Vie et opinions de Tristram Shandy/3/79

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 217-218).



CHAPITRE LXXIX.

La scène change.


C’est ainsi qu’un ou deux entretiens de ce genre avec Trim sur la démolition de Dunkerque, — entretiens charmans, mais trop courts ! — rappelèrent pour un moment à mon oncle Tobie le souvenir des plaisirs qu’il avoit perdus. —

Mais ce souvenir n’en étoit qu’une foible image. — La magie avoit disparu ; et l’ame de mon oncle Tobie avoit perdu son ressort. —

Le calme, accompagné du silence, avoit pénétré dans le cabinet solitaire de mon oncle Tobie. — Ils avoient étendu leurs voiles de gaze sur sa tête ; et l’indifférence, au regard vague et à la fibre lâche, s’étoit assise tranquillement à ses côtés. —

Son sang circuloit lentement dans ses veines, sans que Amberg, et Rimberg, et Limbourg, et Huis, et Bonn, pour une année, — et Landen, et Trarebach, et Drusen, et Dendermonde, en perspective pour celle d’après, en accélérassent le mouvement. — Les sappes, et les mines, et les blindes, et les gabions, et les palissades, n’éloignoient plus ce bel ennemi de l’homme, le repos. — En mangeant son œuf à souper, mon oncle Tobie ne forçoit plus les lignes françoises, d’où tant de fois traversant l’Oise, et voyant toute la Picardie ouverte devant lui, il marchoit aux portes de Paris, et s’endormoit au sein de la gloire. — Dans ses songes, il ne se voyoit plus arborant l’étendard d’Angleterre sur les tours de la Bastille, et ne se réveilloit plus la tête remplie de magnifiques idées. —

De plus douces rêveries, des vibrations plus chatouillantes, le berçoient mollement dans ses instans de sommeil. — La trompette de la guerre tomboit de ses mains. — Un luth la remplaçait. — Un luth ! doux instrument ! le plus délicat, et le plus difficile de tous ! — Eh ! comment en joueras-tu, mon cher oncle Tobie ?