Une petite gerbe de billets inédits/06

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Une petite gerbe de billets inédits : Beaumarchais, sa femme, Mme Campan
(p. 10-12).

VI

Au même[1]


De Rouen, le 8 vendémiaire, an 9.

Que pensés vous de moy, mon cher ami, depuis deux mois et demi que je suis parti de Paris, que je ne vous ay point écrit. J’ay été si peu resident dans aucuns endroits qu’il m’a été impossible de suffire aux obligations que mon cœur m’imposait et forcement vous et beaucoup d’autres ont été retardés jusqu’au premier moment dont je pourois disposer en faveur de mes plaisir (sic). Et aujourdhuy que je vous écris je mets de côté beaucoup de mes amis pour le plaisir de vous préférer.

Il y a un mois que je suis à Rouen, ma chère patrie[2]. Hé bien j’ay fait quatre voyages dans les environs au même endroit où j’ay trouvé des objets si curieux, si extraordinaires que je m’en suis occupé exclusivement à tout ce qui m’environnait d’ailleurs.

J’ay trouvé un temple de Cybelle tres considérable à cinq lieues et demi de Rouen, qui m’a fort occupé et qui m’occupera beaucoup encore avant de parvenir au moment d’en faire part au public[3]. Je vous communiqueray cela à mon retour à Paris.

La ville où je suis est la dix-huitième de toute ma tournée commencée par Beauvais, Arras, Douay, Lille, Dunkerque, etc., où j’ay veu bien des choses curieuses en tout genre !  !

Je viens de fixer l’époque de mon départ pour Paris au deux ou trois de la décade prochaine, ce qui fera le 13 au plus tard pour arriver le 14 sauf anicroche qui ne passera pas, je crois, le 15 et alors j’iray vous voir et causer avec vous et je vous conteray mes avantures.

Faites en sorte que la montre que j’ay laissée chez vous deux mois avant de partir soit accommodée et bien en état de me marquer l’heure, car je n’ay pas de cinq montres une sur qui je puisse compter[4] pour me conduire avec connaissance du tems.

Recommandés moi à votre cher cousin, je vous prie. Adieu, je vous embrasse et suis tout à vous.

Votre serviteur,

Houel.


  1. L’adresse manque.
  2. Jean-Pierre-Louis-Laurent Houel naquit dans la capitale de la Normandie en juin 1735 et mourut à Paris le 14 novembre 1813. Il fut un des fondateurs de l’Athénée. On a sur lui une bonne notice de Le Carpentier (Rouen, 1813, in-8). Voir la liste de ses publications dans la France littéraire (t. IV, p. 144). Quérard, écho de la Biographie universelle assure que peintre, graveur, antiquaire, il fut aussi poète, mais que ses vers n’ont jamais été imprimés (péché caché est péché pardonné). Le même bibliographe, s’inspirant encore de la Biographie universelle, constate que le Voyage pittoresque des îles de la Sicile, etc. (Paris, 1782-87, 4 vol. in-fo), n’est pas « supérieurement écrit », ce que l’on croira facilement après avoir lu la présente lettre.
  3. Houel ne dut pas « faire part au public » de son travail « sur le temple de Cybèle ». (Était-ce bien un temple de Cybèle ?) — Je ne trouve nulle part la moindre mention d’un tel travail.
  4. C’est le cas de citer ce mot d’une femme d’esprit : Les montres sont comme les domestiques plus on en a, plus on est mal servi.