Utilisateur:NadiaLatufa
(farce,XVIIIs…)
Scène I
Jaquinot, seul
Le diable me conseilla bien, Le jour, où ne pensant à rien Je me mêlai de mariage ! Depuis que je suis en ménage, Ce n'est que tempête et souci. Ma femme là, sa mère ici. Comme des démons, me tracassent ; Et moi, pendant qu'elles jacassent, Je n'ai ni repos ni loisir, Pas de bonheur, pas de plaisir ! On me bouscule, et l'on martèle De cent coups ma pauvre cervelle ! Quand ma femme va s'amender, Sa mère commence à gronder. L'une maudit, l'autre tempête ! Jour ouvrier ou jour de fête, Je n'ai pas d'autre passe-temps. Que ces cris de tous les instants. Parbleu ! cette existence est dure ! Voilà trop longtemps qu'elle dure ! Si je m'y mets, j'aurai raison ! Je serai maître en ma maison.
Scène II
Jannette, entrant
Quoi ! vous restez à ne rien faire ! Vous feriez bien mieux de vous taire Et de vous occuper...
De quoi ?
La demande est bonne, ma foi ! De quoi devez-vous avoir cure ? Vous laissez tout à l'aventure ! Qui doit soigner votre maison ?
Sachez que ma fille a raison ! Vous devez l'écouter, pauvre âme ! Il faut obéir à sa femme : C'est le devoir des bons maris. Peut-être on vous verrait surpris Me donner dû bâton ! à moi ? Si, quelque jour, comme réplique, Elle se servait d'une trique ! Et pourtant n'est-ce pas son droit ?
Me donner du bâton ! à moi ! Vous me prenez pour un autre homme.
Et pourquoi non ? veut-elle en somme Autre chose que votre bien ? Vous ne la comprenez en rien ! Ne le dit-on pas ? Qui bien aime, Pour le prouver frappe de même.
Il vaut mieux me le prouver moins ; Je vous fais grâce de ces soins, Entendez-vous, ma bonne dame ?
Il faut faire au gré de sa femme, Jaquinot, ne l'oubliez pas !
En aurez-vous moindre repas, Et sera-ce une peine grande D'obéir quand elle commande ?
Oui ! mais elle commande tant, Que pour qu'elle ait le cœur content, Je ne sais, ma foi, comment faire !
Eh bien, si vous voulez lui plaire, Afin de vous en souvenir, Un registre il faudra tenir, Où vous mettrez à chaque feuille Tous ses ordres, quoi qu'elle veuille !
Pour avoir la paix, j'y consens, Vous êtes femme de bon sens, Maman Jaquette, et, somme toute, Vous pouvez me dicter : j'écoute.
Allez quérir un parchemin. Et de votre plus belle main Vous écrirez, qu'on puisse lire.
un rouleau de parchemin, un encrier et une grande plume d'oie.
Il dispose le tout sur la table, et s'assied sur l'escabeauMe voici prêt. Je vais écrire.
Mettez que vous m'obéirez Toujours, et que toujours ferez Ce que je vous dirai de faire !
Mais non ! mais non ! Dame très chère ! le n'agirai que par raison ! Mettez que vous m'obéirez !
Quoi ! c'est encore même chanson ? Déjà vous voulez contredire !
Mais non ! mais non ! je vais écrire.
Écrivez donc, et taisez-vous !
Parbleu ! je suis un bon époux.
Taisez-vous.
Dût-on vous déplaire, Si je veux, je prétends me taire, Madame, et je me tais. Dictez.
En première clause, mettez Qu'il faut chaque jour, à l'aurore, Vous lever le premier...
Encore !... Qu'ensuite il faut préparer tout, Faire le feu, voir si l'eau bout... Bref, qu'au lever, avec courage, Pour tous les deux ferez l'ouvrage Vous cuirez le premier repas
Oui-dà ! mais je n'y consens pas ! A cet article je m'oppose ! Faire le feu ! pour quelle cause ?
Pour tenir ma chemise au chaud. Entendez-vous bien ! Il le faut.
Puisqu'il faut faire à votre guise. Je ferai chauffer la chemise !
Écrivez donc ! Qu'attendez-vous ?
Vous allez me mettre en courroux ! Vous êtes aussi vif qu'un cancre !
Attendez-donc ! Je n'ai plus d'encre! J'en suis encore au premier mot.
Vous bercerez notre marmot, Lorsque la nuit il se réveille, Et vous attendrez qu'il sommeille, Avant de retourner au lit.
Attendez !... Je rencontre un pli !
Mon Dieu ! Quel maladroit vous êtes !
