Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 8/Benvenuto Garofalo, Girolamo de Carpi et autres lombards

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BENVENUTO GAROFALO,
ET
GIROLAMO DE CARPI,
PEINTRES FERRARAIS,
ET AUTRES LOMBARDS.
peintre florentin.

Maintenant je vais passer rapidement en revue tous les peintres, les sculpteurs et les architectes les plus habiles qui ont illustré la Lombardie après le Mantegna (1), le Costa (2), Boccaccino de Crémone (3) et le Francia de Bologne (4). Je ne puis raconter la vie de chacun de ces artistes en particulier ; mais je consacrerai une sérieuse attention à leurs travaux.

Comme, de l’an 1542 à l’an 1566, je n’avais ni parcouru presque toute l’Italie, ni vu les productions de ces maîtres dont le nombre, pendant ces vingt-quatre années, s’était considérablement accru, je n’ai point voulu en parler avant de les avoir scrupuleusement examinées. En conséquence, aussitôt après la célébration des noces de la sérénissime reine Jeanne d’Autriche et de l’illustrissime don François de Médicis, prince de Florence et de Sienne, mon seigneur, par lequel j’avais été, durant deux années, employé à décorer le plafond de la salle principale de son palais, je partis, sans avoir égard à la dépense et à la fatigue, pour visiter de nouveau Rome, la Toscane, une partie de la Marche, l’Ombrie, la Romagne, la Lombardie, Venise et ses États, afin de revoir les anciens ouvrages et de connaître ceux qui ont été faits depuis l’an 1542 jusqu’à ce jour. Muni de documents certains sur les choses les plus notables, et animé du désir de rendre justice au mérite de chacun avec la sincérité que l’on doit attendre de tout historien impartial, je m’attacherai d’abord à compléter mes précédents écrits ; puis je mentionnerai les ouvrages de quelques nobles artistes encore vivants, dont le talent éminent me semble digne de cette distinction.

Commençons par les Ferrarais. Benvenuto Garofalo naquit à Ferrare, l’an 1481. Son père se nommait Piero Tisi ; ses ancêtres étaient originaires de Padoue. Benvenuto avait de telles dispositions pour la peinture, que, dans son enfance, lorsqu’il allait à l’école pour apprendre à lire, il ne faisait que dessiner. Son père, qui tenait la peinture en très-mince estime, essaya, mais en vain, de l’en détourner. Vaincu par l’opiniâtreté de Benvenuto, qui passait le jour et la nuit à dessiner, il finit par comprendre qu’il agirait sagement en secondant l’inclination de son fils, et il le plaça auprès de Domenico Laneto (5), qui, à cette époque, jouissait d’une certaine réputation à Ferrare, bien qu’il eût une manière sèche et maigre. Benvenuto était depuis quelque temps avec Laneto quand, un jour, il se rendit à Crémone où, dans la grande chapelle de la cathédrale, il vit entre autres choses, de la main de Boccaccino Boccacci, qui avait orné de fresques la tribune, un Christ assis sur un trône, au milieu de quatre saints. Séduit par cet ouvrage, Garofalo entra, grâce à l’entremise de quelques amis, dans l’atelier de Boccaccino, qui alors exécutait à fresque, dans la cathédrale, l’Histoire de la Vierge, en concurrence d’Altobello (6), qui peignait dans la même église plusieurs sujets de la vie du Christ vraiment dignes d’éloges. Benvenuto demeura deux ans à Crémone, et atteignit sa dix-neuvième année chez Boccaccino, sous la direction duquel il fit de grands progrès. Il se rendit ensuite, l’an 1500, à Rome, où il fut élève de Giovanni Baldini, très-habile peintre florentin, qui possédait une foule de magnifiques dessins de différents maîtres. Benvenuto consacra à l’étude de ces modèles tout le temps dont il pouvait disposer, particulièrement la nuit. Après être resté quinze mois avec Baldini et avoir vu les monuments de Rome, il parcourut diverses provinces de l’Italie et s’arrêta à Mantoue, chez Lorenzo Costa, qui, pour le récompenser du dévouement qu’il lui témoigna pendant deux ans, le fit entrer au service de Francesco Gonzaga, marquis de Mantoue. Malheureusement, Benvenuto profita peu de cette faveur. Son père étant tombé malade, il fut forcé de retourner à Florence, où il séjourna quatre ans. Il y exécuta seul de nombreux ouvrages, et il s’y associa à quelques-uns de ceux des Dossi (7).

L’an 1505, Messer Ieronimo Sagrato, gentilhomme ferrarais qui habitait Rome, appela dans cette ville Benvenuto. Notre artiste lui obéit avec joie, car il avait un ardent désir de voir les merveilleux chefs d’œuvre de Raphaël et de Michel-Ange, qu’il entendait vanter chaque jour. À son arrivée à Rome, la grâce et l’éclat des peintures de Raphaël et la profondeur du dessin de Michel-Ange non-seulement lui causèrent une vive stupeur, mais encore le jetèrent presque dans le désespoir. Il maudissait le style lombard, et ce qu’il avait appris avec tant de peine à Mantoue, il s’en serait volontiers purgé sur-le-champ, si cela eût été possible. Faute de mieux, il résolut de désapprendre ce qu’il savait, et, de maître qu’il était, de devenir élève. Pendant deux ans, il ne s’appliqua guère qu’à dessiner les modèles les plus difficiles et à étudier une meilleure manière. Ses efforts furent couronnés d’un tel succès, que les artistes lui en tinrent compte. De plus, par les qualités de son caractère, il mérita l’amitié de Raphaël d’Urbin, qui lui enseigna beaucoup de choses et lui voulut toujours du bien. Si Benvenuto eût continué à suivre le style romain, il aurait, sans aucun doute, produit des œuvres dignes de son beau génie : par je ne sais quel événement, il fut contraint de partir pour Ferrare. Lorsqu’il prit congé de Raphaël, celui-ci lui conseilla de revenir à Rome, où il lui promit de lui donner des travaux plus qu’il n’en voudrait. Après avoir réglé ses affaires à Ferrare, Benvenuto se préparait à regagner Rome, lorsqu’il fut chargé par le duc Alphonse de décorer une petite chapelle du château, en compagnie d’autres peintres ferrarais. Il fut encore retenu par Messer Antonio Costabili, gentilhomme ferrarais très-influent, qui lui commanda un tableau à l’huile destiné au maître-auteL de l’église de Sant’-Andrea. Benvenuto fut ensuite obligé de peindre, pour le couvent de San-Bertoldo, une Adoration des Mages, puis un tableau pour la cathédrale, et enfin une Nativité du Christ et une Vierge portant l’Enfant Jésus, pour l’église de Santo-Spirito. Tout en s’occupant de ces ouvrages, Benvenuto songeait à Rome, et regrettait amèrement de l’avoir quittée. Il était bien décidé à y retourner, quand la mort de son père, Piero, qui laissait une succession fort embrouillée, vint briser ses projets. Unique soutien d’une sœur en âge d’étre mariée et d’un frère de quatorze ans, il ne lui fut plus permis de penser à abandonner sa patrie. Il se sépara aussitôt des Dossi, qui jusqu’alors avaient travaillé avec lui, et il peignit seul, dans une chapelle de l’église de San-Francesco, une Résurrection de Lazare qui se distingue par la beauté du coloris et par la naïveté des figures et des attitudes. Dans une autre chapelle de la même église, il représenta le Massacre des Innocents : les soldats et les différents personnages de cette composition sont pleins de vie et de mouvement ; les divers sentiments qu’éprouvent les acteurs du drame sont énergiquement rendus. L’épouvante dont les mères et les nourrices sont frappées, la cruauté qui anime les bourreaux et la pâleur de la mort qui couvre le visage des enfants ne sauraient être mieux exprimées. Il est vrai que, pour exécuter ce tableau, Benvenuto eut recours à des procédés qui jusqu’alors n’avaient jamais été employés en Lombardie, c’est-à-dire qu’il se servit de maquettes en terre et d’un mannequin en bois dont les jointures se ployaient à volonté, et qu’il vêtissait à sa guise de linges et d’étoffes. Enfin il s’astreignit à ne pas peindre le moindre détail sans avoir le modèle sous les yeux, car il savait que la nature est le meilleur guide. Dans la même église de San-Francesco, il termina le tableau d’une chapelle, et fit à fresque, sur une muraille, la Capture du Christ dans le jardin des Oliviers.

À San-Domenico, il laissa deux tableaux à l’huile, dont l’un renferme le Miracle de la Croix, et l’autre saint Pierre martyr, entouré d’une foule de belles figures. Dans ce dernier morceau, Benvenuto semble s’être beaucoup écarté de sa première manière, qui offre moins de vigueur et plus d’affectation.

Pour les religieuses de San-Salvestro, il peignit le Sauveur priant dans le jardin ; pour les religieuses de San-Gabriello une Annonciation, et pour celles de Sant’-Antonio une Résurrection du Christ.

À San-Girolamo, sur le maître-autel, on voit de lui un Enfant Jésus dans la crèche, accompagné d’un chœur d’anges d’une rare beauté.

Santa-Maria-del-Vado lui doit une Ascension parfaitement composée et coloriée, et l’église de San-Giorgio, de l’ordre des Olivetains, une Adoration des Mages, qui est l’une de ses meilleures productions.

Benvenuto obtint un tel succès à Ferrare, qu’il exécuta d’innombrables tableaux pour les habitants de la ville, pour les monastères, et pour les châteaux et les villas des environs. Entre autres choses, il fit à Bondeno une Résurrection du Christ, et dans le réfectoire de Sant’-Andrea une fresque, où il établit un ingénieux rapprochement entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Mais les ouvrages de Benvenuto sont si nombreux, que nous devons nous contenter d’avoir mentionné les plus importants. Ajoutons seulement qu’il décora, partie en clair-obscur, partie en couleur, la façade de la maison des Muzzarelli, dans le Borgo-Nuovo, en compagnie de son élève Girolamo de Carpi, qui l’aida pareillement à peindre l’intérieur et l’extérieur du palais de Copara, lieu de plaisance du duc de Ferrare. Benvenuto exécuta pour ce seigneur plusieurs autres travaux, soit seul, soit avec d’autres peintres.

Jusqu’à l’âge de quarante-huit ans, Benvenuto ne voulut point se marier ; mais enfin, son frère l’ayant quitté, la solitude l’ennuya et il se décida à prendre femme.

Un an après il tomba gravement malade et resta privé de l’œil droit : il était même en danger de perdre l’autre lorsqu’il se recommanda à Dieu et fit vœu de ne plus s’habiller que de gris. Sa prière fut exaucée, et il conserva son œil en si bon état, qu’à l’âge de soixante-cinq ans il faisait encore des tableaux d’un fini merveilleux. Un jour, le duc de Ferrare ayant montré au pape Paul III un Triomphe de Bacchus et la Calomnie d’Apelles, que Benvenuto avait peints à l’huile d’après les dessins de Raphaël, Sa Sainteté put à peine croire qu’un vieillard borgne fût l’auteur de ces grands et beaux morceaux.

Pendant vingt années continues, Benvenuto passa, pour l’amour de Dieu, tous les jours de fête à orner de peintures à l’huile, en détrempe et à fresque, le monastère des religieuses de San-Bernardino. Nous ne saurions donner une meilleure preuve du désintéressement de Benvenuto ; car, bien que le monastère de San-Bernardino ne fût point hanté par le public, il y travailla avec autant d’application que s’il eût eu à s’exercer dans un édifice plus fréquenté. Les compositions qu’il y exécuta sont sagement entendues et renferment des têtes d’une beauté et d’une suavité remarquables.

Benvenuto eut de nombreux élèves, auxquels il enseigna avec un véritable dévouement ce qu’il savait ; mais ses leçons furent infructueuses, et même il n’en fut jamais payé que par de l’ingratitude : aussi disait-il quelquefois qu’il n’avait jamais eu d’autres ennemis que ses élèves.

L’an 1550, son mal d’yeux lui revint et le frappa complètement de cécité. Il vécut ainsi neuf années et supporta ce malheur avec une religieuse soumission à la volonté de Dieu. Néanmoins, à l’âge de soixante-dix-huit ans, fatigué de cette vie de ténèbres, il sentit avec joie arriver la mort qui lui promettait la lumière éternelle. Il rendit son âme à Dieu le 6 septembre 1559. Il laissa un fils nommé Girolamo et une fille.

Benvenuto fut un homme de bien. Sa était douce et enjouée. L’adversité le trouva toujours patient et résigné. Dans sa jeunesse, il aimait à tirer des armes et à jouer du luth. Son obligeance était extrême. Il compta parmi ses amis Giorgione de Castelfranco, Tiziano de Cador, Jules Romain, et, en général, témoigna beaucoup d’affection à tous les artistes ; et cela, je puis le certifier pour ma part, car, les deux fois que j’allai de son temps à Ferrare, je reçus de lui le plus bienveillant accueil.

