Une école dans le comté de Foix avant 1789

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Une école dans le comté de Foix avant 1789
Revue pédagogique, second semestre 18794 (p. 415-422).


UNE ÉCOLE DANS LE COMTÉ DE FOIX
AVANT 1789


Entreprendre de grouper les documents qui se rapportent à l’état des écoles avant 1789 et reconstituer par là l’histoire de notre pédagogie nationale, est une œuvre qui nous paraît éminemment patriotique, et qui ne saurait laisser indifférents ceux qui cherchent dans le passé des leçons pour le présent et pour l’avenir, en particulier ceux qui ont mission d’élever la jeunesse.

C’est sous l’empire de ce sentiment que nous avons entrepris de réunir, en les condensant, les notes fournies à ce sujet par le Registre des délibérations du Conseil politique de la commune de la Bastide de Sérou, chef-lieu de canton, dans l’ancien comté de Foix, aujourd’hui département de l’Ariége.

La convention passée entre la Communauté et le Régent porte uniformément le titre de bail de la régence des écoles.

Celui qui reçoit mission d’enseigner s’y trouve désigné successivement sous les dénominations suivantes « escrivainecolierescolier en philosophiediacre évangélistebaichelier en sainte théologieacolyteprebstre et recteurclerc tonsuré ».

Comme on le voit, le maître est pris tantôt parmi les laïques, tantôt parmi les membres du clergé.

C’est le consul, assisté du régent et du Conseil politique, qui donne l’investiture au régent, « à la charge par celui-ci de se faire approuuer par l’illustrissime et révérendissime évesque de Couserans (1707) » —… « le Sr Gailhard, clerc tonsuré et régent des escoles, approuvé par MM. les vicaires généraux de ce diocèse et par Monseigneur l’illustrissime… (1710)… »

Le plus souvent, la décision de l’Evêque ne fait que ratifier le choix fait par la communauté ; quelquefois pourtant, il y a de sa part opposition aux mesures prises par le Conseil. Celui-ci ne cède pas aisément : il fait valoir que le candidat est de bonnes vie et mœurs, qu’il a subi l’examen de sa capacité, qu’il jouit de la confiance des familles, que les escoles demeureront fermées…

Rien n’y fait : le veto est maintenu. Le Conseil, qui s’était indigné d’abord, est obligé de se soumettre pour ne pas nuire à la tenue régulière des écoles. L’omnipotence de l’Evêque, en cette matière, paraît donc avoir été au-dessus de toute contestation ; mais on est heureux de voir que la conscience des mandataires communaux n’est pas muette ; on sent dans leur bouche le souffle précurseur de 1789.

Comme nous venons de le relater, le Conseil s’entourait de garanties nombreuses à l’endroit du régent. On examinait sa capacité… « Baillent les escoles au Sr Jacques Sans, escolier en philossoffie… qui a subi l’examen de sa capacité devant Guillaume Amardeilh, recteur ; François Doment, prebstre ; Villa, docteur en droit… ce matin… et bien doctement répondu à toutes les questions… (1653)… »

La convention était ordinairement passée devant le notaire. «… Par devant moi notaire royal et tesmoins en personne constitués… régnant très-chrétien prince Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre (1656)… le Sr Portet, consul et le Sr Jérome P… sindict, lesquels de leur gré et en conséquence de la décision du Conseil général tenu en la présente ville, au mois de juin de l’année dernière… ont baillé et baïllent à M. Jean Bertrand, prebstre et recteur de Suzan, icelui présent et acceptant sçavoir : la régence des escoles de la présente ville pour l’année (1665) à commencer au jour et feste de St Jean prochain venant et finissant à pareil jour et feste de l’année mil six cent soixante six… »

D’autres fois on n’avait pas recours à l’officier publie. «… à La Bastide de Sérou et maison commune d’icelle au pays de Foix, par devant mot soussigné secrétaire et témoins… (1667)… les dits Consul et Syndic ont baillé et baillent la régence des escoles aux pactes et conditions suivantes… (1656)… en vertu et suivant le pouvoir à eux donné… (1656)… pour le temps, espace d’une année… (1620)… »

Les conditions écrites dans le contrat sont longuement énumérées ; elles pourraient paraître méticuleuses, sujettes à des redites : elles ne sont à nos yeux que l’expression d’une grande prévoyance, d’un sentiment profond des devoirs qui incombent à toutes les municipalités.

