Une mine de souvenirs/XV

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s. é. (p. 170-178).

CHAPITRE XV

La force expansive des protectorats



VOYONS ce qui a été fait pour la création de cinquante-deux paroisses et missions dans la Saskatchewan, en peu d’années.

Il y a dans la Saskatchewan des centres qu’on appelle « Les centres allemands » et qui s’appelaient autrefois « la prairie ».

Le mouvement colonisateur est venu des pères bénédictins du Minnesota. Ceux qui connaissent un peu l’histoire de l’Église savent qu’il n’y a pas une seule communauté religieuse qui ait plus fait pour la conversion de nos ancêtres barbares que l’Ordre des Bénédictins, qui a donné plus de 50 papes à l’Église, des milliers de prêtres et d’évêques, et dont les monastères ont été les premiers monuments des principales villes de l’Europe. Chaque monastère était une maison d’éducation. Les enfants des premiers défricheurs de l’Europe venaient s’y instruire des sciences profanes et religieuses. Ces Pères sont venus faire dans la Saskatchewan ce qu’ils ont fait dans l’Europe 500 ans après Jésus-Christ.

Les Pères Bénédictins ont accompagné en Amérique les premiers émigrants d’Allemagne qui venaient demander aux États-Unis un morceau de terre, une seigneurie pour leurs enfants. Comme chacun le sait, les Allemands catholiques émigrent en bande, en paroisse. La première chose qu’ils font est de construire une école qui, le dimanche, sert de chapelle. Ces premiers habitants ont tôt fait de devenir riches, car toute la famille travaille au champ : hommes et femmes, garçons et filles. Les Allemands catholiques se sont répandus dans l’Ouest. Le diocèse de St-Cloud, Minnesota, est presqu’entièrement allemand. Bientôt la population devint dense ; les paroisses étaient remplies. On ne voulut pas laisser la jeunesse partir à la bonne aventure. On s’organisa pour aller former des paroisses dans de riches terres nouvelles. Des connaisseurs vinrent visiter la Saskatchewan, le gouvernement canadien réserva un terrain aux Allemands, et aujourd’hui les Bénédictins ont vingt-deux chefs-lieux de prière. Tous ont le grand bonheur d’avoir gardé leur foi. Mais leur grand succès dépend de ce que les riches ont aidé les pauvres dans les premières années. Et cela sur un simple billet promissoire, avant même que fussent octroyées au débiteur ses lettres patentes. Un banquier de Saint-Paul, Minnesota, qui avait aidé plusieurs amis, m’a dit qu’il n’avait pas encore perdu un sou et qu’il avait établi seigneurs, « landlords », plus de vingt colons de son sang.

Le mouvement allemand s’est répandu dans toute la Saskatchewan. Les Pères Oblats desservent vingt-et-une paroisses ou missions, les prêtres séculiers ont dix paroisses. Quelle joie pour l’Église catholique de constater que le royaume de Jésus s’établit dans les prairies par les Allemands, les Galiciens, Polonais et Ruthènes, les Canadiens, et aussi, quoique moindrement, par les Irlandais et les Écossais. Nous espérons, amis lecteurs, que vous unirez vos prières à celles de Nos Seigneurs les Évêques, des membres du clergé et des communautés religieuses pour demander le triomphe social du règne du Sacré-Cœur, à l’anéantissement duquel les radicaux veulent pousser les gouvernements. Pour eux, l’Église catholique n’avance pas, elle s’obstine toujours à faire croire aux peuples qu’il y a un enfer. Quelle arriérée, n’est-ce pas ?

Le système de protecteurs que nous proposons est le même que je proposais il y a 38 ans, en 1881. Comme vous allez voir le bénéfice des protecteurs est basé sur la plus-value des terres, l’augmentation d’un capital placé sur le sol.

Un colon qui veut être colon trouve un protecteur ou une société patriotique en action lui en trouve un. Il va choisir un lot dans les limites d’une future paroisse où il y a des chemins carrossables qui sont à se faire ; il est intéressé à y travailler lui-même. Il va trouver son protecteur et lui pose le marché suivant : « J’ai 100 acres de terre ; je vais vous en céder 40, avec lequel vous pourrez former un bel établissement. J’en ai assez de 60 acres que je ne pourrai pas tout cultiver avant 20 ans. Je vous demande de m’aider les premières années, et voici comment vous pourrez le faire.

« Je vais vous défricher 10 acres de terre à $100 l’arpent, ce qui va me faire subsister les premières années ; j’aurai le produit entier de tout le terrain défriché d’une manière cultivable, pendant 7 ans. Vous me paierez par arpent au fur et à mesure du défrichement, excepté pour le premier arpent où vous voudrez bien me fournir les $100 tout de suite. Si vous pouvez vous passer de l’intérêt pour sept ans, vous le retrouverez certainement plus tard dans la vente de votre terre.

« Vous aurez une belle terre à vendre avec 10 arpents en culture, au milieu d’un district habité, ayant un bon chemin pour aller au marché et à l’église. Si vous aimez mieux la garder, vous y établirez peut-être votre fils, un neveu ou un bon serviteur. Dans tous les cas, vous n’aurez rien perdu, car votre terre vaudra plus que l’argent que vous m’aurez avancé. Je me procurerai aussitôt que possible mes lettres patentes. Vous en jouirez pour la possession de votre lot, car j’espère en même temps faire quelques arpents de terre sur mon lot et me bâtir quelques édifices temporaires. Ce faisant, monsieur, vous ferez deux heureux et vous donnerez une famille de plus à la patrie. »

Le protecteur bienveillant lui répondra : « J’accepte le marché parce que je suis content de faire deux heureux et parce que j’aime ma patrie de tout mon cœur. Je l’aime non seulement en paroles, non seulement le jour de la Saint-Jean-Baptiste, mais en actes et tous les jours de ma vie J’aime surtout à aider les jeunes gens à conserver leur foi.