J'y suis! J'y suis! Etes-vous prêtes?
Il vous faudra...
Dictez vos lois ! Mais ne parlez pas à la fois ! Car je n'y pourrais rien comprendre : Vous ne vous ferez pas entendre, Et je ferai quelque pâté D'encre, pour m'être trop hâté !
Parlez donc, vous êtes ma mère !
C'est ton mari ! je dois me taire !
C'est pour vous obéir, maman.
Si notre marmot, en dormant, Dans la peur de Croquemitaine, Rêve... qu'il est une fontaine... Si sa naïve émotion Provoque une inondation...
Eh bien, pour calmer ses alarmes?
Vous devrez essuyer ses larmes !
Mais s'il ne veut se rendormir? S'il pleure sans vouloir finir?
Vous le prendrez avec tendresse Et lui ferez mainte caresse.
Et sans jamais montrer d'ennui, Le porterez, fût-il minuit ! De-ci, de-Là, faisant risette.
Ma foi 1 votre audace est parfaite ! Quels plaisirs et quels instants doux J'aurai là !
Mais qu'attendez-vous? Dictez vos lois, Mais ne parlez pas à la fois !
Comment voulez-vous que je fasse? Car je n'ai plus du tout de place.
Mettez ! ou vous serez frotté.
Ce sera pour l'autre côté.
Écrivez donc, car il nous reste A vous dicter encore...
Eh ! peste ! Je n'ai pas le temps de souffler !
Il faut la lessive couler.
Préparer pour le four la pâte.
Faire le pain, aller en hâte Relever le linge étendu, S'il pleut.
Avez-vous entendu ?
Pour récurer, chercher du sable...
Et vous démener comme un diable ! Aller, venir, trotter, courir...
Ranger, laver, sécher, fourbir...
Tirer de l'eau pour la cuisine...
Chercher du lard chez la voisine...
De grâce, arrêtez-vous un peu !
Et puis mettre le pot-au-feu.
Laver avec soin la vaisselle.
Aller au grenier par l'échelle.
Mener la mouture au moulin.
Faire le lit de bon matin, Ou sinon, songez à la trique!
Donner à boire à la bourrique.
{acteursJe vois que vous songez à vous.
Puis au jardin cueillir des choux.
Tenir la maison propre et nette.
Comment voulez-vous que je mette Tout cela, si, sans arrêter, Vous ne faites que me dicter ? Vous parlez avec votre mère, Cela ne fait pas mon affaire! Il faut tout dire mot à mot ! J'en étais encore à marmot !
Écrivez donc : Faire la pâte, Cuire le pain, aller en hâte Relever le linge, s'il pleut...
C'est trop vite ! Attendez un peu !
Bluter.
Laver.
Sécher.
Et cuire !
Laver quoi donc?
Faire reluire, Sans jamais prendre de repos, Les écuelles, les plats, les pots !
Tous les pots de notre ménage ? Ma foi, malgré tout mon courage Jamais je ne retiendrai tout !
Voulez-vous nous pousser à bout ? Pour alléger votre mémoire, Écrivez !... Et pas tant d'histoire !
Il vous faut aller au ruisseau Laver le linge du berceau.
Encore un métier bien honnête !
Que vous avez mauvaise tête !
Attendez ! ne vous fâchez pas !
...Les écuelles, les pots, les plats...
Ma foi ! vous ne vous pressez guère !
Dame ! Est-ce vous ou votre mère Qu'il faut écouter? dites-moi! Vous me voyez tout en émoi !
Je vais vous battre comme plâtre !
Jquinot, avec noblesse
Je ne veux pas me laisser battre !
J'écrirai tout. N'en parlons plus.
Eh bien, sans discours superflus, Vous mettrez le ménage en ordre, Et vous viendrez m'aider... à tordre La lessive auprès du cuvier.
Après avoir lavé l'évier.
Mais dépêchez-vous donc d'écrire !
C'est fait!.. Souffrez que je respire!
Ma fille, n'oubliez-vous... rien ! Ne doit-il pas, comme il convient, Vous traiter avec gentillesse ! Et vous témoigner sa tendresse...
Ah! pour ceci, je n'en suis pas! On peut bien régler un repas, Je n'obéis qu'au parchemin. Non le menu de mes caresses !
Quoi ! me fixer les politesses Que je dois accorder à vous ! Certes, au monde il n'est pas d'époux Qui soit mené de cette sorte ! L'audace me paraît trop forte. Je ne vais plus pouvoir dormir, Car il faudra tout retenir Dans ma malheureuse cervelle, Et pour que tout je me rappelle, Toujours, comme un petit garçon, Je vais apprendre ma leçon...
