Utilisateur:LeBret/Lune Ed1681

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HISTOIRE

COMIQVE

D E S

ESTAT ET EMPIRE

DELA.,

L V N E

A Lune estoit en- son plein , le Gef estoit découuert, & neus heures dit soir estoient sonnées , lofs que teuenantdeClamard pres Paris, (où Monsieur de Guigy le fils, qui en est Seigneur, nous auoit regalez plusieurs de mes Amis 8c moy, ) les diuerses pensées que nous donna cette borde de safrannous défrayerent sur le chemin : de sorte que les yeux noyez dans cc grand Astre j tantostl'vn le prenoit pour vnc Lucarne du Ciel ; tantost vn autre aslcuroit

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que c'estoit la platine où Diane dresse les raba.s d'Apollon ; vn autre, que ce pouuoit bien estre Je Soleil luy-mesme, qui s'estant au soir dépouillé de ses rayons, regardoit par vn trou et qu'on faiíbitau Monde quand il n'y estait pas; Etmoy, leur dis-ie, qui souhaite meflermes antoúsiasmes aux vostres, iccroy, fans m'âmuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez le Temps pour le faire marcher plusviste, que la Lune est vn Monde comme celuy-cy, à qui le nostre sert de Lune. Quelques- vns de la Compagnie me regalerent d'vn grand éclat de rire. Ainsi peut-estre, leur disje, se moque-t'on maintenant dans la Lune de quelque autre, qui soustient que ce Globecyestvn Monde. Mais i'eus beau leur alleguer que plusieurs grands Hommes auoientesté de cette opinion, ie ne les obligeay qu'à rire de plusbelle.

Cette pensée cependant, dont la hardiestê" biaifoit à mon humeur, affermie par la contradiction , se plongea si profondement chez' moy, que pendant tout Ie reste du chemin ie demeuray gros de mille définitions de Lune, dont ie ne pouuois accoucher : de forte qu'à . force d'appuyer cette croyance burlesque par des raisonnemens presque serieux, il s'en falloit peu queie n'y déferasse des-ja, quand le mira

de ou I'accident, la Prouidcnce, la Fortune, ou peut-estre ce qu'on nommera vision , fiction, chimere,, ou folie sion veut, me fournit J'occasion qui m'engagea à ce discours. Estant arriuéchez-moy, ie montay 'dans mon Cabinet, oíi ie trouuay fur la table vn Liure ouuert que ie n'y auois point mis.-C'estoit ce-' luydeC rdan; &c quoy que ien'eusie pas dessein d'y lire, ietombaydela veuë, comme par force, iustementfur vne Histoire de ce Philosophe, qui dit, questudiant vn soir à la chandelle, il apperceut entrer au trauers des portes fermées,deux grands Vieillards, lesquels apres beaucoup d'interrogations qu'il leur fie, répondirent qu'ils estoient habitansrde la Lune, 8c en mesme temps disparurent. Icidemeuray. fi furpris, tant de voir vn Liure qui s'estoit apporté là tout seul, que du temps Ôc de la feuille où il s'estoit rencontré ouuert >, que ie pris toute cette enehaisnure d'incidens pour vne ' inspiration dé faire eonnoistre aux hommes • que la Lune est vn Mbnde. Quoy,disoy-ieen moy-mesme, apres auoir tout aujourd'huy parlé d'vne chose, vn Liure qui peut estre Ie seul au monde où cette matiere se traitte si particulierement, voler de ma Bibliotheque fur ma table, deuenir capable de raison, pour s'òúuririustemçntàL'endi'oit d'vne nuantureft1

ínerueilleuse ; eníraisner mes yeux deflîis," eomme par force, & fournir en siiite aMna fantaisie les reflexions, & a ma volonté les deflèins que ie fais ? Sans doute, continuois-je , les- deux Vieillards qui apparurent à cc grand Homme, sont ceux-là mesmes qui', ont dérangé mon Liure, & qui í'oht ouuert fiir cette page, pour s'épargner la peine de me faire la harangue qu'ils ont faite à Cardan. Mais, adjoustois-ie, ie ne sçaurois m'éclaircir de ce doute, si ie ne montejusques-Ià ? Et pour-' quoy- non ? me répondoy-jc auífi-tost. Prome'-* tée tut bien autrefois au Ciel y dérober du feu. Suis-je moins hardy que Iuy ? & ay-ïc lieu de n'en pas eíperer vn sirccés auflì fauorable ?