On lui donna une sépulture honorable dans l’église de Santa-Maria-del-Vado, et son mérite fut dignement célébré en vers et en prose. Comme je n’ai pu me procurer le portrait de Benvenuto, j’ai placé en tête de cette notice, sur les peintres lombards, celui de Girolarno da Carpi, dont nous allons maintenant écrire la vie.

Le Ferrarais Girolamo, dit da Carpi, disciple de Benvenuto Garofalo, commença par être employé par son père, Tommaso, qui était peintre d’écurie, à décorer des coffres, des escabeaux, des corniches et d’autres grossiers ouvrages. Girolamo, ayant ensuite quelque peu profité des leçons de Garofalo, espérait que son père n’exigerait plus de lui de travaux mécaniques ; mais Tommaso, qui avait besoin de gagner de l’argent, se montra inflexible. Girolamo résolut alors de le quitter. Il se rendit à Bologne, où il fut bien accueilli par les gentilshommes de la ville. Il y fit plusieurs portraits très-ressemblants, qui le mirent en haut crédit et lui valurent de bons profits, de sorte qu’il aidait plus son père en étant à Bologne que lorsqu’il était à Ferrare. À cette époque, les comtes Ercolani reçurent à Bologne un tableau du Corrége, d’une beauté indicible, représentant Jésus apparaissant à Marie-Madeleine, sous la figure d’un jardinier (8). Girolamo copia cette peinture, et se passionna tellement pour le style du Corrége, qu’il se rendit aussitôt à Modène pour voir les autres ouvrages de ce maître. À Modène, il fut surtout émerveillé d’un grand tableau renfermant l’Enfant Jésus, porté par la Madone et épousant sainte Catherine, accompagnée de saint Sébastien et de divers personnages dont les têtes semblent avoir été peintes dans le paradis. Il est impossible de voir de plus beaux cheveux, de plus belles mains, et un coloris plus ravissant et plus vrai. Le docteur Francesco Grillenzoni, ami du Corrége et possesseur de ce chef-d’œuvre, permit à Girolamo de le copier. Notre artiste consacra à ce travail toute l’application imaginable. Il en fit de même pour le saint Pierre martyr, du Corrége, qu’une confrérie de séculiers conserve, avec raison, comme un morceau précieux, et pour un autre admirable petit tableau que le même auteur avait peint pour la confrérie de San-Bastiano. Grâce à ces études, Girolamo améliora et modifia complétement sa première manière. De Modène, il alla à Parme, où il savait que se trouvaient quelques productions du Corrége. Il copia une partie des peintures de la tribune de la cathédrale, c’est-à-dire la Vierge qui monte au ciel au milieu d’une multitude d’anges, les apôtres qui contemplent son ascension, et les quatre saints protecteurs de la ville, saint Jean-Baptiste, saint Joseph, saint Bernard degli Uberti, Florentin, cardinal et évêque de Parme, et un autre évêque (9). Girolamo étudia également le Couronnement de la Vierge, que le Corrége avait représenté dans la grande chapelle de San-Giovanni-Evangelista, et les merveilleuses et divines figures de la chapelle de San-Gioseffo dans l’église de San-Sepolcro (10). Lorsqu’on se livre avec amour à l’imitation d’un maître, on arrive parfois à le surpasser, ou, tout au moins, on parvient à saisir quelque chose de sa manière : aussi n’est-il pas étonnant que Girolamo ait beaucoup pris du style du Corrége, car il se proposa constamment pour modèles les œuvres de ce peintre, et le tableau de la sainte Cécile de Raphaël, qui se trouve à Bologne. Je tiens toutes ces particularités de Girolamo lui-même, avec lequel je me liai intimement à Rome, l’an 1550. Plusieurs fois je l’entendis se plaindre d’avoir passé sa jeunesse et ses meilleures années à Bologne et à Ferrare, et non à Rome, ou dans toute autre ville dont le séjour aurait sans aucun doute été infiniment plus favorable à ses progrès. Girolamo avait aussi à regretter d’avoir perdu, avec les femmes et la musique qu’il aimait avec passion, un temps précieux qu’il aurait pu employer à se fortifier dans son art.

De Parme, Girolamo revint à Bologne, où il fit de nombreux portraits, et, entre autres, celui de Messer Onofrio Bartolini de Florence, qui étudiait alors dans cette ville, et qui, plus tard, fut archevêque de Pise. Ce portrait est plein de beauté et de grâce. Il appartient aujourd’hui aux héritiers de Messer Noferi.

À cette époque était à Bologne un certain Maestro Biagio (11) qui, voyant s’augmenter chaque jour le crédit de Girolamo, commença à craindre d’être supplanté par ce rival. Afin de parer ce danger, il profita de la première occasion qui s’offrit à lui pour amener Girolamo à travailler en commun avec lui. Cette association fut préjudiciable non-seulement aux intérêts de Girolamo, mais encore à son talent ; car, entraîné par l’exemple de Maestro Biagio qui peignait de pratique et pillait ses dessins à droite et à gauche, il n’apporta plus aucun soin à ses ouvrages.

Vers ce temps, l’abbé Ghiaccino voulut faire décorer à Bologne la sacristie neuve de l’église de son ordre par un de ses moines qui avait déjà peint un saint Sébastien grand comme nature, dans le monastère de San-Michele-in-Bosco, hors de Bologne, un tableau à l’huile dans le couvent de Scaricalasino, et quelques figures à fresque à Monte-Oliveto-Maggiore, dans la chapelle dell’Orto-di-Santa-Scolastica. Mais Frate Antonio ne se sentit pas assez fort pour une semblable entreprise ou peut-être recula devant la peine qu’il lui aurait fallu se donner. Quoi qu’il en soit, il opéra de façon que les fresques de la chapelle furent données à Girolamo et à Maestro Biagio, qui représentèrent sur la voûte des anges et des enfants, sur les parois latérales des saints qui ne sont pas dépourvus de qualités, et sur la muraille du fond une Transfiguration du Christ, empruntée au tableau de San-Pietro-a-Montorio de Rome, peint par Raphaël.

Lorsque ces fresques furent achevées, Girolamo, comprenant que la société qu’il avait formée avec Maestro Biagio, loin de lui être utile, devait l’entraîner à sa ruine, se décida enfin à la rompre. Le premier ouvrage qu’il exécuta seul fut un beau tableau que l’on rencontre à San-Salvadore, dans la chapelle de San-Bastiano.

Bientôt après, la mort du père de notre artiste le força de retourner à Ferrare où il ne trouva d’abord à faire que des portraits et d’autres ouvrages de peu d’importance.

Sur ces entrefaites, le Titien vint à Ferrare pour enrichir de quelques peintures un cabinet du duc Alphonse, qui déjà était orné de divers tableaux de Gian Bellini et d’une Bacchanale du Dosso qui suffirait à elle seule pour assurer à ce maître la réputation d’un peintre excellent. Grâce aux recommandations du Titien, Girolamo commença à être en relation avec la cour. Il y débuta en exécutant, d’après un portrait du duc Ercole peint par le Titien, une copie si fidèle, qu’il était difficile de la distinguer de l’original, et qu’on la jugea digne d’être envoyée en France comme un morceau précieux.

À peu de temps Girolamo se maria et eut des enfants peut-être plus tôt que de raison. Il peignit ensuite à San-Francesco de Ferrare, dans les angles de la voûte, les quatre Évangélistes, et sur le pourtour de l’édifice une frise qu’il remplit de demi-figures et d’enfants, élégamment entrelacés. Dans la même église, il laissa un saint Antoine de Padoue environné de plusieurs personnages, et, sur l’autel de la Signora Giulia Muzzarella, une Madone accompagnée de deux anges. Il introduisit dans ce dernier tableau le portrait de la donatrice.

À Rovigo, dans l’église de San-Francesco, il figura la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. Cet ouvrage est parfaitement composé et renferme des têtes d’une rare beauté.

L’église de San-Martino (12) à Bologne doit une magnifique Épiphanie à notre artiste. À Ferrare, il décora en compagnie de Benvenuto Garofalo, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la façade de la maison du signor Battista Muzzarelli, et la villa ducale de Coppara. La Prise de la Goulette par l’empereur Charles-Quint, que l’on voit sur la façade de la maison de Piero Soccini, sur la place du côté des poissonneries, est pareillement une production du pinceau de Girolamo.

À San-Polo, église de l’ordre des Carmes, il laissa un saint Jérôme avec deux autres saints grands comme nature, et dans le palais du duc une gracieuse figure représentant l’Occasion.

Girolamo fit en outre une Vénus nue et couchée près de l’Amour. Je puis affirmer que ce tableau est très-beau ; car je le vis à Ferrare, l’an 1540, avant qu’il ne fût envoyé à Paris au roi François Ier. Girolamo peignit aussi la plus grande partie des ornements du réfectoire de San-Giorgio, couvent de l’ordre de Monte-Oliveto ; mais il ne conduisit pas à fin ce travail qui a été terminé de nos jours par Pellegrino Pellegrini de Bologne.

L’énumération de tous les tableaux que Girolamo entreprit pour une foule de seigneurs et de gentilshommes allongerait cette histoire beaucoup plus que nous ne le voulons : nous nous bornerons donc à mentionner deux admirables copies qu’il exécuta, l’une d’après la Vierge du Corrége qui est à Parme chez le cavalier Bojardo, et l’autre d’après un tableau du Parmesan qui est à la chartreuse de Pavie dans la cellule du vicaire (13). La première de ces copies est si fidèle, qu’on la prendrait volontiers pour l’original ; la seconde est traitée avec un soin et une finesse que l’on ne rencontre guère que dans les miniatures.

Au talent de peintre, Girolamo joignait celui d’architecte. Il fut particulièrement employé en cette qualité par Hippolyte, cardinal de Ferrare. Ce prélat, ayant acheté à Montecavallo le jardin du cardinal de Naples et quantité de vignes à l’entour, conduisit notre artiste à Rome et se servit de lui non-seulement dans ses bâtiments d’habitation, mais encore pour exécuter les treillages vraiment royaux de son jardin. Girolamo, en cette occasion, excita l’admiration générale. En effet, les berceaux, les pavillons et les temples de treillage dont il orna le jardin du cardinal, ne sauraient être ni plus beaux ni plus variés. Ces élégants petits édifices, recouverts de magnifiques feuillages, renferment aujourd’hui les plus belles et les plus précieuses statues antiques de Rome, partie intactes, partie restaurées par le Florentin Valerio Cioli, et par d’autres sculpteurs. Ces travaux ayant mis Girolamo en haut crédit à Rome, le cardinal de Ferrare, qui lui portait un vif intérêt, réussit, l’an 1550, à l’attacher au service de Paul III. Ce pape lui assigna de bons appointements, lui donna un logement au Belvedere, et le nomma architecte de ce palais. Mais Paul III, qui s’entendait fort médiocrement en arts, était très-difficile à contenter. Il ne voulait plus le soir ce qui lui avait plu le matin : aussi Girolamo, qui, en surcroît, avait chaque jour à lutter contre quelques vieux architectes profondément irrités de la préférence accordée à un homme nouveau, ne tarda-t-il pas à se retirer. Il retourna donc à Montecavallo chez le cardinal. Sa conduite fut approuvée, car c’était vraiment vivre trop misérablement que d’avoir, du matin au soir, et pour la moindre chose, à disputer contre celui-ci ou celui-là ; et, comme il disait lui-même, il vaux mieux être pauvre et tranquille que riche et tourmenté.

Girolamo fit pour le cardinal, son protecteur, un très-beau tableau, que je vis et qui me plut infiniment. Il le suivit ensuite à Ferrare, où il alla se reposer auprès de sa femme et de ses enfants, abandonnant ses espérances de fortune à ses adversaires, qui ne purent, mieux que lui, tirer parti du pape.

Sur ces entrefaites, un incendie ayant détruit une partie du château de Ferrare, le duc Ercole chargea Girolamo de réparer ce désastre. Notre artiste s’acquitta parfaitement de cette tâche, et enrichit le château d’autant d’ornements que le permettaient les ressources du pays, où l’on trouve peu de pierres propres à être sculptées. Le duc, reconnaissant de ses services, le récompensa libéralement.

Girolamo mourut en 1556, à l’âge de cinquante-cinq ans. Il fut inhumé dans l’église degli Angeli, à côté de sa femme. Il laissa deux filles et trois fils, c’est-à-dire Giulio, Annibale, et un autre duquel j’ignore le nom.

Girolamo était de moyenne stature ; il avait un caractère plein d’enjouement, de douceur et d’amabilité ; il travaillait lentement et avec assez peu d’ardeur ; il aimait avec passion la musique et les femmes.

