Une visite aux grandes usines du pays de Galles/01

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Vue de l’Avon, à Bristol. — Dessin de Durand-Brager.


UNE VISITE AUX GRANDES USINES DU PAYS DE GALLES,


PAR M. L. SIMONIN.


1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I

DE PENZANCE À SWANSEA.

Attraits du pays de Galles. — Bristol. — L’Avon. — Cardiff : Ses charbons et son vieux château. — Maxworth arms. — Les Galloises. — Swansea. — La houille et le minerai de cuivre. — Importance de Swansea.

Après avoir parcouru les mines si intéressantes de cuivre et d’étain du Cornouailles, nous ne voulions pas, mes amis et moi, quitter l’Angleterre sans voir au moins quelques-unes de ses grandes usines. Le pays de Galles était là près de nous, à deux pas pour ainsi dire. En jetant les yeux sur la carte, il nous semblait que Hayle et Saint-Yves, deux des villes que nous venions de visiter, appartenaient presque au canal de Bristol, dont elles paraissaient continuer la rive méridionale. Sur la rive opposée, Newport, Cardiff, Swansea, centres industriels à des titres divers : Newport et Cardiff pour le commerce et l’exporta1ion des charbons, Swansea pour le traitement des minerais de cuivre, nous invitaient à de nouvelles excursions ; Swansea surtout dont les vastes usines, sans cesse en activité, fondent non-seulement les minerais du Cornouailles et du Devonshire, mais encore ceux du monde entier. L’île de Cuba, le Chili, l’Australie, l’Afrique, aussi bien que l’Italie et l’Espagne, envoient vers ces usines sans rivales leur métal et leur minerai.

Dans l’intérieur du pays, Merhiyr Tydvil et ses grandes usines à fer, Pontypool et ses riches mines de houille nous attiraient également.

Enfin, non moins que le Cornouailles, le pays de Galles est curieux à visiter pour ses mœurs, pour sa langue propre qu’il n’a point encore perdue, en un mot pour ce cachet particulier qui semble attaché aux hommes et à la contrée, et qui explique la longue résistance que les Gallois ont faite à l’unification anglo-normande.

Devant tant d’attractions (pour employer le terme à la mode chez nos voisins), notre projet fut aussitôt exécuté que conçu, et nous quittâmes un matin Penzance en route pour Bristol.

Nous revîmes Plymouth, Exeter, et de là, prenant au nord-est par Taunton, nous arrivâmes à Bristol, en chemin de fer bien entendu, les coaches et les stages, ou en français les diligences, étant passés à l’état légendaire dans tout le Royaume-Uni.

Bristol ne nous retint que quelques heures. C’est cependant un des quatre ports les plus importants de la Grande-Bretagne, car il partage avec Londres, Liverpool et Glascow, la gloire de recevoir dans ses eaux tous les produits de l’univers. Mais nous n’étions pas venus en Angleterre à la seule fin de voir des docks, des bourses, des établissements de douane, non plus que pour nous promener à travers des rues noires, sombres, mal pavées, comme le sont la plupart de celles de Bristol. Nous traversâmes donc au pas accéléré cette ville commerçante. inscrivant à la hâte sur notre carnet de voyage, à la façon anglaise, que Bristol renferme cent cinquante mille habitants, qu’elle a une cathédrale gothique datant du douzième siècle, qu’elle fabrique les meilleures épingles et les meilleures aiguilles qu’on puisse trouver dans les trois royaumes, enfin qu’elle a vu naître entre autres illustrations les deux braves marins Jean et Sébastien Cabot, et le malheureux poëte Chatterton, célébré par M. de Vigny, nous fîmes de nouveau nos préparatifs de départ. Les gens du White Lion Hotel ou de l’hôtel du Lion-Blanc, chez qui nous étions descendus (il y a partout des hôtels du Lion-Blanc, excepté au désert), affligés de nous voir partir si vite, chargèrent le plus mal qu’ils purent nos bagages sur l’omnibus, le Bus, comme on dit à Bristol, et nous conduisirent du pas le plus lent de leurs deux solipèdes sur les bords de l’Avon. J’ai mis solipèdes par amour de l’histoire naturelle ; car pourquoi les Zoologistes appellent ils ainsi les chevaux qui ont cependant quatre pieds ? Est-ce par opposition à bipèdes, cette classe illustre dont l’homme et les oiseaux font partie ?

