Une Contribution à l’histoire du sentiment religieux en France

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Une contribution à l’histoire du sentiment religieux en France
Paul Staffer

Revue des Deux Mondes tome 48, 1908


UNNE CONTRIBUTION Á L’HISTOIRE
DU
SENTIMENT RELIGIEUX EN FRANCE


Pascal et son temps, par Fortunat Strowski, professeur à l’Université de Bordeaux, 3 vol. in-12 ; Plon.


Pascal a dit que « la dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage est de savoir celle qu’il faut mettre la première. » La chose que M. Strowski avait à mettre la première et qu’il trouvera peut-être en finissant, ne serait-ce pas la définition du « sentiment religieux, » dont il a commencé l’histoire, il y a plusieurs années, par une thèse excellente sur saint François de Sales ? Il continue aujourd’hui cette histoire en nous parlant de Pascal et de ce qui l’avoisine ; mais il n’est guère probable qu’elle ait son achèvement dans un troisième ouvrage « en préparation » sur Fénelon ; car le sujet est si vaste qu’il est peut-être dans sa nature de n’avoir point de terme ni de cadre nettement circonscrit.

Qu’est-ce que le sentiment religieux ? La question ne paraîtra pas inutile, si l’on songe à l’usage peut-être indiscret qu’on fait aujourd’hui de ces deux mots pour désigner par eux un substitut des religions positives, un équivalent, un synonyme de la religion même, et pour s’en contenter. Il semble tout d’abord que « sentiment religieux » doit signifier autre chose que « foi chrétienne. » Cela serait élémentaire, si c’était un fait incontesté que le christianisme n’est pas la seule religion. Mais, justement, des chrétiens le nient ; il y en a pour qui toute prétendue religion qui n’est pas chrétienne n’a aucune valeur religieuse, et Pascal est à leur tête, lui qui a écrit que le déisme est presque aussi horrible que l’athéisme et que la religion chrétienne ne les abhorre guère moins l’un que l’autre. La connaissance de Dieu, la connaissance de nous-mêmes, la connaissance de la vie et de la mort n’étant possibles que par Jésus-Christ, il en résulte, aux yeux de Pascal et des chrétiens qui le suivent, que toute religion est nulle qui n’a pas Jésus-Christ pour centre, pour principe et pour fin. Cependant le chrétien vulgaire admet la possibilité d’un germe au moins de vrai sentiment religieux chez les païens, chez les juifs, chez les bouddhistes, chez les musulmans, etc. Inversement, ne peut-on pas imaginer, ou plutôt ne voyons-nous pas dans l’histoire et dans la vie courante une forme paradoxale, extravagante, suraiguë de la foi chrétienne, se révélant par des excès et des anomalies qui ruinent la santé du sentiment religieux ? L’élévation de la créature reconnaissante et craintive vers le principe sacré de la vie universelle, et la bienveillance envers les hommes, nos compagnons de misères et de joies : voilà, semble-t-il, le minimum, sinon l’accomplissement de la religion au sens rudimentaire du mot. Mais où est la piété, où est l’humanité de l’ascète, dont la vie présente est rendue hideuse par l’effroi de la damnation éternelle, qui achète le bonheur d’outre-tombe par la souffrance et la privation ici-bas, qui s’interdit les tendres effusions du cœur au sein de sa famille, de peur de « trop donner à la nature, » qui est bon par un calcul égoïste et charitable pour faire son salut ? Les jésuites rendaient le christianisme trop aimable aux gens du monde, et Pascal a eu bien raison de leur en faire un crime ; mais les jansénistes rendaient « Dieu haïssable, » au dire des jésuites, qui vraiment n’avaient pas tout à fait tort de faire à l’ennemi, pour leur défense, cette réponse offensive.

On objectera que le sentiment religieux, pour être maladif, n’en est pas moins réel, et que même il devient d’autant plus apparent ; qu’il ne s’agit ici que d’un fait à constater, et que le fait existe manifestement sous cette forme, si déplaisante qu’elle soit. D’accord ; mais il est juste que nous le reconnaissions en premier lieu sous la forme qu’il a quand elle n’est point contraire à la nature. — Sterne raconte, dans son Voyage sentimental en France, une scène assez belle dont il fut témoin dans la ferme d’un paysan français. La famille venait de souper, des danses avaient suivi le repas du soir.


Ce fut seulement au milieu de la seconde danse que je crus apercevoir, à certaines pauses pendant lesquelles ils paraissaient tous lever les yeux, une élévation de l’âme différente de celle qui est la cause ou l’effet de la simple gaieté. En un mot, il me sembla que je contemplais la Religion se mêlant à la danse ; mais comme je ne l’avais jamais vue à pareille fête, j’aurais regardé cela comme une des illusions d’une imagination qui m’égare perpétuellement, si le vieillard, aussitôt que la danse fut. finie, ne m’eût dit que c’était leur constante habitude, et que, toute sa vie, il s’était fait une règle, après chaque souper, d’inviter sa famille à danser et à se réjouir ; croyant, disait-il, qu’un cœur joyeux et content était la meilleure espèce d’action de grâces qu’un paysan sans instruction pût offrir au ciel. — Ou un savant prélat, repartis-je.


Voilà le sentiment religieux à l’état primitif et simple, à l’état de nature, par opposition à ce qu’il est quand il fait violence à la nature. Il est possible, mais il n’est point nécessaire, que ce sentiment, rencontré chez un paysan français du XVIIIe siècle, eût donné, à l’analyse, un élément chrétien. L’action de grâces ainsi comprise ne relève pas plus de la croix du Christ que du culte solaire. Quand Rabelais entonne la louange du « Grand, Bon, Piteux Dieu, lequel ne créa onques le caresme, ouy bien les salades, harengs, merlues, carpes, brochets, dars, umbrines, ablettes, ripes, etc. item les bons vins[1], » il est religieux, mais comme les bêtes le seraient, s’il était vrai qu’elles fussent capables de religion, ainsi que Montaigne et d’autres philosophes l’ont pensé des éléphans et des chiens. Religion réelle et vraiment naturelle, mais peu intéressante, depuis que le christianisme a ouvert à l’homme des horizons plus dignes d’occuper sa pensée.

Si le christianisme est la dernière des grandes conceptions religieuses de l’humanité, si l’amour des hommes en Dieu, point de départ de la religion chrétienne dans l’enseignement de Jésus, est aussi la vérité capitale et unique où la foi doit aboutir et revenir après toutes les évolutions des dogmes, l’histoire du sentiment religieux se distingue peut-être de celle du christianisme, mais elle n’a d’intérêt pour nous que par rapport à lui. Il n’y a donc pas lieu d’attacher beaucoup d’importance à la différence théorique qui peut subsister entre la foi chrétienne et le sentiment religieux, et M. Strowski pouvait négliger sans grand inconvénient cette définition préalable.

Religieux ou spécifiquement chrétien, est-ce, en définitive, à un sentiment que l’ancien christianisme positif est destiné à se réduire pour continuer à vivre ? Tout l’intérêt pratique de l’étude que notre auteur a entreprise, et qu’il poursuit, est là.


I

Le sentiment religieux languissait en France à la fin du XVIe siècle. L’ardeur mystique, d’où la Réforme était sortie, avait suscité, par contagion ou par opposition, une ardeur égale dans les âmes catholiques ; mais des deux côtés le zèle s’étant enflammé jusqu’à la fureur, la guerre civile et tous les fléaux ayant fait rage, le pays était las, avide de repos ; il aspirait à voir régner la paix et ce qu’on entendait alors par tolérance, à savoir, la tranquille souveraineté d’un maître assez fort pour rendre inutiles les violences injustes du pouvoir et follement impossible toute velléité de sédition.

On s’était rallié au catholicisme, non par une véritable préférence religieuse, mais parce que c’était la religion de l’Etat et que l’ordre y trouvait plus de garanties, Des magistrats qui n’aimaient guère le Pape, ou qui même avaient des sympathies pour la Réforme, Paul de Foix, le président de Thou, Montaigne, Du Vair, furent de ces catholiques d’État. Ils allaient à la messe par la même raison que le doyen de la Sorbonne, Victor Le Clerc, qui disait un jour au cardinal Lavigerie : « Je vais à la messe parce que Cicéron me le prescrit dans son traité Des lois. » Ronsard, poète de cour, a fort malmené les protestans. Croit-on que dans ses invectives il y ait un sentiment, une idée de l’ordre proprement religieux ? Nul atome. Il n’aime guère le catholicisme, mais il hait la Réforme, qui heurte son loyalisme monarchique, son respect pour l’autorité. « Morte est l’autorité ! » Voilà tout le grief.