Le Ferrarais Galasso succéda à Girolamo, en qualité d’architecte, auprès des ducs de Ferrare. Galasso avait un véritable génie pour l’architecture. Autant que l’on peut en juger par ses dessins, il aurait certainement montré plus de talent qu’il ne l’a fait, s’il eût été employé dans de grandes entreprises.

Maestro Girolamo, autre Ferrarais, disciple d’Andrea Contucci, fut un sculpteur distingué. La chapelle de la Madonna di Loreto lui doit de nombreux ornements en marbre. Il y travailla continuellement depuis l’an 1534 jusqu’à l’an 1560, c’est-à-dire depuis le moment où le Tribolo en partit, après avoir achevé le grand bas-relief qui représente la Translation de la Maison de la Vierge dans la forêt de Loreto. Le premier ouvrage que Maestro Girolamo fit pour cette chapelle, fut un Prophète assis, haut de trois brasses et demie, et que l’on mit dans une niche, du côté du couchant. Le succès obtenu par cette belle figure fut cause que Maestro Girolamo sculpta tous les autres prophètes, à l’exception d’un seul, qui fut exécuté par Simone Cioli, de Settignano, élève d’Andrea Sansovino. Pour la chapelle del Sagramento, Maestro Girolamo jeta en bronze des candélabres, hauts de trois brasses environ, couverts de feuillages et de figurines d’une merveilleuse beauté. Il fit en outre, à Rome, avec l’aide d’un de ses frères qui était habile fondeur, quantité d’ouvrages ; et, entre autres, un immense tabernacle en bronze, qui devait être placé dans la chapelle Pauline, au Vatican.

De tout temps Modène a possédé des artistes éminents, comme le prouvent quatre magnifiques tableaux en détrempe, dont nous aurions déjà fait mention au commencement de notre livre si nous eussions connu le nom de leur auteur, qui vivait il y a cent ans. L’un de ces tableaux est sur le maître-autel de San-Domenico, les autres sont dans des chapelles de la même église.

Modène est la patrie d’un peintre nommé Niccolò, qui, dans sa jeunesse, fit de nombreuses et belles fresques. Sur le maître-autel de San-Piero, il représenta le Martyre de saint Pierre et de saint Paul. Le bourreau que l’on voit dans ce tableau est imité d’une figure peinte par le Corrége, à San-Giovanni-Evangelista de Parme. Niccolò est surtout habile fresquiste. Outre les ouvrages qu’il a laissés à Modène et à Mantoue, il a exécuté en France, où il vit aujourd’hui, de précieuses peintures, sous la direction et d’après les dessins de Messer Francesco Primaticcio, comme nous le dirons dans la biographie de ce maître (14).

Gio. Battista, émule de Niccolò, a beaucoup travaillé à Rome et ailleurs, mais particulièrement à Pérouse, où il a représenté à San-Francesco, dans la chapelle du signor Ascanio della Cornia, plusieurs sujets tirés de la vie de saint André, apôtre. Niccolo Arrigo, maître verrier flamand, a peint à l’huile dans le même endroit, en concurrence de Gio. Battista, une Adoration des Mages, qui serait très-belle si elle n’était pas composée d’une manière un peu confuse, et si elle n’était pas trop chargée de couleurs criardes qui nuisent à la perspective. Niccolò Arrigo montra plus de talent dans les vitraux d’une fenêtre de la chapelle de San-Bernardino, à San-Lorenzo de Pérouse. Quant à Battista, il revint à Modène, où il fit avec une rare habileté, à San-Piero, à côté du Martyre de saint Pierre mentionné plus haut, deux vastes tableaux, dont il emprunta les sujets à l’histoire de saint Pierre et de saint Paul.

Modène a produit quelques sculpteurs dignes d’occuper une place parmi les bons maîtres. Sans compter le Modanino (15), dont nous avons parlé ailleurs, elle a vu le Modana exécuter en terre cuite de grandes statues d’une beauté extraordinaire. Le Modana couvrit de ses sculptures une chapelle de l’église de San-Domenico, et orna le dortoir du couvent des moines noirs de San-Piero, d’une Vierge, d’un saint Benoît, d’une sainte Justine et d’un autre saint, auxquels il réussit à donner, de la manière la plus complète, l’apparence du marbre. Il reproduisit les mêmes figures dans le dortoir de San-Giovanni-Evangelista de Parme, et à Mantoue il enrichit la façade et le portique de San-Benedetto de quantité d’admirables statues de dimension naturelle.

Prospero Clemente, compatriote du Modana, est aussi un vaillant sculpteur, comme le témoignent les deux enfants, et la statue de l’évêque Rangone, qu’il plaça sur le tombeau de ce prélat, dans la cathédrale de Reggio. Cet ouvrage lui fut commandé par le signor Ercole Rangone. Le mausolée du bienheureux Bernardo degli Uberti, qui fut posé l’an 1548 dans la cathédrale de Parme, est également dû au ciseau de Prospero.

À diverses époques, Parme a eu d’excellents artistes, et, entre autres, Cristofano Caselli, qui exécuta, l’an 1499, un très-beau tableau dans la cathédrale, et Francesco Mazzuoli, duquel nous avons écrit la vie. Francesco ayant, à sa mort, laissé inachevée la décoration de la Madonna-della-Steccata, Michelagnolo Anselmi (17), Siennois d’origine, mais naturalisé Parmesan, représenta dans cette église le Couronnement de la Vierge, d’après un carton de Jules Romain. L’habileté qu’il déploya dans ce travail fut cause qu’on le chargea de figurer l’Adoration des Mages, dans l’une des grandes niches de la Steccata. Il y peignit en outre les Vierges sages, et le compartiment des rosaces de cuivre. La mort l’empêcha de terminer cet ouvrage, qui fut conduit à fin par Bernarcio Soiaro, de Crémone (18), comme nous le dirons plus bas. Michelagnolo est aussi l’auteur des peintures de la chapelle della Concezione, à San-Francesco de Parme, et de la Gloire céleste de la chapelle della Croce, à San-Pier-Martire.

Ieronimo Mazzuoli continua l’œuvre commencée par son cousin Francesco, dans l’église de la Steccata. Il y peignit dans un arc six Sibylles ; puis, dans la niche qui est en face de la porte principale, la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres ; et enfin, dans un autre arc, la Nativité du Christ. L’an 1566, Ieronimo me permit d’admirer cette dernière fresque, qu’il n’avait point encore livrée aux regards du public. Bernardo Soiaro, de Crémone, est actuellement occupé à orner la principale tribune de la Steccata de peintures qui, à coup sûr, seront dignes d’être à côté de celles que nous venons de mentionner. On peut dire que l’on est redevable à Francesco Mazzuoli des magnifiques embellissements de la Steccata ; car ce fut lui qui les commença et en traça le plan.

Nous avons déjà parlé des Mantouans, jusqu’à l’époque de Jules Romain. Nous ajouterons que les excellents principes que ce maître a semés à Mantoue, et dans toute la Lombardie, ne sont point tombés sur un sol ingrat. Ses œuvres y sont de jour en jour plus appréciées, et n’y ont point encore été égalées, même par les peintures que son disciple Fermo Guisoni et d’autres artistes ont exécutées dans les magnifiques appartements ajoutés au château de Mantoue, par Giovambattista Bertano, principal architecte du duc. Bertano a fait peindre à l’huile, d’après ses dessins, à Santa-Barbara, par Domenico Brusacorsi, un tableau vraiment digne d’éloges, représentant le Martyre de sainte Barbe.

Bertano étudia Vitruve et publia de savantes observations sur la volute ionique. Il avait élevé à la porte d’entrée de sa maison, à Mantoue, une colonne de pierre accompagnée de tous les genres de mesures, comme le palme, le pouce, le pied et la brasse antiques, afin que chacun pût vérifier si les proportions qu’il avait adoptées étaient justes ou non.

Dans la cathédrale de Mantoue, que Jules Romain reconstruisit en entier, Bertano fit peindre, par différents artistes, un tableau pour chacune des chapelles. Il chargea Fermo Guisoni d’en exécuter deux d’après ses dessins : l’un, renfermant sainte Lucie et deux enfants, était destiné à la chapelle dédiée à cette sainte ; et l’autre, à celle de San-Giovanni-Evangelista. Ippolito Costa, de Mantoue, eut à représenter sainte Agathe martyrisée par deux soldats qui lui coupent les seins. Battista d’Agnolo del Moro, de Vérone, fit le tableau de sainte Marie-Madeleine ; Ieronimo Mazzuoli, celui de sainte Thècle ; Paolo Farinato, de Vérone, celui de saint Martin ; Domenico Brusacorsi, celui de sainte Marguerite ; et Giulio Campo, de Crémone, celui de saint Jérôme. Tous ces tableaux sont très-beaux, mais néanmoins sont bien loin d’approcher de la Tentation de saint Antoine, que Paolo, de Vérone, peignit à la même occasion.

De tous les peintres nés à Mantoue, aucun ne fut plus habile que Rinaldo, disciple de Jules Romain. Malheureusement Rinaldo fut frappé par une mort prématurée. L’église de Sant’-Agnese lui doit un tableau contenant la Madone, saint Augustin et saint Jérôme.

Le signor Cesare Gonzaga, ayant formé un superbe cabinet de statues et de bustes antiques, confia à Fermo Guisoni le soin d’y peindre la Généalogie de sa famille. Guisoni conduisit à bonne fin ce travail, où l’on admire surtout l’expression des têtes. Le même cabinet renferme de précieux tableaux, comme, par exemple, la Madone à la Chatte, et la Vierge lavant l’Enfant Jésus, de Raphaël d’Urbin. Le signor Cesare Gonzaga possède, en outre, plusieurs figurines de bronze antiques, qu’il a placées dans un cabinet consacré aux médailles et construit en ébène et en ivoire par un certain Francesco, de Volterra, qui est sans égal dans ce genre d’ouvrages.

Lorsque, l’an 1566, je visitai Mantoue pour la seconde fois, je la trouvai si embellie, que j’eus peine à en croire mes yeux. Les artistes s’y sont multipliés et s’y multiplient encore tous les jours. Ainsi le Mantouan Giovambattista, graveur et excellent sculpteur, duquel nous avons parlé dans la Vie de Jules Romain, et dans celle de Marcantonio de Bologne, a laissé deux fils qui gravent supérieurement sur cuivre, et une fille, nommée Diana, dont le talent est encore plus merveilleux. J’ai vu de mes propres yeux cette jeune et gracieuse personne, ainsi que ses gravures, qui m’ont rempli d’étonnement.

Les Mantouans que nous venons de citer, et d’autres Lombards, ont enrichi de leurs productions le célèbre monastère de San-Benedetto, restauré par Jules Romain. On y trouve, entre autres choses, une Nativité du Christ, de Fermo Guisoni ; deux tableaux de Girolamo Mazzuoli ; trois de Lattanzio Gambaro, de Brescia ; et trois autres de Paolo, de Vérone. Au bout du réfectoire du meme couvent, est une admirable copie peinte à l’huile par un certain Girolamo, frère convers de l’ordre de saint Dominique, d’après le magnifique Cénacle de Léonard de Vinci, qui est à Santa-Maria-delle-Grazie, de Milan. Je mentionne cette copie d’autant plus volontiers que, dans cette présente année 1566, j’ai vu à Milan l’original en si mauvais état, qu’il n’offre plus que des images confuses et indéchiffrables. À Milan, j’ai trouvé une autre belle copie exécutée par le meme Girolamo, d’après un tableau du Vinci, qui représente une Femme qui rit et un saint Jean-Baptiste dans la fleur de la jeunesse.

Crémone, comme nous l’avons noté dans la biographie de Lorenzo di Credi et ailleurs, a eu à différentes époques des peintres distingués. Déjà nous avons dit que, tandis que Boccaccino Boccacci décorait la riche cathédrale de Crémone, Bonifazio Bembi (19) donnait des preuves de son habileté, et Altobello se montrait, dans ses sujets de la vie du Christ, meilleur dessinateur que Boccaccino. Les fresques dont Altobello orna une chapelle de l’église de Sant’-Agostino de Crémone, sont aussi belles que gracieuses. À Milan, il fit dans la cour du palais une figure en pied, armée à l’antique, bien supérieure à toutes celles que les maîtres de son temps exécutèrent dans le même endroit.