Un steamer, ancré sur les bords de l’Avon, chauffait pour Cardiff à toute vapeur. Nous n’eûmes que le temps de sauter à bord, sauf à payer après notre ticket, que le matelot de service nous réclamait impérieusement. Your tickets ! gentlemen, your tickets ! « vos billets, messieurs les gentilshommes, nous criait-il, vos billets ! » et nous de répondre : Be quite, Be quite, « patience, patience, » on ne peut donner que ce qu’on a.

Cependant le capitaine n’attendait plus qu’une chose, que nous ayons régularisé notre position pour donner le signal du départ. Quand le purser ou commis du bord nous eut délivré ces bienheureux tickets pour lesquels nous étions pourchassés, le cri sacramentel : Study ! « attention à la barre, » retentit. Le timonier prit la roue du cabestan, les yeux fixés sur son chef, qui, de cet air solennel particulier aux capitaines anglais quand ils commandent la manœuvre, étendait la main tantôt vers babord, tantôt vers tribord. Nous primes le fil de l’eau et descendîmes rapidement l’Avon, poussés par la vapeur et par la chute de la rivière. Il ne faut pas confondre ce cours d’eau avec son homonyme, également tributaire de la Severn et au nom plus connu, que Shakspeare, le cygne de l’Avon, a rendu si populaire[1].

En descendant l’Avon de Bristol, au mouvement saccadé de l’hélice (la vis du steamer, the screw, ainsi que la nomment les Anglais), je prenais plaisir à regarder les rives du fleuve qui semblaient fuir devant nous. Elles étaient couvertes d’arbres et d’un frais tapis de verdure. Le magnifique faubourg de Clifton, où réside la classe riche de Bristol, profilait sur la rive droite du fleuve les façades blanches de ses maisons et de ses villas. Les deux piles d’un pont suspendu, restées seules debout (le tablier et les chaînes ayant entièrement disparu dans un ouragan), ajoutaient un nouveau charme à ce riant paysage plein de verdure et d’eau ; c’était comme une ruine venant embellir le pittoresque tableau que nous avions sous les yeux.

Nous descendîmes ainsi, saluant le long du chemin des cottages, des parcs et de vertes prairies, jusqu’à l’embouchure du fleuve, au point où il communique avec la Severn, qui, élargie considérablement en cet endroit, marie déjà ses eaux à celles du canal de Bristol, ou si l’on veut, de l’Océan.

Un phare fort élégamment bâti sur un écueil marque le point où les eaux de l’Avon arrivent dans la Severn, et annonce ainsi au navigateur et la roche à éviter et l’embouchure de la rivière.

De ce point nous mîmes le cap sur Cardiff, prenant la Severn par son plus grand travers. Un vent froid venant de la haute mer se fit tout à coup sentir ; les vagues s’élevaient à une grande hauteur, et le navire roulait fortement, décrivant des oscillations de la plus large amplitude.

Quelques passagers payèrent leur tribut à Neptune ni plus ni moins qu’en pleine mer, prouvant une fois de plus que les voyages les plus pénibles ne sont pas toujours les plus longs, et qu’on peut avoir le mal de mer sans sillonner précisément l’onde amère, comme aurait dit l’abbé Delille.

j’arrivai à Cardiff, heureux de toucher au port. Il était temps ; car moi aussi j’allais, suivant l’exemple de beaucoup de passagers mes voisins, compter, comme on dit, mes chemises. Si je ne m’agenouillai pas en descendant sur le rivage, comme jadis Christophe Colomb la première fois qu’il aborda en Amérique, c’est que cet usage est passé de mode ; mais je n’en bénis pas moins la Providence du fond du cœur, et disant volontiers adieu au pont oscillant du navire, je frappai plusieurs fois du pied avec joie l’immobile plancher des vaches.

À peine débarqués, mes amis et moi (le lecteur n’a peut-être pas oublié qu’un de nos artistes peintres et l’un de ses élèves m’accompagnaient) nous voulûmes parcourir Cardiff. Le chemin de fer pour Swansea ne partait que le soir, et nous eûmes le temps de visiter à l’aise la ville des charbonniers, où une portion des houilles du pays de Galles viennent prendre la mer. C’est là qu’on les embarque pour différentes destinations. On en charge près de deux millions de tonnes par an, sans préjudice de trois cent mille tonnes de fer tirées aussi des usines du pays. Ce commerce amène entre autres étrangers bon nombre de Français à Cardiff, négociants ou marins. Sur beaucoup de devantures de boutiques on lit la phrase sacramentelle : Ici l’on parle français ; il y a même un café français à Cardiff. N’est-ce pas la même chose dans tant de nos villes de France, ou l’English spoken here et les English coffee rooms sont de plus en plus de rigueur ?

