Une femme m’apparut (1904)/22

La bibliothèque libre.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 253-270).

XXII
NOCTURNES
chopin.Ichopin.

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  r4
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   <c,, c'>  

   
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II

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  title = "XXII"
  subtitle = "POLONAISE, op.48"

  composer = "CHOPIN."
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XXII


D’une odeur de sommeil, les fleurs de tabac rassérénaient l’air violet. Leur souffle aux langueurs perfides dispensait les rêves malfaisants.

Le silence était terrible à force d’intensité. C’était un silence d’angoisse qui enfiévrait la nuit. Les plantes redoutaient vaguement les paroles que nous allions prononcer. Les arbres songeaient, comme de graves prophètes qu’attriste l’avenir…

Vally, les cheveux plus fluidement verts et les yeux plus bleus que la lune, attendait… Son imprécise silhouette se détachait sur l’herbe azurée, s’enchâssait parmi les frondaisons glauques… Un moment je contemplai la forme et le visage de mon Passé.

« Vally… »

Elle ne leva point les yeux. Elle était pareille à la statue d’une Morte.

« Vally… »

Enfin, la pâleur immobile de cette apparition s’anima.

« Je suis venue vers toi pour te reprendre. Tu m’appartiens, car je suis ton premier amour. Tu m’appartiens surtout parce que, la première, je te fis souffrir. Tu ne peux anéantir l’Autrefois qui nous lie indissolublement. Je suis ton Destin. L’intolérable amertume de ta passion nous unit avec plus de puissance que de longs et calmes bonheurs. Tu peux me fuir, tu ne pourras jamais m’oublier.

— Jamais je ne t’oublierai, Vally. Jamais je ne voudrai t’oublier. Jamais tu ne me seras étrangère ni indifférente. »

Un éclair victorieux traversa les yeux lunaires de Vally. Je devinai sa pensée de triomphe barbare. L’orgueil du conquérant masculinisait sa voix despotique.

« Je le savais, et c’est pour cela que je suis venue vers toi. »

Je redoutai, comme jadis, son cruel sourire.

« Je ne te suivrai point, Vally. »

Elle me regarda fixement. Le pli de ses lèvres se contractait en un mépris inexprimable.

« Je t’ai peu comprise, Vally, et je t’ai mal aimée. Je n’ai pas su dompter mon âme jalouse. Je n’ai pas su vaincre la rancœur et la défiance et la haine qui intensifiaient et corrompaient ma misérable passion. J’ai été l’être le plus bassement soupçonneux et le plus amer qui jamais se soit rendu odieux à lui-même. Je t’ai importunée en me torturant par mille supplices raffinés. J’ai été le bourreau de mon âme. Pour tout ce qui ne fut point digne de toi et de moi, je te demande pardon dans un agenouillement infini. »

Les prunelles dédaigneuses ne quittèrent point les miennes.

« Tu n’as pas su me conquérir, » prononça Vally, lentement. « Tu n’as eu ni la force, ni la patience, ni le courage de vaincre mon repliement hostile vis-à-vis de l’être qui veut me dominer.

— Je ne l’ignore point, Vally. Je ne formule pas le plus léger reproche, la plus légère plainte. Je te garde l’inexprimable reconnaissance de m’avoir inspiré cet amour que je n’ai point su te faire partager.

— Je t’ai dit autrefois : « Ne m’aime que juste assez pour ensoleiller ma vie. »

— Et je n’ai pas été assez sage pour l’obéir. »

Elle portait dans un pli de sa robe des orchidées avides comme des lèvres inassouvies. Elle les détacha et les effeuilla une à une de ses longs doigts implacables.

« Je ne t’ai jamais laissé croire que je t’aimerais comme tu m’as aimée. Tu m’as vue dès le premier jour telle que j’étais, » dit-elle. « J’espérais vaincre mon indifférence pour toi… Je n’ai pu triompher de ma froideur à ton égard. Et pourtant, j’aurais tant voulu t’aimer ! Il aurait fallu me plaindre d’être incapable d’une passion unique et sincère, car je ne connais rien de plus triste au monde que d’errer perpétuellement, d’errer enquête d’une douceur inconnue, d’une inaccessible tendresse !