La mort ayant empêche Bonifazio de terminer la série de tableaux comprenant l’histoire du Christ qu’il avait commencée dans la cathédrale de Crémone, Giovann’-Antonio Licino de Pordenone, surnommé de’ Sacchi par les Crémonais, la compléta en y ajoutant cinq sujets de la Passion, remarquables par la grandeur des figures, la vigueur du coloris, et la beauté des raccourcis (20). Ces fresques et un superbe tableau à l’huile que le Pordenone laissa dans la même cathédrale, offrirent d’utiles enseignements aux Crémonais. Cammillo, fils de Boccaccino, sut en profiter dans les fresques de San-Gismondo, si bien qu’il dépassa son père de beaucoup ; mais la lenteur avec laquelle Cammillo travaillait fut cause qu’il ne produisit pas de nombreux ouvrages, si ce n’est de petite dimension et de peu d’importance.

En tête de tous ces peintres, il faut placer Bernardo de’ Gatti, surnommé le Soiaro. Les uns lui assignent pour patrie Verzelli, et les autres Crémone : qu’il en soit ce que l’on voudra, toujours est-il qu’il peignit un magnifique tableau sur le maître-autel de San-Piero, église des chanoines réguliers, et le Miracle de la multiplication des pains et des poissons dans le réfectoire du couvent du même nom. Malheureusement les retouches à sec, dont il chargea cette dernière composition, l’ont complétement gâtée. Le Soiaro fit en outre à San-Gismondo, hors de Crémone, une Ascension dont le coloris est plein de charme. À Plaisance, dans l’église de Santa-Maria-di-Campagna, il exécuta à fresque, en concurrence du Pordenone, un saint Georges à cheval tuant le serpent. Il fut ensuite chargé de conduire à fin la tribune que le Pordenone avait laissée imparfaite. Il y représenta toute la vie de la Vierge. Ces fresques sont voisines des Prophètes, des Sibylles et des enfants de Pordenone ; elles sont si belles, qu’on les croirait sorties de la main de l’auteur de ces merveilleuses figures. Plusieurs petits tableaux d’autel que le Soiaro fit à Vigevano sont également dignes d’éloges. Enfin il se retira à Parme où il acheva la niche et l’arc de la Madonna-della-Steccata que Michelagnolo de Sienne, frappé par la mort, n’avait pu terminer. Le talent qu’il déploya dans ce travail engagea les Parmesans à lui confier la décoration de la grande tribune de la Steccata. Le Soiaro est donc aujourd’hui occupé à y peindre l’Assomption de la Vierge, et l’on espère que cette fresque méritera de grands éloges.

Pendant les dernières années du Boccaccino, vivait à Crémone Galeazzo Gampo, lequel peignit le Rosaire de la Madone dans une chapelle de l’église de San-Domenico, et plusieurs tableaux passables. Galeazzo eut trois fils, Giulio, Antonio et Vincenzio. Les éléments de l’art furent enseignés à Giulio par son père ; mais il préféra bientôt la manière de Soiaro et étudia quelques toiles de Francesco Salviati, qui avaient été envoyées de Rome à Plaisance, au duc Pier Luigi Farnese, pour être traduites en tapisseries. Les premières productions de la jeunesse de Giulio furent quatre sujets tirés de l’histoire du martyre de sainte Agathe. Ces tableaux, destinés au chœur de l’église dédiée à cette sainte, à Crémone, semblent l’œuvre d’un maître consommé. Giulio exécuta aussi quelques peintures à Santa-Margherita, et couvrit maintes façades de palais de grisailles qui se distinguent par la correction du dessin. À San-Gismondo, hors de Crémone, il laissa sur le maître-autel un tableau à l’huile où, par la beauté, la quantité et la variété des figures, il se tint à la hauteur des peintres qui avaient travaillé avant lui dans cette église. Il représenta ensuite sur la voûte différents sujets, et entre autres la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres.

À Milan, il fit à l’huile sur un panneau, dans l’église della Passione, un Crucifix accompagné de plusieurs anges, de saint Jean Évangéliste, de la Vierge et des autres Maries. Pour les religieuses de San-Paolo, il peignit quatre sujets de l’histoire de saint Paul avec l’aide de son frère Antonio, auteur de la sainte Hélène que l’on trouve chez les religieuses de Santa-Caterina, à la porte Ticenese, dans une chapelle de la nouvelle église bâtie par Lombardino. Giulio enseigna son art à Antonio et à Vincenzio, son troisième frère, jeune homme de haute espérance. Parmi les autres disciples de Giulio, on remarque Lattanzio Gambaro de Brescia, et surtout Sofonisba Anguisciola de Crémone, et ses trois sœurs, filles du noble signor Amilcare Anguisciola et de la noble signora Bianca Punzona. Si, dans la biographie de Properzia de’ Rossi, nous n’avons consacré à Sofonisba que quelques lignes, c’est qu’alors nous ne savions que très-peu de chose sur son compte. Cette année, j’ai vu chez son père un tableau où elle a peint ses trois sœurs jouant aux échecs devant une vieille gouvernante. Ces figures paraissent vraiment vivantes. Dans un autre tableau, Sofonisba représenta avec non moins de talent son père le signor Amilcare, son frère Asdrubale, et sa sœur Minerva, jeune fille aussi versée dans la peinture que dans les lettres. À Plaisance, l’archidiacre de la cathédrale possède, de la main de Sofonisba, deux portraits auxquels il ne manque que la parole. L’un de ces portraits est celui de l’archidiacre, et l’autre celui de Sofonisba elle-même. Notre artiste, grâce à la recommandation du duc d’Albe, est aujourd’hui au service de la reine d’Espagne, qui lui a assigné un riche et honorable traitement dont elle s’est montrée digne par ses portraits et ses peintures qui sont d’une beauté merveilleuse. Le bruit de sa réputation étant parvenu à Rome jusqu’aux oreilles du pape Pie IV, Sa Sainteté lui demanda le portrait de la sérénissime reine d’Espagne. Sofonisba lui en envoya un où elle avait déployé toute l’application imaginable, et qu’elle accompagna de la lettre suivante :

« Saint Père, le révérendissime nonce de Votre Sainteté m’a appris qu’elle désirait un portrait de Sa Majesté la reine, peint de ma main. Sa Majesté, reconnaissante de la paternelle affection que Votre Sainteté lui témoigne, s’est empressée de me permettre de profiter de la favorable occasion qui a s’offrait à moi de servir Votre Béatitude. Je m’estimerai heureuse si j’ai réussi à contenter Votre Sainteté. Je dois ajouter, cependant, que, si le pinceau eût été capable de représenter les beautés de l’âme de la sérénissime reine, les yeux de Votre Béatitude n’auraient pu contempler rien de plus admirable. Quant à ce qui rentre dans le domaine de l’art, je n’ai épargné aucun soin pour représenter la vérité. Je finis en baisant avec respect et humilité les pieds de Votre Sainteté. De Madrid, le 16 septemb. 1561. De Votre Béatitude la très-humble servante, Sofonisba Auguisciola. »

Pie IV, pour récompenser Sofonisba du beau portrait de la reine d’Espagne, lui fit remettre des présents dignes d’elle, et une lettre ainsi conçue :

« Pius Papa IV. Dilecta in Christo filia. Nous avons reçu le portrait de la sérénissime reine d’Espagne, notre très-chère fille, que vous nous avez envoyé. Il nous a été très-agréable, tant parce qu’il il a été fait de votre main avec une rare habileté, que parce qu’il représente une personne que nous aimons paternellement à cause de sa religion et des autres qualités de son âme. Nous vous en remercions, en vous certifiant que nous le tiendrons parmi nos choses les plus précieuses, comme une preuve de votre talent qui, tout merveilleux qu’il est, forme, selon nous, le moindre de vos mérites. Nous terminons en vous envoyant de nouveau notre bénédiction. Que Dieu notre Seigneur vous conserve. Dat. Romæ, die 15 Octobris 1561. »

Cette lettre suffit assurément pour montrer combien est grand le mérite de Sofonisba. Elle eut une sœur, nommée Lucia, qui en mourant laissa une éclatante réputation. En effet, les peintures de Lucia sont non moins belles et non moins estimées que celles de Sofonisba, comme le témoignent le portrait de l’excellent médecin Pietro Maria de Crémone, et celui du duc de Sessa qui ne pourrait être ni mieux peint ni plus ressemblant.

Cette année, je me suis rencontré avec une autre sœur de Sofonisba, nommée Europa, qui, malgré son extrême jeunesse, annonce par ses ouvrages qu’elle ne sera inférieure ni à Sofonisba ni à Lucia. Déjà elle a peint les portraits de plusieurs gentilshommes de Crémone et elle a envoyé en Espagne celui de sa mère Bianca, qui a été l’objet de l’admiration de Sofonisba et de tous ceux qui l’ont vu. Enfin il n’y a pas jusqu’à Anna, la plus jeune fille du signor Amilcare, qui ne cultive le dessin avec succès ; aussi ne saurais-je trop recommander d’imiter l’exemple de ces quatre nobles et dignes sœurs, qui ont fait de la maison de leur heureux père le temple de la peinture et de toutes les vertus.

Maintenant revenons à Giulio Campo qui fut l’instituteur de ces jeunes filles, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Giulio couvrit l’orgue de la cathédrale de Crémone d’une toile où il peignit avec soin l’histoire d’Esther et d’Assuérus et le crucifiement d’Aman. Il enrichit d’un gracieux tableau l’autel de San-Michele, dans la même église. Mais comme Giulio est encore vivant, je garderai pour le moment le silence sur ses autres productions.

On compte également parmi les Crémonais le statuaire Geremia, déjà mentionné dans la biographie du Filarete (21) et auteur d’une grande sculpture en marbre qui est à San-Lorenzo, couvent des moines de Monte-Oliveto, et Giovanni Pedoni (22) duquel on trouve de nombreux et bons ouvrages à Crémone et à Brescia, et particulièrement chez le signor Eliseo Raimondo.

Brescia a eu, entre autres artistes éminents, Ieronimo Romanino. Ce maître a doté sa patrie d’une foule de peintures. Il est l’auteur du beau tableau, accompagné de volets peints en détrempe à l’intérieur et à l’extérieur, qui orne le maître-autel de San-Francesco. De lui est aussi un magnifique tableau à l’huile, où la nature est imitée avec une rare conscience. Néanmoins, Romanino ne fut pas aussi habile qu’Alessandro Moretto, qui exécuta à fresque, sous l’arc de la porte Brusciati, la Translation des corps de saint Faustin et de saint Jovite (23). Alessandro laissa quelques morceaux dignes d’éloges à San-Nazzaro de Brescia et à San-Celso, et un ravissant tableau à San-Piero-in-Oliveto. La Monnaie de Milan possède de lui une Conversion de saint Paul, où l’on admire l’expression pleine de naturel des têtes et l’élégance des costumes. Alessandro aimait, en effet, à représenter des draps d’or et d’argent, des velours, des damas et d’autres étoffes. Ses têtes respirent la vie ; elles tiennent de la manière de Raphaël d’Urbin, et elles en tiendraient beaucoup plus encore, si une énorme distance n’eût point séparé Alessandro de ce divin maître.

Lattanzio Gambaro (24), gendre d’Alessandro Moretto et disciple de Giulio Campo, est le meilleur peintre qu’il y ait aujourd’hui à Brescia. On lui doit le tableau du maître-autel et les fresques qui couvrent la voûte et les murailles de l’église de San-Faustino. À San-Lorenzo, il peignit aussi le tableau du maître-autel, les fresques de la voûte et deux sujets sur les parois. Il décora, en outre, de belles inventions la façade et l’intérieur de sa maison, qui est près de San-Benedetto. Dernièrement, lorsque j’allai à Brescia, je vis chez lui deux magnifiques portraits, celui de sa femme et celui de son beau-père, Alessandro Moretto. Certes, Gambaro pourrait marcher de pair avec les plus grands maîtres, si toutes ses peintures ressemblaient à ces deux portraits ; mais il est encore vivant, nous ne nous étendrons pas plus longuement sur son compte.

Giangirolamo de Brescia (25) laissa de nombreux ouvrages à Venise et à Milan. Dans les bâtiments de la Monnaie de cette dernière ville, on voit de lui quatre superbes tableaux représentant des effets de nuit et de feu. À Venise, Tommaso da Empoli conserve de Giangirolamo une Nativité du Christ à effet de nuit, et plusieurs autres fantaisies du même genre. Comme Giangirolamo ne s’exerça qu’à représenter de semblables scènes, il ne fit point de grandes machines. Nous nous bornerons à constater qu’il affectionnait les sujets fantasques et capricieux, et que ses productions sont très-recommandables.

Girolamo Muziano de Brescia passa sa jeunesse à Rome, et peignit des figures et des paysages d’une beauté remarquable. L’église de Santa-Maria d’Orvieto lui doit deux tableaux à l’huile et quelques Prophètes à fresque, vraiment dignes d’éloges. Muziano a publié des gravures qui se distinguent par la correction du dessin. Aujourd’hui il est employé par le cardinal Hippolyte d’Este, à Rome, à Tigoli et ailleurs ; mais comme il est vivant, nous ne parlerons pas de lui davantage (26).

