Voyage en Orient (Lamartine)/Les Druzes

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Chez l’auteur (p. 279-291).


LES DRUZES




3 octobre 1832.


J’ai descendu aujourd’hui les basses pentes du Liban qui inclinent de Deïr-el-Kammar vers la Méditerranée, et je suis venu coucher dans un kan isolé de ces montagnes.

À cinq heures du matin, nous montions à cheval dans la cour du palais de l’émir. En sortant de la porte du palais, on commence par descendre dans un sentier taillé dans le roc, et qui tourne autour du mamelon de Dptédin. À droite et à gauche de ces sentiers, les coins de terre que soutiennent les terrasses artificielles sont plantés de mûriers, et admirablement cultivés. L’ombre des arbres et des vignes couvre partout le sol, et des ruisseaux nombreux, dirigés par les Arabes cultivateurs, viennent du haut de la montagne se diviser en rigoles, et arroser le pied des arbres et les jardins. L’ombre gigantesque du palais et des terrasses de Dptédin plane au-dessus de toute cette scène et vous suit jusqu’au pied de ce mamelon, où vous recommencez à gravir une autre montagne qui porte la ville de Deïr-el-Kammar sur son sommet. En un quart d’heure de marche nous y fûmes arrivés. Deïr-el-Kammar est la capitale de l’émir Beschir et des Druzes ; la ville renferme une population de dix à douze mille âmes. Mais, excepté un ancien édifice orné de sculptures moresques et de hauts balcons tout à fait semblables aux restes d’un de nos châteaux du moyen âge, Deïr-el-Kammar n’a rien d’une ville, encore moins d’une capitale ; cela ressemble parfaitement à une bourgade de Savoie ou d’Auvergne, à un gros village d’une province éloignée en France. Le jour ne faisait que de naître quand nous le traversâmes ; les troupeaux de juments et de chameaux sortaient des cours des maisons, et se répandaient sur les places et dans les rues non pavées de la ville : sur une place un peu plus vaste que les autres, quelques tentes noires de zingari étaient dressées ; des hommes, des enfants, des femmes, demi-nus ou enveloppés de l’immense couverture de laine blanche qui est leur seul vêtement, étaient accroupis autour d’un feu et se peignaient les cheveux, ou cherchaient les insectes qui les dévoraient. Quelques Arabes au service de l’émir passaient à cheval dans leur magnifique costume, avec des armes superbes à la ceinture, et une lance de douze à quinze pieds de long dans la main. Les uns allaient porter à l’émir des nouvelles de l’armée d’Ibrahim, les autres descendaient vers la côte pour transmettre les ordres du prince aux détachements commandés par ses fils, et qui sont campés dans la plaine. Rien n’est plus imposant et plus riche que le costume et l’armure de ces guerriers druzes. Leur turban immense, sur lequel serpentent, en rouleaux gracieux, des châles de couleurs éclatantes, projette sur leur visage bruni et sur leurs yeux noirs une ombre qui ajoute encore à la majesté et à la sauvage énergie de leur physionomie ; de longues moustaches couvrent leurs lèvres, et retombent des deux côtés de la bouche ; une espèce de tunique courte et de couleur rouge est un vêtement uniforme pour tous les Druzes et pour tous les montagnards : cette tunique est, selon l’importance et la richesse de celui qui la porte, tissue en coton et or, ou seulement en coton et soie ; des dessins élégants, où la diversité des couleurs contraste avec l’or ou l’argent du tissu, brillent sur la poitrine ou sur le dos. D’immenses pantalons à mille plis couvrent les jambes ; les pieds sont chaussés de bottines de maroquin rouge et de pantoufles de maroquin jaune par-dessus la bottine ; des vestes fourrées, à manches pendantes, sont jetées sur les épaules. Une ceinture de soie ou de maroquin, semblable à celle des Albanais, entoure le corps de ses plis nombreux, et sert au cavalier à porter ses armes. On voit toujours les poignées de deux ou trois kangiars ou yatagans, poignards et sabres courts des Orientaux, sortir de cette ceinture et briller sur la poitrine ; ordinairement les talons de deux ou trois pistolets incrustés d’argent ou d’or complètent cet arsenal portatif. Les Arabes ont tous en outre une lance dont le manche est d’un bois mince, souple et dur, semblable à un long roseau. Cette lance, leur arme principale, est décorée de houppes flottantes et de cordons de soie ; ils la tiennent ordinairement dans la main droite, le fer vers le ciel, et la tige touchant presque à terre ; mais quand ils lancent leurs chevaux au galop, ils la brandissent horizontalement au-dessus de leur tête ; et dans leurs jeux militaires ils la lancent à une distance énorme, et vont la ramasser en se penchant jusqu’à terre. Avant de la lancer, ils lui impriment longtemps un mouvement d’oscillation qui ajoute ensuite beaucoup à la force du jet, et la fait porter jusqu’à un but qu’ils désignent. Nous rencontrâmes un assez grand nombre de ces cavaliers dans la journée. L’émir Beschir nous en avait donné lui-même quelques-uns pour nous guider et nous faire honneur ; tous nous saluèrent avec une extrême politesse, et arrêtèrent leurs chevaux pour nous laisser le sentier.