Erôs m’a fait aimer sans me fermer les yeux.

« Tu as eu envers moi un tort inexpiable. Tu n’as pu consoler en moi l’Amante, la créature de ruse et de cruauté, la créature de chair qui cependant veut l’Impossible. L’Impossible ne lui a pas été accordé, elle s’est donc tuée de colère et de honte et de tout. Elle est morte aujourd’hui.

— Tu as raison, » soupirai-je.

« Si des amours moins terribles ne font plus de toi ce que tu as été, c’est-à-dire l’être de tous les sacrifices et de tous les dévouements absurdes, si des amours moins déchirantes doivent te ramener à leur propre niveau, si des êtres moins volontaires te plient à leur façon d’être et de vivre, jette vers moi un appel. Je viendrai comme un oiseau de proie, et je te saisirai de mes griffes de fer, qui te meurtriront peut-être, mais qui t’emporteront vers des altitudes infinies, vers des aires auxquelles ces amantes des jours et des nuits, avec leur douceur et leurs petites plaintes, ne sauraient atteindre ni t’élever. »

Jamais elle ne m’avait parlé de cette voix de mélancolie et de regret. Je reculai dans l’ombre.

« Vally… Vally…

— Je serai tout autre et mieux, ah ! tu verras ! Déjà, j’ai changé un peu… je le crois du moins. Je n’ai peur que des terribles sommeils. Je n’ai peur que des mortels oublis. La Mort est moins effroyable que la Métamorphose…

— Et pourtant, tu as changé toi-même, dis-tu…

— J’ai besoin de toi plus que je n’aurais cru, et autrement. J’ai besoin de toi… »

Les fleurs de tabac pâlissaient mortellement dans l’ombre. Leur souffle endormait ma raison et ma conscience. Les parfums nocturnes étaient si puissants qu’ils triomphaient de tout ce qui n’était pas subtil, périlleux et perfide comme eux-mêmes.

E dell’ anticoamore sentii la gran potenza…

Ô perverse Béatrice, vêtue de flamme vive, ô vision jaillie d’un nuage de fleurs ! Ô souvenir impérissablement douloureux !

« On appartient à son passé, » accentua Vally. « Tout ici-bas serait trop facile si l’on pouvait échapper aux conséquences de ses actes. Je suis ton Passé et tu m’appartiens.

– On appartient à son Avenir… J’appartiens à mon avenir… et à Éva.

— Le Passé est plus vrai que l’Avenir. L’Avenir est l’incertitude, le Passé est ce qui est écrit en lettres ineffaçables. »

La voix de Vally s’imposait, souverainement. Je lui répondis par une phrase évasive.

« Je disais à Éva, ce soir même : Je voudrais répandre sur tout l’Univers un peu de la joie qui me vient de ta présence.

– Quelle joie peut égaler la douleur ? La douleur est plus forte que la joie. On peut oublier une joie, on n’oublie jamais une douleur. Je suis ta souffrance, c’est pourquoi tu ne cesseras jamais de m’aimer. La souffrance seule est vraie, et le bonheur n’est pas.

— Pourquoi le possible serait-il l’insaisissable » demandai-je. « J’ai la certitude que le bonheur est tangible, qu’il est aussi vrai que le rêve. Mais il faut lutter plus âprement encore pour le garder que pour le conquérir.

— Je convoite pour toi un idéal plus haut que le bonheur. Je te veux libre, afin que rien ne te diminue en t’absorbant. Je te veux libre, afin que tu puisses contempler ce qui est au-dessus de toi. Tu es si faible quand tu aimes, ne fût-ce qu’un peu et confusément, comme tu m’as aimée ! Et je crains pour nous le mal que celles-là te feront. »

J’écoutais avec un étonnement troublé cette gravité nouvelle dans sa voix.