Dernièrement, Francesco Ricchino de Brescia est revenu de Lamagna ; après avoir travaillé en divers endroits, il a exécuté, à San-Piero-Oliveto de Brescia, des peintures à l’huile très-étudiées (27).

Les deux frères Cristofano et Stefano de Brescia (28) ont acquis, parmi les artistes, une immense réputation comme perspectivistes. Ils peignirent, entre autres choses, à Santa-Maria-dell’-Orto de Venise, une superbe galerie de colonnes torses, pareilles à celles de la porte Santa, à Saint-Pierre de Rome. Cette colonnade, surmontée d’un plafond en perspective et splendidement ornée de mascarons, de festons et de figures, a son point de vue au milieu de l’église, et produit l’illusion la plus complète. Elle plut tellement au sérénissime Sénat, qu’il chargea Cristofano et Stefano d’en exécuter une semblable, mais de moindre dimension, dans la Bibliothèque de San-Marco. Enfin les deux frères furent appelés à Brescia, leur patrie, pour décorer une magnifique salle, qui a soixante-deux pas de longueur, trente-cinque pas de largeur et trente-cinq brasses de hauteur. Cristofano et Stefano établirent avec habileté, dans cette salle, une voûte d’ogives ; mais ils eurent le tort de n’y donner place qu’à trois tableaux de dix brasses chacun, que le Titien est actuellement occupé à peindre à l’huile. Ils auraient pu y ménager de plus nombreux compartiments, et la salle qui, dans toutes ses autres parties, est fort bien entendue, n’en aurait été que plus riche et plus belle.

Dans cette notice, je n’ai encore parlé que des peintres des villes secondaires de Lombardie ; il est temps maintenant de consacrer notre attention aux maîtres originaires de Milan, capitale de cette province. Je commence par Bramantino, et je trouve qu’il a produit beaucoup plus d’ouvrages que je ne lui en ai attribué dans la biographie de Pietro della Francesca ; et en vérité, il me semblait alors impossible qu’un artiste si fameux, et auquel on doit l’amélioration du dessin à Milan, eût été aussi peu fécond. Lors donc qu’il eut décoré, à Rome, comme nous l’avons dit, quelques chambres pour le pape Nicolas V, et achevé à Milan, au-dessus de la porte de San-Sepolcro, son beau Christ mort en raccourci sur les genoux de la Vierge, accompagnée de la Madeleine et de saint Jean, il peignit à fresque sa Nativité du Christ, sur une façade de la cour de la Monnaie de Milan. Il représenta ensuite, dans l’église de Santa-Maria-di-Brera, la Naissance de la Vierge ; et sur les volets de l’orgue, plusieurs Prophètes en raccourci de bas en haut, et une perspective qui est parfaitement rendue : ce dont je ne m’étonne nullement, car Bramantino entendait fort bien l’architecture. Je me souviens d’avoir vu, entre les mains de Valerio de Vicence, un livre précieux où Bramantino avait dessiné les antiquités de Lombardie et des plans de maints édifices célèbres, que je copiai dans ma jeunesse. J’y trouvai le temple de Sant’-Ambrosio de Milan, construit par les Lombards et orné de sculptures et de peintures grecques, et d’une vaste tribune circulaire, mais d’une mauvaise architecture. Ce temple fut rebâti par Bramantino, qui l’enrichit d’un portique de pierre et de colonnes taillées en tronc d’arbre. Le même livre renfermait l’ancien et admirable portique de l’église de San-Lorenzo, édifié par les Romains, et le temple de Sant’-Ercolino, qui est revêtu d’incrustations de marbres et de stucs très-bien conservés, et où l’on rencontre plusieurs grands mausolées de granit. Bramantino avait aussi dessiné le temple de San-Piero-in-Ciel-d’Oro de Pavie, dans la sacristie duquel est le tombeau de saint Augustin, couvert de petites figures que je crois avoir été sculptées par Agnolo et Agostino, de Sienne. On voyait encore dans le livre du Bramantino la tour construite par les Goths, et qui contient, entre autres choses, quelques statues en terre cuite, de six brasses de hauteur, qui se sont maintenues jusqu’à nos jours en assez bon état de conservation. C’est dans cette tour que, dit-on, mourut Boëce. Ce saint homme fut inhumé à San-Piero-in-Ciel-d’Oro, où son tombeau fut restauré par Aliprando, l’an 1522. Enfin Bramantino reproduisit le temple de Santa-Maria-in-Pertica, bâti en rotonde par les Lombards, qui sert aujourd’hui de sépulture aux Français tués à la bataille de Pavie, où le roi François Ier fut fait prisonnier par l’armée de l’empereur Charles-Quint.

Laissons maintenant de côté les dessins du Bramantino. À Milan, il peignit, sur la façade de la maison du signor Giovambattista Latuate, une Madone placée entre deux Prophètes ; et sur la façade de la maison du signor Bernardo Scacalarozzo, quatre figures colossales. Il exécuta encore à Milan d’autres ouvrages justement estimés ; car ce fut lui qui introduisit dans sa patrie le goût de la bonne peinture. Ses édifices et ses perspectives furent le premier objet des études de Bramante, et contribuèrent beaucoup à former cet architecte.

Bramantino est l’auteur du magnifique temple de San-Satiro, qui est orné au dedans et au dehors de colonnes, de doubles corridors, et accompagné d’une sacristie remplie de statues. La tribune de cette église est d’une telle beauté, que Bernardino da Trevio l’imita dans la cathédrale de Milan et se consacra à l’architecture, bien que son premier métier fût la peinture, comme le témoignent les quatre sujets de la Passion qu’il exécuta à fresque dans un cloître du monastère delle Grazie.

Bernardino da Trevio aida puissamment le sculpteur Agostino Busto, surnommé Bambaia, duquel nous avons parlé dans la biographie de Baccio da Montelupo. Agostino fit, dans le monastère des religieuses de Santa-Marta de Milan, plusieurs ouvrages, et entre autres le Tombeau de Monseigneur de Foix, mort à Pavie. Bien qu’il soit très-difficile de pénétrer dans le monastère, j’obtins la permission d’examiner ce mausolée, qui se compose de dix bas-reliefs en marbre, sculptés avec un soin extrême et représentant les combats, les batailles, les victoires, et enfin la mort et l’ensevelissement de Monseigneur de Foix. Ce ne fut pas sans un profond étonnement que je considérai ce tombeau. En contemplant ces trophées, ces armes de tout genre, ces chars, cette artillerie, cette multitude d’instruments de guerre, d’un travail et d’une délicatesse inouïs, et la statue armée et grande comme nature de Monseigneur de Foix, dont le visage semble rayonner d’une joie glorieuse, je restai un moment à me demander s’il était bien possible que ce fût l’œuvre de la main et du ciseau. Il est déplorable, en vérité, que ce monument, digne d’être compté parmi les merveilles de l’art, soit inachevé et que ses morceaux gisent épars sur le sol (29) : aussi n’est-il pas étonnant que l’on en ait volé et vendu quelques figures. Mais aujourd’hui, il règne si peu de piété chez les hommes, que, parmi tous ceux que Monseigneur de Foix a accablés de bienfaits, il n’y en a pas un seul qui ait songé à préserver sa mémoire de cette injure. Agostino Busto a laissé dans la cathédrale de Milan quelques ouvrages ; dans l’église de San-Francesco, le tombeau des Biraghi ; et dans la Chartreuse de Pavie, divers morceaux d’une rare beauté.

Il eut pour rival un certain Cristofano Gobbo (30), qui a enrichi la façade et l’intérieur de l’église de la Chartreuse de Pavie de sculptures qui le placent au nombre des meilleurs artistes lombards. L’Adam et l’Eve dont Cristofano a orné la façade orientale de la cathédrale de Milan sont fort estimés, et ne sont inférieurs à aucune statue des maîtres de sa patrie.

Vers le même temps, il y eut à Milan un sculpteur appelé Angelo, et surnommé le Ciciliano, lequel fit également pour la façade orientale de la cathédrale une sainte Marie-Madeleine, soutenue en l’air par quatre enfants. Ces figures sont non moins belles que celles de Cristofano. Le Ciciliano cultiva aussi l’architecture. Il bâtit, entre autres choses, le portique de San-Celso, qui fut terminé après sa mort par Tofano, dit le Lombardino. Ce dernier, comme nous l’avons noté dans la biographie de Jules Romain, éleva à Milan de nombreux édifices civils et religieux, parmi lesquels nous nous contenterons de citer le monastère des religieuses de Santa-Caterina, près de la porte Ticinese.

Grâce à l’entremise de Lombardino, Silvio de Fiesole eut part aux travaux de la cathédrale (31). Il sculpta avec talent le Mariage de la Vierge, pour une porte située au couchant et ornée de sujets tirés de la vie de la Madone. En face du bas-relief de Silvio, on voit les Noces de Cana, exécutées par l’habile Marco da Gra. Cette décoration est aujourd’hui continuée par le jeune Francesco Brambilari, qui a presque achevé déjà la Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres. Francesco a fait en outre, pour la cathédrale, un admirable groupe d’enfants et de feuillages, sur lequel sera placée la statue en marbre du pape Pie IV (32).

Si Milan avait offert pour l’étude de l’art autant de ressources que l’on en rencontre à Rome et à Florence, il est certain que ses vaillants maîtres auraient produit des choses étonnantes. Le cavalier Lione Lioni, d’Arezzo, vient de leur rendre un immense service, en apportant dans leur ville une multitude de plâtres moulés sur l’antique (33).

Mais revenons aux peintres milanais. Lorsque Léonard de Vinci eut achevé son Cénacle, Marco Uggione, et quantité d’autres Milanais que nous avons mentionnés dans sa biographie, cherchèrent à l’imiter (34). Cesare da Sesto fut un de ceux qui s’approchèrent le plus de sa manière (35). Il peignit un grand et magnifique Baptême du Christ, que l’on trouve dans les bâtiments de la Monnaie de Milan, ainsi qu’une Hérodiade et une tête de saint Jean-Baptiste. L’église de San-Rocco, hors de la porte Romana, doit à Cesare un saint Roch et quelques tableaux très-estimés.

Gaudenzio de Milan peignit, à San-Celso, le tableau du maître-autel ; et, dans une chapelle de Santa-Maria-delle-Grazie, une Passion du Christ, où les figures sont grandes comme nature et se font remarquer par l’étrangeté de leurs attitudes. Gaudenzio exécuta ensuite, au-dessous de cette chapelle, en concurrence du Titien, un tableau qui, malgré la haute opinion qu’en avait son auteur, n’est point supérieur à ceux des autres maîtres qui travaillèrent dans la même église (36).

Bernardino del Lupino, dont nous avons déjà parlé ailleurs, décora à Milan, près de San-Sepolcro, la maison du signor Gianfrancesco Rabbia, c’est-à-dire la façade, les loges, les salles et les chambres. Il y représenta plusieurs Métamorphoses d’Ovide et d’autres motifs où l’on admire de belles figures d’un travail délicat. Il couvrit de divers sujets la paroi principale de l’autel du grand monastère, et il laissa dans une chapelle du même endroit un Christ à la Colonne, et maints tableaux qui tous ne méritent que des éloges (37).

Nous n’ajouterons rien de plus à cette notice sur les artistes lombards (38).



Nous avons déjà indiqué, dans le Commentaire sur le Mantegna, qu’il n’y avait point, à bien dire, une seule école lombarde homogène, avec un caractère distinct et particulier. Les écoles, en effet, ne sont pas déterminées par des considérations géographiques, mais par un système spécial et un ensemble de moyens pratiques, communs à une série d’artistes. Les grandes écoles de Florence, de Venise, de Rome, réunissent manifestement ces conditions originales qui les séparent l’une de l’autre et de toutes les autres, comme nous l’avons expliqué à propos de maîtres éminents.

Il n’en est point ainsi de l’école improprement appelée lombarde. « La Lombardie, écrit Lanzi, divisée en une multiplicité de gouvernements, eut ans chaque territoire une école distincte et compta des époques différentes. » Quelle analogie pourraiton admettre entre le Corrége et le Vinci, entre l’école de Mantoue au XVe siècle, et la même école de Mantoue après Jules Romain ? Non-seulement ces écoles diffèrent entre elles, quoiqu’elles s’influencent réciproquement, mais chacune, considérée à part, a subi de notables transformations. Il convient donc d’étudier ces écoles et ces époques, et d’esquisser à grands traits le mouvement des groupes particuliers, leur pénétration mutuelle, et la filiation des principaux initiateurs.

