Voyage à Vénus/8

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VIII

LE SOLEIL À L’HORIZON. — CAUSERIE SUR LA LITTÉRATURE TERRESTRE.


Nous ne manquâmes pas, le lendemain, de prendre le chemin du théâtre. Le soleil, qui se couchait à ce moment, dorait le sommet des édifices et allumait aux fenêtres de larges flammes rouges. Son disque était considérablement agrandi.

Vous savez que ce phénomène, qui se produit aussi dans notre planète, est diversement expliqué. Les uns prétendent que le soleil nous paraît plus gros à l’horizon parce que les objets, que nous savons grands, semblent petits à cette distance, et que la comparaison avec le soleil, qui se trouve près d’eux, nous fait juger cet astre agrandi. Explication défectueuse, car le phénomène ne se produit pas moins lorsqu’en arrondissant la main autour de l’œil, on isole l’astre de tout objet voisin.

D’autres soutiennent qu’on doit ce grossissement à la convexité de notre atmosphère qui fait l’office d’une lentille ; mais comme l’atmosphère est tout aussi convexe au zénith qu’à l’horizon, on ne comprend pas pourquoi le soleil paraîtrait plus gros dans la seconde position que dans la première. Je consultai Mélino à cet égard ; il me dit que, considérée isolément, la convexité atmosphérique ne saurait, en effet, rendre compte de la différence observée, laquelle provenait, selon lui, de la distance qui nous sépare de cette convexité, distance qui est plus grande à l’horizon qu’au zénith, comme le dessin le plus simple peut le démontrer. Or, plus nous éloignons les yeux d’une lentille, plus nous voyons grossir l’objet placé derrière elle.

Cependant l’astre qui faisait le sujet de cette petite causerie cosmographique se déroba bientôt à nos observations, et la perspective de la représentation qui nous était promise entraîna notre esprit à des préoccupations littéraires.

— Vous êtes heureux, me dit Mélino, de pouvoir faire de votre littérature avec la nôtre une comparaison qui doit être assez piquante.

— Il est vrai, lui répondis-je, mais si ce rapprochement vous semblait de quelque intérêt, il me serait aisé de vous mettre à même de le faire aussi, en vous présentant un aperçu sommaire de l’état des lettres dans nos contrées les plus civilisées.

— Vous me ferez grand plaisir, car j’aime beaucoup la littérature, comme vous avez pu en juger par l’inspection de ma bibliothèque.

— Chez nous, lui dis-je, l’éclat des lettres et des arts est loin d’avoir uniformément grandi, il s’est manifesté par effusions soudaines et par splendides intermittences, qu’on a nommées les grands siècles littéraires. Toutefois, je suis loin de penser que l’avénement de ces temps privilégiés ait été un pur caprice du hasard. Je crois que la main de Dieu est également libérale pour tous les temps ; seulement les germes célestes qui produisent à certaines époques ces magnifiques floraisons du génie, tombent sur un sol aride ou fertile, au milieu d’un climat propice ou funeste. Le génie et le talent sont des fleurs délicates qui parviennent difficilement à s’épanouir : elles s’étiolent si on leur mesure l’air avec parcimonie, elles se brisent dans les tourmentes politiques, elles se flétrissent au souffle glacé de l’indifférence. Ce qu’il leur faut, c’est un air libre et calme, et les douces chaleurs de la sympathie publique.

« Il leur faut aussi un degré propice de civilisation : elle doit être assez avancée pour que le goût soit formé, — pas trop, de peur qu’il ne soit blasé sur les émotions purement littéraires.

« De même qu’au lever du soleil, le ciel se pare de ses couleurs les plus riantes, c’est à l’aurore des nations que nous avons vu briller les plus riches reflets de la poésie. À cet heureux moment, les peuples avaient cette fleur de naïveté qui leur permettait d’ajouter foi aux légendes de leurs poëtes, et qu’ils ont perdue sans retour lorsque la science, venant substituer les froides notions de la réalité aux rêves enchantés de l’imagination, les a conviés à des études d’un intérêt plus pratique.