Les charbons de Cardiff viennent avec ceux de Newcastle dans tous les ports de la Méditerranée et sont bien connus de nos marins. Le Cardiff, houille dure, sèche, brûlant sans flamme mais avec peu de cendres et une très-grande chaleur, et le Newcastle, houille collante, dégageant une flamme longue et brillante, sont de vieilles connaissances pour tous les chauffeurs et tous les mécaniciens de bateaux à vapeur. Longtemps les houilles anglaises ont fait à nos charbons français une terrible concurrence, et la routine s’en mêlant, on leur donnait partout la préférence à bord de nos vapeurs de guerre et de commerce. Heureusement dans ces dernières années le charbon a été déclaré contrebande de guerre. Il n’a pas fallu moins que cette circonstance pour faire ouvrir les yeux au gouvernement français. « Mais nous avons peut-être, s’est-on dit un jour en se ravisant dans nos arsenaux, des charbons comparables à ceux de Cardiff et de Newcastle, » et sur ce, le ministre de la marine a convoqué le ban et l’arrière-ban de ses ingénieurs et de ses officiers. La chose a été pratiquement vérifiée, officiellement reconnue : les charbons produits par nos mines valent ceux d’Angleterre, même à la mer, et aujourd’hui l’on n’emploie plus, pour l’approvisionnement de notre flotte militaire à vapeur, que des charbons indigènes. La marine marchande commence aussi à ouvrir les yeux. Ah ! routine, routine, que d’inepties on commet à te suivre !

Cardiff ou nous venions de débarquer n’est pas seulement connue par le commerce d’exportation du charbon que les mines du pays de Galles versent incessamment sur ses quais ; elle est aussi célèbre par son château fort où mourut après une captivité de trente-six ans Robert, duc de Normandie, fils aîné de Guillaume le Conquérant. Il fut enfermé là par son frère Henry, qui, non content de le retenir prisonnier et de lui ravir ses droits à la couronne, lui fit de plus crever les yeux. C’est ce Robert auquel l’histoire, pour le distinguer de son aïeul, Robert le Diable, a donné le surnom de Courte Heuse ou Courte cuisse, sans doute parce qu’il était boiteux. Les Anglais (qui ne disent pas la cuisse, mais la jambe d’un poulet), ont transformé en celui de Courte botte le sobriquet de Courte cuisse.

Le château de Cardiff fut pris et démantelé par Cromwell. Les ruines qui en subsistent sont imposantes, et ces vieilles tourelles, ces épaisses murailles encore debout nous ramènent en plein moyen âge, au temps des guerres féodales, à l’époque des archers et des chevaliers bardés de fer.

La population de Cardiff est de plus de trente-six mille habitants. C’est le commerce du charbon et du fer qui l’a rendue populeuse et prospère, car en 1800 elle ne renfermait pas plus de mille habitants. Bien des villes d’Angleterre offrent un pareil exemple d’accroissement pour ainsi dire instantané, tant est grande la force d’expansion que possède l’industrie.

Située à l’embouchure de la rivière Taff, Cardiff communique par le moyen d’un canal et d’un chemin de fer avec l’intérieur du pays, surtout avec les grandes forges ou l’on fabrique le fer et les mines d’où l’on tire le charbon.

Le soir même de notre arrivée à Cardiff, nous nous dirigions sur Swansea. Du paysage de la route, de l’aspect que présente la contrée en cet endroit, je ne dirai rien, n’ayant fait ce trajet que de nuit.

Nous descendîmes à Maxworth-arms-hotel, que notre guide Murray, ouvrant une parenthèse discrète, nous indiquait comme supportable (tolerable). C’était peu flatteur, et cependant l’hôtel aux armes de Maxworth venait en première ligne entre toutes les auberges de Swansea jugées dignes d’une mention par le sévère prototype de la plupart des auteurs de guides du voyageur.

Sous le noble toit auquel, pour obéir fidèlement à Murray, nous avions donné la préférence, et où l’écu armorié des Maxworth, écartelé, fascé d’azur et de sinople, se distinguait sur les panneaux des portes et jusque sur les vitres des fenêtres, nous passâmes une bonne nuit. Je la souhaite aussi paisible à tous ceux qui après nous viendront jusqu’à Swansea, quel que soit le but qui les y amène, l’industrie, le commerce, le désir de voir et d’apprendre ou le simple désœuvrement.