« … Le Sr Bertrand sera tenu, pendant ladite année (1665), d’enseigner les enfants et escoliers de la présente ville, tant pour le latin, françois, qu’ A : B : C, lire et escrire et ce conformément que ses devanciers ont accoutumé faire… »

« … Baillent les escoles de la présente ville pour y apprendre et enseigner les escoles d’icelle à lire et escripre, et la grammaire à ceux qui auront la capacité et instruction… de apprendre tant grands que petits à bien prier Dieu, les sacrements et obéissance… (1650)… »

« … Ledit escolier en phillossoffie sera tenu d’enseigner la grammaire aux élèves plus principaux… (1653)… »

« … Ledit sr Dangeyroux sera tenu, et ainsi l’a promis, de bien et fidèlement instruire et enseigner tous les enfants, escoliers qui seront capables d’entrer en classe, et ce suivant leur capacité… et de les pousser au luthrin le mieux qui lui sera possible… tant aux grammairiens que à ceux qui ne voudront qu’apprendre à lire, escrire, et aux alphabétistes… les élever à bonne doctrine, principalement à la crainte de Dieu… et aux capables leur faire dire par jour la doctrine chrétienne… (1653)… »

« … Promet d’enseigner, instruire les abécédaires et ceux qui liront en latin… (1656)… »

« … Promet icelui Bouzom de s’acquitter le plus dignement qu’il lui sera possible de l’instruction et éducation de ladite jeunesse… (1659)… »

« … Lequel régent sera tenu d’enseigner les enfants escoliers… tant le latin, grec et françois que A : B : C : lire, escripre et compter, et le tout conformément aux anciennes costumes… (1666)… »

« … Seront tenus d’instruire, enseigner et endoctriner les enfants escoliers… (1668)… »

« … Et apprendra aussi à prier Dieu aux petits enfants, comme aussi le Pater, l’Ave Maria et la Croyance… (1620)… »

Ces citations résument le programme d’enseignement et indiquent la tendance des esprits. À côté des mots grec, latin, et doctrine, on trouve des recommandations touchant l’éducation, l’alphabet, la lecture, l’écriture, le français, la grammaire, l’arithmétique (1668). On voit que le cadre est large ; malheureusement il ne nous est pas possible d’apprécier d’une manière exacte les résultats qui pouvaient être obtenus. Toutefois la présence d’un adjoint indiquerait que l’école était bien fréquentée, et que le hasard tenait peu de place dans la distribution du travail.

« … Ledit Gérand sera tenu de bailler un second en la qualité requise pour apprendre la petite jeunesse à prier Dieu. (1651)… »

« … Et sera tenu de se pourvoir d’un second régent pour enseigner A : B : C, lire le françois et escrire lesdits enfants… conformément à l’ordonnance rendue par l’intendant et le bailli… (1665)… »

Ces dispositions se retrouvent à toutes les délibérations : il y avait donc deux classes, l’une supérieure, l’autre élémentaire.

L’école, ou comme on disait alors le collége, avait pour local la grande salle de l’hospital.

On recommande volontiers aux maîtres de faire tenir les enfants « à crainte, de les corriger et réprimer de tous vices et desbauches (1620), de leur administrer des corrections salutaires et profitables à tous (1668), de leur enseigner toute sorte de vertu et de faire leur possible pour l’édification du public et instruction de ladite jeunesse (1651)… et ainsi l’ont promis et juré (1659)… … et s’acquitteront bien et fidèlement de l’instruction et enseignement de tous les enfants qui iront au collège (1668). »

L’exactitude des maîtres est rigoureusement prescrite : le droit de visite et de contrôle est réservé.