— Que voulez-vous ? observa Mélino, c’est ainsi que procède partout la nature. Enfant, l’homme croit aux contes de sa nourrice, et, l’âge arrivant, ses idées se tournent vers le positif et l’utile. L’arbre se couvre de fleurs au printemps et de fruits à l’automne.

— Eh bien ! répliquai-je, nous en sommes à l’automne… je dirai presque à l’hiver. La poésie ne captive plus l’attention publique. Un poëte d’un de ces grands siècles dont je vous ai parlé, disait :

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poëme.

« Aujourd’hui, un sonnet sans défaut est aussi sans lecteur, et encore plus un long poëme. Les prospectus financiers et les rapports de Conseils de surveillance ont bien plus de succès. Le printemps est passé : auteurs et public ont perdu la foi poétique. Il n’y a guère de poëtes, à vrai dire, mais des gens qui font de la poésie, qui versifient plutôt par fantaisie d’artiste que par inspiration, et sont des ciseleurs de phrases plutôt que des semeurs d’idées. Beaucoup ne se distinguent des prosateurs que par une sorte de jargon de convention, d’après lequel on dit : l’onde pour l’eau, les lambris pour le plafond, le coursier pour le cheval, la lèvre pour la bouche, l’azur pour le ciel etc. Ils divisent le tout en tranches de douze syllabes, rimant par le bout, publient cela en un joli volume sur papier satiné, laissent croître de longs cheveux, et se croient de grands génies. Presque toujours, ils s’attachent à rendre la poésie matériellement riche et brillante en prodiguant les saphirs, les diamants, les rayons d’or, les rayons d’argent, et surtout les étoiles ; il y a cent ans, c’était le soleil qui était en honneur ; cinquante ans plus tard, la lune se leva sur l’horizon poétique ; en ce moment, la mode est aux étoiles ; après quoi je crains bien que nos poëtes ne se voient forcés de renoncer au ciel — à moins d’en revenir au soleil.

« Quant au fond des idées que ce style recouvre, il est d’ordinaire éminemment sensuel et matérialiste. C’est là du reste le vice profond de toute notre littérature, la lèpre envahissante qui la ronge et qui la tue. En présence d’une civilisation énervée dans le matérialisme, la littérature qui représente le spiritualisme, aurait dû lutter contre lui avec énergie ; elle a passé à l’ennemi, et dédaigne l’approbation des intelligences d’élite pour plaire au grand nombre et courir à la fortune. La spéculation, qui s’empare de tout sur notre globe, a mis la main sur elle et l’entraîne à sa perte. C’est à la spéculation qu’on doit ces longues pièces, dont les auteurs semblent avoir oublié que, surtout au théâtre, — tout est bien qui finit tôt ; — c’est elle qui, s’adressant aux moins nobles instincts de la foule, produit tant de poésies voluptueuses, tant de romans lascifs et de mémoires scabreux, pimentés de provoquantes illustrations ; c’est pour exploiter le faux goût du grand nombre qu’elle dédaigne le simple — qui n’est autre chose que le beau — et qu’elle a recours au clinquant des antithèses et des grands mots, plus faciles à trouver que les grandes idées, à l’abus de la couleur et à la bizarrerie du style qui passe pour originalité.

« C’est encore la spéculation qui a perverti le théâtre au matérialisme : — matérialisme des sentiments qui fait rechercher, surtout dans les drames, les situations à émotions physiques, matérialisme de la représentation qui livre la scène aux trucs, aux décors et aux toilettes. Frapper le public de surprise et d’admiration par l’étalage de parures prétentieuses, soigneusement renouvelées à chaque acte, telle est la souveraine préoccupation de nos étoiles de théâtre. Quant aux actrices infimes — aux nébuleuses qui ne brillent que par groupes, — leur costume est si peu de chose, si peu, et ce peu est si diaphane, qu’elles semblent vraiment vêtues pour l’amour de Dieu, — et des hommes, — et que ce n’est pas la peine d’en parler. La plupart entrent en scène par pelotons de cinq, dix ou vingt, suivant les moyens de l’administration ; elles se rangent en ligne, et font les évolutions réglées par le metteur en scène, avec la précision et la grâce de gardes nationaux à l’exercice. Nullement préoccupées de leur personnage et des situations de la pièce, elles semblent toujours chercher quelqu’un dans la salle. D’ordinaire, leur rôle est purement plastique, et si par hasard elles ont à dire quelques mots, elles les disent si mal qu’on peut croire que l’auteur ne les leur a confiés que pour mieux faire apprécier ensuite le charme de leur silence. Je suis pourtant loin de croire que ce soit mauvaise volonté de leur part, mais — la plus jolie fille du monde ne peut montrer que ce qu’elle a, — et j’ai la conviction que si elles avaient du talent, elles ne manqueraient point de le montrer complètement, comme le reste.