« Je songe, » dit-elle, « au Passage du Géant. L’avenir est pareil à un chemin de montagne qu’il faut creuser dans le rocher. La foule s’arrête, hésitante et stupide, devant les blocs infranchissables qui surplombent le gouffre. Mais un Géant se lève et marche en tête. Il se fraie un héroïque passage à travers les ronces et la pierre. La soif le consume et la solitude l’enfièvre… Il périt avant d’atteindre l’Autre Versant… L’irrésistible force de toutes ces faiblesses se rue alors dans la voie qu’il a tracée. On les voit fourmiller par millions, là où est mort le Géant précurseur… S’il y a vraiment en toi quelque chose de grand, fais comme lui, va vers ton Destin. Méprise le lâche bonheur, choisis la meilleure part, qui est la part des larmes.

— Je ne sais si le bonheur, infiniment rare, est inférieur à la souffrance, lot universel, » protestai-je.

« Soyons calmes et limpides, veux-tu ? Ne plongeons point ainsi jusqu’au fond des abîmes de vérité et de mensonge. La nuit me semble lasse, — lasse comme moi toute… Mais, demain, je renaîtrai avec l’aube, et je serai pour toi l’Avril au rire indécis, l’Avril dont la joie recèle des promesses de moissons tristes, de moissons encore endormies.

— Il n’y aura point d’aube sur le passé, Vally. Le passé meurt avec les dernières étoiles. L’Avenir seul est l’Aurore.

— Je suis écœurée de sagesse et de raison et de vérité. Je suis écœurée de tout ce qui n’est point le simple amour. »

Je lui répondis de toute mon ancienne tristesse :

« L’amour aussi a ses aurores espérantes, ses midis fervents, ses couchants mélancoliques et ses longues nuits sans lune. Tu le sais mieux que moi, toi qui crains la Métamorphose plus que la Mort. »

Vally se détourna, fuyante.

« La tentation n’attire jamais que les rassasiés, et, parce que ton âme est rassasiée de dégoût, je sais que tu me reviendras… Tu me reviendras, parce que le dégoût et la lassitude ne voient jamais qu’un seul côté des choses. Rien n’est par soi-même ni bien ni mal : cette règle s’applique également aux humains. Tu ne me juges pas aussi clairement que je me juge moi-même, et tu dis m’avoir aimée et m’aimer encore !… L’orgueil avec lequel tu t’obstines à ne considérer que mes laideurs prouve qu’il y a en toi un vampire ivre de férocité. Moi, je suis plus heureuse ; je vois exclusivement ce que je veux voir, et encore assez peu et assez mal pour sauvegarder mes illusions… Tu me reviendras. Je te le disais autrefois c’est toi qui es l’être de cruauté, puisque tu me fais souffrir stupidement, et que tu ne me places pas, d’une façon définitive, à l’abri de tout soupçon, dans le sanctuaire de ton âme. Je me joue des hommes parce que je me plais à les faire souffrir, et parce que cela m’amuse quelquefois. Mais jamais je n’ai aimé un homme, cela, je puis te le jurer en toute loyauté… Je t’ai dit encore : Ne m’accable point de jalousies et de méfiances, lorsque je tends vers toi mes mains avides et ne veux pour toujours que ta tendresse… Ne détruis pas une chose belle de sa force invincible. Je tiens à toi par-dessus les passions et les jours, — tout le reste n’est qu’une question d’ennui ou de nerfs et n’a ni importance ni durée.

— Et une heure après, Vally, tu me chassais de ta présence avec de dures paroles : Je ne l’aime pas… tu m’excèdes… tu es l’ombre sur mon chemin de lys et de clair de lune.

