Une vieille maîtresse/Partie 2/1

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Alphonse Lemerre (tome 2p. 1-16).


DEUXIÈME PARTIE




I

LA COMTESSE D’ARTELLES
AU VICOMTE DE PROSNY


Carteret… Octobre 183…


Comment ! cher vicomte, quatre mois passés sans m’écrire ! Je serai donc obligée de vous prévenir ? Certes ! je suis restée assez longtemps dans la majestueuse dignité du silence, attendant votre hommage qui n’est pas venu. Mais cette dignité m’ennuie, à la fin, et d’ailleurs, à nos âges, les avances ne compromettent plus. Rengorgez-vous donc, car en voici une très positive que je vous fais. Pourquoi ne m’écrivez-vous pas ? Me croyez-vous donc si occupée à contempler les huit béatitudes de la lune de miel de notre chère Hermangarde, que je n’aie plus d’attention et d’intérêt à vous donner ? La marquise de Flers vous a fait ainsi qu’à moi la politesse de vous inviter à sa campagne. Vous avez refusé, Dieu sait pourquoi ! mais du moins vous m’aviez promis de m’écrire, et cependant depuis que je suis ici je n’ai reçu nulle nouvelle de vous. Autrefois (ce mot que nous disons si souvent maintenant !), autrefois, vous étiez plus exact et plus empressé, vicomte. Il me semble que sans beaucoup fureter, je pourrais trouver dans un coin de mon petit secrétaire de Sainte-Lucie deux paquets noués d’une faveur rose, dont toutes les lettres mirent moins de temps à m’arriver qu’une seule que j’attends encore aujourd’hui. Je sais bien que nous n’avons pas tout à fait les mêmes choses à nous dire qu’alors. Le temps, en passant sur nous deux, a pris soin de vous ménager des excuses et de justifier votre paresse. S’il n’a pas mis l’oubli dans votre cœur, il a étendu la goutte sur vos doigts. Seulement, monsieur, a-t-il respecté les miens davantage ? Cette coquine de Sophie Arnould, qui, dans toute sa vie, n’a jamais connu d’honnête femme, disait que cette vilaine goutte, qui empêche de garder ses bagues, était la croix de Saint-Louis… de je ne sais plus quoi. Cette croix-là, vous l’avez probablement bien gagnée, monsieur de Prosny, mais moi, qui n’ai pas, Dieu merci ! vécu comme vous, mon cher vicomte, je la porte aussi sur l’épaule, comme les chanoinesses portent la leur. Au moment même où je vous écris, l’épaule n’est pas seule agressée. Ces mains que vous avez trouvées jolies, sont ornées d’une petite enflure qui est fort loin de les embellir. Cependant, je n’emmitoufle pas mes sentiments dans mes petites souffrances et je vous griffonne mes bonjours du fond de mes mitaines pour vous prouver, une fois de plus, que nous autres femmes nous valons mieux que vous autres hommes, aussi bien en amitié qu’en amour.

« Encore si c’est là ce qui vous empêche de m’écrire ! Mais peut-être êtes-vous, dans votre silence, bien moins intéressant que je ne le crois. Je vous rêve souffrant et je m’inquiète, et peut-être vous portez-vous comme un charme, la main agile (cette main qui n’écrit pas !), la jambe leste, courant partout, dînant en ville, jouant au tric-trac jusqu’à minuit et ne pensant guères à votre vieille amie, si ce n’est le soir, par hasard, en rentrant chez vous et en piquant votre épinglette sur la pelote que je vous ai brodée : inutile et muet souvenir ! Oui ! peut-être vous serez-vous consolé peu à peu de mon absence. Les premiers jours auront été durs. Je vous aurai beaucoup manqué, sans nul doute, moi chez qui vous veniez assez habituellement tous les soirs. Mais vous vous en serez allé chez la douairière de Vandœuvre (ma rivale d’un autre âge), et vous aurez fini par trouver ses bergères aussi moelleuses que mon grand fauteuil à la Voltaire, et ses commérages aussi amusants que les miens. Voilà la vie ! On n’oublie pas, mais on remplace. Vous voyez que le scepticisme, cet enfant posthume de l’expérience, est là tout prêt à me corriger de mes illusions, si je m’en faisais, même sur vous. Ne vous récriez pas ! ne vous révoltez pas ! je ne récrimine pas. Je peux absoudre un ami comme vous de ses petits torts et de ses petits défauts, et l’aimer encore par-dessus le marché. Cela n’enlève rien, je vous assure, à l’affection que je vous conserve. Jeunes, on s’aime, sinon les yeux fermés, au moins aveuglés de flammes ou de larmes. On ne se voit guères comme on est. Mais quand on est vieux, on peut s’aimer les yeux ouverts et même à travers les lunettes qu’on porte pour y voir plus clair. Triste sentiment ! diront les cœurs difficiles, à qui le temps rabattra un jour le caquet, mais en somme le plus méritoire, car lorsqu’on s’aime ainsi, l’égoïsme n’a rien à y prétendre, et c’est qu’il est véritablement impossible de s’empêcher de s’aimer.

