Vie et opinions de Tristram Shandy/1/18

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome premier. Tome secondp. 69-70).



CHAPITRE XVIII.

Résolution de ma mère.


Mon père ne rentra donc chez lui que de très-mauvaise humeur, et après avoir murmuré tout le long de la route. — Il ne dit cependant rien de la résolution qu’il avoit prise de faire usage de la clause du contrat de mariage que mon oncle avoit fait insérer en sa faveur. — Ce ne fut que treize mois après, et la même nuit précisément où il songea à réparer, par mon existence, la perte dont il se plaignoit, qu’il annonça à ma mère, en causant gravement avec elle, le parti qu’il avoit pris. Il lui dit qu’elle n’avoit qu’à s’arranger comme elle voudroit ;… mais qu’il entendoit absolument qu’elle accouchât cette fois à la campagne, pour balancer la dépense du voyage inutile qu’elle lui avoit fait faire.

Mon père étoit doué de bien des vertus ; — mais il avoit en partage, et dans un degré un peu fort, ce qu’on peut appeler persévérance, lorsque la cause est bonne, et obstination quand elle est mauvaise. — Ma mère le connoissoit très-bien, et elle n’ignoroit pas que ses remontrances seroient inutiles. — Elle ne lui en fit donc aucunes, et se détermina à attendre l’événement.