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Utilisateur:Zephyrus/test 29 arrivée

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I.
PARDON AMOUR, pardon, ô Seigneur je te voue
Le reste de mes ans, ma voix et mes écrits,
Mes sanglots, mes soupirs, mes larmes et mes cris :
Rien, rien tenir d'aucun que de toi, je n'avoue.
Hélas comment de moi, ma fortune se joue.
De toi n'a pas long temps, amour, je me suis ri,
J'ai failli, je le vois, je me rends, je suis pris.
J'ai trop gardé mon cœur, or je le désavoue.
Si j'ai pour le garder retardé ta victoire
Ne l'en traite plus mal, plus grande en est ta gloire.
Et si du premier coup tu ne m'as abattu,
Pense qu'un bon vainqueur, et né pour être grand,
Son nouveau prisonnier, quand un coup il se rend,
Il prise et l'aime mieux, s'il a bien combattu.
II.
C'est amour, c'est amour, c'est lui seul, je le sens,
Mais le plus vif amour, la poison la plus forte,
À qui onq pauvre cœur ait ouverte la porte :
Ce cruel n'a pas mis un de ses traits perçants,
Mais arc, traits et carquois, et lui tout dans mes sens.
Encore un mois n'a pas, que ma franchise est morte,
Que ce venin mortel dans mes veines je porte,
Et déjà j'ai perdu, et le cœur et le sens.
Et quoi ? Si cet amour à mesure croissoit,
Qui en si grand tourment dedans moi se conçoit ?
Ô crois, si tu peux croître, et amende en croissant.
Tu te nourris de pleurs, des pleurs je te promets,
Et pour te rafraîchir, des soupirs pour jamais.
Mais que le plus grand mal soit au moins en naissant.
III.
C'est fait, mon cœur, quittons la liberté.
De quoi me huy servirait la défense,
Que d'agrandir et la peine et l'offense ?
Plus ne suis fort ainsi que j'ai été.
La raison fut un temps de mon côté
Or révoltée elle veut que je pense
Qu'il faut servir, et prendre en récompense
Qu'onc d'un tel nœud nul ne fut arrêté.
S'il se faut rendre, alors il est saison,
Quand on n'a plus devers soi la raison.
Je vois qu'amour, sans que je le déserve,
Sans aucun droit, se vient saisir de moi
Et vois qu'encore il faut à ce grand Roi
Quand il a tort, que la raison lui serve.
IV.
C'était alors, quand, les chaleurs passées,
Le sale Automne aux cuves va foulant,
Le raisin gras dessous le pied coulant,
Que mes douleurs furent encommencées.
Le paisan bat ses gerbes amassées,
Et aux caveaux ses bouillants muids roulant,
Et des fruitiers son automne croulant,
Se venge lors des peines avancées.
Serait-ce point un présage donné
Que mon espoir est déjà moissonné ?
Non certes, non. Mais pour certain je pense,
J'aurai, si bien à deviner j'entends,
Si l'on peut rien pronostiquer du temps,
Quelque grand fruit de ma longue espérance.
V.
J'ai vu ses yeux perçants j'ai vu sa face claire
(Nul jamais sans son dam ne regarde les dieux);
Froid, sans cœur me laissa son œil victorieux,
Tout étourdi du coup de sa forte lumière.
Comme un surpris de nuit, aux champs, quand il éclaire,
Étonné, se pâlit si la flèche des cieux
Sifflant lui passe contre, et lui serre les yeux :
Il tremble, et voit, transi, Jupiter en colère.
Dis-moi, ma Dame, au vrai, dis-moi si tes yeux verts
Ne sont pas ceux qu'on dit que l'amour tient couverts ?
Tu les avais, je crois, la fois que je t'ai vue;
Au moins il me souvient qu'il me fut lors avis
Qu'amour tout à un coup, quand premier je te vis,
Débanda dessus moi et son arc et sa vue.
VI.
Ce dit maint un de moi : De quoi se plaint-il tant,
Perdant ses ans meilleurs en chose si légère ?
Qu'a-t-il tant à crier, si encore il espère ?
Et s'il n'espère rien, pourquoi n'est-il content ?
Quand j'étais libre et sain j'en disais bien autant.
Mais certes celui-là n'a la raison entière,
Ains a le cœur gâté de quelque rigueur fière,
S'il se plaint de ma plainte, et mon mal il n'entend.