— Qu’as-tu fait de ton pâle Avril ? » soupira Vally. « J’ai dans l’âme tout un héritage de printemps… Ouvre-moi de nouveau tes bras et ton cœur. Je ne réveillerai en toi aucune angoisse. Je ne t’apporterai aucun vestige d’un jadis qui n’est pas le nôtre. Comme celles qui entrent pieusement dans un temple, j’entrerai dans ton cœur et, si j’y trouve une joie qui se fane d’être déjà vieille, je la remplacerai par une joie fraîchement déclose. J’ai l’âme pleine de fleurs, lorsque je songe au grand Possible qui contient tous les espoirs…

— Je ne puis te donner le bonheur, Vally. Tu t’inclines vers moi parce que je t’échappe comme à un danger, parce que je te fuis comme un péril. Je t’ai trop aimée pour ne pas te craindre éternellement. J’avais perdu l’espoir et la confiance depuis… depuis toi !… Mais une Salvatrice est venue vers moi… une Salvatrice inespérée… Éva…

— Tu t’acharnes à ne voir que les choses laides et tristes de notre Passé. Mais souviens-toi des lys ! »

… Le ciel était pareil à un merveilleux plafond de cèdre et de nacre et d’ivoire. Les arbres étaient sveltes et blancs ainsi que des colonnes mauresques. La nuit semblait un mystique palais de Boabdil, recueilli dans tout le rêve de l’Autrefois.

« Je me souviens, Vally.

— Tu as volé un bonheur auquel tu n’avais aucun droit. Rappelle-toi tes propres paroles : L’amour est le renoncement et le sacrifice. L’amour est un agenouillement. »

Elle s’arrêta et dit, liturgique :

« L’amour est un calvaire où fleurissent des roses. »

Un serpent mort gisait à nos pieds… Un oblique rayon de lune fit briller étrangement l’or terni des écailles vertes, qui semblaient tressaillir d’une ondulation lente. Et je me remémorai les phrases énigmatiques de San Giovanni :

Les Serpents morts revivent sous le regard de celles qui les aiment. Les yeux magiques des Lilith les raniment, ainsi que les clairs de lune raniment les eaux stagnantes… Les Serpents morts s’insinuent à travers les demi-ténèbres, où leurs yeux dardent des lueurs cruelles. Car, fidèles, ils servent les Lilith et ils épient froidement la proie qu’elles leur ont désignée.

« Quelle joie et quelle paix égaleront jamais les souffrances divines que tu appris jadis sur mes lèvres ? » demanda Vally.

… Notre-Dame des Fièvres corrompait le jardin de son haleine mortelle. Les digitales et les belladones tendaient vers elle leurs parfums et leurs poisons… Les reptiles rampaient jusqu’à sa châsse paludéenne et lui apportaient, comme une offrande, leur âme venimeuse… Une lèpre de lune rongeait les arbres, et les roses rouges saignaient, ainsi que des plaies vives… Je voulus fuir le jardin pestiféré, mais je ne pouvais détacher mes prunelles de celles de Vally, aux cheveux plus verts et aux yeux plus bleus que les clartés nocturnes.

« Souviens-toi des lys, » dit-elle insistante.

Une lampe lointaine jeta une faible lumière sur l’ombre violente où mouraient les fleurs de tabac. Cette lueur venait de la chambre de ma Salvatrice… Cette lueur était consolante comme un calme reflet d’étoile.

Puis elle disparut… Les ténèbres écoutaient le conseil des Serpents morts. La morbidité blonde de Vally s’atténuait encore sous la lune.

« Une douleur plus aiguë que la joie, une joie plus profonde que la douleur… » souligna-t-elle. « Un amour plus terrible que la haine. une haine plus voluptueuse que l’amour… Toute la passion qui méprise la paix… »

La lampe jeta de nouveau un rayon d’astre. Elle vacillait dans la main d’Éva, qui s’approchait de nous, pâle et transparente…

En vérité, ces deux femmes étaient pareilles aux Archanges du Destin : Vally, vêtue de vert, Éva, vêtue de violet, toutes deux étrangement lumineuses…

« Voici l’Heure de l’Âme, » murmura Éva.

Il y eut entre nous trois une pause angoissée. Ce que j’allais dire était décisif et fatal. Toute mon existence indéfinie dépendait de cette résolution d’un instant. Sur moi, pesait toute la terreur de choisir.

… Lorsque la parole finale fut prononcée, un soupir monta de la pénombre :

« Adieu… et au revoir… »