« Le théâtre ainsi compris devenant tout à fait une industrie, on y emploie d’habitude les procédés de l’industrie proprement dite, et la langue du négoce. On vend une œuvre au prix courant, avec ou sans prime ; on se charge d’une commande de tant d’actes livrables à telle époque, pour telle circonstance, pour la rentrée d’un célèbre artiste, par exemple. Dans ces conditions, l’auteur s’engage à tailler le rôle principal exactement à la mesure du comédien, et si, pour ce travail, il manque de temps ou d’habileté, on met la pièce en plusieurs mains : celui-ci trace le dessin général et découpe les scènes, celui-là couvre le canevas des broderies de son style, un troisième rajuste tous ces morceaux littéraires, promène partout le fil de l’intrigue, et le dernier point mis, il livre l’ouvrage, sauf à y faire quelques coupures, si, après l’avoir essayé aux répétitions, l’artiste pour lequel on a travaillé en manifeste le désir.

« La pièce représentée, le public court y voir la célébrité en question, et vous entendez dire dans la ville : — « Êtes-vous allé voir X… dans la pièce nouvelle ? — Non. — Eh bien, je vous engage à n’y pas manquer : la pièce est mauvaise, mais X… y est très-bien. » L’auteur n’en veut du reste pas davantage, la pièce fera de l’argent, et c’est l’essentiel. Il sait parfaitement qu’il n’a pas travaillé pour la postérité, car le premier inconvénient, ou pour mieux dire, le premier avantage de ces sortes d’ouvrages, c’est de ne pas survivre à l’artiste pour lequel on les a confectionnés.

« Grâce à cette soif de succès lucratifs et à cette funeste préoccupation qu’ont la plupart des auteurs de faire rendre à leur imagination la plus grande somme de bénéfices possible, nous voyons naître une profusion d’œuvres hâtives et destinées à durer aussi peu de temps qu’elles en ont coûté. Notre époque est pourtant fertile en remarquables talents, mais nous comptons fort peu de génies : nous avons leur monnaie ; et s’il n’y a plus au firmament littéraire ces astres éblouissants qui, dans les grands siècles, inondaient le monde de leur vive et féconde lumière, nous y contemplons un vaste épanouissement d’étoiles scintillant d’un éclat plus modeste et sans trop s’éclipser entre elles. En aucun temps, la librairie et le théâtre ne produisirent plus d’ouvrages et moins de chefs-d’œuvre. Chacun cherche à réussir, à la fois, dans les genres les plus différents : ceux qui sont nés poëtes deviennent aussi orateurs et prennent tour à tour la plume du romancier, de l’historien, du polémiste ou de l’auteur dramatique. Et, comme pour toutes ces compositions si rapides, si diverses, l’inspiration, fille du travail et de la patience, ne vient pas toujours assez vite, on sait se passer d’elle par l’habileté du métier.

— Je ne veux pas trop blâmer, dit Mélino, la propension qui fait écouter aux écrivains et aux directeurs de théâtre les suggestions de leur intérêt personnel. C’est à l’État qu’il appartient de veiller à ce que cet intérêt se confonde avec celui des lettres et du goût public, et votre gouvernement ne pourrait-il pas, par exemple, subventionner quelques théâtres pour favoriser la saine littérature et les débuts des auteurs inconnus ?

— Il le fait, mon cher hôte, lui répliquai-je. Nous avons deux théâtres qui sont censés exercer cette mission, l’un pour la littérature, l’autre pour la musique.