« … Le régent restera en classe quand il n’y aurait qu’un escolier (1744)… Se réservant ladite communauté de faire les visites des escolles toutes les fois qu’on le jugera à propos… »

Le nombre de classes, leur durée, le choix des heures sont préalablement réglés.

«… Et seront tenus faire deux lessons tous les jours : la première entrera à sept heures et sortira à neuf ; et les après-dinées, entrera à deux et sortira à quatre, hors les jeudi et samedi, qu’il n’y aura qu’une lesson le matin, et les jours de festes n’y en aura point (1650)… Les lessons seront de deux heures matin et soir, et y resteront davantage, s’il est besoin pour l’instruction de la jeunesse (1661)…

… Et sont chargés de trois leçons par jour quand la saison et temps sera long… Ce sera depuis la St Jean jusques à mi- mois de Novembre… et depuis ce temps et après, deux chaque jour jusques à la mi-mois de Février, sçavoir : au temps long, entreront à huit heures du matin et sortirant à neuf ; — l’après-disnée entreront à midi et sortiront à une heure et demie ; — et sur le soir entreront à trois heures et sortiront à cinq… Et pour le temps court, entreront le matin à sept heures et sortiront à dix, et l’après-disnée entreront à une heure et sortiront à quatre (1620)… fors les jeudi et samedi qu’ils n’entreront que le matin à cause des vespres du samedi. »

Faire trois classes par jour, pendant l’été, n’était pas chose impossible au milieu d’une population scolaire bien agglomérée : cette mesure sauvegardait le droit des enfants à s’instruire, et leur épargnait la fatigue de longues séances ; mais elle aurait offert de grands inconvénients si les élèves aient eu à faire de longs trajets pour se rendre à l’école.

La classe finie, maîtres et élèves devaient se rendre à l’église, tous les matins, pour adorer et remercier Dieu.

…« De plus conduira les escolliers, tous les matins, sortant de classe, à l’église paroisialle de la présente ville, pour les faire prier Dieu pendant un quart d’heure : après les congédiera. Ce que semblablement fera aux vespres des samedis, dimanches et aux grandes messes, comme aussi aux festes chommables… les fera tenir à l’endroit qui est destiné pour le Régent escollier (1653)… »

« … Les conduiront à l’église pour rendre actions de grâces à Dieu…… les fairont tenir à la crainte de Dieu et dans le devoir d’escolliers, et les civiliser… et généralement faire tout ce que regents sont obligés de faire, selon leur pouvoir et sçavoir (1656)… »

« … Les conduiront à l’église, comme aussi à rang (1658)… et les fairont tenir journellement en respect et en estat… (1667) … et les fairont tenir avec la modestie et la dévotion requises… (1668)… les conduiront aux processions (1707)… Les jours ouvrables, conduiront les escolliers à la messe deux fois la semaine… fairont la prière ordinaire sortant de classe (1744)… »

Il n’y a pas jusqu’aux vacances qui ne soient fixées.

« … Et ne pourront leur donner vacassion que trois fois dans l’année, qui sont : au temps des vandanges, des festes de Noël et de Pâques, savoir, cinq jours chaque fois (1668)… Les jours de vigile, jeudi et samedi les escolliers n’entreront qu’une fois… (1662)… »

Il n’est pas sans intérêt de savoir quel traitement était attribué aux maîtres.

« … Et ce moyennant la somme de cent vingt livres, icelles payables à trois payements égaux, sçavoir : le 1er au jour et feste de Toussaint ; le second, au jour et feste de la Chandeleur, et l’autre et dernier, au jour et feste de l’Ascention prochain venant (1665)… »

« … Et ce, moyennant la somme de cent vingt livres que les sieurs Consul et syndict seront tenus de payer, sçavoir : au premier régent, la somme de huitante livres et au second régent la somme de septante… (1667)… »

« … Moyennant les gages de cinquante escus d’or… (1620)… »

