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Une seconde mère/11

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 117-128).


Le docteur Esculape fut satisfait de l’état de sa petite malade.

XI

Les négociations de M. le Curé.

Le lendemain matin, le docteur Esculape fut très satisfait de l’état de sa petite malade.

Le Docteur.

Pas l’ombre de fièvre, la mine est bonne, l’appétit revient, tout va bien. Il serait à souhaiter que, lorsque nous aurons repris encore un peu de forces, nous changions d’air complètement, non pas certes que Brides soit malsain, tant s’en faut, mais cela est excellent pour accélérer et compléter les convalescences.

M. de Brides.

Et que conseilleriez-vous, Docteur ? Le Midi, peut-être ?

Le Docteur.

Oh ! non, je n’en vois pas la nécessité. J’aimerais bien, par exemple, un endroit qui, sans être au bord de la mer, ce qui serait trop excitant, ne s’en trouverait cependant pas trop éloigné, pour que l’air restât chargé d’exhalaisons salines. Voilà ce qui fortifierait notre enfant et la remettrait vite d’aplomb.

Mme de Hautmanoir.

La Saulaie, ma propriété, remplit précisément toutes ces conditions ; j’habite, vous ne l’ignorez pas, sur les contins de la Normandie et de la Bretagne, dans les parages du Mont Saint-Michel et je suis pourtant à trois bonnes lieues de la côte.

Le Docteur.

Parfait, Madame la Baronne, emmenez votre petite-fille dans quelques jours, rien ne lui sera plus salutaire.

Mme de Hautmanoir, à son gendre.

Qu’en dites-vous, Gérard ?

M. de Brides.

Puisque vous êtes assez bonne pour le proposer, ma mère, je ne puis qu’accepter avec reconnaissance, quoiqu’il m’en coûte de voir partir Gina, mais sa santé avant tout.

Mme de Hautmanoir.

Vous viendrez la voir autant que vous le voudrez, mon ami ; je puis dire, je pense : vous viendrez les voir, car j’espère que vous me laisserez aussi emmener Jacques.

M. de Brides prit la main de sa belle-mère et la baisa affectueusement, en signe d’assentiment.

Jacques et Gina, un moment inquiets d’une séparation possible, échangèrent alors un regard de satisfaction.

Dans la journée, Mme de Hautmanoir alla mettre son chapeau, son manteau, et, munie d’une grosse canne de bambou qu’elle ne quittait guère et qui l’aidait à marcher, se dirigea vers le presbytère.

M. le curé était en train d’ensemencer un petit champ qui tenait à son jardin.

« Bonjour, monsieur le curé », dit Mme de Hautmanoir, en poussant la grille d’entrée.

M. le Curé, sursautant.

Ah ! mon Dieu ! madame la baronne !… Je suis confus d’être surpris par vous dans cette tenue. Permettez au moins que j’enlève mon tablier de travail, que je me donne un coup de brosse et je suis à vous à l’instant. En attendant, prenez donc la peine d’entrer au salon.


Mme de Hautmanoir pénétra dans la pièce nue et pauvre que le curé baptisait du nom de « salon » et dans laquelle de simples chaises de paille étaient rangées le long du mur. En vain les châtelains de Brides avaient-ils essayé plusieurs fois de meubler le presbytère, le curé et sa sœur ne gardaient rien pour eux et distribuaient tout aux pauvres : c’était toujours à recommencer. Le dernier fauteuil venait de partir, la veille, pour la chaumière d’un vieillard paralytique. Mme de Hautmanoir en était découragée, à la fin.

Six semaines auparavant, Mgr l’évêque était venu, en tournée de confirmation. M. le curé voulut lui offrir une petite collation. « Quelques


« Bonjour, monsieur le curé », dit Mme de Hautmanoir.

biscuits, Monseigneur, avec un petit verre de Malaga ? On m’en a fait cadeau d’une bouteille, à l’occasion d’un baptême.
Monseigneur.

Mais, mon cher curé, ce ne sera pas de refus, avant de repartir.


M. le curé disparut un instant et revint bientôt, désolé. « Ah ! Monseigneur, je suis cambriolé ! »

Monseigneur, sautant sur sa chaise.

Cambriolé, dites-vous ? Mais c’est épouvantable !

M. le Curé.

Et ce qu’il y a de mieux, Monseigneur, c’est que je connais mon voleur.

Monseigneur.

Mais alors, il faut prévenir les gendarmes, le faire arrêter, le faire mettre en prison…

M. le Curé.

Eh ! Monseigneur, le pourrais-je ?… c’est ma sœur ! (Feignant une grande colère) : elle m’a dérobé mon malaga, mon unique bouteille, pour le donner à la voisine qui relève de maladie !

L’évêque rit de bon cœur.