« Tu me dis, cher protégé, que je donne une famille à la patrie. Permets-moi de dire qu’en regardant dans le passé, je vois que notre population catholique de mœurs pures, craignant Dieu, se double à chaque 25 ans. 14,000 familles françaises (70,000 âmes) ont produit trois millions en 150 ans, de 1761 à 1911, c’est-à-dire 220 sujets chacune à la patrie terrestre, et à celle du Ciel, espérons-le. Si nos 5,000 voyageurs des bois qui bûchent pour enrichir les autres voulaient bûcher pour eux, en imitant nos ancêtres, ces 5,000 chefs de famille auraient une postérité canadienne de 1,100,000 avant même que le Canada soit sorti de l’enfance. Si nos 200,000 familles qui sont aux États-Unis étaient à travailler dans les prairies de l’Ouest, quelle force nous aurions pour propager par le moyen des paroisses l’enseignement de Jésus-Christ hors duquel il n’y a pas de salut pour les nations.

« Sois assuré, cher protégé, que je t’aiderai à t’établir d’une manière permanente dans une nouvelle paroisse. »

Il est inutile de dire que ce protecteur peut faire des arrangements encore plus avantageux pour le colon. Le but proposé est celui-ci : aider le colon à s’établir d’une manière stable sur son lot.

J’ai à vous dire, amis lecteurs, que ce système de protection n’est pas nouveau. Le célèbre économiste français Claudio Jeannet a bien voulu me faire connaître dans une lettre écrite de France que ce système était vieux de 1,000 ans, qu’il avait décroché la médaille du succès conférée par l’expérience ; que pendant le 9e et le 11e siècles, le défrichement s’était fait de cette manière en Europe et que les travaillants devenaient par ce moyen propriétaires, et rachetaient leur liberté.

Que de mercenaires dans notre pays pourraient racheter leur liberté s’ils avaient un protecteur charitablement intéressé ! Quel immense bien pourrait faire un syndicat de patriotes qui exploiterait le bois marchand des colons en échange du défrichement d’une partie de leurs lots. Un tel syndicat s’enrichirait et rendrait heureux des milliers de colons.

Sans doute le colon aura à travailler, mais pas plus qu’il ne le ferait dans un autre métier ; il travaillerait certainement beaucoup moins le dimanche. Il pourra se reposer dans un spacieux chantier plus salubre que les maisons de pierre de nos villes. Dans son chantier où il est plus confortable que dans un palais étranger, le colon mangera trois fois par jour, aussi souvent que le roi d’Angleterre et peut-être de meilleur appétit. On ne peut pas dire d’un colon qui est assuré de ses trois repas par jour, de ses habits et de son gîte, qu’il est pauvre. Il n’est pas nécessaire d’être vêtu de soie et d’avoir un piano dans sa maison pour être un vrai seigneur canadien dans toute la force du mot.

Nous résumerons en disant : « Toutes les forces politiques de la nation doivent s’unir pour obtenir d’abord des chemins.

Toutes les sociétés Saint-Jean-Baptiste ou de colonisation qui ne veulent pas être des zéros en fait de patriotisme pratique, doivent se mettre à la recherche de protecteurs. Ils en trouveront beaucoup parmi les pères de famille qui deviendront les protecteurs de leurs enfants pourvu qu’ils puissent se rendre en voiture à leurs lots et à la chapelle.

Que l’agent du gouvernement ne livre des billets de location que sur des lots de bonne terre arable. On a déjà trop essayé à coloniser sur du sable et des roches pour le malheur du pays et de grands colonisateurs ont manqué sur ce point. Que l’on complète une paroisse avant d’ouvrir un autre canton.

À ces conditions l’œuvre de la colonisation est assurée, je crois ; car n’oublions pas que notre peuple aime la terre, qu’il a toujours devancé les chemins, et cela au prix de très grands sacrifices de temps et de travaux héroïques pour s’établir Seigneur sur sa terre.

N’oublions pas que lors de l’émigration en masse aux États-Unis, après la guerre de Sécession, nos compatriotes partaient le cœur bien triste en laissant leurs églises et leurs morts derrière eux. Ils vendaient leur roulant mais gardaient leur terre, avec l’espérance de revenir à leurs foyers, une fois leurs dettes payées. Mais les délices de Capoue les ont séduits. Ils se sont établis en terre étrangère, mais nos prêtres les ont suivis et ils ont gardé leur foi. Que Dieu en soit béni ! Mais la patrie les pleure.

Maintenant que l’on cultive avec plus d’intelligence, il y a espoir que nos nouvelles colonies se maintiendront, que de nouvelles paroisses se formeront nombreuses, que de nouveaux diocèses s’établiront et que notre Église catholique, apostolique et romaine marchera de victoire en victoire, en assurant à ses enfants, à l’heure de leur mort, la victoire décisive qui leur assurera le repos éternel. Au ciel, il n’y a plus de défrichement à faire : on y récolte sans travailler… mais parce que l’on a travaillé !

Maintenant, quelle est la première société de colonisation ou de Saint-Jean-Baptiste qui va se mettre à l’œuvre pour trouver des protecteurs parmi les pères de famille et parmi nos riches ?

Dans un comté de 15,000 âmes, ne peut-on pas trouver cent colons pour établir une paroisse et mettre sûrement des milliers de personnes dans le chemin du ciel ?