Le Vasari a disséminé dans son ouvrage les divers artistes de la Lombardie. Nous avons déjà vu le Mantegna, le Vinci, le Corrége et les Mazzuoli, le Boccaccino, Lorenzo Costa, Ercole et les Dossi, le Pellegrino et quelques autres. Vasari vient de toucher encore rapidement à Ferrare, à Modène, à Parme, à Milan et à Mantoue. C’est donc le lieu de résumer, dans ce commentaire, tout ce qui concerne les écoles des états lombards. Souvent Vasari, Lanzi et les autres biographes, sont en désaccord sur les dates, et même sur les noms. Nous n’avons pas négligé, en chaque occasion, d’éclaircir ces points imperceptibles, quand nous sommes passés aux alentours, avec quelque lumière en main. Ici, nous ne nous attacherons point à discuter les détails, afin de suivre, sans distraction et sans halte, l’histoire tortueuse de la peinture en Lombardie.

Il n’est pas douteux que le nord de l’Italie, comme le midi, n’ait fourni des peintres bien avant le XIVe siècle. On cite des miniatures précieuses à Mantoue, des élèves du Berlinghieri de Lucques, à Modène, vers le milieu du XIIIe siècle, et à la même époque les décorations du presbytère de Parme et de la cathédrale de Crémone. Quant à Milan, capitale de la Lombardie, elle offre encore quelques restes d’un art fort ancien, qu’on a même nommé style longobardique. Mais en Lombardie, comme dans les autres contrées italiennes, l’histoire ne devient guère lumineuse qu’à partir de Giotto.

Dès les premières années du XIVe siècle, le Giotto vint apporter dans le nord son style et ce germe de révolution que le XVIe siècle devait faire épanouir en mille fleurs. Aux artistes médiocres, le Giotto apprit du moins une manière préférable à l’ancien style, et il donna aux hommes supérieurs l’exemple d’obéir à leur propre originalité.

En 1306, d’après un manuscrit cité par Rossetti, le Giotto était à Padoue, cette ville presque vénitienne, qui devait, plus tard, former le Mantegna dans les ateliers du Squarcione. Il y peignit, avec les conseils du Dante, quelques traits de la vie de Jésus dans la petite chapelle de l’Arena. Nous le retrouvons ensuite à Ferrare où, selon Vasari, il laissa plusieurs ouvrages aux princes de la maison d’Este, dans le palais et à Sant’-Agostino. On voyait encore ces peintures à l’époque du Vasari. Puis voilà Giotto à Milan, en 1335, un an avant sa mort. Dans toutes les villes où il passait, les anciens peintres étudiaient ses œuvres ; la jeunesse adoptait son école, et souvent même on appelait ses élèves de Florence, pour le continuer. Cependant l’influence du Giotto ne doit être comptée que comme l’un des signes de cette Renaissance active qui fut encore favorisée par la découverte et l’appréciation des chefs-d’œuvre antiques. Et avant tout, il faut bien faire honneur de la Renaissance au génie indigène des populations. Chaque ville y a contribué pour sa part, suivant son inspiration et son tempérament.

En Lombardie, les principaux centres de l’art furent Mantoue, Ferrare, Parme, Modène, Crémone et Milan.

L’école ferraraise, dit Lanzi, naquit, pour ainsi dire, jumelle de celle de Venise. Nous passons ses premiers temps, et nous trouvons après Giotto, à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe Galasso Galassi, dont Vasari parle brièvement, et que Bottari note en 1334 ou 1390 ; vers la même époque, Antonio de Ferrare, surnommé il Vecchio, cité aussi par le Vasari, comme élève d’Agnolo Gaddi ; un peu plus tard, Stefano de Ferrare, élève du Squarcione de Padoue, mentionné dans la vie du Mantegna ; et enfin, un disciple de Galasso Galassi, Cosmè, ou Cosimo Tura, peintre de Borso d’Este.

À la fin du XVe siècle, Lorenzo Costa fut pour Ferrare, comme nous l’avons dit, à la suite de sa biographie, ce que les Bellini furent pour Venise. Nous avons aussi réfuté les prétentions de Bologne, de Florence et de Mantoue sur le Costa. Sans doute, ses études d’après les œuvres de Filippino Lippi et de Benozzo Gozzoli, à Florence, contribuèrent à développer sa science du dessin ; sans doute, il profita également des progrès que Mantegna, Francia et les autres maîtres contemporains avaient décidé chacun dans sa ville ; sans doute, on remarque dans plusieurs de ses peintures une certaine analogie avec celles du Mantegna, et la préoccupation des grandes lignes à la manière des Florentins ; mais le génie du Costa n’en est pas moins individuel, à ce point que nous le prendrions volontiers pour la personnification la plus saisissable de l’école de Ferrare dont il fut en même temps le plus illustre initiateur. Les deux ou trois grands peintres qui vinrent après lui, comme le Garofalo, les Dossi et le Carpi, ont peut-être un style plus coulant, une pratique plus facile, un talent plus perfectionné ; mais, par cela même qu’ils avaient perfectionné leur talent au contact des maîtres étrangers, comme le Garofalo qui étudia sous Raphaël et qui fut l’ami du Giorgione, du Titien, de Jules Romain ; par cela même, le style du Garofalo et des Dossi est moins autochtone, si l’on peut ainsi dire. Lorenzo Costa garde le caractère indigène, bien qu’il se soit approprié les principales ressources des autres Italiens de son temps. Il est plus sec et moins souple que le Francia. Il est moins sobre et plus capricieux que les Florentins. Il affectionne surtout les compositions symboliques, comme le Triomphe de la vie dans un char traîné par des éléphants, le Triomphe de la mort dans un char traîné par des buffles, qu’on voit à Bologne, dans l’église de San-Giacomo-Maggiore, à la chapelle des Bentivogli ; comme le Couronnement d’Isabelle d’Este, par l’Amour, à notre Musée du Louvre ; comme la plupart des compositions citées par Vasari. Le Musée de Berlin possède quelques tableaux curieux de Lorenzo Costa, entre autres une Présentation au Temple, datée de 1502, avec un grand nombre de figures, une Descente au tombeau, datée de 1504, tout à fait dans ce style allégorique dont nous parlons.

Ses principaux élèves furent, comme le dit Vasari, Ercole Grandi qui travailla beaucoup à Bologne et à Ferrare et fut souvent préféré à son maître ; Lodovico Malini dont le véritable nom paraît être Mazzolini, suivant la signature de sa fameuse Dispute de Jésus avec les docteurs, qui porte la date 1524, et se trouve maintenant au Musée de Berlin. Les Dossi étudièrent aussi dans son école, et même le Garofalo, d’après quelques biographes ; mais ce dernier, suivant Vasari, rencontra seulement Lorenzo à Mantoue et s’attacha à lui pendant deux ans.

Benvenuto Garofalo, dont la biographie précède, est assurément un des meilleurs maîtres de Ferrare ; mais son style est d’abord un peu complexe, comme nous l’avons dit : plus tard seulement il se décide tout à fait pour l’école romaine. À son commencement, il étudie à Ferrare chez Domenico Lanero, le même, selon Lanzi, que Domenico Panetti, maître distingué, contemporain du Costa ; puis il passe deux ans à Crémone, dans l’atelier du Boccaccino ; quinze mois à Rome, vers l’an 1500, dans l’atelier du Baldini, peintre florentin ; et après son séjour à Mantoue chez Lorenzo Costa, il revient dans sa patrie et travaille de concert avec les Dossi.

En 1505, il retourne à Rome et reçoit les leçons de Raphaël ; mais bientôt il se fixe définitivement à Ferrare, où il meurt âgé de soixante-dix-huit ans. Les deux frères Dossi, ses collaborateurs, et principalement Dosso Dossi, qui avait séjourné à Rome, mais après Raphaël, et qui eut l’honneur d’être célébré dans les vers de l’Arioste, son compatriote et son contemporain, les deux Dossi eurent une grande réputation à Ferrare[1]. Le Dosso mourut en 1560, un an après le Garofolo. Alors l’école de Ferrare n’eut plus guère de représentants dignes d’attention : l’Ortolano, le Caligarino, les élèves du Garofalo ou des Dossi finirent le XVIe siècle ; encore la plupart s’adonnèrent-ils à des styles étrangers, comme Girolamo de Carpi[2] qui, ayant toujours cherché l’imitation du Corrége, devait plutôt figurer dans l’école de Parme que dans celle de Ferrare. Après ces trois grands artistes, le Costa en première ligne, puis Garofalo et Dosso, il n’y a donc plus, à proprement parler, d’école ferraraise ; elle est envahie par son entourage et se confond, ici avec l’école de Parme, plus tard avec l’école bolonaise.

L’école de Mantoue n’a guère laissé d’ouvrages appréciables jusqu’à l’époque d’Andrea Mantegna, qui en est le fondateur et le représentant. Elle tient donc par son origine à l’école de Padoue, de même qu’elle a beaucoup contribué aux origines des écoles de Parme et de Modène. Le Mantegna, en effet, s’était formé à l’école du Squarcione : celui-ci avait voyagé dans toute l’Italie et séjourné en Grèce, recueillant une foule d’ouvrages antiques, copiant ceux qu’il ne pouvait emporter. Son atelier présentait donc la collection la plus curieuse et la plus instructive. Les disciples y accoururent de toutes parts, et le Mantegna y acquit une science solide et un goût sévère, dont on reconnaît les résultats dans sa peinture. Il établit son atelier à Mantoue, qui devint ainsi, à son tour, un centre important, avec la protection des Gonzaga. Le Mantegna peut être compté parmi les peintres les plus éminents du XVe siècle, et son influence fut considérable, non-seulement en Lombardie, mais dans le reste de l’Italie. Son dessin a de la grandeur et de l’élégance ; on y trouve souvent des souvenirs de la statuaire grecque, comme dans le Parnasse de notre Musée. L’esprit de la Renaissance est bien saisissable dans ses œuvres ; il a l’intelligence méditative du monde moderne, et l’on voit en même temps qu’il cherche à incarner sa pensée dans une forme attrayante, comme les anciens. Il a rendu de grands services à ses successeurs pour la science de la perspective et du raccourci. Tous les Mantouans suivirent glorieusement ses traces, ses fils d’abord, et principalement Francesco, Carlo del Mantegna, Gianfrancesco Garotto et Francesco Monsignori, artistes habiles, dont les œuvres ont souvent été confondues avec celles du maître, quoiqu’elles n’en aient ni la précision ni la pureté.

Cependant l’école du Mantegna s’éteignait, après avoir dispersé au loin ses rayons, quand Jules Romain fut appelé par le duc Frédéric. Il ouvrit une époque nouvelle qui fut brillante pour Mantoue. Nous avons montré, dans son commentaire, comment tous les artistes se rangèrent alors autour de lui et pratiquèrent ses enseignements. Mantoue devint comme une seconde Rome. Il nous suffit de citer, parmi les auxiliaires et les continuateurs de Jules Romain, le Primatice, le Pagni, le Rinaldo, le Guisoni, le Bertani, et plusieurs Costa qui paraissent descendre de Lorenzo Costa, le Ferrarais. En outre, Mantoue s’enrichit des œuvres du Corrége, du Tintoret et des autres grands maîtres du XVIe siècle et du commencement du XVIIe siècle.

Après l’école de Jules, vinrent donc les étrangers, comme Viani, ou le Vianino, de Crémone, élève des Campi ; Domenico Feti, de l’école romaine ; Giovanni Canti, de Parme, etc. Mantoue donna naissance à quelques autres qu’on ne saurait compter dans son école, comme le Venusti, le Manfredi et le Fachetto. Il s’y établit ensuite une académie qui acheva la décadence, et l’école disparut.

L’école de Parme se personnifie dans un homme ; mais celui-ci est un des principaux types de la peinture italienne. On sait que nous ne sommes pas partisans de ce mesurage absurde et impossible des grands hommes entre eux, et nous croyons en avoir fait justice dans le commentaire sur le Rosso. Les hommes supérieurs nous paraissent des quantités incommensurables, justement parce que leur valeur est de nature différente. Si l’on ne peut établir un rapport précis entre un peintre et un musicien, par exemple, entre Raphaël et Mozart, comment mesurer les proportions du talent entre deux peintres, dont l’excellence consiste dans des qualités personnelles, originales, et par conséquent diverses ? Cependant l’histoire et le sentiment persévérant des artistes ont toujours élevé au-dessus de la foule, si brillante qu’elle soit, certains hommes dont le génie eut le privilège de représenter distinctement certaines perfections. Le Corrége est un de ces hommes ; c’est, avec Michel-Ange, Raphaël, le Vinci et Titien, une des individualités les plus caractérisées de l’école italienne, comme le Poussin, Rembrandt et Rubens, Velasquez et Murillo dans les autres écoles.