Sainte-Beuve avait écrit dans son Port-Royal[2] : « On a fait un livre intitulé le Christianisme de Montaigne, comme on en a fait un sur le Christianisme de Bacon. M. de Maistre a fort éventé celui-ci ; quant à Montaigne, le simple coup d’œil eût dû avertir, et je ne vois pas ce qu’on gagnerait, à toute force, à faire conclure qu’il peut bien avoir paru très bon catholique, sauf à n’avoir guère été chrétien. » Avec plus de netteté, M. Strowski répète dans son Saint François de Sales : « De catholiques plus solides que Montaigne il en est peu, mais il est peu de catholiques moins religieux que lui[3]. » Montaigne passe sous silence non seulement la croix de Jésus-Christ, mais ses leçons de divine sagesse. Ce grand citateur omet toujours d’alléguer les écrivains sacrés et les Pères de l’Eglise. Il ne se repent de rien. S’il avait à revivre, il revivrait comme il a vécu. Il parle en païen de la mort, comme d’une profondeur muette et obscure où il se plongera stupidement, tête baissée, sans la considérer ni reconnaître, et qui l’engloutira tout d’un coup. — « Paroles horribles, dira Pascal, qui marquent une extinction entière de tout, sentiment de religion. » Et cependant Montaigne mourra correctement, en bon catholique, soumis au jugement de ceux à qui il appartient de régler ses actions, ses écrits et même ses pensées, désavouant dans sa « rapsodie » tout ce qui pourrait se trouver « contraire aux saintes prescriptions de l’Eglise catholique et romaine, en laquelle je meurs, dit-il, et en laquelle je suis né. »

L’état d’esprit des gens sérieux et cultivés offrait alors une frappante analogie avec celui des stoïciens de la République romaine finissante. Ils pratiquaient par raison et en l’humanisant le plus possible une divine religion à laquelle ils ne croyaient guère. Du Vair, sans jamais nommer Jésus-Christ qu’il remplace par Epictète, s’acquitte des devoirs de la religion officielle, comme Thraséas et Marc-Aurèle, dont il professe la haute morale. — Il semble qu’à défaut du christianisme éteint ou endormi, le stoïcisme en pourrait être un assez passable substitut, puisque sa morale est belle en somme et qu’il dirige l’homme vers le bien. Oui, assurément, les deux doctrines et les deux pratiques seraient équivalentes… jusqu’à un certain point, si stoïcisme et christianisme n’étaient pas justement le contraire l’un de l’autre. Le stoïcien prend en lui-même son point d’appui pour s’élever à Dieu : ce qui est, aux yeux du chrétien, le comble de l’orgueil, une « superbe diabolique, » comme s’exprime Pascal ; car l’abîme est infranchissable par nos seules forces entre notre devoir et notre pouvoir. Le stoïcien croit, en outre, que la morale, loin d’être fondée par la religion, lui est antérieure et supérieure.

Or, ces idées païennes sont précisément celles que Pierre Charron, philosophe chrétien et même prêtre, a soutenues. Il faisait profession de christianisme. N’étant pas assez intelligent pour comprendre le sens et la portée de tout ce qu’il écrivait ou plutôt compilait, il a cru de bonne foi servir la religion. Mais qu’y a-t-il qui lui soit plus contraire que d’affirmer qu’on peut apprendre sans la religion à « faire excellemment l’homme ? » de contredire « ceux qui ne reconnaissent autre vertu ni prud’homie que celle qui se remue par le ressort de la religion ? » de mettre complaisamment en relief la méchanceté des Pharisiens, « gens pourtant religieux, » la probité et la vertu de tant de philosophes, « toutefois irréligieux ? » ou encore, de déclamer en ces termes contre les sacrifices : « Quelle aliénation de sens ! penser flatter la divinité par inhumanité ! satisfaire à sa justice par cruauté ! Justice donc affamée de sang humain ! » Charron écrit cette phrase sans s’apercevoir que le sacrifice de la Croix est le terme et l’accomplissement de tous les autres, et en ajoutant même (ce qui serait une malice digne de Voltaire, si ce n’était pas la distraction d’un rhéteur très superficiel) : « Tout cela a été aboli par le christianisme. » — « Charron, conclut M. Strowski sur ce philosophe, a montré qu’il y a une religion sans morale, celle du dévot ; une morale sans religion, celle du sage ; un Dieu sans religion, celui du déisme. » Et le Père Garasse, bien qu’il ait forcé la mesure, ne s’est pas absolument trompé en voyant dans le traité De la Sagesse « le bréviaire des libertins. »

Cependant, s’il est vrai que les procès de tendance sont chose peu équitable, il convient de ne pas confondre les stoïciens du XVIIe siècle avec les « libertins. » La confusion de deux états moraux qui paraissent si contraires « répugne » au sens commun, comme on disait en ce temps-là, à moins que libertinage ne soit pris pour un synonyme parfaitement exact de ce que nous entendons aujourd’hui par libre pensée. Mais non, les mœurs et l’esprit du XVIIe siècle ne nous autorisent point à faire cette assimilation.

Les libertins en général n’étaient ni des esprits libres, ni des esprits forts. Le bûcher même dont ils étaient menacés et qui un a brûlé quelques-uns n’a pas réussi à les rendre intéressans. La religion était pour eux non une erreur ou un mensonge, mais un maître importun de la pensée et de la vie, et, s’ils la rejetaient, ce n’était point parce que leur raison n’y pouvait croire, c’est parce qu’elle gênait leurs appétits. Lorsque le médecin-abbé Bourdelot, Condé et la princesse Palatine s’acharnèrent à brûler un morceau de la vraie croix, qui résista miraculeusement à leurs efforts, — si bien que ce miracle détermina la conversion de la princesse, — leur crédulité était toute pareille, selon la remarque de Sainte-Beuve[4], à celle des pieuses âmes qui croyaient à la guérison par la Sainte-Epine. Il est donc permis d’avoir fort peu d’estime pour les libertins, sectateurs vulgaires d’Aristippe, aussi peu dignes d’Epicure que de Zénon. Quanti Bossuet les bouscule et les fouaille sans daigner même leur opposer des raisons « qu’ils n’ont jamais pris la peine d’examiner sérieusement, » ils n’ont que ce qu’ils méritent.

Les libertins avaient un esprit si peu sérieux qu’ils traitaient la science avec la munie légèreté que la religion. Au XVIIe siècle, l’incrédulité n’était pas encore ce qu’elle est devenue plus tard, une alliée de la science contre la religion : au contraire, il semble (comme le Père Mersenne l’a charitablement remarqué) que les incrédules d’alors voulussent glisser leur mépris de la science dans l’esprit des jeunes gens « portés au libertinage et à toute sorte de voluptés et de curiosités, afin que, ayant fait perdre le crédit à la vérité en ce qui est des sciences et des choses naturelles, ils fissent de même en ce qui est de la religion. » Pendant que les libertins se brouillaient étourdiment avec la science, les savans en général, quelle que fût la ferveur intime de leur foi, restaient professionnellement fidèles à la religion. Le Père Mersenne et le Père Garasse lui-même avouent qu’il n’y a point de médecins libertins dans l’école de Paris. Les propos hardis d’un Guy Patin, ennemi des ultra mon tains et des moines, sont des licences non d’incroyant, mais de frondeur. Ainsi, la vérité scientifique, qui aura bientôt à se défendre contre le dogmatisme religieux, se trouve d’abord aux prises avec le scepticisme libertin. Pascal a vécu au milieu de ces savans qui étaient des croyans ; il n’a pas plus douté de la science que de la religion, et, avec l’infinie différence de vénération et d’amour que le divin réclame, il les a toujours considérées respectueusement Tune et l’autre.

Le doute méthodique de Descartes fut, dans l’ordre philosophique, l’organisation et la discipline du doute qui se donnait carrière et prenait ses licences sans règle et sans mesure dans les écrits des libres penseurs. Au point de vue religieux et chrétien, l’auteur du Discours de la méthode ressemble, à s’y méprendre, aux catholiques d’Etat du XVIe siècle finissant ; il leur ressemble même avec cette aggravation, que ceux-ci avaient définitivement accepté le Credo de l’Eglise, tandis que Descartes, invitant le christianisme à vouloir bien « se remiser dans une salle d’attente honorable, » jusqu’à ce que la raison ait eu le temps de vérifier ses titres, ose admettre par là même la possibilité ultérieure d’un refus motivé[5]. Et ce n’est pas aux stoïciens seulement, c’est aussi aux libertins que ressemblait Descartes par sa fameuse prescription d’obéir aux lois et aux coutumes de son pays en retenant la religion où l’on est né. Vanini, brûlé en 1619, conseillait la même chose par prudence, la profession d’athée étant alors mortellement périlleuse. Les deux autres maximes de la morale provisoire de Descartes sont stoïciennes comme la première : « Etre le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, » — « tâcher plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde. » C’est le stoïcisme, non le christianisme, qui inspire Descartes en toute occasion. Rien de plus fier, mais rien de moins chrétien que l’exhortation qu’il adresse à la princesse Elisabeth, d’ « acquérir cette souveraine félicité que les âmes vulgaires attendent en vain de la fortune, et que nous ne saurions avoir que de nous-même. » Il va jusqu’à opposer les leçons du stoïcisme à celles du christianisme et à préférer les premières. Dans une lettre où il explique comment il « se console de la mort de ceux qu’il a aimés » et comment il « s’empêche de craindre la sienne propre, nonobstant (ajoute-t-il) que j’estime assez la vie, » il propose comme le meilleur remède la pensée philosophique de l’immortalité de l’âme, il se la prouve par des raisonnemens de philosophe, et il ajoute ceci, qui est bien curieux : « Quoique la religion nous enseigne beaucoup de choses sur ce sujet, j’avoue néanmoins en moi une infirmité qui m’est, ce me semble, commune avec la plupart des hommes : à savoir que, nonobstant que nous veuillions croire et même que nous pensions croire très fermement à tout ce qui nous est enseigné par la religion, nous n’avons pas néanmoins coutume d’être si touchés des choses que la seule foi nous enseigne et où notre raison ne peut atteindre, que de celles qui nous sont avec cela persuadées par des raisons naturelles et fort évidentes[6]. »

C’est le contraire qui est vrai, aux yeux de Pascal, et voilà pourquoi Descartes « sera pour lui l’ennemi, comme représentant le rationalisme scientifique, la science aspirant à fournir une philosophie et à remplacer la religion[7]. »


Le sentiment religieux, comme la poésie, comme l’amour, comme tout ce qui est un aliment pour l’âme, ne saurait périr ; mais il peut subir de graves atteintes dans sa forme normale et saine ou des éclipses plus ou moins longues. Où était-il, et quelles formes avait-il revêtues dans le premier quart du XVIIe siècle ?