Le lendemain, des l’aurore, nous étions sur pied, visitant surtout le marché. C’est là que l’on est toujours sûr de rencontrer les types les plus caractéristiques d’un pays, l’habitant de la campagne ayant moins que celui des villes mêlé son sang au sang étranger. Les femmes du pays de Galles, au chapeau de feutre noir, élevé, roide, rappelant de tout point, sauf une hauteur plus grande encore, celui des hommes, cette affreuse coiffure dont nous ne pouvons parvenir à nous débarrasser depuis que la mode nous l’a imposée vers la fin du dernier siècle, nous apparurent là dans toute l’excentricité de leur costume primitif. Déjà la veille au soir, en approchant de Swansea, nous avions reçu dans notre wagon quelques-unes de ces Galloises dont la figure des frenchmen, nouveaux pour elles, paraît-il, avait singulièrement éveillé et la loquacité et la gaieté communicative. Nous étions devenus pour ces dames et leurs compagnons le sujet de la causerie. Nous le devinions à leurs gestes, à leurs éclats de voix ; mais comme elles parlaient le dialecte du pays, le gallois, auquel, cela va sans dire, nous ne comprenions pas un mot, bien que Gaulois nous-mêmes, nous ne pûmes ni nous défendre ni nous mêler à la conversation. Ces braves femmes étaient du reste pour mes deux compagnons, qui n’avaient jamais vu encore la plus belle moitié de l’espèce humaine ainsi coiffée, ainsi attiffée, un égal sujet d’étonnement, et, sous ce rapport, on peut dire que la surprise était partagée.

Outre le chapeau de feutre élevé qui fait sur leurs têtes un effet si étrange, et qui chez quelques-unes est de forme tronconique comme le chapeau calabrais, ou bien a le bord de derrière relevé à la façon du bonnet de Louis XI, les femmes du pays de Galles portent aussi un mouchoir ou une coiffe qui leur entoure la tête, les oreilles et le cou. Un tablier et un casaquin de bure de couleur rouge, un jupon court de même étoffe complètent ce que leur costume présente de singulier.

Des gens qui veulent trouver une raison à tout ont essayé d’expliquer l’usage du chapeau chez les Galloises par l’humidité d’un climat presque toujours pluvieux ; mais il y a de par le monde des climats aussi humides, aussi pluvieux que celui du pays de Galles, et je ne sache pas que les femmes s’y coiffent de la sorte. Comme le feutre n’est pas connu de tout temps, quoi qu’en dise Aristote en son fameux chapitre des chapeaux, on ne peut non plus faire remonter jusqu’aux Celtes, jusqu’aux anciens Gallois l’usage de cette coiffure. Il ne faut donc voir là qu’un caprice de la mode auquel les femmes de la campagne, comme d’habitude, sont restées le plus longtemps fidèles, et qui passera peut-être comme il est venu, c’est-à-dire sans rime ni raison.

La population de Swansea est d’environ quarante mille habitants. Autrefois c’était une simple station de bains (watering place), où pendant la belle saison Anglais et Anglaises venaient se livrer à ce passe-temps qui leur est si cher, celui de prendre des bains de mer. Aujourd’hui les baigneurs fashionables ont presque disparu, et la ville, grâce aux mines de charbon qui l’entourent et à ses nombreuses et vastes usines à cuivre, est devenue l’une des cités les plus industrielles de l’Angleterre, et par suite du monde. Il y a un siècle, quand les premiers wagons descendus des houillères roulèrent jusque sur les quais de Swansea pour y verser le charbon, le peuple faillit s’ameuter contre les propriétaires de mines, prétendant que le passage rapide des wagons sur les rails, la trépidation qu’ils imprimaient au sol faisait tourner la bière dans les caves. Peu s’en fallût qu’on ne revînt à l’antique portage à dos d’hommes ou tout au moins à dos de chevaux. Aujourd’hui les


L’embouchure de l’Avon. — Dessin de Durand-Brager.


craintes des buveurs de pale ale ont bien disparu, et la susceptibilité a fait place à l’intérêt ; car tout le monde trouve son compte à l’exploitation et au commerce des charbons. D’énormes wagons, descendant des noires houillères, portent leurs produits jusque dans les soutes des bâtiments, et de Swansea comme de Cardiff les charbons s’exportent pour le monde entier. Les poussières, les menus débris du combustible sont eux-mêmes utilisés ; et, mêlés à du brai ou goudron solide, comprimés dans des moules en forme de briques, ils sont chargés sur les navires, et vont, sous le nom de patent fuel, ou charbon breveté, jusque dans l’Amérique du Sud fournir aux bateaux à vapeur l’aliment indispensable à leur marche.

