrances ; mais tout est moins funeste que la peur de la vie, le sombre mal des siècles de décadence. »

Me voici de nouveau bien loin de Bernal Diaz ; j’en demande pardon au lecteur et à mon professeur de rhétorique, qui m’apprit jadis à ne pas m’écarter de mon sujet. Diaz vécut fort longtemps, lui, et il n’y eut certes pas de sa faute : en terminant sa chronique, un quart de siècle après la conquête, il fait le compte des cent dix-neuf batailles d’où il réchappa et le dénombrement de ses compagnons tombés dans ces batailles. De la première armée de Cortez, il restait cinq survivans, « pauvres, âgés, infirmes, chargés d’enfans et de petits-enfans, qui attendaient d’eux des secours qu’ils n’étaient guère en état de leur donner, — finissant leur carrière comme ils l’avaient commencée, dans les tribulations et les soucis. » — Nommé régidor perpétuel à Santiago de Guatemala, notre chroniqueur se reposait de ses fatigues dans un jardin d’orangers dont il était très fier, car il n’y en avait pas un second dans tout le Mexique. Lors de sa première descente et de son premier combat à Champoton, Bernal avait mangé des oranges emportées de Cuba et semé les pépins sur le sol ; des orangers avaient poussé, l’aventurier les retrouvait de temps en temps grandis, quand le hasard des expéditions le ramenait à Champoton ; devenu vieux, il les transplanta dans sa commanderie de Guatemala ; c’était à peu près tout ce qu’il avait gagné à ses dures campagnes. À l’ombre de ces arbres, souvenirs de la jeunesse et de la patrie, content d’avoir vaillamment servi son Dieu, son roi et son capitaine Cortez, l’honnête soldat vieillissait obscurément ; ses mains dévouées n’avaient quitté l’épée que pour prendre la plume et remémorer les anciennes prouesses de ses compagnons, les conquérans de la Nouvelle-Espagne ; on ignore à quelle époque, en quel lieu, Bernal Diaz descendit dormir auprès d’eux dans la paix de la terre conquise.

Eugène-Melchior de Vogüé.