Il existait d’abord chez les protestans, dont le schisme religieux avait été avant tout une crise ardente de la foi. Après la terrible épreuve de leur liberté perdue, de leur sécurité ruinée, des massacres, des guerres et du sang versé de part et d’autre, les protestans ne jouissaient pas de l’édit de Nantes depuis assez longtemps pour que la paix eût déjà produit la tiédeur et la langueur de zèle qui finissent généralement par payer un bien si précieux. « Personne presque alors, en dehors des réformés, n’a de véritable piété, » écrit M. Strowski[8].

Cependant le sentiment religieux se réveillait dans l’autre Eglise. L’histoire des monastères, de la prédication fidèle et vaillante d’apôtres tels que Pierre de Bérulle, Vincent de Paul et François de Sales ; l’histoire des Jésuites, des Jansénistes, de Port-Royal ; celle de Pascal surtout, nous montrent les étapes de cette anxieuse recherche et comment le sentiment religieux catholique s’est enfin retrouvé et ressaisi.

Les catholiques d’Etat, les néo-stoïciens, les sages, — de Montaigne à Descartes, — en mettant la religion à part et très haut, en lui faisant de si profondes révérences qu’ils finissent par avoir l’air de se moquer d’elle, élèvent un mur entre elle et la vie ; et la forme matérielle de l’idée qu’ils s’en font est le monastère. Du Vair n’a pas la moindre notion d’un christianisme où l’âme appartient continuellement à Dieu au milieu des devoirs et des affaires du monde. « La vie religieuse est, pour lui, une sorte de retraite où l’on n’entre qu’après avoir épuisé son activité au service du prince, de l’Etat et des hommes. » Seuls donc, dans le catholicisme, à une certaine époque, les moines et les solitaires faisaient profession d’être dévots.

L’œuvre propre de saint François de Sales fut d’expliquer à ses frères catholiques que le sentiment religieux n’exige pas qu’on se retire dans un désert et qu’on s’exténue par des austérités. Il montra dans son charmant chef-d’œuvre que la Vie dévote n’a pas besoin des exploits extraordinaires d’un héroïsme surhumain, et qu’on peut en remplir parfaitement l’idée par l’exercice, avec l’aide de Dieu, des petits devoirs et des vertus communes. Il préconisait, comme les Réformés, le principe mystique de la foi, mais il préconisait aussi, à la différence des Réformés, les pratiques, les cérémonies, les bonnes œuvres, non comme le but de la religion, mais comme un moyen, un « art, » une méthode excellente à suivre pour procurer la conversion essentielle du cœur.

Saint François de Sales est vraiment la riche fontaine d’eau vive où tout le sentiment religieux du XVIIe siècle a repris naissance pour se diviser ensuite et se précipiter en d’étroits courans très divers. Fondateur de la religion du cœur et de la foi directe, il a ouvert la voie à Pascal. C’est une chose remarquable que cet aimable évêque, qui offre avec Fénelon tant de ressemblance superficielle, ne se soit pas amusé aux preuves physiques de l’existence de Dieu, bien qu’il aimât la nature et que son style surabonde en fleurs et en images écloses de cette contemplation. Avant lui, les apologistes du christianisme posaient les fondemens de la foi dans la raison d’abord : ils prouvaient Dieu par la métaphysique, par les causes finales, par le consentement universel ; ils recommenceront plus tard cette dialectique vaine, sans comprendre (ce que Pascal verra clairement) qu’il y a plus d’obscurité que de lumière dans les preuves métaphysiques et que l’argument des causes finales est la faiblesse même ; sans songer que l’appel au sens commun est une méthode anti-chrétienne, puisque le christianisme orthodoxe « fait, de la vérité, le secret du petit nombre, et, pour tous les autres, une folie[9]. » Avec une profonde clairvoyance, l’évêque de Genève s’est refusé à faire de la religion naturelle une première étape vers la foi, parce qu’on va droit ainsi à la morale naturelle, conclusion du siècle précédent et ruine du sentiment religieux, qui meurt, quand il devient, comme le voulait Charron, un simple « complément, » et quand il perd son trône et sa couronne.

François de Sales n’était pas stoïcien, mais chrétien : ce qui veut dire qu’il espérait en la grâce divine, non en l’humaine vertu, pour la conversion du pécheur. Il était donc janséniste avant la lettre avec modération, et il gardait ce qu’a de bon saint Augustin, que Jansénius allait outrer. En même temps, c’était un bon jésuite : car il y eut de bons jésuites ; il y a même un bon jésuitisme, et c’est ce que les Provinciales nous font trop oublier ou méconnaître. Le pensée très juste de Molina était que, si la religion a été donnée aux hommes pour les sauver, il faut la rendre hospitalière au monde ; il estimait avec beaucoup de raison que le christianisme n’aura pas de quoi être lier et chanter victoire le jour où le nombre des élus sera réduit aux sept mille prédestinés qui « n’ont pas fléchi le genou devant Baal » et que l’auteur des Pensées recompte d’après l’Écriture[10]. A force de faire du salut un don spécial réservé aux rares privilégiés de la grâce, bientôt il n’y a plus d’Eglise ; tous les chrétiens de nom méritent que Saint-Cyran les traite de « pélagiens, de païens ou d’hérétiques ; » et les élus, séparés du monde, ne sont plus « le sel de la terre. » Ils foudroient les libertins : exploit beaucoup moins utile que de les persuader et de ménager habilement leur retour à la religion. Réconcilier la raison, la nature, la science avec la religion chrétienne : voilà le bon jésuitisme. L’intention est louable ; mais, il faut l’avouer, le péril est immense, et ce n’est rien de moins que la dissolution du christianisme par infiltration de la sagesse humaine dans son essence sacrée. Pascal a vu cet effet funeste et presque inévitable des leçons de Molina ; effrayé, il s’est jeté dans l’extrême contraire avec violence. Saint François de Sales, — moins grand, plus accessible à la moyenne de l’humanité, — n’a pas eu besoin de défier la nature. Il a su maintenir la morale avec la religion, sans sacrifier le libre arbitre, sans prêter à la grâce ce rôle exorbitant qui semblerait devoir briser dans l’âme le ressort de toute activité si, au contraire, en fait, la doctrine luthérienne, calviniste ; janséniste, augustinienne du « serf arbitre » ne s’était pas toujours montrée instigatrice de vertu, par une conséquence paradoxale dont Brunetière étonné cherchait en vain la liaison logique[11].


II

L’histoire des travaux scientifiques de Pascal, de ses inventions propres, tant dans la mathématique abstraite que dans l’ordre pratique, et de ses relations avec les grands savans contemporains, — particulièrement l’examen du grave procès qu’on vient de lui refaire encore à propos de sa part usurpée ou réelle dans la découverte de la loi physique d’où le baromètre est sorti, — devaient peut-être occuper une place considérable dans un livre qui est une enquête complète sur Pascal et qui révèle chez son auteur une rare compétence en des matières respectueusement tenues à l’écart par tous les purs lettrés. Mais ne voulant traiter ici que du sentiment religieux, la science n’appartient à ma propre étude que par ce qui intéresse la religion.

Quand on parle du sentiment que les hommes du XVIIe siècle apportaient dans l’étude de la science ou plutôt des sciences, il convient de faire tout d’abord une distinction générale et capitale entre les sciences de la nature et les mathématiques. Seules, les mathématiques étaient en grand honneur, Jansénius condamne « la recherche des secrets de la nature » comme une curiosité inutile, indiscrète, une « concupiscence de l’esprit. » Malebranche, à son tour, écrira : « Les hommes ne sont pas faits pour considérer des moucherons, et l’on n’approuve point la peine que quelques personnes se sont donnée de nous apprendre comment sont faits certains insectes, et la transformation des vers, etc. Il est permis de s’amuser à cela quand on n’a rien à faire, et pour se divertir[12]. » Il faut généraliser davantage, remonter à la cause de la haute estime du XVIIe siècle pour les mathématiques et de son mépris relatif pour la science concrète. Si les premières étaient si fort recommandées, c’était à titre, non de clef pour découvrir l’ordre de l’univers, mais de méthode utile pour exercer et perfectionner la raison. « On ne devrait se servir des sciences, déclare formellement la Logique de Port-Royal, que comme d’un instrument pour perfectionner sa raison. »

Quelle fut, en face de la science ou des sciences, ainsi distinguées dans leurs objets et dans la considération des hommes, l’attitude de Pascal ? Elle fut singulière, assez différente de celle de ses contemporains et de ses amis. Il est trop certain que, malgré son immortel cri d’effroi devant « le silence éternel des espaces infinis, » Pascal est très loin d’avoir eu la vision du Cosmos, telle qu’elle devait apparaître aux yeux d’un Humboldt ; mais il est un peu étonnant que, l’occasion lui ayant été offerte de lever au moins un coin du voile, il ne l’ait pas saisie avec ardeur. On ne peut s’empêcher de trouver étrange que les « hypothèses » de Galilée, et d’abord de Copernic, ne l’aient pas intéressé davantage. « Je trouve bon qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic. » C’était pourtant d’une tout autre importance que la découverte même de Torricelli ! Le renversement de l’ancienne cosmologie, n’est-ce pas, comme Renan l’a dit sans la moindre exagération, « la plus grande date de l’histoire de l’esprit humain ? » Je n’ai garde d’oublier que la dix-huitième Provinciale défend très éloquemment Galilée :


Ce fut en vain que vous obtîntes contre Galilée ce décret de Rome qui condamnait son opinion touchant le mouvement de la terre. Ce ne sera pas cela qui prouvera qu’elle demeure en repos ; et si l’on avait des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheraient pas de tourner, et ne s’empêcheraient pas de tourner aussi avec elle.