Allons ! pensez-vous que je raille ! Signez le tout que je m'en aille.
Je signe alors de chaque main !
Tenez ! Voici le parchemin ! Ne voulez-vous pas qu'on le scelle ? Ceignez-le bien d'une ficelle ! Veillez qu'il ne soit pas perdu, Car, en devrais-je être pendu, Je n'accomplirai plus d'autre ordre ! Jamais je n'en voudrai démordre. Désormais, aujourd'hui, demain, Je n'obéis qu'au parchemin ! C'est convenu, j'en ai pris acte, Et j'ai dûment signé le pacte.
Oui, c'est convenu, Jaquinot.
Songez que je vous prends au mot.
C'est bien, je puis partir tranquille.
Adieu ! ma mère !
Adieu ! ma fille !
Elle sort
Scène III
Jeannette, JEANNETTE, s'approchant du cuvier qui est dressé à droite du théâtre
Allons, Jaquinot, aidez-moi !
Mais voulez-vous me dire à quoi ?
A mettre le linge à la cuve Où j'ai versé l'eau de l'étuve.
Jaquinot, déroulant son parchemin et cherchant attentivement
Ce n'est pas sur mon parchemin.
Déjà vous quittez le chemin, Avant de connaître la route.
Jaquinot, cherche toujours son parchemin
Dépêchez-vous ! Le linge égoutte ; I1 faut le tordre !... et vivement ! Cherchez dans le commencement ; C'est écrit : « Couler la lessive »... Voulez-vous que je vous l'écrive A coups de bâton sur le dos ?
Non, si c'est écrit ! tout dispos, Je vais me mettre, sans vergogne, A vous aider à la besogne. C'est parbleu vrai que c'est écrit ! N'en ayez pas le cœur aigri ! Puisque c'est dit en toute lettre, Attendez-moi, je vais m'y mettre. J'obéis!... Vous avez dit vrai! Une autre fois, j'y penserai.
Ils montent chacun sur un escabeau de chaque côté du cuvier. Jeannette tend à Jaquinot le bout d'un drap tandis qu'elle tient l'autre.
Tirez de toute votre force !
Je me donnerai quelque entorse !
Ma foi ! ce métier me déplaît.
Je veux charger quelque valet
De vous aider dans le ménage.
Il lâche le drap
Tirez donc ! ou, sur le visage Je vous lance le tout, vraiment !
Elle lui lance le linge à la figure
Vous gâtez tout mon vêtement ! Je suis mouillé comme un caniche. Et vous en trouvez-vous plus riche, De m'avoir ainsi maltraité ?
Allons ! prenez votre côté. Faut-il donc que toujours il grogne!... Ferez-vous pas votre besogne ?
Jaquinot tire brusquement le drap et fait perdre l'équilibre à Jeannette qui tombe dans le envier.
La peste soit du maladroit !
Elle sort la tête.
Seigneur ! ayez pitié de moi ! Je me meurs ! Je vais rendre l'âme ! Ayez pitié de votre femme, Jaquinot, qui vous aima tant ! Elle va périr à l'instant, Si vous ne lui venez en aide !... Je sens mon corps déjà tout raide ! Donnez-moi vite votre main.
Ce n'est pas sur mon parchemin.
Las ! voyez quelle est ma détresse ! Le linge m'étouffe et m'oppresse ! Je meurs ! Vite ! Ne tardez pas ! Pour Dieu, tirez-moi de ce pas !
Allons, la commère, Remplis donc ton verre ! Il faut boire un coup!...
Jaquinot, j'en ai jusqu'au cou ! Sauvez-moi, de grâce, la vie. Retirez-moi, je vous en prie. Jaquinot, tendez-moi la main !
Ce n'est pas sur mon parchemin.
Hélas ! la mort me viendra prendre Avant qu'il ait voulu m'entendre !
« De bon matin préparer tout, « Faire le feu, voir si l'eau bout !...
Le sang de mes veines se glace !
« Ranger les objets à leur place, « Aller, venir, trotter, courir...»
Je suis sur le point de mourir. Tendez-moi de grâce, une perche !
J'ai beau relire; en vain je cherche... « Ranger, laver, sécher, fourbir... »
« Hélas ! la mort me viendra prendre... »
« Je suis sur le point d'être morte ». La peste soit du .Maladroit.
Songez donc à me secourir !
« Préparer pour le four la pâte. « Cuire le pain, aller en hâte. « Relever le linge étendu, « S'il pleut... »
M'avez-vous entendu ? Jaquinot, je vais rendre l'âme.
« Chauffer le linge de ma femme.. »
Songez que le baquet est plein !