Avant le Corrége, il y avait eu, comme partout, des artistes à Parme et dans ses dépendances. Au commencement du XIIIe siècle, on y peignait déjà des sujets d’histoire, suivant le père Affo. En 1260, on orna le presbytère de peintures fort remarquables pour le temps. Le XIVe et le XVe siècle fournirent plusieurs peintres, disciples, en général, des écoles voisines, du Francia, du Mantegna ou des Rellini. À la fin du XVe siècle, une famille bien célèbre depuis et bien nombreuse, la famille des Mazzuoli, jouissait à Parme d’une grande considération. Les Mazzuoli étaient trois frères : Michèle, Pierilario et Filippo, surnommé dell’ Erbetta. Cependant, le jeune Antonio Allegri, de Correggio, fut choisi pour exécuter les peintures de San-Giovanni et de San-Paolo. Après la coupole de San-Giovanni, terminée en 1624, une nouvelle école fut fondée.

Nous n’avons point à examiner ici le style du Corrége et de ses continuateurs[3] ; style admirable par la grâce et l’expression des figures, la science des raccourcis, la transparence des demi-teintes, la richesse des tons et un empâtement particulier. À la fin du XVIe siècle, l’éducation d’un artiste n’était pas complète s’il n’avait pas copié quelque peinture du Corrége ; et l’on sait que l’école des Carrache dut, en partie, l’habileté de sa pratique à l’étude des œuvres de ce grand homme. Nous renvoyons, du reste, à nos précédents commentaires et aux solides dissertations de Lanzi.

Le Corrége mourut bien jeune, hélas ! quoique son nom soit immortel ; mais son école l’a reflété pendant longues années. Il faut compter à sa suite son fils, Pomponio Allegri, Cappelli, Giarola, Bernieri, Torelli, Rondani, Anselmi, Gandini, Lelio Orsi, le Carpi dont nous avons déjà parlé, Bernardo Gatti, surnommé le Soiaro, dont nous parlerons à l’école de Crémone, et bien d’autres.

Les fils de Mazzuoli adoptèrent aussi son style, et Francesco, surnommé le Parmigianino, fut le plus célèbre de ses imitateurs : le Vasari en donne une excellente biographie. Francesco continua jusqu’à l’exagération la manière du Corrége, pleine de charme et de volupté, et son influence hâta bientôt l’oubli des grandes traditions.

Vers la fin du siècle, l’école de Parme n’offrant plus de maîtres renommés, on appela divers peintres des villes voisines, le Sammacchini, Ercole Procaccini, Cesare Aretusi, et enfin les Caracci. En 1580, Annibal était à Parme, copiant le Corrége et méditant son style. Agostino y travailla avec lui. Leur frère Luigi fut aussi employé à Plaisance : si bien que les Bolonais s’assimilèrent en partie les ressources pratiques de cette grande école, et la supplantèrent tout à fait.

Alors Parme fut envahie par l’école éclectique des Bolonais. Les jeunes artistes, natifs de Parme, comme Lanfranco et le Badalocchi, suivirent les Carracci. On vit encore à Parme le Bertoja, Giambatista Tinti, élève du Sammacchini, Lionello Spada, Trotti, Schedone, et même Ribera, qui y laissèrent de nombreux ouvrages. Après eux, on ne trouve plus que des noms insignifiants.

Ainsi finit la glorieuse école de Parme, par la conquête des Bolonais, et plus tard, au XVIIIe siècle, par la fondation d’une académie. Ce fut la destinée commune de presque toutes les écoles d’Italie, et le signe de la décadence. L’école bolonaise ayant substitué l’imitation à l’invention, une prétendue science à l’originalité, on devait aboutir partout aux académies, qui sont censées réduire la poésie en système, c’est-à-dire qui étouffent toute poésie individuelle. L’art avait été soutenu par l’inspiration et la réflexion ; il s’abattit quand on coupa l’une de ses ailes.

L’école de Modène commence au milieu du XIVe siècle, par Tommaso de Mutina, Barnaba et Serafino de’ Serafini, ces deux derniers imitateurs du Giotto. Au XVe siècle, Lanzi cite, d’après Tiraboschi, les peintres suivants : Bartolommeo Bonasia, Raffaello Calori, Francesco Magnagnolo, Cecchino Setti, Nicoletto, un des plus anciens graveurs sur cuivre, Giovanni Munari, le père et le premier maître du célèbre Pellegrino, Francesco Bianchi Ferrari, dont le Musée du Louvre possède un tableau, et que plusieurs auteurs considèrent comme le maître du Corrége ; enfin quelques autres artistes des villes voisines, comme Bernardino Orsi, de Reggio.

Modène avait, en outre, une foule de bons modeleurs, Guido Mazzoni ou le Paganini, qui suivit Charles VIII en France, Giovanni Abati, père du fameux Niccolò que nous retrouverons tout à l’heure, et Antonio Begarelli, dont Michel-Ange lui-même a fait l’éloge. Le Begarelli tenait, en meme temps, une école de dessin où se formèrent la plupart de ses jeunes compatriotes.

Cependant Modène, qui a fourni tant de bons artistes aux écoles d’Italie, ne paraît pas avoir eu un style tout à fait particulier. On ne trouve pas un génie original qui la représente, tel que le Corrége à Parme, ou le Mantegna à Mantoue. Au XVIe siècle, au siècle d’or, comme dit Lanzi, Modène puise ses inspirations à deux sources fécondes mais étrangères, à l’école du Corrége et surtout à l’école de Raphaël. Le fils du Munari, Pellegrino était déjà, il est vrai, un peintre habile quand il vint à Rome ; mais il doit son illustration à l’amitié de Raphaël et à sa collaboration aux loges du Vatican. Par le Pellegrino et Giulio Taraschi, son disciple, le style romain s’établit donc à Modène. Gaspardo Pagani et Girolamo da Vignola, Alberto Fontana et Niccolò dell’ Abbate, en furent d’habiles sectateurs. Ces deux derniers ont beaucoup d’analogie dans leurs productions : peut-être avaient-ils commencé leurs études chez le Begarelli. Toujours est-il certain que leur peinture est dans le goût raphaëlesque. On donne encore pour maître à Niccolò, tantôt le Corrége dont il étudia en effet les œuvres, tantôt le Primaticio qui l’appela en France. On sait qu’Agostino Carracci trouvait Niccolò le plus complet des peintres et qu’Algarotti le comptait parmi les premiers de ceux qui ont brillé dans le monde.

Plusieurs peintres de la famille de Niccolò continuèrent son style à Modène, Pietro Paolo, son frère, Ercole son petit-fils, et un autre Pietro Paolo, fils d’Ercole. Son fils, Giulio Cammillo, passa en France avec lui.

Un autre groupe de Modenais suivait la direction du Corrége, dont les ducs d’Este avaient rassemblé dans leur galerie les principaux ouvrages : par exemple, Schedone vint travailler à Modène en concurrence d’Ercole dell’ Abbate ; et Lelio Orsi de Novellara forma plusieurs élèves, entre autres Jacobo Borbone et Raffaello Motta, de Reggio.

Au commencement du XVIIe siècle, les traditions du Pellegrino et de l’école romaine, comme les traditions du Corrége, s’obscurcirent peu à peu. Ici encore, les Bolonais apparaissent ; et avec eux la décadence. Favorisés par les princes de la maison d’Este, ils dominèrent à Modène par leurs enseignements et leurs disciples. Il est inutile de mentionner la foule insignifiante des élèves des Carracci, du Guide ou de l’Albane, et plus tard du Cignani et d’autres peintres étrangers.

Crémone eut aussi son Lorenzo Costa, son Mantegna, son précurseur du siècle d’or, dans la personne de Boccaccio Boccaccino ; avant lui, nous citerons pour mémoire Simone, en 1335, Luca Sclavo, en 1430, et Gaspare Bonino qui travaillait en 1460 pour Francesco Sforza.

Le Boccaccino fut le principal peintre de la cathédrale dont on avait commencé la décoration un peu avant lui. Quand il fut appelé avec Altobello Melone, Bonifazio Bembo et Cristoforo Moretti avaient déjà exécuté divers sujets de religion. Le Vasari n’est pas très-impartial à l’égard du vieux Boccaccino, dont il raconte, dans la notice spéciale qu’il lui a consacrée[4], une anecdote peu honorable réfutée par beaucoup d’auteurs. Boccaccino eut encore pour contemporains Galeazzo Campo et Tommaso Aleni, Giovambattista Zuppelli et Gian Francesco Bembo, frère et élève du Bonifazio.

Après cette époque préparatoire, le XVIe siècle s’ouvre par trois artistes recommandables à divers titres : en 1522, Cammillo Boccaccino, fils de Boccaccio, le Soiaro, élève du Corrége, Giulio Campo, fils de Galeazzo Campo, travaillaient à Crémone. Ils continuèrent, et bien d’autres avec eux, à orner la cathédrale, San-Sigismondo, et tous les édifices publics. Le Lomazzo et Lanzi font un éloge extraordinaire de Cammillo. Quant à Bernardo Gatti, surnommé le Soiaro, c’est un des bons élèves du Corrége. Il paraît qu’il était né à Crémone où il a produit de beaux ouvrages dès sa jeunesse. Il fut continué par son neveu Gervasio Gatti, par le Spranger et les Anguisciola qui passèrent de son atelier chez les Campi.

Cette famille des Campi était composée des trois frères Giulio, Antonio et Vincenzio, et de Bernardino, leur parent. Giulio, dit Lanzi, peut être considéré comme le Louis Carrache de son école. Il avait étudié sous Jules Romain à Mantoue ; plus tard, il alla à Rome copier l’antique et Raphaël. Il mit aussi à contribution le Titien et le Corrége, si bien que son style est un mélange de tous les styles. C’est une tentative analogue à celle des Carraches à Bologne ; mais elle n’eut ni le même succès ni la même durée. Cependant les Campi exercèrent une grande influence par leurs préceptes et leurs ouvrages, non-seulement à Crémone, mais dans les villes environnantes. Les quatre Campi ont beaucoup de ressemblance entre eux, quoique Giulio et Bernardino soient supérieurs aux deux autres. Lanzi a fait avec soin et prédilection l’histoire de cette époque à Crémone.

Les élèves des Campi les imitèrent servilement. La liste en est longue, mais peu intéressante. Bernardino seul forma quelques artistes dignes d’attention, Sofonisba Anguisciola et ses sœurs, et Giovanbattista Trotti, surnommé Malosso par Augustin Carrache. Vasari fait sortir Sofonisba de l’atelier de Giulio. On peut voir dans la biographie précédente l’estime qu’il professe pour la noble Sofonisba. C’est d’elle que Van Dyck, qui la connut lorsqu’elle fut devenue vieille et aveugle, disait : « J’ai plus appris de cette vieille femme aveugle, que de tous ceux qui y voient clair. » Sofonisba a surtout peint d’excellents portraits.

Trotti fut le disciple affectionné de Bernardino. Il imita, plus tard, le Soiaro, et forma à son tour une nombreuse école, qui, au commencement du XVIIe siècle, se confondit avec les imitateurs des Bolonais ; car le style des Carraches s’était aussi naturalisé à Crémone. Carlo Picenardi, le Natali, le Miradoro, tenaient, de près ou de loin, à leur manière. Tout est donc fini pour Crémone, puisqu’elle n’est plus qu’une dépendance de Bologne.

Nous voici à l’école milanaise, la plus nombreuse et la plus influente, si l’on excepte Parme à l’époque du Corrége. À son origine, après Giotto, et dans tout son cours, même sous le règne du Vinci, l’école milanaise a sans doute quelque affinité avec l’école florentine ; mais elle y ajoute des qualités propres qui ne se rencontrent nulle part dans la même combinaison. Le dessin est grandiose et élégant, mais moins fier toutefois que celui de Florence. Il est tempéré par une certaine douceur particulière aux Lombards. Le modelé intérieur est plus fin et plus patient. La lumière a des dégradations plus insensibles. Le principe général de la ligne est à peu près le même, mais il se modifie par la suite de l’exécution. Les Milanais ont moins de parti pris et de grande audace que les Florentins. Ces réflexions, qui s’appliquent à Léonard de Vinci comme à ses prédécesseurs, déterminent, quoique bien imparfaitement, le caractère original de l’école milanaise.

Giotto étant mort, il fut continué à Milan par le Stefano, son élève, et par Giovanni de Milan, élève de Taddeo Gaddi. À côté d’eux travaillaient, à la fin du XIVe siècle, Laodicia de Pavie, Andrino d’ Edesia et Michele de Roncho. Le Morazzone, que Vasari appelle Mazzoni ou Morzoni, et Michelino, sont du XVe siècle, ainsi que Vincenzio Foppa, de Brescia, que l’on considère comme un des principaux fondateurs de l’école.