Mais il semble vraiment qu’il ne soit question ici que d’un fait particulier, non d’une grande loi dont la révélation va transformer de fond en comble l’idée que nous devons nous faire de la terre et du ciel. Les cinq propositions sont-elles dans l’Augustimis ? Simple question de fait aussi, qu’il ne s’agit que de vérifier et sur laquelle il est permis d’avoir un autre avis que Rome, sans s’écarter, par une vraie hérésie doctrinale, du système de la religion révélée et sans sortir du giron de l’Église.

Pascal, — contrairement à notre préjugé, — était moins un généralisateur hardi, un philosophe de la science, qu’un savant minutieusement attentif et scrupuleusement soumis aux faits. Il se distingue en cela d’un siècle idéaliste et rationaliste avant tout. Il avait une conscience scientifique digne des expérimentateurs modernes les plus exigeans. Dans ses recherches sur l’existence du vide, et sur la pesanteur de l’air, il n’a jamais fait un pas trop vite et qui ne fût très solidement assuré. Parce qu’il est l’auteur des Pensées, on a de la peine à se figurer combien son esprit était pratique et quelle place a tenue dans les études de toute sa vie ce que l’Anglais utilitaire appelle the matter of fact. La machine arithmétique qu’il construisit dans sa première jeunesse et pour laquelle, nous dit-on, il fit avec persévérance « plus de cinquante essais, » est beaucoup moins remarquable, paraît-il, par l’esprit calculateur qu’elle révèle que par l’habileté de la main-d’œuvre. Ce n’est pas un géomètre, un « abstracteur de quintessence, » qui l’a trouvée, c’est « un ingénieur, un fabricant d’instrumens de précision. » Plus tard, l’invention des carrosses publics à cinq sous la place, ou omnibus, montre dans l’analyste des « deux infinités » un génie industrieux, industriel, soucieux d’application, de ce que Bacon nomme le fruit dans sa langue imagée, autant que pouvait l’être l’auteur lui-même du Novum Organum.

Cette remarque est moins étrangère qu’on ne croit à la question religieuse et l’on en verra tout à l’heure l’importance dans l’exposé du plan que Pascal avait conçu pour son apologie du christianisme. Redisons d’abord qu’il n’a jamais douté de la science. Nulle part il ne la condamne comme fausse[13], bien qu’il lui arrive, — ce qui n’est pas la même chose, — de la déclarer inutile et vaine. L’idée, née à peine de son temps et bien confuse encore, que la science puisse faire sérieusement échec à la foi, ne l’a pas effleuré, et c’est, comme M. Lanson l’a marqué avec force, parce qu’il ne cherchait pas dans la science une philosophie qu’il a pu s’y livrer sans scrupule. Soit avant, soit après sa grande « conversion, » c’est-à-dire la crise qui, d’un chrétien extérieur, fit de lui un vrai chrétien, « il fut simultanément et paisiblement croyant et savant, » n’ayant jamais renoncé ni à la science ni à la raison, se moquant volontiers de la présomption des savans et des philosophes, mais gardant toute son estime pour le raisonnement logique et pour les méthodes de la science.

Assez longtemps il chercha le chemin de la foi et, du même coup, sa méthode apologétique ; car les deux recherches n’en faisaient qu’une. C’est dans son expérience personnelle qu’il devait finalement trouver la meilleure marche à suivre pour la démonstration de la vérité religieuse.

Il avait entendu souvent Etienne Pascal, son père, bon catholique à la façon de Descartes, professer que ce qui est matière de foi ne saurait être l’objet des argumens de la raison. Et il avait entendu aussi un certain capucin défroqué, docteur en théologie, Jacques Forton dit Saint-Ange, soutenir, au contraire, qu’un esprit vigoureux peut, sans le secours de la foi, parvenir par le raisonnement seul à l’intelligence des mystères de la religion. Blaise, qui n’était pas l’homme des idées moyennes et dont la dialectique impétueuse se précipitait d’un extrême à l’autre, paraît avoir d’abord admis ces deux thèses successivement sans les concilier. Certes, il n’était pas de l’avis de Saint-Ange, quand il l’a violemment dénoncé, poursuivi comme hérétique, jusqu’à ce que le pauvre capucin eût signé une rétractation dont les termes furent arrêtés par M. Pascal père. Mais il ne s’en tenait pas non plus à l’opinion de celui-ci, puisque, dans un entretien avec M. Rebours, confesseur de Port-Royal, il avança un paradoxe qui ressemble singulièrement à celui de Saint-Ange.


Comme il causait avec M. Rebours, il lui dit qu’il serait possible de démontrer, par les principes mêmes du sens commun, beaucoup de choses dont se scandalisaient les esprits forts ; et il exprima l’avis que le raisonnement bien conduit portait à admettre ces enseignemens de la religion, encore que le devoir du chrétien fût de les croire sans l’aide du raisonnement. Or, là-dessus, M. Rebours s’inquiéta[14]


Et voici maintenant le fils d’Étienne qui reparaît dans ces lignes de Pascal adressées au Père Noël, jésuite, professeur de Descartes et son ami :


En ce qui concerne les sciences, nous ne croyons qu’aux sens et à la raison. Nous réservons pour les mystères de la foi, que le saint Esprit a révélés, cette soumission qui ne demande aucune preuve sensible ou rationnelle.


Ce qu’il y eut d’inconsistant dans la pensée et dans la conduite de Pascal avant la fameuse nuit de novembre 1654 où il se donna tout entier à Jésus-Christ, s’explique par le fait que jusqu’à sa trentième année il n’était pas véritablement chrétien. Sa première « conversion, » puisqu’on en compte deux, avait été superficielle. Il savait très bien et il croyait, pour l’avoir appris de Jansénius, de saint Augustin ou même de saint Paul, qu’attribuer aux facultés naturelles de l’homme le pouvoir de contribuer à notre salut, c’est anéantir l’œuvre de la Croix, et qu’une pareille doctrine est abominable. Son esprit scientifique le prédisposait à la négation du libre arbitre, qu’il traite de sottise et d’orgueil, les vrais savans ayant toujours eu plus de peine que les hommes ignorans et légers à concevoir des commencemens absolus, des initiatives indépendantes et indéterminées, des phénomènes sans cause et sans lien. Enfin il professait bien effectivement le christianisme, puisque, le 17 octobre 1651, il écrivait à sa sœur aînée, Mme Périer, une belle lettre de consolation chrétienne sur la mort de leur père. « Considérons la mort en Jésus-Christ, disait-il dans cette lettre. Sans Jésus-Christ elle est horrible, elle est détestable, et l’horreur de la nature. En Jésus-Christ elle est tout autre… » Il écrivait cela d’après Saint-Cyran, et sa raison était convaincue, mais son cœur n’était pas profondément touché. Janséniste déjà fervent et prêt à la grande bataille, il n’était pas encore le chrétien vraiment converti qu’il fut durant les neuf dernières années de sa vie.

Par une succession qui est devenue rare, tandis que la marche inverse est fréquente, le cœur, chez Pascal, était en retard sur la raison. C’est l’ordre contraire à celui du scepticisme ; c’est le drame intérieur de Sully Prudhomme renversé :

Le cœur dit : « Je crois et j’espère… »
L’intelligence lui dit : « Prouve. »

Pascal croit, de la foi qui est une doctrine ; il voudrait croire, de celle qui est une vie : il ne le peut. Pourquoi ? Évidemment, parce que la grâce lui manque. L’achèvement de son salut, c’est Dieu qui le fera. Et l’expédient divin (car Dieu se sert parfois de voies bien extraordinaires) sera d’abîmer Pascal dans le « bourbier, » pour employer le terme de sa jeune sœur Jacqueline.

Sainte-Beuve a écrit[15] que le bonheur et le caractère de Pascal, comme aussi des hommes de Port-Royal généralement, fut, quand ils se convertirent, de n’être jamais revenus de bien loin ; ils rentraient dans la religion étroite sans s’en être absolument écartés, sans avoir eu ni ruine de l’âme, ni aucun dérèglement fondamental. C’est vrai, à notre point de vue de chrétiens tièdes et d’hommes médiocres, mais non pas au point de vue des grands jansénistes qui se convertissaient. La sœur de Blaise ne ménage pas ses expressions. Elle parle du « grand abandonnement » où était « son pauvre frère » du côté de Dieu, et des « horribles attaches » qui retenaient son élan vers la délivrance La mère Angélique conserve peu d’espoir d’un miracle de la grâce « en une personne comme lui. » Lorsqu’il a enfin reçu cette grâce, Jacqueline s’étonne, « car il me semble, écrit-elle à son frère, que vous aviez mérité, en bien des manières, d’être encore quelque temps importuné de la senteur du bourbier que vous aviez embrassé avec tant d’empressement. » Et Pascal lui-même dira : « D’un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition, mon Rédempteur a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur. » L’homme naturel en Pascal avait « l’humeur bouillante, » comme dit aussi Jacqueline. Il était superbe, emporté, dédaigneux, ironique, prompt à la colère et à la révolte. Voulant primer et dominer en tout, il perdait toute patience, — sous la politesse contrainte de la forme, — quand un savant lui contestait la priorité des découvertes dont il réclamait l’honneur. Toujours tranchant dans ses discours, même après sa conversion, si dès lors ce ne fut plus du haut de son importance personnelle qu’il accablait ses contradicteurs, c’était du haut de ses convictions et de la vérité ; mais « il les accablait, » et c’est Vinet qui le dit.