« Ah ! en ce cas, vous êtes quittes. Elle vous a pris votre malaga, mais, vous, ne lui avez-vous pas soustrait un châle dernièrement ? son plus beau, celui des dimanches, afin de le donner à la femme du sacristain pour envelopper son nouveau-né ? » (Levant les bras au ciel) : « Ah ! Seigneur, je vous en conjure, envoyez-moi beaucoup de vauriens de ce genre dans mon diocèse. »


Mme de Hautmanoir pensait à toutes ces choses, lorsque M. le curé entra.

Mme de Hautmanoir.

Ah ! mon cher Curé, je viens vous trouver pour vous appeler à notre secours : je suis bien ennuyée.

M. le Curé

Mon Dieu, madame la baronne, votre petite Gina serait-elle retombée malade ?

Mme de Hautmanoir, vivement.

Non, non, grâce au ciel, il ne s’agit pas précisément de sa santé, mais bien d’elle, cependant, ainsi que de son frère.

Mme de Hautmanoir raconta alors au curé qu’elle allait emmener les enfants prochainement à la Saulaie, elle pourrait ainsi les surveiller elle-même et les soigner.

Mme de Hautmanoir.

Mais ce ne sera que pour un temps, naturellement ; mon gendre, qui adore ses enfants, ne pourra pas me les laisser indéfiniment, ceux-ci reviendront à Brides où cette vie échevelée d’autrefois recommencera. Gina a failli mourir victime de son imprudence. Qui sait si nous n’aurons pas un jour quelque malheur irréparable à déplorer, soit pour elle, soit pour Jacques !…

M. le Curé, levant les yeux au ciel.

Hélas !…

Mme de Hautmanoir.

Lison, auprès d’eux, ou rien, c’est la même chose. Cette malheureuse, vous le savez, avait failli devenir folle à la suite de la scène, bien méritée certes, que lui avait faite le docteur Esculape. Mais, le croiriez-vous ? cette petite friponne de Gina a profité du jour anniversaire de sa naissance pour demander la grâce de sa bonne. Son père disait « non », ne voulait pas garder Lison, Gina devenait rouge et s’excitait. Elle le prit alors par le cou et lui glissa dans l’oreille : « Dites oui, mon petit papa, cela me ferait tant de plaisir, faites-le pour mes huit ans. »

Comment voulez-vous qu’on résiste à cela ? Son père ne l’a pas pu et Lison est restée.

M. le Curé.

En faisant de grandes promesses, comme d’habitude ?

Mme de Hautmanoir.

Naturellement. Nous en sommes donc toujours au même point, depuis notre dernière conversation au sujet de la charmante Solange. Et vous ! où en êtes-vous de vos négociations ?

M. le Curé.

J’ai parlé d’abord à M. de Brides qui, dès les premiers mots, a paru peu disposé à se remarier, à cause du souvenir qu’il a gardé de sa femme si tendrement aimée. À cause aussi de ses enfants qu’il craignait de voir malheureux.

Mais, au nom de Mlle Solange, j’ai vu que ses dispositions se modifiaient. Il se tut et réfléchit un moment. Lorsque je l’interrogeai de nouveau, il murmura à voix basse, avec émotion… : « Ah ! Mlle Solange voudrait-elle de moi ? — C’est un point à éclaircir, répondis-je, m’y autorisez-vous ? » De la tête il fit « oui », trop impressionné pour pouvoir parler.

Mme de Hautmanoir, vivement.

Et Solange ?

M. le Curé, finement.

Vous êtes bien pressée, madame la baronne ! Il me fallut, avant tout, m’en expliquer avec ses parents. « Solange, me déclarèrent-ils, est si raisonnable que nous la laissons absolument libre de disposer de sa main. »

En conséquence, nous eûmes, Mlle Solange et moi, une conversation des plus sérieuses.

Elle m’avoua, avec une grande franchise, que M. de Brides ne lui déplaisait pas, au contraire : il lui était même sympathique. Elle trouve les enfants charmants. « Mais, ajouta-t-elle, serai-je capable de les élever comme je dois le faire ? Ils sont grands, déjà ! M’aimeront-ils ? Car je voudrais être, pour eux, non une belle-mère, mais une vraie maman. Est-ce possible ? Voilà ce que je me demande ? »

Mme de Hautmanoir.

Quelle belle et noble nature !

M. le Curé.

« La question est grave, monsieur le curé, me dit-elle en finissant, tellement grave que j’y dois réfléchir longuement.

« Nous passerons, comme toujours, mes parents et moi, une partie de l’hiver dans le Midi, je prierai Dieu de m’éclairer pendant ce temps-là et je vous rendrai réponse dans quelques mois. » Ah ! madame la baronne, ne vous l’avais-je pas dit que Mlle Solange était une créature exceptionnelle ? un cœur d’or ! un vrai cœur d’or !