A ces boutades, qu'on nommera peut-estre des accès de fie vre chaude, fucceda l'esperance de faireneuflir vn si beau voyage : de sorte que ie m'enfermay, pour en'venir à boat , dans vne maison de campagne aííèz écartée , où apres auoir flatté mes resueries de quelques moyens proportionnez à mon fujet, voicy comme ie donnay au Ciel,

l'auois attaché tout autour de moy quantité de fiolles pleines de rosée, fur lesquelles Ie Soleil dardoit ses rayons si violemment, que la' chaleur qui les attiroir, comme elle fait les glus groííes nuées, m'éleua si haut, qu'enfin ie hie trouuay au dessus de la moyenne region. Mais comme cette attraction me faisoit monter "^auec trop de rapidité, qu'au lieu de m'approcher de la Lune comme ie pretendois, elle mr-paroissoir plus éloignée qu'à mon parlement, ie cassay plusieurs de mes fioles , iusques à ce que ie sentis que ma pesanteur surmontoit l'attraction , & que ie redescendois vers la terre. Mon opinion ne sut point fauíse : car i'y retofnbay quelque temps apres j & à compter de l'heure que i'en estois party, il deuoit estre minuit. Cependant ie reconnu3 que Ie Soleil estoit alors au plus hautdel'holison , & qu'il estoit là midy. Ie vous laisse & penser combien ie sus estonné : certes ie Ie sus de si bonne sorte, que ne sçachant à quoy attribuer ce miracle, i'eus l'iníolence de m'ir maginer qu'en faueut de ma hardiesse, Dieu1 auoit encore vne fois recloué Ie Soleil aux Cieux , afin d'éclairer vne si genereuse entreprise. Ce qui accrût mon estonnement, ce sut de ne point connoistre le pays oìi i'estois, veu qu'il me fembloit qu'estant monté droit, iedeuois estre descendu au mesmelieu d'oùi'étois party. Equipé pourtant comme i'estois, ie m'acheminay vers vne espece de chaumiere,oùi'apperccusde la sumée ; & i'en estois; à peine à vne portée de pistolet, queiemevi$', ditouré d'vn grand nombre d'hommes toiís' nuds. Ils parurent fort surpris de ma rencontré ; car i'estois le premier, à ce queiepenfe, qu'ils eiiflent iarjnais veu habillé de bouteilles. Et pour renuerser encor toutes les interpretations qu'ils auraient pûdòhher à eet équipa-" ge, ils voyoieníqu'en marchant iehe touchois presque point à la terre : Auífi ne sçauoient-ils pas qu'au moindre bransle que ie donnois à' mon corps, Paideúr dçs rayons de Midy me souleuoi t auec ma rosée; & que sans que mes fioles n'estoient plus enaflez grand nombre, eulTe esté'pjóíïîble à leur veuë ènleué dans les airs. Ieles voulus aborder: Mais comme si la frayeur lés eust changez' en oyseaux, vn mò--" ment les vit perdre dans la Forest prochaine;' l'en attrapay vn toutesois, dont les nmbes fans' doute auoient trahy le cœur. Ie luy demanday auec bien de la peine, ( car i'estois tout estouffé) combien l'on comptoitdelààParis, &depuis quand-en France Ie monde alloit tout nud, St pburqiioy ils me suyoient auectant d'épouuan- * te. Cet homme à qui ie parlois estbit vn Vieillard oliuastre, qui d'abord se ietta à mes genoux i & joignant Iesmainseri haut derriere la teste, ouurit la bouche & ferma les yeux. If marmotta long-temps entre ses dents, mais ie «e discernay point qu'il articulat rien : de façon

IjUc ie pris son langage pour lc gazouillement entoué d'vn muet.