Il n’est point nécessaire que « la mondanité » de Pascal ait jamais été un libertinage des mœurs. Il paraît plus probable, d’après ce que nous savons du milieu où il a vécu, qu’on le vit maintenir sans défaillance grave la dignité extérieure de la conduite. Mais, quelle que fût l’espèce de ses péchés, l’heure arriva où il aurait pu dire avec Musset :


Au fond des vains plaisirs que j’appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût que je me sens mourir.


Et alors, sachant par raison où se trouvait la source de la vie, son cœur, d’un élan passionné, y remonta, la saisit enfin et ne la perdit plus. « Certitude, certitude. Dieu de Jésus-Christ. Paix, joie. Pleurs de joie. » Il faut bien admettre, dans une certaine mesure, la réalité du scepticisme de Pascal en matière de foi, puisque, jusqu’à un certain point aussi, on est obligé de l’admettre en matière de science, et puisqu’un homme qui ne douterait de rien ne serait pas intelligent. Mais s’il est demeuré inquiet et anxieux, c’était, — comme Fa bien vu et dit M. Brunschvieg, — moins de sa foi que de son salut, à cause des doctrines effroyables de la prédestination et de la grâce. Plus janséniste que chrétien dans la première période de son développement spirituel, on est forcé de reconnaître, avec M. Souriau, qu’il resta toute sa vie trop janséniste encore. Cependant le progrès de sa pensée tendait à s’affranchir de plus en plus du point de vue étroit et farouche de sa secte.

« Il se retournait fiévreux dans son lit, il ne cherchait pas un lit : » juste image de Sully Prudhomme, qui est une variante heureuse de celle de Sainte-Beuve : « Le doute fut en lui comme un lion en cage. » Les deux figures peignent vivement l’une et l’autre des angoisses de l’âme qui n’étaient pas le scepticisme philosophique et religieux proprement dit, et qui correspondaient aux tortures volontaires d’un corps souffrant et dompté, contre lequel il pressait un cilice armé de pointes de fer quand il sentait en lui les aiguillons de ce qu’il appelait la concupiscence.


III

« Je suis seul. Je ne suis point de Port-Royal. » Cette ligne de la dix-septième Provinciale, qui a contristé comme un nouveau reniement de saint Pierre plus d’un admirateur de Pascal, est vraie à la lettre et même dans son esprit. En fait, Pascal n’appartenait pas à la communauté, et, par plusieurs choses essentielles, par sa façon de concevoir la science, la philosophie, la religion et leurs rapports, par la méthode qu’il suivit pour l’apologie du christianisme, il était bien seul et à part, il différait singulièrement de ses pieux maîtres et amis.

Port-Royal estimait, conformément à l’orthodoxie, que la vérité, étant une, ne peut se contredire ; que la raison et la foi viennent de la même source, que la première précède la seconde, y conduit, avec le secours de la révélation et de la grâce, et que le raisonnement suffit à prouver certaines vérités, telles que l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. Saint-Cyran écrit dans sa Théologie familière à l’usage des enfans : on connaît Dieu « par la lumière et le sentiment imprimés naturellement dans nos âmes, par la beauté et l’ordre du monde[16]. » Singlin, Saci, Arnauld, Nicole pensent de même. Tous étaient cartésiens, goûtant le rationalisme scientifique de Descartes et goûtant aussi sa réserve et sa prudence en matière religieuse. Mathématiciens plutôt que savans, la foi qu’ils demandaient était nue et simple ; ils se défiaient des détours et des complications, lors même que la vérité en était le but et le terme, comme d’une séduction de l’orgueil de savoir.

Dans l’entretien célèbre avec Saci, Pascal scandalise un peu son interlocuteur en osant avouer l’immense intérêt qu’il a pris à la lecture d’Epictète et de Montaigne. Saci traite rudement leurs écrits de « viandes dangereuses » et de « poisons. » Pascal, poli, « prêt à renoncer à toutes les lumières qui ne viendraient pas » d’un tel docteur, consent à reconnaître « le peu d’utilité que les chrétiens peuvent retirer de ces études philosophiques ; » — mais seulement pour la forme, car il reprend son thème et il continue à louer, « avec la permission » de M. de Saci, « l’art incomparable » d’Epictète et de Montaigne pour faire penser, douter, réfléchir. Quel paradoxe devait être pour les logiciens de Port-Royal ce défi au bon sens, que le déiste est aussi loin de Dieu que l’athée ! Mais c’est surtout quand Pascal exposa à ses amis le plan de l’apologie qu’il méditait d’écrire, que ceux-ci durent le regarder avec un étonnement profond où le malaise que la nouveauté cause toujours, le mécompte d’une attente déconcertée, se mêlaient à l’émerveillement.

En bonne logique janséniste, il ne fallait pas démontrer du tout les vérités de la religion. A quoi bon l’apologétique, si on peut avoir la foi sans elle et si elle ne peut pas donner la foi[17] ? A quoi bon, surtout, ce hors-d’œuvre dans le système qui exagère au dernier point la passivité de l’homme et l’action de la grâce ?


Vouloir faire comprendre la vérité aux âmes qui ne sont pas encore mûres, disait la mère Angélique, c’est vouloir faire luire le soleil à une heure indue au milieu de la nuit. Tous les princes et tous les plus puissans rois de la terre joints ensemble n’ont pas le pouvoir de faire lever le soleil une heure plus matin qu’il ne doit ; et tous les hommes ensemble, avec toute l’éloquence et toutes les persuasions qu’on se peut imaginer, ne sauraient faire voir la vérité à une personne qui n’est pas encore éclairée de Dieu[18].


Pascal avait été instruit de cette vérité, et il n’en doutait pas ; mais on a quelquefois lieu de se féliciter que les hommes suivent les impulsions de leur humeur plutôt que tes déductions de la logique, puisque l’heureuse inconséquence du grand penseur devait donner à la littérature un chef-d’œuvre.


Ce ne serait pas la peine d’écrire un livre sur Pascal si on n’avait pas une ingénieuse hypothèse à nous offrir, — soit dans sa fraîche et intègre nouveauté, soit dans le rajeunissement de quelque partie revue et refaite, — sur le bel édifice interrompu. M. Strowski n’a point failli au devoir de nous présenter sa théorie. Elle est extrêmement intéressante.

Il y a selon lui et selon tous les commentateurs, deux choses à distinguer d’abord dans cette grande ébauche inachevée : une apologie du christianisme, — dont le plan est plus ou moins visible, dont certaines parties ont été exécutées en perfection, — et un « soliloque » du penseur, les confidences d’une âme se parlant à elle-même, « toutes les feuilles mortes que son génie charriait. »

M. Strowski insiste avec raison et plus qu’on ne fait d’habitude sur les dettes d’auteur de Pascal. Il faut d’autant moins hésiter à les reconnaître qu’en laissant intacte sa gloire d’écrivain original, elles font honneur à sa conscience de critique bien informé. Loin de les nier lui-même, il a fait mainte allusion soit à l’outrecuidance des auteurs qui prétendent tout tirer de leur propre fonds, soit à la trop grande modestie de ceux qui laisseraient dire peut-être qu’ils n’ont rien mis du leur, quand l’ordre et la façon, — souvent plus méritoires que l’invention, même — sont à eux. Ce qu’il doit à Montaigne, on le sait aujourd’hui, et c’est bien plus que n’avait dit Havet ; vraiment, ce serait presque toutes les Pensées, s’il n’y avait pas la différence du génie entre Charron, par exemple, qui pille Montaigne et Pascal qui le repense. Il n’a ignoré aucune des apologies notables de ses prédécesseurs, ni la Théologie naturelle de Raimond de Sebonde, ni les Trois Vérités de Charron, ni le Père Mersenne, ni même le Père Garasse. Le Hollandais Hugo Grotius lui fut, nous dit-on, très utile, et le Pugio Fidei, vieux livre du XIIIe siècle, aurait été étudié par lui « de plus près qu’aucun autre, » extrait, analysé, discuté.

Tous les matériaux étant rassemblés, fécondés par la méditation, le principal restait à faire : il fallait trouver la méthode. Avec une mémoire plus ou moins fidèle, avec plus ou moins d’intelligence, cette méthode a été exposée par les auditeurs privilégiés qui entendirent parler Pascal : par Etienne Perier, son neveu, dans la préface de l’édition de Port-Royal, et surtout par Filleau de la Chaise dans une relation beaucoup plus développée, que sa longueur empêcha de publier à titre de préface.