Environ à deux milles de Deïr-el-Kammar, on a une des plus belles vues du Liban que l’on puisse imaginer. D’un côté, ses gorges profondes, où l’on va descendre, s’ouvrent tout à coup sous vos pas. De l’autre, le château de Dptédin pyramide au sommet de son mamelon, revêtu de verdure et sillonné d’eaux écumantes ; et devant vous les montagnes qui s’abaissent graduellement jusqu’à la mer, les unes noires, les autres frappées par la lumière, se déroulent comme une cataracte de collines, et vont cacher leurs pieds soit dans les lisières verdoyantes de bois d’oliviers dans les plaines de Sidon, soit dans des falaises d’un sable couleur de brique, le long des rivages de Bayruth. Çà et là, la couleur des flancs de ces montagnes et les lignes variées de leur immense horizon descendant, sont tranchées et coupées par des cimes de cèdres, de sapins ou de pins à larges têtes ; et de nombreux villages brillent à leurs bases ou sur leurs sommets. La mer termine cet horizon ; on suit de l’œil, comme sur une carte immense ou sur un plan en relief, les découpures, les échancrures, les ondulations des côtes, des caps, des promontoires, des golfes de son littoral, depuis le Carmel jusqu’au cap Batroun, dans une étendue de cinquante lieues. L’air est si pur, que l’on s’imagine toucher, en quelques heures de descente, à des points où l’on n’arriverait pas en trois ou quatre jours de marche. À ces distances, la mer se confond, au premier regard, tellement avec le firmament qui la touche à l’horizon, qu’on ne peut distinguer d’abord les deux éléments, et que la terre semble nager dans un immense et double océan. Ce n’est qu’en fixant avec plus d’attention les regards sur la mer, et en voyant briller les petites voiles blanches sur sa couche bleue, que l’on peut se rendre raison de ce qu’on voit. Une brume légère et plus ou moins dorée flotte à l’extrémité des flots, et sépare le ciel et l’eau. Par moments, de légers brouillards, soulevés des flancs des montagnes par les brises du matin, se détachaient comme des plumes blanches qu’un oiseau aurait livrées au vent, et étaient emportés sur la mer, ou s’évaporaient dans les rayons du soleil qui commençait à nous brûler. Nous quittâmes à regret cette magnifique scène, et nous commençâmes à descendre par un sentier tel, que je n’en ai jamais vu de plus périlleux dans les Alpes. La pente est à pic, le sentier n’a pas deux pieds de largeur ; des précipices sans fond le bordent d’un côté, des murs de rochers de l’autre ; le lit du sentier est pavé de roches roulantes, ou de pierres tellement polies par les eaux et par le fer des chevaux et le pied des chameaux, que ces animaux sont obligés de chercher avec soin une place où poser leurs pieds : comme ils les placent toujours au même endroit, ils ont fini par creuser dans la pierre des cavités où leur sabot s’emboîte à quelques pouces de profondeur ; et ce n’est que grâce à ces cavités, qui offrent un point de résistance au fer du cheval, que cet animal peut se soutenir. De temps en temps on trouve des degrés taillés aussi dans le roc à deux pieds de hauteur, ou des blocs de granit arrondis qui seraient infranchissables, et qu’il faut contourner dans des interstices à peine aussi larges que les jambes de sa monture : tels sont presque tous les chemins dans cette partie du Liban. De temps en temps les flancs des montagnes s’écartent ou s’aplatissent, et l’on marche plus à l’aise sur des couches de poussière jaune, de grès ou de terre végétale. On ne peut concevoir comment un pareil pays est peuplé d’un si grand nombre de beaux chevaux, et comment l’usage en est habituel. Aucun Arabe, quelque inaccessible que soit son village ou sa maison, n’en sort qu’à cheval ; et nous les voyons descendre ou monter, insouciants et la pipe à la bouche, par des escarpements que les chevreuils de nos montagnes auraient peine à gravir.