En retour de ses charbons, Swansea importe du cuivre à l’état de minerais plus ou moins riches, de mattes[2] plus ou moins pures. Ces minerais, ces mattes sont traités dans les usines dont je parlerai bientôt. Ainsi sont mises à contribution, comme je l’ai dit, non-seulement les mines indigènes des comtés de Cornouailles et de Devon, mais encore les mines de l’île de Cuba, celles du Chili et de la Bolivie, les mines de l’Australie, celles de l’Afrique, de l’Algérie au cap de Bonne-Espérance, enfin celles de tout le bassin méditerranéen, surtout de l’Espagne et de l’Italie. L’avantage que procure aux fondeurs de Swansea cette immense importation, c’est de pouvoir mêler des qualités diverses, variables de teneur et de composition, ce qui aide singulièrement à la marche du traitement métallurgique. L’avantage pour les mines productrices, c’est de tirer le meilleur parti possible de leurs minerais dans un pays où souvent le combustible n’existe pas, du moins le combustible minéral, et c’est le seul qui soit aujourd’hui à bon marché. Par la méthode en usage à Swansea, méthode bien connue des métallurgistes, et désignée sous le nom de méthode galloise, il faut en effet jusqu’à seize tonnes de houille avec des minerais d’une teneur de dix à douze pour cent (c’est la richesse moyenne en cuivre des minerais traités à Swansea) pour obtenir une tonne de métal. Il est donc plus profitable, on le voit, de porter le minerai au charbon que le charbon au minerai. Dans le Cornouailles, dans le Devon, les mines de cuivre ont, en outre, l’avantage d’échanger leurs produits contre du charbon nécessaire à la marche de leurs machines d’épuisement (voir le voyage aux mines de Cornouailles). Enfin, dans tous les autres pays que j’ai cités, on échange également contre du charbon dont on manque le minerai cuivreux qu’on produit en abondance.

C’est ce commerce du minerai de cuivre et de la houille, joint au traitement métallurgique du minerai lui-même, qui a donné à Swansea l’importance qu’elle a aujourd’hui. Cette importance n’a échappé à aucun des voyageurs que l’étude des mines et de la métallurgie attire chaque année à Swansea. D’illustres ingénieurs, MM. Élie de Beaumont, Perdonnet et Le Play, ont des premiers en France étudié d’une façon très-nette et très-élevée les diverses industries du pays de Galles. « Voyez Swansea, s’écrie à son tour notre excellent maître, M. A. Burat, son nom poétique n’est pour rien dans sa prospérité[3]. Autrefois, sous son premier patronage, elle était inconnue ; aujourd’hui c’est la grande ville des fondeurs. C’est elle qui envoie ses navires doubler le cap Horn pour rapporter les minerais du Chili ; c’est pour elle, c’est pour enrichir ses lords que travaillent les nègres de Cuba et les populations libres de Coquimbo ou de la Paz ; et c’est uniquement à la houille qu’elle doit cette puissance[4].

Le maître a raison. Si la houille n’avait pas existé à Swansea, Swanses n’eût pas importé les minerais de


Le port de Cardiff. — Dessin de Durand-Brager.


cuivre pour les fondre, et ne serait jamais devenue la cité florissante qui existe aujourd’hui ; tandis que, grâce au charbon, ses navires font le tour du globe, traversant le monde sur tout un méridien, pour venir verser au pied des fours des usines galloises les minerais de cuivre en retour de la houille.

La rade, le port, les docks, le canal de Swansea, les environs eux-mêmes de la ville couronnés de collines, et s’étendant autour d’une large baie, sont intéressants à visiter. On se plaît aussi à parcourir la ville, percée de belles rues, égayée par quelques monuments modernes, et entourée, dans les faubourgs, suivant l’usage anglais, de gracieuses maisons de plaisance et de jolis jardins.

Au delà de la baie de Swansea finit le canal de Bristol. Alors s’ouvre sur l’Atlantique la baie de Carmarthen bien plus vaste que sa voisine, puis la rade de Milford, enfonçant au milieu des terres ses dentelures opposées : on dirait les deux bords d’un grand fleuve. C’est la façade des Galles sur l’océan, rivages brumeux et pittoresques, au climat tempéré ; mais n’allons pas trop nous égarer sur ces poétiques plages et revenons vers Swansea où nous attendent les fondeurs de cuivre.

  1. Ce nom d’Avon, que nous retrouverons une fois encore dans l’Afon de Pontypool, vient du gallois avon ou afon, qui veut dire eau.
  2. On donne en métallurgie le nom de matte à tout minerai qui a déjà subi une première fusion.
  3. Swansea, en anglais, la mer du cygne.
  4. A. Burat, Géologie appliquée.