Amour tout à un coup de cent douleurs me point,
Et puis l'on m'avertit que je ne crie point.
Si vain je ne suis pas que mon mal j'agrandisse
À force de parler : s'on m'en peut exempter,
Je quitte les sonnets, je quitte le chanter.
Qui me défend le deuil, celui-là me guérisse.
VII.
Quand à chanter ton los, parfois je m'aventure,
Sans oser ton grand nom dans mes vers exprimer,
Sondant le moins profond de cette large mer,
Je tremble de m'y perdre, et aux rives m'assure.
Je crains, en louant mal, que je te fasse injure.
Mais le peuple étonné d'ouïr tant t'estimer,
Ardant de te connaître, essaie à te nommer,
Et cherchant ton saint nom ainsi à l'aventure,
Ébloui n'atteint pas à voir chose si claire,
Et ne te trouve point ce grossier populaire,
Qui n'ayant qu'un moyen, ne voit pas celui-là :
C'est que s'il peut trier, la comparaison faite,
Des parfaites du monde, une la plus parfaite,
Lors, s'il a voix, qu'il crie hardiment la voilà.
VIII.
Quand viendra ce jour-là, que ton nom au vrai passe
Par France dans mes vers ? combien et quantes fois
S'en empresse mon cœur, s'en démangent mes doigts ?
Souvent dans mes écrits de soi même il prend place.
Malgré moi je t'écris, malgré moi je t'efface,
Quand Astrée viendrait et la foi et le droit,
Alors joyeux ton nom au monde se rendroit.
Ores c'est à ce temps, que cacher il te fasse,
C'est à ce temps malin une grande vergogne
Donc ma Dame tandis tu seras ma Dordogne.
Toutefois laisse-moi, laisse-moi ton nom mettre,
Ayez pitié du temps, si au jour je te mets,
Si le temps ce connaît, lors je te le promets,
Lors il sera doré, s'il le doit jamais être.
IX.
Ô entre tes beautez, que ta constance est belle.
C'est ce cœur assuré, ce courage constant,
C'est parmi tes vertus, ce que l'on prise tant :
Aussi qu'est-il plus beau, qu'une amitié fidèle ?
Or ne charge donc rien de ta sœur infidèle,
De Vézère ta sœur : elle va s'écartant
Toujours flottant mal sûre en son cours inconstant.
Vois-tu comme à leur gré les vents se jouent d'elle ?
Et ne te repens point pour droit de ton aînage
D'avoir déjà choisi la constance en partage.
Même race porta l'amitié souveraine
Des bons jumeaux, desquels l'un à l'autre départ
Du ciel et de l'enfer la moitié de sa part,
Et l'amour diffamé de la trop belle Hélène.
X.
Je vois bien, ma Dordogne encore humble tu vas :
De te montrer Gasconne en France, tu as honte.
Si du ruisseau de Sorgue, on fait ores grand conte,
Si a-t-il bien été quelquefois aussi bas.
Vois-tu le petit Loir comme il hâte le pas ?
Comme déjà parmi les plus grands il se compte ?
Comme il marche hautain d'une course plus prompte
Tout à côté du Mince, et il ne s'en plaint pas ?
Un seul Olivier d'Arne enté au bord de Loire
Le fait courir plus brave et lui donne sa gloire.
Laisse, laisse-moi faire, et un jour ma Dordogne
Si je devine bien, on te connaîtra mieux :
Et Garonne, et le Rhône, et ces autres grands Dieux
En auront quelque ennui, et possible vergogne.
XI.
Toi qui oys mes soupirs, ne me sois rigoureux
Si mes larmes à part toutes miennes je verse,
Si mon amour ne suit en sa douleur diverse
Du Florentin transi les regrets langoureux,.
Ni de Catulle aussi, le folâtre amoureux,
Qui le cœur de sa dame en chatouillant lui perce,
Ni le savant amour du demi-Grec Properce,
Ils n'aiment pas pour moi, je n'aime pas pour eux,
Qui pourra sur autrui ses douleurs limiter,
Celui pourra d'autrui les plaintes imiter :
Chacun sent son tourment et sait ce qu'il endure
Chacun parla d'amour ainsi qu'il l'entendit.
Je dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dit.
Que celui aime peu, qui aime à la mesure.
XII.
Quoi ? qu'est-ce ? ô vents, ô nues, ô l'orage !