Après une heure et demie de descente, nous commençâmes à entrevoir le fond de la gorge que nous avions à traverser et à suivre. Un fleuve retentissait dans ses profondeurs, encore voilées par le brouillard de ses eaux, et par les têtes de noyers, de caroubiers, de platanes et de peupliers de Perse, qui croissaient sur les dernières pentes du ravin. De belles fontaines sortaient, à droite de la route, des grottes de rochers tapissés de mille plantes grimpantes inconnues, ou du sein des pelouses gazonnées et semées de fleurs d’automne. Bientôt nous aperçûmes une maison, entre les arbres, au bord du fleuve, et nous traversâmes à gué ce fleuve ou ce torrent. Là, nous nous arrêtâmes pour faire reposer nos chevaux, et pour jouir un moment nous-mêmes d’un des sites les plus extraordinaires que nous ayons rencontrés dans notre course.

La gorge au fond de laquelle nous étions descendus était remplie tout entière par les eaux du fleuve, qui bouillonnaient autour de quelques masses de rochers écroulés dans son lit. Çà et là quelques îles de terre végétale donnaient pied à des peupliers gigantesques qui s’élevaient à une prodigieuse hauteur, et jetaient leur ombre pyramidale contre les flancs de la montagne où nous étions assis. Les eaux du fleuve s’encaissaient à gauche entre deux parois de granit qu’elles semblaient avoir fendues pour s’y engouffrer ; ces parois s’élevaient à quatre ou cinq cents pieds, et, se rapprochant à leur extrémité supérieure, semblaient une arcade immense que le temps aurait fait écrouler sur elle-même. Là, des cimes de pins d’Italie étaient jetées comme des bouquets de giroflée sur les ruines des vieux murs, et se détachaient en vert sombre sur le bleu vif et cru du ciel. À droite, la gorge serpentait pendant environ un quart de mille entre des rives moins étroites et moins escarpées ; les eaux du fleuve s’étendaient en liberté, embrassant une multitude de petites îles ou de promontoires verdoyants ; toutes ces îles, toutes ces langues de terre étaient couvertes de la plus riche et de la plus gracieuse végétation. C’était la première fois que je revoyais le peuplier, depuis les bords du Rhône et de la Saône. Il jetait son voile pâle et mobile sur toute cette vallée du fleuve ; mais comme il n’est pas ébranché ni planté par la main de l’homme, il y croît par groupes, et y étend ses rameaux en liberté avec bien plus de majesté, de diversité de formes et de grâce que dans nos contrées. Entre les groupes de ces arbres et quelques autres groupes de joncs et de grands roseaux qui couvraient aussi les îles, nous apercevions les arches brisées d’un vieux pont bâti par les anciens émirs du Liban, et tombé depuis des siècles. Au delà des arches de ce pont en ruine, la gorge s’ouvrait en entier sur une immense scène intérieure de vallées, de plaines et de collines semées de villages habités par les Druzes, et tout était enveloppé, comme un amphithéâtre, par une chaîne circulaire de hautes montagnes : ces collines étaient presque toutes vertes, et toutes vêtues de forêts de pins. Les villages, suspendus les uns au-dessus des autres, semblaient se toucher à l’œil ; mais quand nous en eûmes traversé quelques-uns, nous reconnûmes que la distance était considérable de l’un à l’autre, par la difficulté des sentiers et par la nécessité de descendre et de remonter les ravins profonds qui les séparent. Il y a tel de ces villages d’où l’on peut facilement entendre la voix d’un homme qui parle dans un autre village, et il faut cependant une heure pour aller de l’un à l’autre. Ce qui ajoutait à l’effet de ce beau paysage, c’était deux vastes monastères plantés, comme des forteresses, au sommet de deux collines derrière le fleuve, et qui ressemblaient eux-mêmes à deux blocs de granit noircis par le temps : l’un est habité par des Maronites qui se consacrent à l’instruction des jeunes Arabes destinés au sacerdoce. L’autre était désert : il avait appartenu jadis à la congrégation des lazaristes du Liban ; il servait maintenant d’asile et de refuge à deux jeunes jésuites envoyés là par leur ordre, sur la demande de l’évêque maronite, pour donner des règlements et des modèles aux maîtres arabes ; ils vivent là dans une complète solitude, dans la pauvreté, et dans une sainteté exemplaire. (Je les ai connus plus tard.) L’un apprend l’arabe, et cherche inutilement à convertir quelques Druzes des villages voisins : c’est un homme de beaucoup d’esprit et de lumières ; l’autre s’occupe de médecine, et parcourt le pays en distribuant des médicaments gratuits : tous deux sont aimés et respectés par les Druzes et même par les Métualis. Mais ils ne peuvent espérer aucun fruit de leur séjour en Syrie : le clergé maronite est très-attaché à l’Église romaine ; cependant ce clergé a ses traditions, son indépendance, sa discipline à lui, qu’il ne laisserait pas envahir par l’esprit des jésuites ; il est la véritable autorité spirituelle, le gouverneur des esprits dans tout le Liban ; il aurait bien vite des rivaux dans des corporations européennes agissantes et remuantes, et cette rivalité l’inquiéterait avec raison.

