Vers d’amour (Rodenbach)/01

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Vers d’amourDans les bureaux de La Jeune Belgique (p. 7-8).
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I

ESPOIR D’AIMER



AU nostalgique espoir d’aimer et d’être aimé
Mon âme triste s’est rouverte
Parmi l’éveil fleuri de la campagne verte
Et les allégresses de mai.

La grâce du printemps, quelque peu qu’on la sente,
Dit tout bas que l’amour viendra,
Et, sortant de son lit glacé, la Nature a
Des beautés de convalescente.

La neige des pommiers, comme un reste d’hiver
Poudre le renouveau des branches ;
À peine ai-je gardé quelques tristesses blanches
Du mal passé que j’ai souffert.

Et mon cœur a vingt ans. Je n’abandonne aucune
Des primes candeurs que j’avais,
Et je veux demeurer, loin du monde mauvais,
Un contemplateur de la Lune.


Je suis naïf, tant mieux ! Car je goûte en ce jour
Les jouissances infinies
De pouvoir lire encor les jeunes litanies
Au missel ancien de l’amour.

Oui ! je reste un fervent des femmes et des roses
Et je n’ai pas l’orgueil amer
De ceux dont l’ironie a défendu la chair
Du chaud frisson des lèvres roses.

À d’autres la rouerie et les subtils propos
Des jongleurs de phrases baroques
Qui taillent leurs habits de clowns et leurs défroques
Dans la gloire de nos drapeaux !