À point nommé, quand d'elle m'approchant
Les bois, les monts, les baisses vois tranchant
Sur moi d'aguet vous poussez votre rage.
Ores mon cœur s'embrase davantage.
Allez, allez faire peur au marchand,
Qui dans la mer les trésors va cherchant :
Ce n'est ainsi, qu'on m'abat le courage.
Quand j'oys les vents, leur tempête, et leurs cris,
De leur malice, en mon cœur je me ris.
Me pensent-ils pour cela faire rendre ?
Fasse le ciel du pire, et l'air aussi :
Je veux, je veux, et le déclare ainsi
S'il faut mourir, mourir comme Léandre.
XIII
Vous qui aimer encore ne savez,
Ores m'oyant parler de mon Léandre,
Ou jamais non, vous y devez apprendre,
Si rien de bon dans le cœur vous avez,
Il osa bien branlant ses bras lavés,
Armé d'amour, contre l'eau se défendre,
Qui pour tribut la fille voulut prendre,
Ayant le frère, et le mouton sauvés.
Un soir vaincu par les flots rigoureux,
Voyant déjà, ce vaillant amoureux,
Que l'eau maîtresse à son plaisir le tourne :
Parlant aux flots, leur jeta cette voix :
Pardonnez-moi maintenant que j'y vais,
Et gardez-moi la mort, quand je retourne.
XIV.
Ô cœur léger, ô courage mal sûr,
Penses-tu plus que souffrir je te puisse ?
Ô bonté creuse, ô couverte malice,
Traître beauté, venimeuse douceur.:
Tu étais donc toujours sœur de ta sœur ?
Et moi trop simple il fallait que j'en fisse
L'essai sur moi ? Et que tard j'entendisse
Ton parler double et tes chants de chasseur ?:
Depuis le jour que j'ai pris à t'aimer,
J'eusse vaincu les vagues de la mer.
Qu'est-ce aujourd'hui que je pourrais attendre ?:
Comment de toi pourrais-je être content?
Qui apprendra ton cœur d'être constant,
Puisque le mien ne le lui peut apprendre ?
XV.
Ce n'est pas moi que l'on abuse ainsi :
Qu'à quelque enfant ses ruses on emploie,
Qui n'a nul goût, qui n'entend rien qu'il oie :
Je sais aimer, je sais hair aussi.
Contente-toi de m'avoir jusqu'ici
Fermé les yeux, il est temps que j'y voie :
Et qu'aujourd'hui, las et honteux je sois
D'avoir mal mis mon temps et mon souci,
Oserais-tu m'ayant ainsi traité
Parler à moi jamais de fermeté ?
Tu prends plaisir à ma douleur extrême :
Tu me défends de sentir mon tourment :
Et si veux bien que je meure en t'aimant.
Si je ne sens, comment veux-tu que j'aime ?
XVI.
Oh l'ai-je dit ? Hélas l'ai-je songé ?
Ou si pour vrai j'ai dit blasphème-t-elle ?
S' a fausse langue, il faut que l'honneur d'elle
De moi, par moi, de sur moi, soit vengé.
Mon cœur chez toi, ô madame, est logé :
Là donne-lui quelque gêne nouvelle :
Fais-lui souffrir quelque peine cruelle :
Fais, fais-lui tout, fors lui donner congé.:
Or seras-tu (je le sais) trop humaine,
Et ne pourras longuement voir ma peine.
Mais un tel fait, faut-il qu'il se pardonne ?
À tout le moins haut je me dédirai
De mes sonnets, et me démentirai,
Pour ces deux faux, cinq cents vrais je t'en donne.
XVII.
Si ma raison en moi s'est pu remettre,
Si recouvrer asteure je me puis,
Si j'ai du sens, si plus homme je suis,
Je t'en mercie, ô bienheureuse lettre.
Qui m'eût (hélas) qui m'eût su reconnaître
Lorsqu'enragé vaincu de mes ennuis,
En blasphémant ma dame je poursuis ?
De loin, honteux, je te vis lors paraître
Ô saint papier, alors je me revins,
Et devers toi dévotement je vins.
Je te donnerais un autel pour ce fait,
Qu'on vît les traits de cette main divine.
Mais de les voir aucun homme n'est digne,
Ni moi aussi, si elle ne m'en eût fait.
XVIII.
J'étais près d'encourir pour jamais quelque blâme.