La méthode de Pascal n’est pas la simple logique, la démonstration à la manière des géomètres, méthode fort en honneur chez les mathématiciens de Port-Royal. Descartes, partant de l’évidence, marche d’une vérité assurée à une autre vérité assurée, et que trouve-t-il au terme ? une idée pure, une conclusion rationnelle, le Dieu abstrait des métaphysiciens, nullement le Dieu de Jésus-Christ, sensible au cœur, non à la raison. Mais Pascal estimait que la vérité n’est pas toujours simple. La plus féconde de toutes ses pensées sera qu’il y a trois ordres de choses : la chair, l’esprit, la volonté, — et deux ordres de connaissances : la connaissance intellectuelle et celle qui s’obtient par l’amour. Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre des esprits. Tous les esprits ensemble ne valent pas et ne sauraient produire le moindre mouvement de charité. De la connaissance par l’esprit on ne passe pas logiquement à la connaissance par le cœur ; mais, sans les enchaîner d’un lien logique, on peut librement les unir, et leur union apporte une certitude, une assurance plus complète et plus ferme que celle où l’on arrive par l’un ou par l’autre mode suivi uniquement. « La plupart des grandes certitudes que nous avons, écrit Filleau de la Chaise, ne sont fondées que sur un fort petit nombre de preuves qui, séparées, ne sont pas infaillibles, et qui pourtant, dans certaines circonstances, se fortifient tellement par l’addition de l’une à l’autre, qu’il y en a plus qu’il n’en faut pour condamner d’extravagance quiconque y résisterait…. » Et encore : « Quoiqu’on ne pût peut-être démontrer dans la rigueur de la géométrie qu’aucune de ces preuves en particulier soit indubitable, elles ont néanmoins une telle force, étant assemblées, qu’elles convainquent tout autrement que ce que les géomètres appellent démonstration… »

Voilà la méthode de Pascal : c’est celle du « faisceau, » dont chaque brin est fragile et facile à rompre, et dont l’ensemble est invincible ; c’est la certitude cherchée dans le concours de toutes les probabilités. Mais, dans ce concert harmonieux de la vérité, il y a un ordre hiérarchique, et la haute valeur de l’amour, par rapport à la connaissance rationnelle et scientifique, demeure « infiniment infinie. »


De même que les dix premières Provinciales sont une comédie à personnages, suivie de lettres d’un autre style, où l’auteur passant à des discours directs s’élève au sommet de l’éloquence, il y aurait eu, suivant M. Strowski, deux grandes divisions dans l’Apologie : d’abord, une histoire d’âme, sous forme de lettres et de dialogues, « le plus beau roman du XVIIe siècle, » quelque chose d’analogue aux Confessions de saint Augustin[19], dramatisant tout ce qui peut être groupé autour de ces idées générales : la misère de l’homme sans Dieu, les raisons et les moyens de croire, l’impuissance de la philosophie, etc. ; après quoi serait venue, sous forme apodictique, la partie plus spéciale de l’ouvrage : les fondemens de la religion chrétienne, la tradition de l’Eglise, les preuves de la Révélation écrite dans la Bible et vivante en la personne de Jésus-Christ, les prophéties, les miracles, etc. Le moi étant haïssable, ce n’est pas son roman personnel que Pascal nous eût raconté dans la première partie ; mais supposant un « honnête homme » dans le genre de Méré, il aurait mis à nu impitoyablement sa « contrariété » fondamentale ; il l’aurait tellement découragé et par le spectacle de lui-même et par celui du néant des efforts de l’esprit humain à travers toute l’histoire, que notre homme, au désespoir de comprendre le sombre mystère de sa destinée,… sera sur le point de chercher une tragique issue à cet état violent — dans le suicide[20] !

Pascal « découvre » alors à son malheureux ami « un certain peuple, » le peuple juif, et voici venir toute la suite de la vérité révélée, du péché originel à la Rédemption, promise dès la Genèse, confirmée par les prophéties et par leur accomplissement, confirmée surtout par les miracles et apportée au monde dans la personne céleste et dans la croix de Jésus-Christ. L’auteur des Pensées attachait un grand prix, — le prix principal, n’en doutons pas, — à cette partie de son apologie où il fait de l’histoire, où il montre que Moïse a vécu, qu’il n’était pas un imposteur, que ses livres n’ont pu être falsifiés après sa mort, que les apôtres n’étaient pas des fourbes non plus, que leur sincérité est évidente, et qu’elle éclate dans le style des Evangiles, si remarquable par sa « froideur, » c’est-à-dire, en notre langue moderne, par son objectivité. Le savant, épris d’exactitude, curieux de réalités concrètes, goûtait un plaisir particulier à peser des témoignages, à vérifier des faits, et, pour lui, les miracles de l’Écriture, appuyés sur leurs démonstrations, étaient des faits, les faits les plus importans du christianisme, absolument prouvés et certains, couronnés et consacrés hier encore par le nouveau miracle, — indubitable aux yeux de Pascal, — de la guérison de sa nièce due à la Sainte-Épine. Tout est surnaturel dans les vérités de la foi. La science a ses mystères comme la religion. Si la science est certaine malgré ses mystères, pourquoi la religion ne le serait-elle pas aussi, malgré les siens ? La doctrine philosophique qui n’admet point de faits possibles hors de l’ordre de la nature est étrangère à l’esprit de Pascal. « Que je hais ces sottises de ne pas croire l’Eucharistie, etc. ! Si l’Évangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ? »


Nous ne portons point le même jugement que Pascal sur la valeur relative de l’une et de l’autre partie de son apologie, celle qui est une introduction générale et celle qui entre dans le détail des preuves. Aujourd’hui, ce que nous trouvons de solide, d’immortellement beau dans les Pensées, c’est ce que Sainte-Beuve nomme, avec Eugène Rambert, « la préface, » et M. Strowski « le roman : » c’est le sombre et magnifique tableau de la nature humaine. Quant au système des preuves historiques, démodé et caduc, les pages qui l’exposent nous sont devenues presque illisibles. Mais il y a une autre preuve, qui est aussi un fait et la grande nouveauté de l’apologie pascalienne : c’est la preuve expérimentale, celle que chacun de nous, — le pauvre d’esprit comme le prince de science, — peut faire en éprouvant directement par l’expérience la divine efficace du christianisme. Filleau de la Chaise en a tracé légèrement l’esquisse dans cette prose volontairement effacée et faible, qui est, au XVIIe siècle, le style commun, et dont la faiblesse même est un charme pour notre goût blasé qui force l’expression :


Quand il n’y aurait point de prophéties pour Jésus-Christ, et qu’il serait sans miracles, il y a quelque chose de si divin dans sa doctrine et dans sa vie qu’il en faut au moins être charmé.


Nous dirions aujourd’hui, en faisant saillir davantage l’idée profonde : les miracles et les prophéties sont, pour le christianisme, un fondement inutile ou même ruineux ; la démonstration qu’on croit en faire fût-elle d’une solidité à toute épreuve, elle est vaine, pis que cela, elle est périlleuse, car il n’y a ni lien, ni passage, ni union, ni aucune espèce de rapport entre la contrainte exercée sur l’intelligence par la force d’un raisonnement logique, et la foi religieuse, qui est un sentiment de l’âme. Mais voici le roc et la « pierre de l’angle : » la seule chose qui puisse nous persuader durablement, c’est l’harmonie du Christ avec la conscience, c’est de sentir que la religion chrétienne est à la fois l’explication complète et l’aspiration profonde de notre nature.

« La conduite de Dieu, dit Pascal, est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons, et dans le cœur par la grâce. » — « Il se rendait bien compte, écrit M. Strowski, que même si son livre produisait une conviction irrésistible, cette conviction ne serait pas vraiment la foi ; la grâce est nécessaire pour la foi ; la démonstration, ce n’est pas l’âme de la foi, ce n’en est que l’instrument. » — « Plût à Dieu, s’écrie encore Pascal, que nous n’eussions jamais besoin de la raison !… Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur, sont bienheureux… Sans cela, la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut. »

Ce passage éclaircit un des sens du mot cœur, qui, dans la langue de Pascal, pourrait bien avoir trois significations. Il signifie d’abord l’intuition, l’instinct, puisque c’est par le cœur que nous connaissons les premiers principes, le mouvement, les nombres, le temps, l’espace et ses trois dimensions. Il signifie aussi l’esprit fin et subtil dont la pointe pénètre, par delà les simples abstractions, domaine de l’esprit géométrique, dans les replis obscurs de la vie. Et enfin il veut dire tout bonnement le cœur, « l’ordre de la charité, » l’amour. Tel est le sens du mot dans le passage que je viens de citer et dans la plupart de ceux où Pascal oppose le cœur à la raison comme le grand et seul organe de la foi chrétienne.