Me reconnaissez-vous à ce langage, mon cher vicomte ? Vous le voyez, ces quatre mois passés loin de vous ne m’ont pas changée. Ils n’ont point emporté cette manie que j’ai depuis trente ans de moraliser sur le cœur. Vous souvenez-vous quand vous m’appeliez votre belle métaphysicienne ?… Ah ! mon vieil ami, j’ai pu l’exercer, ma métaphysique, depuis que je suis dans ce pays. Les sentiments d’Hermangarde pour son mari, de M. de Marigny pour Hermangarde, sont un merveilleux thème offert par un hasard bienfaisant à l’observation et à l’analyse. J’assiste, vous en doutez-vous ?… à un de ces spectacles comme on n’en voit pas beaucoup dans la vie : au spectacle de l’amour sanctifié par le mariage, de l’amour légitime et heureux ! J’en jouis profondément comme d’un rayon qui vient réchauffer ma vieillesse avec mélancolie, car il éclaire davantage les indigences de mon passé. À cette lueur si pure et si douce, en présence de ce bonheur si grand, si tranquille, je vois mieux tout ce qui a manqué à ma jeunesse ; mais je le vois sans en souffrir. Le regret, qui fait le fond de la vie de tant de femmes, jette son ombre sur mes pensées, mais il ne fait point naître dans mon âme des sentiments envieux ou amers. Quand mes facultés étaient plus vives, mes soifs de vivre plus exigeantes, je n’aurais pu supporter le spectacle que je vois encore une fois avant de mourir, et qui est si beau, mon pauvre vicomte, que tout ce qu’on nous conte du Paradis ne peut pas être mieux que cela !

« Vous étonnez-vous de ce que je vous mande ? Oui, n’est-ce pas ? Eh ! mon Dieu ! moi aussi, j’ai été étonnée, et même confondue d’étonnement ! J’ai commencé par là. Mais il a bien fallu convenir que ce mariage imprudent était, en définitive, de toutes les témérités la plus heureuse. Il a bien fallu s’humilier et faire réparation à ma vieille amie, la marquise de Flers, laquelle s’est trouvée, par l’événement, avoir mieux que moi et le monde compris M. de Marigny et son amour. Vous vous rappelez de quelles défiances j’étais armée contre cet homme, trop supérieur, s’il était faux, pour n’être pas excessivement dangereux. Je l’envisageais à travers la plus détestable des réputations. Cette hécatombe de femmes sacrifiées dont le monde parlait, la maladie et le chagrin de madame de Mendoze, et surtout cette liaison de dix ans avec cette horreur d’Espagnole que je ne connaissais pas et que vous m’avez montrée à son mariage, tout cela nous faisait conspirer contre la résolution prise par notre amie de donner sa petite-fille à M. de Marigny. Vous vous rappelez si nous y sommes allés de main morte ! si nous n’avons pas tout tenté pour arracher Hermangarde à l’affreux malheur qui la menaçait, du chef têtu de sa grand’mère ! Eh bien, qui l’aurait cru ? Cette tête-là avait raison contre nos deux fortes judiciaires, mon digne ami. Le roué, le don Juan, le Lovelace était sincère et profondément épris. Le Diable, sans être vieux, devenait ermite, mais aux pieds d’une si divine Madone que toutes les voluptés de la vie devaient avoir moins de charmes que cette douce pénitence d’amour. Ah ! vous ne le croirez pas tout de suite. On ne croit guères pareille chose qu’à la dernière extrémité. Mais je l’ai vu, de mes propres yeux vu, ce qui s’appelle vu !… Voilà quatre mois que j’observe ce Marigny, qui m’était si suspect, et sa femme, et vraiment je n’oserais pas dire lequel des deux aime davantage. S’il fallait parier pour l’un ou pour l’autre, je crois, d’honneur, que c’est pour lui que je parierais.