De colère échauffé mon courage brûlait,
Ma folle voix au gré de ma fureur branlait,
Je dépitais les dieux, et encore ma dame.
Lorsqu'elle de loin jette un brevet dans ma flamme
Je le sentis soudain comme il me rhabillait,
Qu'aussitôt devant lui ma fureur s'en allait,
Qu'il me rendait, vainqueur, en sa place mon âme.
Entre vous, qui de moi, ces merveilles oyez,
Que me dites-vous d'elle ? et je vous prie voyez,
S'ainsi comme je fais, adorer je la dois ?
Quels miracles en moi, pensez-vous qu'elle fasse
De son œil tout puissant, ou d'un rai de sa face.
Puisqu'en moi firent tant les traces de ses doigts.
XIX.
Je tremblais devant elle, et attendais, transi,
Pour venger mon forfait quelque juste sentence,
À moi-même con(sci)ent du poids de mon offense,
Lorsqu'elle me dit, va, je te prends à merci.
Que mon los désormais partout soit éclairci :
Employe là tes ans : et sans plus mes-huy pense
D'enrichir de mon nom par tes vers notre France,
Couvre de vers ta faute, et paye-moi ainsi.
Sus donc ma plume, il faut, pour jouir de ma peine
Courir par sa grandeur, d'une plus large veine.
Mais regarde à son œil, qu'il ne nous abandonne.
Sans ses yeux, nos esprits se mourraient languissants.
Ils nous donnent le cœur, ils nous donnent le sens.
Pour se payer de moi, il faut qu'elle me donne.
XX.
Ô vous maudits sonnets, vous qui prîtes l'audace
De toucher à ma dame : ô malins et pervers,
Des Muses le reproche, et honte de mes vers :
Si je vous fis jamais, s'il faut que je me fasse
Ce tort de confesser vous tenir de ma race,
Lors pour vous les ruisseaux ne furent pas ouverts
D'Apollon le doré, des muses aux yeux verts,
Mais vous reçut naissants Tisiphone en leur place
Si j'ai oncq quelque part à la postérité
Je veux que l'un et l'autre en soit déshérité.
Et si au feu vengeur des or je ne vous donne,
C'est pour vous diffamer, vivez, chétifs, vivez,
Vivez aux yeux de tous, de tout honneur privés :
Car c'est pour vous punir, qu'ores je vous pardonne.
XXI.
N'ayez plus mes amis, n'ayez plus cette envie
Que je cesse d'aimer, laissez-moi obstiné,
Vivre et mourir ainsi, puisqu'il est ordonné,
Mon amour c'est le fil, auquel se tient ma vie.
Ainsi me dit la fée, ainsi en Aeagrie
Elle fit Méléagre à l'amour destiné,
Et alluma sa souche à l'heure qu'il fut né,
Et dit, toi, et ce feu, tenez-vous compagnie.
Elle le dit ainsi, et la fin ordonnée
Suivit après le fil de cette destinée.
La souche (ce dit-on) au feu fut consommée,
Et dès lors (grand miracle) en un même moment,
On vit tout à un coup, du misérable amant
La vie et le tison, s'en aller en fumée.
XXII.
Quand tes yeux conquérants étonné je regarde,
J'y vois dedans au clair tout mon espoir écrit,
J'y vois dedans amour, lui-même qui me rit,
Et me montre mignard le bonheur qu'il me garde.
Mais quand de te parler parfois je me hasarde,
C'est lors que mon espoir desséché se tarit.
Et d'avouer jamais ton œil, qui me nourrit,
D'un seul mot de faveur, cruelle, tu n'as garde.
Si tes yeux sont pour moi, or vois ce que je dis,
Ce sont ceux-là, sans plus, à qui je me rendis.
Mon Dieu quelle querelle en toi-même se dresse,
Si ta bouche et tes yeux se veulent démentir.
Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les départir,
Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.
XXIII.
Ce sont tes yeux tranchants qui me font le courage.
Je vois sauter dedans la gaie liberté,
Et mon petit archer, qui mène à son côté
La belle gaillardise et plaisir le volage.
Mais après, la rigueur de ton triste langage
Me montre dans ton cœur la fière honnêteté.
Et condamné je vois la dure chasteté,
Là gravement assise et la vertu sauvage,
Ainsi mon temps divers par ces vagues se passe.
Ores son œil m'appelle, or sa bouche me chasse.
