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Une seconde mère/09

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 97-110).


Jacques pédalait à toute vitesse.

IX

Mortelles inquiétudes.


Jacques pédalait donc, sur la route, à toute vitesse. Au bout de vingt minutes, il vit apparaître, entre les arbres, la blanche façade du château des Bouquets.

Il mit pied à terre devant la grille et sonna.

Introduit dans le jardin, il aperçut, presque aussitôt, Mlle Solange, en robe de toile rose et blanche, ses beaux cheveux châtains, souples comme de la soie, simplement relevés en catogan ; un grand chapeau de paille sur la tête, nu panier au bras, qui s’occupait activement à cueillir des fleurs. Elle en avait une brassée et semblait, par cette matinée ensoleillée, l’incarnation même du printemps.

Au bruit de la cloche, elle s’était retournée et fut tout étonnée de voir Jacques ainsi tout seul et à une heure aussi matinale. Elle alla vivement au-devant de lui.

Mlle Solange.

Bonjour, Jacques, qu’est-ce qui nous procure le plaisir de vous voir d’aussi bonne heure ?

Mais immédiatement, elle fut frappée de la pâleur du petit garçon et de son air triste.

Mlle Solange.

Mais qu’y a-t-il donc, mon petit Jacques ?

Jacques lui raconta la maladie de Gina, ainsi que l’absence de son père et lui dit qu’il venait demander s’il serait possible d’avoir un peu de glace.

Mlle Solange.

De la glace, mais bien sûr et tout ce que vous voudrez. Venez avec moi chercher le jardinier et ne perdons pas de temps.

Tout en marchant, ils causaient tous les deux, et Mlle Solange, très émue de savoir la pauvre petite Gina aussi malade, faisait à Jacques mille questions, et en même temps l’encourageait de son mieux.

Le jardinier remit à Jacques une provision de glace.

Mlle Solange.

Mon pauvre Jacques, voulez-vous que j’aille demander à maman la permission d’aller vous rejoindre tout à l’heure à Brides, afin de vous aider à soigner Gina ? Je suis persuadée qu’elle ne me le refusera pas.

Jacques avait bien envie d’accepter, mais, chose étrange, poussé par un singulier mouvement qu’il n’aurait pu expliquer, il refusa nettement.

Jacques.

Merci, mademoiselle, vous êtes bien bonne, mais il y a du monde à la maison, Gina ne manque de rien.

Mlle Solange, étonnée, n’osa insister.

Mlle Solange.

Mais au moins, laissez-moi vous envoyer de la glace pour ce soir, car, d’ici là, celle que vous emportez sera fondue.

Jacques.

Ah ! bien volontiers, mademoiselle, j’accepte avec reconnaissance.

Là-dessus, il prit congé de Mlle Solange, la salua poliment et, enfourchant sa bicyclette, repartit au plus vite.

Lorsqu’il entra dans la chambre de sa sœur, il trouva Mlle Herminie paisiblement assise et tricotant au chevet de Gina.

Son tricot, elle le promenait partout, chez les malades, car elle soignait tout le pays, et M. le curé la plaisantait doucement et l’appelait « Mlle Tricot », d’autant plus qu’elle était toujours, en toute saison, « de crainte des courants d’air », disait-elle, enveloppée de petits châles tricotés qu’elle semait de tous côtés : « Comme le petit Poucet qui semait ses cailloux blancs, disait encore M. le curé, on la pourrait ainsi suivre à la trace. » Et il riait en se bourrant le nez de


Elle alla vivement au-devant de lui.

tabac, signe, chez lui, d’un grand contentement.

Gina, moins rouge, était plus calme, Mlle Herminie ayant eu l’heureuse inspiration de lui mettre, sur le front, des compresses d’eau froide qu’elle renouvelait toutes les cinq minutes.

La glace, que le docteur appliqua quelques instants après le retour de Jacques, amena également une détente.

La journée fut meilleure que n’avait été la nuit. Malheureusement, vers le soir, le docteur Esculape constata, au moyen du thermomètre, que la fièvre remontait. Il en fit part à Mlle Herminie.

Mlle Herminie.

M. le curé doit venir me remplacer pendant que je vais aller dîner, mais, ensuite, je reviens m’installer auprès de ma petite malade et je ne la quitterai pas de la nuit.

Jacques voulait à toute force veiller, mais, malgré ses efforts, après sa nuit blanche précédente, il s’endormit sur une chaise, si profondément qu’il ne sentit même pas qu’on le transportait doucement dans son lit où il ne fit qu’un somme jusqu’au matin.

Au milieu de la nuit, M. de Brides arriva affolé. Mlle Herminie s’efforça de le calmer ; et, dès l’aube, la garde demandée à Paris débarquait du chemin de fer. Dans la journée, le docteur décida avec elle qu’une opération devenait imminente, la maladie nommée « appendicite » s’était déclarée avec un caractère de gravité tout à fait exceptionnel qui mettait en danger les jours de la pauvre enfant.