Le Dieu du cœur, « le Dieu des chrétiens, » n’est pas l’idée abstraite du cartésianisme, ni le Dieu de la philosophie païenne, de la religion naturelle, simplement créateur du monde et providence du genre humain : « c’est un Dieu d’amour et de consolation, c’est un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède, c’est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie ; qui s’unit au fond de leur âme ; qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, ’d’amour ; qui les rend incapables d’autre fin que de lui-même. »


IV

L’ébauche que Pascal a laissée demeure, malgré ses parties périssables, le monument le plus solide comme le plus beau de l’apologétique ; il efface tous les autres, et rien de considérable n’a été fait depuis, dans le même genre, qui ne relève de cette œuvre maîtresse. Mais si elle reste vivante, c’est parce que sa grande et principale pensée s’adapte et se plie aux changemens nécessaires de l’esprit humain ; c’est parce que nous apprenons en ce livre immortel comment on conserve l’âme du christianisme dans l’usure et le déchet de ses enveloppes, ou (pour me servir d’une image plus noble) la sève et la tige de l’arbre de vie, renouvelé par l’élagage même de toutes ses branches parasites. On mettrait en doute l’évidence si l’on contestait que Pascal, en voulant servir, en servant la religion chrétienne de tout son cœur et de toute son intelligence, n’avait pas rendu précisément service au catholicisme comme tel. Livrer à la risée et au mépris du monde une secte pernicieuse aux mœurs et à la foi, mais que Rome couvrait de sa protection ; inviter le public laïque à juger les théologiens de l’Eglise ; en appeler au tribunal de Jésus-Christ contre l’autorité qui condamnait les Provinciales : puis, dans les Pensées, confier au cœur, à la conscience, organes individuels, le discernement du vrai, la conduite de la vie : était-ce se montrer vraiment catholique ? N’était-ce pas mettre un pied, puis l’autre, hors du catholicisme et de l’Église ? Et tous les Jansénistes en étaient là. C’est pourquoi M. de Carné n’a pas mal défini la secte par ces mots : « un catholicisme sans soumission et un protestantisme sans courage. »

M. Lanson écrit, dans une vive antithèse, que « l’auteur des petites lettres, en s’efforçant de tuer les jésuites qu’il abhorrait, a montré comment on pouvait tuer la religion qu’il adorait[21]. »

Les coups les plus redoutables que la religion reçoit lui viennent souvent de l’imprudente main de ses amis. Fénelon, La Bruyère avaient certainement de bonnes intentions quand ils reprirent la tradition des vieux apologistes du XVIe siècle, — interrompue par saint François de Sales, brisée par Pascal une seconde fois, — et restaurèrent les preuves philosophiques de Dieu. Mais sait-on où s’arrêtera le savoir ambitieux de la pensée ? sait-on où il ira d’abord ? Au Dieu de la raison, au Dieu de la nature, non pas au Dieu de Jésus-Christ. Un signe bien frappant de l’irrésistible progrès du raisonnement philosophique, au siècle même de la foi, c’est que Bossuet, ce « Père de l’Eglise, » se laisse aller à raisonner en pur philosophe, et, comparé à Pascal, nous fait presque l’effet d’un rationaliste. Il incline la théologie du côté où elle est le plus vraisemblable. Dans les panégyriques des saints, sinon dans la vie du Christ et des apôtres, il réduit le plus possible la part du surnaturel pour exalter surtout les vertus morales. Il n’a jamais cessé d’affirmer les postulats métaphysiques de la religion. C’est au dogme de la Providence qu’il s’attache surtout, et ce dogme n’est pas spécialement catholique ni même chrétien. Bref, il a défendu la religion de la manière la plus propre à satisfaire la raison[22].

Montaigne avait prévu, comme conséquence des guerres religieuses, un « exécrable athéisme. » C’est en effet la forme exécrable, parce qu’elle n’était qu’un dévergondage moral et intellectuel, que l’incrédulité prit au XVIIe siècle. Mais la religion de la raison existait dès lors, car elle est ancienne, et son développement fut considérable au siècle suivant. Les majorités sont conservatrices. La majorité des esprits cultivés au XVIIIe siècle, étant incrédule, sentait d’autant plus la convenance d’un spiritualisme honnête comme base nécessaire de l’édifice social, et conservait même très expressément la religion « pour le peuple. » Voltaire tenait beaucoup au Dieu « rémunérateur et vengeur. » Rousseau ne badine pas ; il punit de mort, comme coupable du plus grand des crimes, tout renégat de la religion qu’il institue dans son Contrat social. Robespierre, disciple de Rousseau, établit la fête de « l’Etre suprême » et envoie à la guillotine l’athée. Cependant Rousseau, dont les contradictions et les déclamations n’étaient point, comme la polémique des « philosophes, » une campagne contre le christianisme, se trouve lui avoir fait en somme plus de bien que de mal. Et le précieux service qu’il lui a rendu fut de ramener la religion au sentiment, — reconnaissez sous les grosses altérations de Rousseau l’esprit et la méthode même de Pascal, — comme à un principe radicalement distinct de la connaissance : dès lors la science et la foi habitant des domaines séparés, il n’y a plus lieu à des rencontres hostiles entre ces deux puissances. Brunetière pensait que la religion chrétienne devait beaucoup moins à Chateaubriand qu’à l’auteur de la Profession de foi du vicaire savoyard « ce qu’elle avait paru regagner de terrain au commencement du XIXe siècle[23]. »


Je n’ai garde d’empiéter sur la grande étude dont il faut souhaiter de voir M. Strowski achever ou continuer au moins l’entreprise ; mon dessein n’est pas de tenter même l’esquisse superficielle et sommaire d’une histoire générale du sentiment religieux en France : je désire simplement, sans sortir et sans m’écarter de mon sujet, — qui est le seul Pascal, — indiquer ce que peut encore valoir, contre le progrès de l’incrédulité religieuse, l’idée fondamentale de son apologie.

Trois grandes forces ont battu en brèche le christianisme au siècle dernier. D’abord, la critique rationnelle, capable de tout détruire, incapable de rien fonder. Bourdaloue, qui définissait la foi « un acquiescement raisonnable, » avait prétendu qu’on doit « raisonner jusqu’à un certain point et non au-delà. » Mais cette retenue est impossible ; Vinet, qui pourtant voudrait bien arrêter la raison, est obligé de le reconnaître quand il avoue que, « ou il ne faut pas examiner un seul instant, ou bien il faut examiner toujours[24]. »

Cependant la raison n’est peut-être pas l’agent qui porte aux croyances l’atteinte la plus redoutable ; ce terrible instrument de mort, c’est l’histoire. Quoi de plus propre à faire tomber la crainte, le respect et l’amour, sources intérieures des phénomènes religieux, que d’envisager ces sentimens de sang-froid comme des faits objectifs, comme une matière instructive offerte à la curiosité intelligente du psychologue et de l’historien ? Qui a compris cesse d’adorer. « Aucune réfutation d’une erreur n’entraîne avec elle l’évidence parfaite, si elle ne se double d’une explication lucide de la genèse de cette erreur… Les sciences historiques, appliquées aux sources de la tradition religieuse, rangent cette tradition au nombre des phénomènes de la nature[25]. » Au temps de Pascal, on n’avait qu’une érudition historique très insuffisante dans le sacré comme dans le profane, et Pascal en savait aussi peu qu’homme de son temps. Au XIXe siècle, la foi a perdu ce que gagnait la connaissance du passé dans l’un et dans l’autre domaine.

Le troisième agent, mais non le moindre, de la dissolution de la foi, ce sont les sciences physiques et naturelles. Un oubli invétéré et persistant de la carte du ciel peut seul laisser subsister dans nos imaginations, malgré Copernic, Galilée et leurs successeurs, des légendes et des espérances qui n’ont pu naître qu’à la faveur d’une ignorance naïve. La fixité des lois de la nature a beau être remise de nos jours à l’étude et faire place à l’hypothèse d’une certaine contingence, le doute à cet égard ne va pas jusqu’à réédifier, contre l’ordre de la nature, le surnaturel violent, le prodige matériel, sur lequel tout le système de l’ancien christianisme est fondé et construit.

Devant cette triple difficulté de croire, il faudrait trembler pour la durée sans terme promise au sentiment religieux, s’il n’y avait pas en lui une force invincible dont la source est ailleurs. Ce serait avoir une pauvre idée de sa valeur, de sa place dans la vie, de son rôle dans la pensée et la conduite de l’homme, que de le faire dépendre d’une vérification matérielle ou de la rigueur d’un raisonnement. Contre les assauts des sciences naturelles, de la critique et de l’histoire, le sentiment religieux a le droit de vouloir vivre et de réclamer hautement deux choses : d’abord, qu’on reconnaisse l’importance et l’utilité qu’il a en lui-même ; ensuite, qu’on ne nie point la réalité de son objet pour ce seul et unique motif qu’il n’est pas la raison raisonnante et qu’il a peut-être à son service un autre instrument de connaissance.

La première de ces deux vérités est facile à établir. Si l’on demandait aux hommes leur avis, il est probable que, même parmi ceux qui sont sans religion, mais qui sont de bonne foi, on trouverait toujours une grande majorité pour reconnaître que le sentiment religieux possède un pouvoir incomparable comme lien et comme frein de la société. Les âmes individuelles lui doivent leur cohésion et leur tenue connue le corps social, lors même qu’elles se vantent d’avoir cessé de croire, car l’éducation et l’hérédité peuvent les influencer à leur insu. Cette vérité, encore peu contestée aujourd’hui, mais devenue importune à plusieurs esprits, était évidente aux yeux de Pascal, comme de Descartes, comme de Montaigne, et personne, même parmi les athées, n’en doutait de leur temps. Tout récemment, un petit livre de philosophie écrit avec une belle sincérité vient de lui rendre un témoignage nouveau : c’est le curieux volume du professeur Le Dantec, athée, sur l’athéisme. La plupart des conservateurs religieux s’en tiennent, d’ailleurs, à cette seule considération, d’ordre tout politique et utilitaire.