« Et n’allez pas, pour vous expliquer ma palinodie, vous imaginer qu’il m’a séduite aussi, ce grand vainqueur ; qu’il se soit emparé de moi comme il l’avait fait de la marquise avant son mariage, et qu’à force d’amabilités respectueuses, avec le tact prodigieux qu’il a et l’esprit de tout un enfer sous les grâces impérieuses d’un de ces archanges qu’on appelle les Dominations (car il a tout cela à son service, quand il veut réussir), il m’ait aveuglée après m’avoir conquise. Non ! Je n’ai pas l’imagination éternellement jeune de la marquise. J’ai toujours constaté la force d’influence qu’il y avait en M. de Marigny, mais je ne l’ai jamais subie. Je ne me pique que d’être raisonnable, et je me tiens ferme bien longtemps appuyée sur mes préventions, quand j’en ai. Dans ces conditions, et pour une femme qui aima jadis, l’erreur ou l’illusion était-elle possible ? N’est-il pas aisé de distinguer l’amour de ce qui n’est pas l’amour, fût-ce le désir le plus inextinguible, allumé par la plus adorable beauté ? Certes ! Hermangarde est bien belle. Elle peut ressusciter dans la poitrine du libertin le plus prostitué les plus brûlantes palpitations de la jeunesse. Mais ce n’est pas là la vie profonde, sereine, permanente de l’amour heureux et possesseur. Je ne m’y trompe pas. Je suis sûre de ne pas m’y tromper. Ce qu’éprouve Marigny en ce moment est mieux qu’une passagère et grossière ivresse. Je n’ai pas besoin des sourires noyés d’Hermangarde, de cette bonne pâleur que le bonheur étend sur les joues des femmes dont le cœur est plein, de ces rêveries qui penchent son front tout rayonnant des félicités de son âme, pour m’attester qu’elle est admirablement aimée. Je n’ai besoin que de regarder Marigny. Sa voix, son geste, toute sa personne, ce qu’il dit, ce qu’il ne dit pas, respire l’amour et l’exprime avec la plus irrésistible éloquence. Pour toutes les choses de la vie, il étend sous les pieds d’Hermangarde le manteau de velours que Raleigh étendait sous les pieds de sa souveraine, et c’est lui, lui qui est le souverain et le maître depuis quatre mois. Ah ! je ne doutais pas d’Hermangarde ! Elle l’aimait à m’effrayer moi-même. Je ne doutais que de lui, indigne à mes yeux de cette ardeur profonde et contenue qu’il inspirait à cette trop sensible enfant. Mon amour-propre d’observatrice me dit que je n’avais pas tort peut-être, mais le mariage a transfiguré Marigny. Vous ne le reconnaîtriez pas. Ce que je haïssais en lui a disparu : c’était cet orgueil de Tout-puissant qui flambait sur son front, même alors qu’il l’inclinait devant vous ; c’était ce sentiment de familiarité audacieuse qu’il avait avec toutes les femmes et qui perçait jusque sous les formes polies de son respect ; c’était enfin cette attitude d’aventurier qu’il affectait dans le monde, comme si, ne relevant que de lui-même, il aimât à trancher sur le fond des hommes, nés comme lui, qui se réclament de leur naissance et de leurs relations. À présent, avec ses quatre-vingt mille livres de rente que la plus belle fille de France lui a apportées dans la queue de sa robe, ce n’est plus qu’un magnifique gentilhomme, d’un très grand aplomb et de très grandes manières, mais tempérées par l’amabilité d’un sentiment délicieux qui crée au dedans et au dehors de soi une inexprimable harmonie. Quelle magie que celle du bonheur ! Quel velouté il met sur toutes choses ! Et comme l’homme, pour peu qu’il soit de noble origine, s’accomplit quand il aime et qu’il est heureux !