— Deux théâtres, c’est bien peu.

— Assurément ; car ils sont loin de suffire à leur tâche, et, à voir ce qu’ils font pour les débutants, il est à croire qu’un peu plus de protection ne serait pas inutile à ceux-ci. On devait espérer que, conformément à leur institution, les théâtres dont je parle seraient entièrement consacrés aux essais des auteurs inconnus. Sans doute, ces essais, trahissant inévitablement un peu d’inexpérience, ne pouvaient faire d’abondantes recettes, mais la subvention y aurait suppléé, car elle n’est pas donnée pour autre chose. Il n’en est rien pourtant : l’ouvrage qui tient le haut de l’affiche est presque toujours signé d’un nom déjà célèbre, et la pièce qui l’accompagne habituellement choisie dans l’ancien répertoire.

« Oh ! l’ancien répertoire ! on le joue à satiété, à outrance ; et comme, après tout, il n’a produit qu’une vingtaine de pièces hors ligne, on s’évertue à fouiller dans ses poudreuses catacombes afin d’en retirer quelque œuvre fossile parfaitement oubliée. C’est ainsi que, livrés à leur ardeur résurrectioniste, nos théâtres subventionnés

 
Pour honorer les morts font mourir les vivants.
 

« Heureux les morts ! s’ils pouvaient hélas ! connaître leur bonheur. Le tort qu’on pardonne le moins à un auteur, c’est d’être vivant. Tant qu’il respire, on l’accable de critiques, on le décourage à force d’entraves, on le laisse en proie à la détresse, et chacun lui dit avec raison :

 

Soyez plutôt maçon, c’est un meilleur métier.

 

« Mais sitôt qu’il n’est plus, tout change comme par miracle : on le comble d’éloges dès qu’il ne peut plus les lire ni les entendre, on proclame son génie, les panégyriques s’épanchent sur son cercueil avec l’abondance d’un torrent longtemps contenu, et un tombeau splendide loge le pauvre diable qui s’est éteint dans une mansarde. On publie, on représente ses œuvres, et le public s’empresse de les acheter et de les applaudir, car il partage toute l’ardeur de ces enthousiasmes posthumes. Autant, pour montrer son sens critique, il s’attache à trouver des défauts aux œuvres d’un contemporain, autant, en revanche, il s’évertue à découvrir des merveilles dans celles de l’écrivain qui n’est plus, et souvent alors la prévention lui fait applaudir des beautés problématiques, comme elle lui avait fait blâmer des défauts imaginaires.

« Ce fanatisme du passé et ce dédain du présent sont d’autant plus injustes et cruels qu’un ouvrage ne gagne rien à vieillir, et qu’il a toute sa valeur au moment même où il sort des mains de son auteur. S’inspirant des préoccupations du moment, il est l’écho des cœurs honnêtes et des esprits droits en présence des vices et des ridicules contemporains ; plus tard, ces vices et ces ridicules disparaissent, ou plutôt se métamorphosent, et la pièce éventée n’a qu’un intérêt rétrospectif et qu’un pâle succès. Elle est comme la fleur qui puise sa substance dans le sol et dans l’atmosphère qui l’entourent : dès qu’elle n’a plus rien à leur demander et que sa corolle a tout son éclat et tout son parfum, elle languit, se fane, et ne peut plus être conservée que dans ces funèbres albums de fleurs desséchées — anciens répertoires des jardins, — qu’on appelle des herbiers.

