Valerie/Lettre 10

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Valérie (1803)
Librairie des bibliophiles (p. 34-35).

LETTRE X

Shonbrun, le…

Aujourd’hui, en montant en voiture, je suis resté seul un instant avec Valérie ; elle m’a demandé avec tant d’intérêt comment je me trouvois que j’en ai été profondément ému. » Je n’ai rien dit à mon mari de notre conversation ; j’ignorois si cela ne vous embarrasseroit pas : il est des choses qui échappent, et qu’on ne confieroit pas ; votre secret restera dans mon cœur jusqu’à ce que vous me disiez vous-même de parler. Cependant, je ne puis m’empêcher de vous dire qu’à votre place je voudrois être guidé par un ami comme le comte : si vous saviez comme il est bon et sensible ! — Ah ! je le sais, lui dis-je, je le sais » ; mais je sentois en moi-même que je pouvois tromper Valérie, et m’enorgueillir même de mon subterfuge, et qu’il m’étoit impossible de tromper le comte volontairement. « Je me suis rappelé encore, a dit Valérie, que j’ai pu vous induire en erreur hier pendant notre conversation : je vous ai dit que votre ami s’étoit aperçu que vous aviez du chagrin ; c’est vrai, j’ai ajouté : « Il croit que vous « aimez » ; j’allois achever, et vous m’avez interrompue avec vivacité, croyant que je vous parlois de votre amour, tant le cœur se persuade facilement qu’on s’occupe de ce qui l’occupe ! J’avois tout autre chose à vous dire… Mais je vois le comte qui s’avance, tranquillisez-vous, il ne sait rien. »

Ernest, vit-on jamais une plus angélique bonté ? Et ne pas oser lui dire tout ce qu’elle inspire ! Lui faire croire, lui persuader qu’on en peut aimer une autre quand une fois on l’a connue. Ô mon ami, cet effort est bien grand !