« Inutile de vous dire, mon cher vicomte, le ravissement de la marquise. Elle est aux anges. Sa joie de sentir Hermangarde l’objet de soins qui ressemblent plutôt à un culte qu’à une suite d’attentions passionnées, est doublée par la surprise que j’ai éprouvée en voyant les choses tourner d’une façon si opposée à mes prévisions et à mes craintes. Elle triomphe deux fois. Quoiqu’elle ait toujours été plus heureuse que moi, et que ce pauvre marquis de Flers l’ait aimée avec un dévouement et une adoration sans bornes, elle avoue pourtant que le bonheur de sa fille est plus grand que le sien n’a jamais été. « J’étais — dit-elle avec une distinction fort juste — l’idole de M. de Flers, et c’était tout ou à peu près ; mais ma petite-fille et Marigny sont leur idole à l’un et à l’autre. En fait de jouissances, c’est la moitié de plus que moi. » Elle a raison. Assurément, M. de Marigny ne rappelle guères cette grasseyante miniature de marquis de Flers, que vous avez connu, lequel disait si joliment : mon cœur ! à sa femme, et qui portait de la poudre de la couleur des cheveux de la Reine. Le mari d’Hermangarde n’a rien de cette fraîche et tendre élégance de pastel. Sa grâce, à lui, est le souple mouvement de sa force. Il a quelque chose de si mâle, de si léonin, diraient les écrivains de ce temps-ci, dans l’esprit et dans la physionomie, que l’amour qu’il inspire doit être de l’émotion en permanence, et celui qu’il ressent, la plus enivrante attestation qu’on est bien puissante, puisqu’on a pu le subjuguer. Cela est divin, cela. De tels sentiments, de telles sensations ont été inconnus à la marquise, qui menait son mari avec les genoux — comme les bons écuyers mènent leurs bêtes — et une facilité si grande, que pour la gloire de son empire elle mettait beaucoup d’habileté à le cacher. Elle n’avait pas, il est vrai, les exigences d’imagination d’Hermangarde, — cette idéale Malvina à qui tous les Flers de la terre, avec leurs figures d’Adonis et leur ton musqué, n’auraient jamais arraché un regard seulement de profil, — mais elle est restée assez femme pour reconnaître que l’amour d’une femme pour un homme doit être mêlé de beaucoup de respect et d’un peu de crainte, comme l’amour de Dieu,

