Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/9/Zénon

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 287-290).
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Livre IX


ZENON.



Zénon nâquit à Elée, Apollodore, dans ses Chroniques, le dit issû de Pyrithus. Quelquews-uns lui donnent Parmenide pour pere ; d’autres le font fils de Teleutagore par nature, & celui de Parmenide par adoption. Timon parle de lui & de Melisse en ces termes :

Celui, qui possede les forces d’un double éloquence[1] est à l’abri des atteintes de Zénon dont la critique n’épargne rien, & à couvert des contentions de Melisses, qui, ayant peu de fausses idées, en a corrigé beaucoup.

Zénon étudia sous Parmenide, qui le prit en amitié. Il étoit de haute taille, suivant la remarque de Platon dans le Dialogue de Parmenide, lequel dans celui des Sophistes lui donne le nom de Palamede d’Elée. Aristote lui fait gloire d’avoir inventé la Dialectique, & attribue l’invention de la Rhétorique à Empedocle. Au reste Zénon s’est fort distingué, tant par sa capacité dans la Philosophie, que par son habilité dans la Politique. en effet on a de lui des ouvrages, plein de jugement & d’érudition.

Heraclide, dans l’Abrégé de Satyrus, raconte que Zénon, résolu d’attenter à la vie du Tyran Néarque, appellé par d’autres Diomedon, fut pris & mis en lieu de sûreté ; qu’interrogé sus ses complices & sur les armes qu’il avoit assemblées à Lipara, il répondit, exprès pour montrer qu’il étoit abandonné & sans appui, que tous les amis du Tyran étoient ses complices ; qu’ensuite ayant nommé quelques-uns, il déclara qu’il avoir des choses à dire à l’oreille de Néarque, laquelle il saisit avec les dents & ne lâcha que par les coups dont il fut percé ; de sorte qu’il eut le même sort qu’Aristogiton, l’homicide d’un autre Tyran.

Demetrius, dans ses Auteurs de même nom, prétend que Zénon arracha le nez à Néarque, & Antisthene, dans ses Successions, assûre qu’après qu’il eut nommé ses complices, le Tyran l’interrogea s’il y avoit encore quelque coupable ; qu’à cette demande il répondit, Oui, c’est toi-même, qui est la peste de la ville ; qu’ensuite il adressa ces paroles à ceux qui étoient présens, Je m’étonne de votre peu de courage, si après ce qui m’arrive vous continuez encore de porter le joug de la Tyrannie ; qu’enfin s’étant mordu la langue en deux, il la cracha au visage du Tyran ; que ce spectacle anima tellement le peuple, qu’il se souleva contre Néarque & l’assoma à coups de pierres. La plûpart des Auteurs s’accordent dans les circonstances de cet évenement ; mais Hermippe dit que Zénon fut jetté j& misen piéces dnas un mortier. Cette opinion est celle qu nous avons suivie dans ces vers sur le sort du Philosophe.

Affligé de la déplorable oppression d’Elée ta patrie, tu veus, courageux Zénon, en être le libérateur. Mais le Tyran, qui échappe à ta main, te saisis de la sienne, & t’écrases, par un cruel genre de supplice, dans un mortier à coups de pilon.

Zénon étoit encore illustre à d’autres égards. Semblable à Héraclite, il avoit l’ame si élevée, qu’il méprisoit les Grands. Il en donna des preuves en ce qu’il préféra à la magnifience des Athéniens Elée sa patrie, chetive ville, autrefois appellée Hyelé & colonie des Phocéens ; mais recommandable pour la probité de ses habitans. Aussi alloit-il peu à Athenes, se tenant chez lui la plûpart du tems.

Il est le premier qui dnas la dispute ait fait usage de l’argument, connu sous le nom d'Achille, quoi qu’en puisse dire Phavorin, qu icite avant lui Parmenide & plusieurs autres.

Il pensoit qu’il y a plusieurs mondes, & point de vuide ; que l’essence de toutes choses est composée des changemens réciproques du chaud, du froid, du sec & de l’humide ; que les hommes sont engendrés de la terre, & que l’ame est un mêlange des élemens dont nous avons parlé ; mais en telle proportion, qu’elle ne tient pas plus de l’un que de l’autre.

On raconte que piqué au vif à l’occasion de quelques injures que l’on vomissoit contre lui, quelqu’un l’ayant repris de sa colere, il répondit : Si je ne suis pas sensible aux invectives, le serai-je aux louanges ?

En parlant de Zénon Cittien, nous avons fait mention de huit personnes de même nom. Celui-ci fleurissoit vers la LXXXIX. Olympiade.



  1. Il s’agit, je crois, du talent de disputer pour contre. Voyez Menage.