« … Aux gages de cent quatre-vingts livres, laquelle somme a été accordée à M. Rouède, sous le bon plaisir du roi et de monseigneur l’intendant, par rapport à la cherté des vivres… (1748)… »

« … Les gages du régent seront portés à 250 livres, vu la cherté des vivres (1770). »

On voit que les gages du maître d’école n’étaient pas bien élevés ; mais aussi le prix des denrées alimentaires était facilement abordable : la livre de viande se vendait quatre sols ; le loyer de la maison du Recteur ne coûtait que 20 livres (1665). À cette époque, La somme de 150 à 250 livres pouvait donc suffire aux nécessilés de la vie matérielle, les habitudes de chacun étant simples et bien réglées.

Les engagements pris par les parties contractantes recevaient leur consécration dans la clause finale.

« … Et pour l’observation du contenu au présent acte, les dits sieurs Consul et Syndict ont engagé leurs biens et ceux de la dite communauté ; et lesdits Grillon et Bertrand, régents, les leurs propres, que ont soumis à toutes rigueurs de justice et de royaume… (1656)… (1668)… »

Nous venons de terminer nos citations qui mettent en relief, en les classant par ordre d’idées, les points principaux de la question.

Notre résumé comprend une période de 160 ans, et embrasse ls règnes de Louis XIII, Louis XIV et Louis XV. Nous n’avons trouvé aucun renseignement se rapportant aux années qui ont précédé ou suivi cette époque.

Mais dans l’espace de temps qui nous occupe, il y avait donc des écoles qui étaient convenablement organisées. Malheureusement elles devaient être peu nombreuses, et nous nous demandons s’il en existait quelque autre dans le district.

Nos ancêtres nous paraissent avoir parfaitement compris la nécessité de l’éducation et de l’instruction ; ils préparaient avec soin les résultats, entourant maîtres et élèves de leur paternelle sollicitude.

La bonhomie se dégage à travers leurs résolutions ; en les lisant on croit parfois entendre l’écho des paroles de Rabelais sur la matière :

« Ainsi l’ai-je secouru comme si je n’eusse autre trésor en ce monde que de te voir une fois en ma vie absolu et parfait, tant en vertu, honnêteté et preud’hommie, comme en tout sçavoir libéral et honnêteté… Par quoy, mon fils, je t’admoneste qu’employes ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertus… »

Le programme d’enseignement était large ; peut-être embrassait-il trop de choses — grec, latin — pour l’instruction des classes laborieuses. Il n’est fait mention nulle part d’histoire, de géographie, de dessin ; comme aussi nous n’avons trouvé aucune indication relative à la direction de l’enseignement vers les connaissances de la vie pratique, sauf quelques énonciations vagues touchant le français et le calcul.

L’idée d’établir trois classes de courte durée pendant les longs jours, et celle d’échelonner les vacances à trois époques de l’année, nous paraissent avoir été ingénieuses et pleines de sens. Nous nous demandons si aujourd’hui même il ne serait pas Plus profitable que les maîtres et les élèves de l’école primaire eussent quelques jours de repos à chaque trimestre et non un mois ou deux de vacances en fin d’année.

Les punitions corporelles étaient autrefois à l’ordre du jour ; elles ont heureusement fait leur temps.

Le contrat passé entre la commune et les maîtres n’engageait ls deux parties que pour un an ; il en résultait des changements trop fréquents dans le personnel enseignant, et quelquefois, par le manque d’un maître, la fermeture de l’école « pendant quatre mois et demi, faute d’y avoir pourvu de bonne heure (1710) ».

Aujourd’hui l’enseignement primaire est entre les mains de l’État, un personnel nombreux et bien préparé, fourni par les écoles normales, offre aux familles sous la surveillance de l’Administration toutes les garanties désirables ; et l’instituteur de son côté, se trouvant à l’abri des incertitudes touchant sa position matérielle, peut se procurer toujours par sa bonne conduite et son travail, une position stable au milieu des populations dont il a su gagner l’estime.

V. Fournier,
Inspecteur primaire.