Après nous être reposés une demi-heure dans ce site enchanté, nous remontâmes à cheval, et nous commençâmes à gravir la côte escarpée qui se dressait devant nous. Le sentier devenait de plus en plus rude, en s’élevant sur la dernière chaîne du Liban qui nous séparait des côtes de Syrie. Mais, à mesure que nous nous élevions, l’aspect du bassin immense que nous laissions à notre droite devenait plus imposant et plus vaste.

Le fleuve, que nous avions quitté à la halte, serpentait au milieu de cette plaine légèrement ondulée de collines, et quelquefois s’étendait en flaques d’eau bleue et brillante comme les lacs de Suisse. Les collines noires, couronnées à leur sommet de bouquets de pins, interrompaient à chaque instant son cours, et le divisaient à nos yeux en mille tronçons lumineux. De degré en degré, des collines partant de la plaine s’élevaient, s’accumulaient, s’appuyaient les unes contre les autres, toutes couvertes de bruyères en fleur, et portant çà et là, à de grands intervalles, des arbres à large tête, qui jetaient des taches sombres sur leurs flancs. De grands bois de cèdres et de sapins descendaient plus haut des cimes élevées, et venaient mourir par bouquets et par clairières autour de nombreux villages druzes dont nous voyions surgir les terrasses, les balcons, les fenêtres en ogive, du sein de la verdure des sapins. Les habitants, couverts de leur beau manteau écarlate, et le front ceint de leur turban à larges plis rouges, montaient sur leurs terrasses pour nous voir passer, et ajoutaient eux-mêmes, par l’éclat de leurs costumes et par la majesté de leurs attitudes, à l’effet grandiose, étrange, pittoresque, du paysage. Partout de belles fontaines turques coulaient à l’entrée ou à la sortie de ces villages. Les femmes et les filles, qui venaient chercher de l’eau dans leurs cruches longues et étroites, étaient groupées autour des bassins, et écartaient un coin de leur voile pour nous entrevoir. La population nous a paru superbe. Hommes, femmes, enfants, tout a la couleur de la force et de la santé. Les femmes sont très-belles. Les traits du visage portaient en général l’empreinte de la fierté et de la noblesse, sans expression de férocité.