À la fin du siècle, de 1476 à 1499, Bramante apparaît à Milan sous le règne de Francesco Sforza. Ce fut une belle époque pour l’architecture et la peinture. Comme peintre, le Bramante ressemble assez au Mantegna, ainsi que le prouvent son Martyre de saint Sébastien et quelques autres tableaux conservés à Milan ou en Lombardie. Il a beaucoup contribué à la science de la perspective linéaire et poussa ses contemporains au perfectionnement dans toutes les directions, même pendant cette première phase de sa vie, moins brillante que la seconde. Il est le maître du Bramantino, quoique Vasari et l’Orlandi prétendent l’inverse. Ce Bramantino, dont le nom véritable était Bartolommeo Suardi, est fort vanté par tous les auteurs et par notre Vasari qui cite avec admiration le Christ mort, peint en raccourci, au-dessus de la porte de l’église de San-Sepolcro, et les portraits du Vatican qui furent remplacés par des peintures de Raphaël.

Parallèlement à cette branche importante de l’école milanaise, le style de Foppa avait produit des continuateurs, comme Ambrogio Borgognone, le Montorfano, Stefano Scotto et autres qui aboutissent finalement, un peu plus tard, à Gaudenzio Ferrari. Le Lanzi les appelle antico-modernes. Le Borgognone, en effet, n’a pas la vigueur et l’aisance qui se manifestent déjà à la fin du XVe siècle. Il y a cependant de lui quelques peintures estimables à l’église Sant’-Ambrogio de Milan, et deux beaux tableaux au Musée de Berlin.

Ainsi était à peu près partagée l’école de Milan au temps de Léonard de Vinci : l’influence de Bramante, et l’influence posthume de Vincenzio Foppa. Il paraît démontré aujourd’hui que Léonard vint à Milan dès 1482 et non point seulement en 1494, comme le dit Vasari. Il y demeura jusqu’en 1499. On sait quel fut le génie de cet homme extraordinaire qui se montra supérieur dans tous les arts et dans toutes les sciences. Il est même prouvé, par des recherches toutes récentes, qu’il connaissait l’emploi de la vapeur dans la mécanique, puisque ses précieux manuscrits contiennent le dessin et l’explication d’un canon à vapeur, dont il attribuait la première invention à Archimède.

Tous les éléments de l’art, encore épars chez les maîtres du XVe siècle, Léonard les résume dans la perfection de son talent[5] : c’est le fruit à sa pleine maturité. Grâce aux conseils et aux exemples d’un pareil génie, son école devint promptement une des plus savantes de l’Italie. La solidité de ses principes assura une longue et paisible existence à ses disciples et imitateurs. Parmi eux se distinguent Andrea Salaï, le bien-aimé de Léonard ; Cesare de Sesto, qui fut aussi lié avec Raphaël ; Bernazzano, le paysagiste, ami de Cesare ; les deux nobles Milanais, Beltraffio et Francesco Melzi ; enfin Marco Uggione, qui a laissé une magnifique copie du Cénacle.

Mais le plus habile de tous fut Bernardino Lovino, ou Luini ; qu’il ait reçu les leçons directes du maître, ou qu’il se soit inspiré de ses œuvres, peu importe. Plusieurs des peintures de Luini ont été et sont encore attribuées à Léonard. Il s’était approprié le génie de Léonard, à la manière des vrais artistes, c’est-à-dire qu’il sut conserver, aux yeux des observateurs attentifs, une certaine originalité dans l’inspiration, tout en procédant de son maître pour le style et la pratique. Luini possède une finesse, une grâce, une délicatesse, une quiétude, un sentiment inépuisables. Chacune de ses figures est portée par la sollicitude de cet amour poétique jusqu’à l’expression la plus exquise. Quelquefois, dans ses derniers ouvrages, il se rapproche de Raphaël ; ce qui a fait supposer qu’il avait été à Rome. Il laissa deux fils, Evangelista et Aurelio Luini, qui vécurent jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Nous avons dit que l’école de Foppa avait persisté, malgré ces évolutions de l’art à Milan. Gaudenzio Ferrari paraît la représenter, au milieu de l’éclat des disciples de Léonard, c’est-à-dire pendant la première moitié du XVIe siècle ; mais il ne faut pas croire cependant que le Gaudenzio n’eût pas profité des progrès extraordinaires de la peinture, ni oublier qu’il travailla plus tard dans l’école de Raphaël. Ce que nous connaissons de Gaudenzio nous le montre comme un maître extrêmement habile, et quelques contemporains l’ont appelé le rival du Vinci. Son style est moins souple assurément, il a moins le sentiment de la vie et de la beauté. Son dessin est plus austère, et il conserve encore quelques traces de la vieille école ; mais ce n’en est pas moins un peintre de premier ordre. Son école, divisée en deux branches, a produit de bons peintres jusqu’au commencement du XVIIe siècle. Le Lomazzo, auteur du traité de la peinture, publié en 1584, s’honore d’avoir été l’un de ses disciples. Il faut encore mentionner Andrea Solari, appelé, par Vasari, Andrea de Milan.

Avec le XVIIe siècle, et même avant, arrivent les étrangers ; car les deux écoles du Vinci et de Gaudenzio n’avaient plus de représentants. Par surcroît, le cardinal Frédéric Borromée établit une académie ; c’était la manière d’alors, quand l’art menaçait ruine, et ce fut le moyen décisif de la décadence ; en 1609, la nombreuse et expéditive famille des Procaccini s’établit tout à fait à Milan, et le funeste système des Bolonais succéda encore ici à la grande école de Léonard. De l’atelier des Procaccini il ne sortit qu’un peintre notable, Daniel Crespi, que Lanzi appelle le dernier des Milanais, de même que Caton fut appelé le dernier des Romains.

NOTES.

(1) Voyez la vie du Mantegna, tome III.

(2) Voyez la vie de Lorenzo Costa, tome III.

(3) Camillo Boccaccino, élève de son père Boccaccio Boccaccino, travaillait en 1527. Il mourut en 1546. Voir Zaist.

(4) Voyez la vie du Francia, tome III.

(5) Domenico Lanero florissait à Ferrare en 1500.

(6) Altobello Melone, de Crémone, florissait du temps de Boccaccio Boccaccino.

(7) Voyez la vie du Dosso, tome VI.

(8) Voyez la vie du Corrége, tome IV.

(9) Ces peintures ont été gravées à l’eau forte par Gio. Battista Varnni, de Florence.

(10) Les peintures de l’église de San-Sepolcro ont été gravées sur cuivre par Francesco Bricci, élève de Louis Carrache.

(11) Peut-être Biagio Pupini, dit Maestro Biagio dalle Lamme, élève du Francia.

(12) C’est-à-dire San-Martino-Maggiore.

(13) Vasari commet ici deux erreurs de mémoire. Le tableau du cav. Bojardo était, non de la main du Corrége, mais de celle du Parmesan, et représentait Cupidon fabriquant un arc. Le tableau de la Chartreuse de Pavie était l’ouvrage du Corrége, et non celui du Parmesan. Il a été gravé sur cuivre par Francesco Aquila.

(14) Niccolò Abati, ou dell’ Abate, de Modène, naquit en 1509 ou 1512, et mourut en 1571. On voyait encore, en 1740, à Fontainebleau, trente-huit sujets peints par lui d’après les dessins du Primaticcio. Ces peintures ont été détruites ; mais il en reste des estampes gravées par Van-Thulden, élève de Rubens.

(15) Le Modanino, autrement dit le chevalier Guido Mazzoni, nommé aussi le Paganini, se fit connaître dès l’an 1484, par une Sainte Famille, dont toutes les figures sont d’une vivacité et d’une expression étonnantes. Ce grand modeleur servit Charles VIII à Naples et en France, où il demeura vingt ans. Il se retira ensuite comblé d’honneurs dans sa patrie où il finit ses jours en 1518.

(16) Cristofano Caselli, dit Cristofano de Parme ou le Temperello, a été très-préconisé par le Grappaldo dans le livre De partibus ædium. Il florissait en 1499.

(17) Michelagnolo Anselmi, appelé souvent Michel-Ange de Lucques, et plus communément encore de Sienne, naquit en 1491, et mourut en 1554.

(18) Bernardo Gatti, dit le Soiaro, de Crémone, ou suivant quelques auteurs, de Vercelli ou de Pavie, travaillait dès l’an 1522. Il mourut en 1575.

(19) La vie de ce Bonifazio a été écrite par le Ridolfi. Il fut élève de Palma l’ancien, mais imita beaucoup le Titien.

(20) Voyez la vie du Pordenone, tome VI.

(21) Vasari se trompe. Il n’a parlé de ce Geremia ni dans la biographie de Filarete, ni ailleurs.

(22) Pedoni vivait vers l’an 1580.

(23) Alessandro Bonvicini, dit le Moretto, de Brescia, naquit, suivant l’Orlandi, en 1514 ; mais c’est une erreur, car Alessandro peignait dès l’an 1516. Il vivait encore en 1547.

(24) Lattanzio Gambaro, ou Gambara, mourut à l’âge de 32 ans, en 1573 ou 1574.

(25) Giangirolamo Savoldo florissait en 1540. Il appartenait à une famille noble de Brescia. Paolo Pino l’a célébré parmi les meilleurs peintres de son temps. Il fixa son séjour à Venise où il devint l’un des émules du Titien en s’exerçant à copier ses ouvrages, non pas ses grandes machines, mais ses compositions moins vastes, exécutées avec un soin exquis. Savoldo ornait gratuitement les églises. Il fit aussi quelques peintures pour des particuliers ; elles sont rares dans les galeries, et on les regarde comme très-précieuses.

(26) Girolamo Muziano de Brescia ne laissa point de renommée dans sa patrie ; mais, étant allé fort jeune à Rome, il y fut considéré de suite comme un des plus fermes soutiens du bon goût. Il avait puisé dans l’école vénitienne ses principes de dessin et de coloris, et il devint d’abord habile à peindre les vues champêtres, au point qu’il était surnommé à Rome le jeune homme aux paysages. Il avait une telle ardeur pour le travail, qu’il se rasa la tête pour s’ôter la possibilité de sortir de sa maison. Ce fut alors qu’il peignit la Résurrection de Lazare, qui lui valut l’estime et la protection du Buonarroti. On voit dans les églises et les palais de Rome ses tableaux souvent ornés de paysages à la manière du Titien.

(27) Francesco Ricchino, de Brescia, doit être compté parmi les bons imitateurs du Moretto, même pour le coloris. Il chercha soigneusement à profiter des peintures, ou au moins des gravures du Titien.

(28) Cristofano Rosa, de Brescia, mourut en 1576. Stefano, son frère, travaillait en 1572. Pietro Rosa, fils de Cristofano, fut l’un des disciples du Titien que celui-ci instruisit avec le plus d’affection, et ce fut aux leçons de ce grand maître que le jeune Rosa dut ce coloris vrai qui distingue ses tableaux.

(29) Ces marbres sont perdus aujourd’hui.

(30) Cristofano Solari, dit le Gobbo de Milan, auquel fut attribuée la Piété de Michel-Ange. Voyez la vie du Buonarroti. Andrea, frère de Cristofano, était un peintre de mérite.

(31) Silvio Cosino de Fiesole, fut sculpteur, musicien, poëte et maître d’armes. Vasari parle de lui dans la vie de Perino del Vaga, tome VI.

(32) Francesco Brambilari, appelé aussi Bramballa, est mentionné par Lomazzo.

(33) Voyez la vie de Lioni Lioni.

(34) Marco Uggione ou Uglone ou d’Oggione, appelé aussi d’Ogiono dans la Nécrologie, doit figurer parmi les meilleurs peintres milanais. Il ne s’occupa pas seulement de tableaux de chevalet, comme la plupart des élèves du Vinci, mais ce fut un habile fresquiste. Il copia le Cénacle de Léonard, et cette copie est telle qu’elle répare en quelque sorte la perte de l’original.

(35) Cesare de Sesto est regardé comme le meilleur élève des Vinci, et Lomazzo le propose souvent comme un modèle pour le dessin, pour les attitudes, et surtout pour l’art d’éclairer les tableaux.

(36) Gaudenzio Ferrari naquit à Valdugia au-dessus de Milan, en 1484, et mourut en 1550.

(37) Bernardino Lanini, et non del Lupino, comme l’appelle Vasari, travaillait en 1546, Il mourut en 1578 environ.

(38) Le Musée du Louvre possède des tableaux et des dessins de la plupart des maîtres nommés dans cette biographie.

  1. Vasari, tome VI.
  2. Voir la biographie précédente.
  3. Voyez le commentaire sur le Corrége.
  4. Voir Vasari, tome VI.
  5. Voyez le commentaire sur Léonard.