M. de Brides appela aussitôt le grand chirurgien par téléphone.

Il avait télégraphié à Mme de Hautmanoir la maladie de Gina, dès la nuit précédente, et la vieille dame, malgré son âge et la grande distance, était accourue tout d’une traite auprès du lit de sa petite-fille.

Il eût été difficile de peindre les angoisses de toute cette famille réunie, sachant la pauvre chérie entre la vie et la mort. Heureusement M. le curé était là, exhortant tout le monde à la confiance en la Providence, relevant l’énergie et le courage de chacun, tandis que son excellente sœur s’était arrangée avec la garde, pour partager, avec elle, les soins à donner à la petite malade.

Il fut décidé que l’opération aurait lieu le lendemain matin.

M. Le Curé.

Je dirai la messe à ce moment-là. Jacques me la servira. Nous demanderons tous ensemble, à Dieu, qu’Il nous conserve notre chère Gina.


Jacques se hâta d’accepter. Il aimait bien à servir la messe, quoiqu’il s’embrouillât toujours au suscipiat, mais il s’appliquerait, cette fois, et ferait de son mieux.

Le lendemain fut une journée cruelle entre toutes. Le célèbre chirurgien avait fait l’opération et déclaré qu’elle était « aussi réussie que possible ». Il donna grand espoir, sans pourtant dissimuler que « certaines complications peuvent parfois survenir à l’improviste. »

Les jours qui suivirent se traînèrent longs et pénibles. M. de Brides était toujours dans une agitation qui faisait peine à voir, tandis que Mme de Hautmanoir, sombre et préoccupée, renfermait en elle toute son anxiété. Le pauvre petit Jacques allait de l’un à l’autre, continuant à prendre sur lui et s’oubliant pour ne songer qu’à eux.

Enfin vint le jour bienheureux où le docteur Esculape les tranquillisa.

Le Docteur.

J’entrevois à bref délai la convalescence, mais de grands soins sont encore nécessaires.


Cependant, on permit au père, à la grand’mère et à Jacques, de courtes stations dans la chambre de la petite fille, ce qui, jusqu’alors, leur avait été impitoyablement refusé, d’après les ordres des médecins : « Les parents, disaient-ils, n’ont ordinairement pas assez de sang-froid pour soigner leurs enfants dans les cas très graves. »

Pauvre petite Gina ! elle était bien changée, toute amaigrie, toute pâlie sur ses oreillers, mais un sourire de contentement éclaira sa petite figure en voyant sa famille entrer dans sa chambre.

À partir de ce moment, chaque journée amena un progrès dans la convalescence de Gina. Ce fut autant de joies dans la maison. Quel bonheur de pouvoir enfin planter là les tisanes ainsi que le lait coupé d’eau minérale, et de goûter enfin à une panade cuisinée avec amour par Suzanne ! Et le premier œuf à la coque ! et enfin le premier blanc de poulet !!!

Ce jour-là tombait précisément le jour anniversaire de la naissance de Gina, elle atteignait ses huit ans. Jacques décida qu’on illuminerait, pour la circonstance.

Le soir venu, sur la table, près du lit de la petite malade, au moment de son dîner, Jacques apporta un bouquet qu’il entoura de petites bougies roses, longues comme le doigt. Il y en avait huit, juste le nombre des années de Gina.


Mlle Solange n’avait pas non plus négligé sa petite voisine, pendant tout le temps de la maladie. Chaque jour, elle venait à Brides pour prendre des nouvelles, accompagnée de son père ou de sa gouvernante, tantôt à pied, tantôt dans sa petite voiture, conduisant elle-même son poney avec une rare habileté.

Elle partagea de tout son cœur les angoisses de la famille et éprouva une joie bien sincère quand elle sut la pauvre petite enfin hors de danger.

Elle eut la bonne idée de lui envoyer un bocal avec deux poissons rouges, et la petite malade, qui ne pouvait alors ni bouger, ni parler, prenait quelque distraction à suivre leurs évolutions. Tantôt, ils paraissaient démesurément grossis par le verre en passant devant elle, et ils diminuaient, diminuaient, devenaient tout petits en s’éloignant. Jacques les baptisa Tic et Toc.

Une autre fois, ce fut un oiseau, un joli petit oiseau des îles, dans une cage dorée, qu’elle apporta.

Gina, qui allait mieux, battit des mains, enchantée : « On l’appellera M. Fifi », dit-elle.

Le premier « lever » fut un jour mémorable entre tous. Jacques eut la permission d’entrer aussitôt que sa petite sœur, vêtue d une jolie robe de chambre de molleton bleu ciel, toute neuve, eut été portée sur la chaise longue, devant la fenêtre.

Jacques, rayonnant.

Veux-tu, Gina, que je te raconte une histoire ?

On lui avait recommandé de ne jouer à rien de ce qui pourrait fatiguer sa sœur.

Gina.

Oui, oui, Jacques, tu serais bien gentil, car moi, vois-tu, je n’ai plus la force de parler. Je t’écouterai avec plaisir et cela m’amusera beaucoup.

Jacques commença donc.