Nous fûmes salués partout avec politesse et grâce. On nous offrit l’hospitalité dans tous ces hameaux. Nous ne l’acceptâmes nulle part, et nous continuâmes à gravir, pendant environ trois heures, des pentes escarpées sous des bois de sapins. Nous touchâmes enfin à la dernière crête blanche et nue des montagnes, et l’immense horizon de la côte de Syrie se déroula d’un seul regard devant nous. C’était un aspect tout différent de celui que nous avions sous les yeux depuis quelques jours : c’était l’horizon de Naples vu du sommet du Vésuve ou des hauteurs de Castellamare. L’immense mer était à nos pieds, sans limites, ou seulement avec quelques nuages amoncelés à l’extrémité de ses vagues. Sous ces nuages on aurait pu croire que l’on apercevait une terre, la terre de Chypre, qui est à trente lieues en mer, le mont Carmel à gauche, et à perte de vue, sur la droite, la chaîne interminable des côtes de Bayruth, de Tripoli de Syrie, de Latakieh, d’Alexandrette ; enfin, confusément et sur les brumes dorées du soir, quelques aiguilles resplendissantes des montagnes du Taurus : mais ce pouvait être une illusion, car la distance est énorme. Immédiatement sous nos pieds la descente commençait ; et après avoir glissé sur les rochers et les bruyères sèches de la cime où nous étions placés, elle s’adoucissait un peu et se déroulait de sommets en sommets, d’abord par des têtes grises de collines rocailleuses, ensuite sur les têtes vert-sombre des pins, des cèdres, des caroubiers, des chênes verts ; puis, sur des pentes plus douces, sur la verdure plus pâle et plus jaune des platanes et des sycomores ; enfin, venaient des collines grises, toutes veloutées de la feuille des bois d’oliviers. Tout allait s’éteindre et mourir dans l’étroite plaine qui sépare le Liban de la mer. Là, sur les caps, on voyait de vieilles tours moresques qui gardent le rivage ; au fond des golfes, des villes ou de gros villages avec leurs murs brillant au soleil, et leurs anses creusées entre les sables, et leurs barques échouées sur les bords, ou leurs voiles sortant des ports et y rentrant. Saïde et Bayruth surtout, entourées de leurs riches plaines d’oliviers, de citronniers, de mûriers, avec leurs minarets, leurs dômes de mosquées, leurs châteaux et leurs murs crénelés, sortaient de cet océan de couleurs et de lignes, et arrêtaient les regards sur deux points avancés dans les flots. Au delà de la plaine de Bayruth, le grand Liban, interrompu par le cours du fleuve, recommençait à s’élever, d’abord jaune et doré comme les colonnes de Pœstum ; ensuite, gris, sombre, terne ; puis, vert et noir dans la région des forêts : enfin, dressant ses aiguilles de neige, qui semblaient se fondre dans la transparence du ciel, et où les blancs rayons dormaient, dans une éternelle sérénité, sur des couches d’éternelle blancheur. Naples ni Sorrente, Rome ni Albano, n’ont un pareil horizon.

Après avoir descendu environ deux heures, nous trouvâmes un kan isolé sous de magnifiques platanes, au bord d’une fontaine. Il faut décrire une fois pour toutes ce qu’on appelle un kan dans la Syrie, et en général dans toutes les contrées de l’Orient : c’est une cabane dont les murs sont de pierres mal jointes, sans ciment, et laissant passer le vent ou la pluie : ces pierres sont généralement noircies par la fumée du foyer, qui filtre continuellement à travers leurs interstices. Les murs ont à peu près sept à huit pieds de haut ; ils sont recouverts de quelques pièces de bois brut, avec l’écorce et les principaux rameaux de l’arbre ; le tout est ombragé de fagots desséchés qui servent de toit ; l’intérieur n’est pas pavé, et, selon la saison, c’est un lit de poussière ou de boue. Un ou deux poteaux servent d’appui au toit de feuilles, et on y suspend le manteau ou les armes du voyageur. Dans un coin est un petit foyer exhaussé sur quelques pierres brutes ; sur ce foyer brûle sans cesse un feu de charbon, et une ou deux cafetières de cuivre, toujours pleines de café épais et farineux, rafraîchissement habituel et besoin unique des Turcs et des Arabes.