— Nous partageons ici cette impression, fit Mélino ; un patronage plus sérieux entoure et guide nos débutants littéraires. Plusieurs scènes leur sont ouvertes, et, pour suivre votre comparaison, j’ajouterai que nous avons grand soin de ne pas laisser envahir ces terrains consacrés aux jeunes pousses par les pavots du vieux répertoire. Car nous avons aussi le nôtre, mais au lieu de le rabaisser à en faire un remplissage d’affiche, nous avons pour lui un théâtre spécial comme nous avons un musée pour les antiquités. Toutefois, le culte du passé ne nous fait pas négliger le souci du présent, qui est en même temps celui de l’avenir : nous entourons de notre sollicitude la plus vigilante la littérature contemporaine, et tous nos efforts tendent à préserver le goût public des œuvres qui s’adressent aux sens, persuadés que nous sommes qu’elles le dépravent profondément, de même que l’abus des épices et des liqueurs fortes émousse la délicatesse du palais. Les émotions physiques ont cela de malheureux qu’elles en appellent toujours de plus vives. Vous en avez vu un lamentable exemple dans cette histoire de l’empire romain que vous m’avez contée : aux poésies libertines succédèrent les satires obscènes, puis ces lectures ardentes ne suffirent plus, on voulut des réalités, et l’on délaissa les bibliothèques et les théâtres pour les violentes excitations de l’orgie ou les cruelles voluptés des combats de gladiateurs. Descendu à ce degré d’abaissement, un peuple a perdu, sans retour, non seulement toute notion d’art et de littérature, mais il s’est perdu lui-même parce qu’au souffle empesté du matérialisme, s’éteignent bientôt la conscience du devoir, le sentiment religieux, les douces affections de famille, base de la société, le courage, le dévouement, tous les généreux instincts, tous les nobles sentiments ; et il arrive un jour où le Peuple colosse, dominateur de l’univers, tombe comme de lui-même : — l’âme s’est retirée du corps, il ne peut plus se tenir debout !

« Par quel moyen conjurer de tels dangers sinon par la littérature ? Autant son influence est funeste quand elle seconde, par des productions sensuelles, le mouvement matérialiste, autant, si elle est spiritualiste et morale, elle peut devenir efficace pour retremper les âmes énervées par le scepticisme et le culte des intérêts.

« C’est à la rendre telle que nous appliquons tous nos soins. Pour faciliter l’éclosion des talents inconnus et convier tous les écrivains aux saines traditions, nous avons institué des comités éclairés et impartiaux : l’un d’eux juge les pièces des débutants, et transmet celles qu’il accepte aux théâtres affectés aux essais lyriques ou dramatiques, un autre examine les ouvrages des auteurs connus et les distribue, selon leurs genres, à d’autres théâtres, enfin un troisième prend connaissance des poëmes, des romans, etc., et les fait éditer aux frais de l’État s’il les reconnaît particulièrement dignes de la publicité. Dans plusieurs provinces, ce sont les sociétés de gens de lettres qui exercent ce patronage.

— J’approuve le patronage des sociétés, lui dis-je ; mais ici vous me paraissez soumettre la littérature au régime d’un vaste monopole qui la met dans la main de votre gouvernement.

— Pas plus que vous ne monopolisez la peinture et la sculpture en décernant à leurs productions remarquables les honneurs d’une exposition annuelle et d’une distribution de médailles. Nous avons pour nos théâtres subventionnés un jury impartial comme vous en avez un pour les Beaux-Arts, et, de même que votre jury artistique, il remplit sa mission en dehors de toute espèce de préoccupation gouvernementale ; nous permettons même aux auteurs d’exercer leur verve sur la politique. Nous n’interdisons que les pièces, qui, par d’ingénieux et subtils sophismes, tendent à ébranler le sentiment de nos devoirs dans la famille ou dans la société. Celles-là seules sont vraiment dangereuses : on sourit d’une plaisanterie un peu leste, mais, la lèvre détendue, il n’en reste aucune trace. Il n’en est pas ainsi d’un ouvrage qui, sous une forme attachante, soutient une thèse subversive : son influence délétère corrompt, jusque dans la racine, toute notion de saine morale, à ce point qu’on en arrive à se livrer au mal de gaieté de cœur, et que la conscience, cet ange gardien de notre âme, se fait la complice des mauvaises passions qu’elle devrait combattre.

« Sauf cette exception, nous n’imposons aux lettres aucune entrave, et l’État n’intervient que pour appeler et soutenir le débutant dans la bonne voie, le préserver des défaillances auxquelles pourraient l’entraîner les nécessités de la vie, et, rendant la bonne littérature aussi lucrative que l’autre, combattre celle-ci sur le terrain même des intérêts. »