Beaucoup plus intéressant, le passage du sujet à l’objet est aussi bien plus difficile. De ce que la religion est bonne et fait du bien, il ne s’ensuit pas, dit la raison, que l’objet de la religion soit réel. C’est vrai. Il n’y a point là de nécessité logique. La raison ne voit rien qui la force à une telle conclusion. Mais de ce que cette nécessité ne s’impose pas obligatoirement à l’esprit, il ne s’ensuit pas non plus que l’objet de la religion n’est qu’une chimère. Il faut et il suffit qu’il puisse être réel. Dans le célèbre article où Brunetière a dénoncé avec tant de vigueur et de rigueur « la fâcheuse équivoque[26], » j’admire cette pensée bien droite et bien juste : « La piété ne crée pas son objet ; elle le crée si peu qu’on peut dire qu’en matière de religion le problème de tous les problèmes est de savoir si l’objet de la piété existe en dehors d’elle. » Oui, le voilà, le grand et unique problème, et tout ce qu’il nous est possible de répondre, c’est que l’objet de la piété existe en dehors d’elle… peut-être ; mais nous ne le percevons point par les yeux de l’esprit, non plus que par les yeux du corps ; il appartient à un autre « ordre » de connaissance, — pour reprendre la langue de Pascal, — et c’est un autre organe qui peut le découvrir.

Dans sa préface au beau livre de William James sur l’Expérience religieuse[27], M. Boutroux, professeur de philosophie à la Sorbonne, avant d’écrire son propre ouvrage, Science et Religion dans la philosophie contemporaine, avait dit que « Religion et Science sont deux clefs dont nous disposons pour ouvrir les trésors de l’univers. Et pourquoi le monde ne se composerait-il pas de sphères de réalités distinctes mais interférentes, si bien que nous ne pourrions, nous, l’appréhender qu’en usant alternativement de différons symboles et en prenant des attitudes diverses ? À ce compte, religion et science, vérifiées, chacune à sa manière, d’heure en heure, d’individu en individu, seraient coéternelles. »

Avec une signification à peine différente et en rappelant un peu davantage la preuve composite de Pascal, Vinet compare la foi à un trésor fermé par plusieurs serrures, qu’on ne saurait ouvrir avec une seule clef. Pour ouvrir le trésor de la foi comme pour ouvrir les trésors de l’univers, — à savoir, le Dieu caché, la destinée de l’âme, l’autre monde, — il faut une clef mystique, que Pascal appelait le cœur. Parmi les synonymes de ce mot, Vinet paraît préférer conscience, pendant que M. Boutroux qualifie raison encore, raison supérieure, ce que M. Victor Giraud se plaît à nommer charité, volonté aimante, instinct, sentiment, nature[28].

Il ne faut pas avoir peur des mots. Le sentiment religieux moderne devra continuer sans honte de s’avouer mystique, s’il ne veut pas se réduire à la religion naturelle, au théisme rationaliste, que Pascal méprisait si profondément, et dont tous les chrétiens à sa suite se défendent comme d’une pauvreté. Cependant le mysticisme nouveau ne se confond point avec l’ancien ; il s’en sépare profondément par une différence essentielle : c’est qu’il ne se réjouit plus de croire à l’absurde. Les sciences et la philosophie en marche l’ont fait avancer avec elles. Il ne prétend pas opposer la résistance d’une immuable borne aux progrès incessans de la physique, de la critique rationnelle, de l’histoire, des doctrines morales, de la sociologie. En préconisant un autre organe de la vérité que la raison, jamais il ne consentira, comme celui de jadis, à crever les yeux de la raison pour y voir plus clair. Il n’a rien d’anormal ni de paradoxal. Il s’autorise de la psychologie avec une assurance tranquille. Il a découvert, sous la conscience, une « subconscience, » qui, elle aussi, est une réalité de la nature, et les phénomènes du monde « subliminal » sont pour lui un objet de science comme tous les autres. Le point capital de la nouvelle doctrine mystique, dans l’ordre religieux et chrétien, c’est la distinction entre les croyances et la foi, — la foi, principe d’action, disposition morale et religieuse, don du cœur à Dieu, confiance du chrétien qui sent qu’il est sauvé, — et les croyances, qui sont des idées intellectuelles indifférentes au salut, compagnes ordinaires de la foi, mais sans avoir avec elle un lien nécessaire de dépendance. « La foi, a dit Pascal, est différente de la preuve : l’une est humaine, l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. »

Pascal n’était point un mystique du moyen âge, et sur ceux même de son siècle il avait l’avance considérable d’un chrétien comparativement moderne. Croyant, ayant la foi de l’intelligence avec celle du cœur, il croyait aussi à la vérité scientifique et ne prétendait pas évincer la raison des droits qui sont les siens, en rendant à la religion toute la gloire qui lui est due.

Sully Prudhomme écrivait ici même, il y a dix-huit ans : « L’admirable sincérité de Pascal eût été mise cruellement à l’épreuve, s’il eût pu connaître le dernier état des sciences actuelles. Au prix de quelle abdication ou de quelle torture son génie eût-il maintenu la prédominance de la foi dans son âme ? » C’est possible. Le conflit douloureux et insoluble que suppose le poète du Tourment divin n’est pas invraisemblable ; il répond à l’idée conforme aux faits dans une certaine mesure, plus conforme encore au vieux préjugé, que, malgré les analyses et les distinctions de la critique, la tradition persiste à se faire du « scepticisme » inquiet de l’auteur des Pensées. Mais n’est-ce pas une idée vraisemblable aussi et plus neuve et plus belle, de supposer que Pascal, fidèle à sa méthode, patiemment soumis aux réalités que la science constate et s’élevant par l’amour vers la vérité que le cœur devine, travaillerait aujourd’hui, avec une instruction renouvelée et un heureux succès, à sauver des ruines faites par la critique moderne le sentiment religieux et son immortelle espérance ?


PAUL STAFFER.


  1. Lettre à maistre Antoine Hullet.
  2. Tome II, p. 428.
  3. M. Strowski n’a pas cru devoir s’en tenir à ce très judicieux jugement. Dans la conclusion de son livre sur Montaigne, il tente de restituer à l’auteur des Essais la foi chrétienne proprement dite, avec plus d’ingéniosité dialectique, peut-être, que de soumission pure et simple aux textes et aux faits.
  4. Port-Royal, t. III, p. 303.
  5. « Vainement le grand métaphysicien donne-t-il des gages de respect envers l’Église en offrant au christianisme, à côté du doute méthodique, une salle d’attente honorable ou se remiser, jusqu’à ce que la nouvelle philosophie qui marche à sa rencontre l’ait rejoint ; cette concession ne peut paraître qu’insolente et dérisoire au grand chrétien. » Sully Prudhomme, La vraie religion selon Pascal, p. 340.
  6. Cité par M. Strowski, avec renvoi à la Correspondance de Descartes, t. III, p. 580.
  7. Article de M. Lanson sur Pascal dans la Grande Encyclopédie.
  8. Saint François de Sales, p. 38.
  9. Vinet, Études sur Pascal, p. 243.
  10. Article XXV, § 106, de l’édition Havet.
  11. « Comment se fait-il que, quand les théoriciens d’une religion ont voulu garder sa dignité au libre arbitre, ils ont abouti à la morale la plus relâchée ? Pourquoi la morale la plus sévère a-t-elle été proposée par ceux qui enlevaient le plus ou libre arbitre ? À cette question je n’ai vu nulle part de réponse satisfaisante. » Note prise par un élève de l’École normale au cours de Brunetière.
  12. Cité par M. Faguet dans ses Études littéraires sur le XVIIIe siècle, p. VIII.
  13. Ed. Droz, Étude sur le scepticisme de Pascal.
  14. Boutroux, Pascal dans la Collection des grands écrivains français. — Lettre de Pascal à sa sœur, Mme Périer, du 26 janvier 1648.
  15. Port-Royal, t. II, note de la page 477.
  16. Cité par E. Droz, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 92.
  17. Scherer, Études sur la littérature contemporaine, t. IX, p. 191.
  18. Cité par Victor Cousin, Jacqueline Pascal, p. 230.
  19. D’analogue, ajoute M. Strowski, à En route de Huysmans. L’ingénieux critique revient vraiment un peu trop sur la ressemblance de Pascal avec Durtal. Cela fait l’effet d’une profanation. Il ne fallait pas rapprocher et mêler deux « ordres » si différens et si distans.
  20. Cette péripétie inattendue d’un suicide surprend un peu moins quand on connaît les lignes suivantes de la longue analyse donnée par Filleau de la Chaise : « Enfin, écrit l’auditeur de Pascal, plutôt que d’en choisir aucune [religion], et d’y établir son repos, il prendrait le parti de se donner lui-même la mort, pour sortir tout d’un coup d’un état si misérable ; lorsque, près de tomber dans le désespoir, il découvre un certain peuple qui, etc. »
  21. Article sur Pascal dans la Grande Encyclopédie.
  22. Lanson, Revue des Cours et Conférences du 16 janvier 1908.
  23. Brunetière, Études critiques sur l’histoire de la littérature française, t. V, p. 113. — Boutroux, Science et religion dans la philosophie contemporaine, p. 28.
  24. Études sur Pascal, p. 139.
  25. Paul Bourget, article sur M. Ernest Renan, dans les Essais de psychologie contemporaine, p. 84.
  26. Voyez la Revue du 15 novembre 1903.
  27. Traduit en français par M. Frank Abauzit (Alcan).
  28. Victor Giraud, La philosophie religieuse de Pascal et la pensée contemporaine, Paris, Bloud, 1903.