« Mener la mouture au moulin, « Donner à boire à la bourrique... »
Je suis prise d'une colique Qui m'achève... Venez un peu !
« Et puis mettre le pot-au-feu... »
Appelez ma mère Jaquette !
« Tenir la maison propre et nette, « Laver, sans prendre de repos, « Les écuelles, les plats, les pots ! »
Si vous ne voulez pas le faire, De grâce, allez chercher ma mère, Qui pourra me tendre la main.
Ce n'est pas sur mon parchemin !
Eh bien, il fallait donc le mettre !
J'ai tout écrit lettre pour lettre.
Retirez-moi, mon doux ami.
Moi, ton ami!... Ton ennemi! M'as-tu ménagé la besogne De ton vivant ? — Va, sans vergogne, Je vais te laisser trépasser. Inutile de te lasser, Ma chère, en criant de la sorte...
On entend frapper au dehors
Ah ! Voici qu'on frappe à la porte !
Scène IV
M'ouvrirez-vous avant demain !
Ce n'est pas sur mon parchemin!... Mais je vais vous ouvrir quand même, Car votre fille, toute blême, Est là qui trempe en ce baquet...
Les coups redoublent. Il va ouvrir.
Attendez. J'ôte le loquet.
Jaquette, sur le seuil de la porte
Je viens voir comment tout se porte !
Très bien! puisque ma femme est morte.
Que dites-vous ? mauvais plaisant !
C'est très sérieux ! Tout en causant Elle est tombée en cette cuve, Où se trouvait l'eau de l'étuve !
JAQUETTE, toujours sur le seuil
Que dis-tu? meurtrier! bourreau!
Jaquinot, près de la porte
Eh ! ma mère ! Elle a parlé trop, Elle avait soif, la pauvre femme !
Mère ! en la cuve je me pâme ! Venez! secourez votre enfant!
Vous entendez ! mon cœur se fend !
Attends, je viens, ma chère fille, Tandis que cet autre babille !
A Jaquinot
Aidez-moi donc, tendez la main !
Ce n'est pas sur mon parchemin.
Que dites-vous ? méchant infâme ! Laissez-vous mourir votre femme?
Je serai maître en ma maison.
Quoi ! n'avez-vous plus de raison ? Vite ! Aidez-moi. Ce n'est pas sur mon parchemin.
C'est impossible !
Vous commettez un crime horrible, Jaquinot, ce n'est pas humain !
J'ai beau lire mon parchemin, Ce n'est pas inscrit sur la liste...
Allons ! scélérat égoïste ! Je vous implore à deux genoux, Retirez-là ! Dépêchez-vous !
Oui, si vous voulez me promettre Que chez moi je serai le maître.
Je vous le promets de bon cœur !
Oui ! mais peut-être est-ce la peur Qui vous rend d'humeur si facile?
Non ! je vous laisserai tranquille. Sans jamais rien vous commander ! Toujours je saurai m'amender Et me taire, j'en fais promesse !
Faut-il, ma femme, que je dresse Une liste, ainsi que pour moi Vous avez fait ?
Non, sur ma foi Reposez-vous-en, mon doux maître !
Enfin ! vous voulez reconnaître Mon droit, madame; c'est fort bien!
Alors retirez-moi !
Le chien Eût été plus heureux, madame. Que votre mari !
Je rends l'âme ! Songez qu'au fond de ce baquet...
Voyons ! était-ce bien coquet De me donner tant de besogne? N'en avais-tu pas de vergogne?
Hélas ! Je demande pardon I Mon mari, vous avez raison ! Je ferai toujours le ménage Avec ardeur, avec courage.
C'est fort bien ! Je vous prends au mot. Vous bercerez notre marmot ?
Oui ! tirez-moi !
Ferez la pâte ! Cuirez le pain, irez en hâte...
De grâce ! Je vous le promets ! C'est bien ! Je serai désormais De votre avis en toute chose, Pourvu que ne soit plus en cause Le parchemin que vous savez!.. Brûlez-le puisque vous l'avez !
Il ne faudra plus que j'écrive?... Je ne ferai plus la lessive?...
Non ! mon ami, ma mère et moi Ne vous mettrons plus en émoi !
Vous ferez chauffer ma chemise !
Je ferai tout à votre guise ! Mais retirez-moi de ce pas !
Vous ne me contrarierez pas?
Je veux être votre servante !
Cette soumission m'enchante : Vous ne m'avez jamais plu tant ! Et je vous retire à l'instant.
Il retire sa femme du cuvier.
tous trois, au public
Bonsoir, toute la compagnie Notre comédie est finie