« Elle et moi, mon cher vicomte, savez-vous à quoi nous passons notre temps à Carteret ? À supputer sur nos dix doigts tous les motifs qu’a cette chère Hermangarde d’être la plus heureuse des épousées. Chaque jour nous en découvrons de nouveaux, c’est ceci ou cela que nous ajoutons à la somme de tous ses bonheurs. Jamais dévotes n’ont tourné dans leurs doigts les grains bénits de leurs rosaires plus que nous ne roulons et ne déroulons ce long chapelet de jouissances qui compose la vie de notre belle et charmante enfant. Nous voyez-vous bien, d’où vous êtes, recueillies dans cette fervente et perpétuelle occupation ? Le théâtre de ce pieux exercice est un grand diable de château que je n’aimerais pas, si on ne s’y aimait pas tant… De toutes les propriétés de la marquise, c’est la seule que je ne connaissais pas. Ce château, d’un aspect sévère, est bâti sur le bord de la mer, au pied d’une falaise qui le domine. La mer est si proche, qu’à certaines époques de l’année elle vient battre le mur de la grande cour, construit en talus pour mieux résister à l’effort des vagues. Des fenêtres de la chambre où je vous écris, je vois une longue étendue de grèves assez monotone, et qui ne charme pas beaucoup des yeux usés et fatigués comme les miens. Tout d’abord, vous ne discernerez pas mieux que moi, mon cher vicomte, ce qui a décidé la marquise à choisir sa terre de Carteret pour y venir passer les premiers mois du mariage de sa petite-fille, de préférence à son beau et très commode château de Flers, situé aussi en Normandie ?… Eh bien, la raison de ce choix est la curiosité d’Hermangarde, qui ne connaissait pas la mer et dont la jeune tête est autrement conformée que la nôtre, car elle raffole de cet endroit qu’elle trouve superbe et ravissant. La marquise et moi, nous avons donc sacrifié nos rhumatismes et nos goûts à ce désir de notre fille, et nous avons bravement exposée l’air salé de ces rivages nos délicatesses de grandes dames élevées par un siècle qui se souciait assez peu des beautés de la nature, quoiqu’il en parlât beaucoup. Hermangarde, qui n’a point passé sa jeunesse au fond des boîtes, doublées de satin, où nous avons passé la nôtre sans descendre jamais des talons rouges sur lesquels on nous faisait percher ; Hermangarde préfère à Paris les côtes de la Manche. Extasiez-vous de cette fantaisie, mon cher contemporain ! Elle y veut rester tout l’hiver. Elle nous a, l’autre jour, déclaré cette résolution d’une âme enchantée, qui n’a pas encore apaisé son besoin d’intimité et de solitude. En l’entendant, nous avons frissonné, sa grand’mère et moi, par anticipation et par sympathie, car le froid est terrible dans ce château inhabité depuis longtemps et dont les murailles sont verdies par l’humide souffle qui vient de la mer. M. de Marigny exprima le même vœu que sa femme. Il tient extrêmement à ne pas rentrer de sitôt à Paris où il pourrait rencontrer de nouveau cette Malagaise avec laquelle il a vécu si scandaleusement pendant dix ans. La marquise, fort renseignée sur son histoire, est très touchée de cette précaution qu’il prend contre lui-même et contre d’anciens souvenirs. Mais moi, qui ai vu l’espèce de femme dont il s’agit et qui, à dater du moment où je l’ai aperçue, n’ai pu croire un mot des Mille et une Nuits que vous m’avez contées sur elle, j’estime la précaution de Marigny parfaitement inutile, et son mérite à peu près nul.

« Ainsi, tenez-vous-le pour dit, mon cher vicomte : ils passeront probablement l’hiver ici, puisqu’ils le désirent. Ils sont jeunes, ils sont forts, ils se portent bien, ils s’adorent, ils veulent être seuls. C’est au mieux. Mais il est convenu que les deux douairières retourneront à Paris. Nous les laisserons aux bras l’un de l’autre, et nous causerons d’eux avec vous, cet hiver, dans le boudoir rose et gris de la rue de Varennes. Nous n’avons pas envie de nous priver encore de la vue d’une félicité conjugale qui fait la nôtre, en mourant mal à propos d’une goutte rentrée ou d’un catarrhe. À nos âges, le froid est mortel. Il faut beaucoup d’ouate aux choses fragiles. Le froid nous chassera d’ici comme les hirondelles, seul rapport que des vieilles comme nous aient avec les oiseaux du printemps ! Nous filerons aux premières bises. Mais quand sera-ce ? Je n’en sais rien. L’automne n’est pas beaucoup avancé, cette année. C’est la plus belle saison en Normandie. Vous avez certainement le temps de me répondre et de me raconter votre vie de là-bas comme je vous ai raconté la mienne. Que faites-vous ? Que devenez-vous ? Avez-vous revu cette Vellini que je ne crains plus ? Et cette pauvre madame de Mendoze, se console-t-elle enfin ou s’obstine-t-elle à mourir ?… Écrivez, vicomte. Je l’exige. La marquise vous envoie par moi les plus gracieux compliments qu’on puisse adresser à un indifférent comme vous. Moi, toujours indulgente, je vous aime malgré vos forfaits, et je vous enveloppe mille reproches dans mille tendresses : ce qui fait, monsieur, deux mille choses aimables que vous ne méritez pas.

« Y. de Bigorre, comtesse d’Artelles »