Hélas, en cet estrif, combien ai-je enduré.
Et puisqu'on pense avoir d'amour quelque assurance,
Sans cesse nuit et jour à la servir je pense,
Ni encor de mon mal, ne puis être assuré.
XXIV.
Or dis-je bien, mon espérance est morte.
Or est-ce fait de mon aise et mon bien.
Mon mal est clair : maintenant je vois bien,
J'ai épousé la douleur que je porte.
Tout me court sus, rien ne me réconforte,
Tout m'abandonne et d'elle je n'ai rien,
Sinon toujours quelque nouveau soutien,
Qui rend ma peine et ma douleur plus fortes.
Ce que j'attends, c'est un jour d'obtenir
Quelques soupirs des gens de l'avenir ;
Quelqu'un dira dessus moi par pitié :
Sa dame et lui naquirent destinés,
Également de mourir obstinés,
L'un en rigueur, et l'autre en amitié.
XXV.
J'ai tant vécu, chétif, en ma langueur,
Qu'or j'ai vu rompre, et suis encore en vie,
Mon espérance avant mes yeux ravie,
Contre l'écueil de sa fière rigueur.
Que m'a servi de tant d'ans la longueur ?
Elle n'est pas de ma peine assouvie :
Elle s'en rit, et n'a point d'autre envie,
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
Donques j'aurai, malheureux en aimant
Toujours un cœur, toujours nouveau tourment.
Je me sens bien que j'en suis hors d'haleine,
Prêt à laisser la vie sous le faix :
Qu'y ferait-on sinon ce que je fais ?
Piqué du mal, je m'obstine en ma peine.
XXVI.
Puisqu'ainsi sont mes dures destinées,
J'en soûlerai, si je puis, mon souci.
Si j'ai du mal, elle le veut aussi.
J'accomplirai mes peines ordonnées
Nymphes des bois qui avez étonnées,
De mes douleurs, je crois quelque merci,
Qu'en pensez-vous ? puis-je durer ainsi,
Si à mes maux trêves ne sont données ?
Or si quelqu'une à m'écouter s'incline,
Oyez pour Dieu ce qu'ores je devine.
Le jour est près que mes forces jà vaines
Ne pourront plus fournir à mon tourment.
C'est mon espoir, si je meurs en aimant,
Adonc, je crois, faillirai-je à mes peines.
XXVII.
Lorsque lasse est, de me lasser ma peine,
Amour d'un bien mon mal rafraîchissant,
Flatte au cœur mort ma plaie languissant,
Nourrit mon mal, et lui fait prendre haleine.�
Lors je conçois quelque espérance vaine :
Mais aussitôt, ce dur tyran, s'il sent
Que mon espoir se renforce en croissant,
Pour l'étouffer, cent tourments il m'amène
Encor tous frais : lors je me vois blâmant
D'avoir été rebelle à mon tourment.
Vive le mal, ô dieux, qui me dévore,
Vive à son gré mon tourment rigoureux.
Ô bienheureux et bienheureux encore
Qui sans relâche est toujours malheureux.
XXVIII.
Si contre amour je n'ai autre défense
Je m'en plaindrai, mes vers le maudiront,
Et après moi les roches rediront
Le tort qu'il fait à ma dure constance.
Puisque de lui j'endure cette offense.
Au moins tout haut, mes rythmes le diront,
Et nos neveux, alors qu'ils me liront,
En l'outrageant, m'en feront la vengeance.
Ayant perdu tout l'aise que j'avais,
Ce sera peu que de perdre ma voix.
S'on sait l'aigreur de mon triste souci,
Et sur celui qui m'a fait cette plaie,
Il en aura, pour si dur cœur qu'il ait,
Quelque pitié, mais non pas de merci.
XXIX.
Jà reluisait la benoîte journée
Que la nature au monde te devait,
Quand des trésors qu'elle te réservait
Sa grande clé, te fut abandonnée.
Tu pris la grâce à toi seule ordonnée,
Tu pillas tant de beautés qu'elle avait :
Tant qu'elle, fière, alors qu'elle te voit
En est parfois, elle-même étonnée.
Ta main de prendre enfin se contenta :
Mais la nature encor te présenta,
Pour t'enrichir cette terre où nous sommes.
Tu n'en pris rien : mais en toi tu t'en ris,
Te sentant bien en avoir assez pris
Pour être ici reine du cœur des hommes.