Waverley/Chapitre XXII

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Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 196-205).


CHAPITRE XXII.

CHANTS DES HIGHLANDS.


Après les premiers compliments d’usage, Fergus dit à sa sœur : « Ma chère Flora, avant de vous quitter pour aller de nouveau présider aux coutumes barbares de nos ancêtres, je dois vous dire que le capitaine Waverley est idolâtre de la muse celtique, par la raison peut-être qu’il ne comprend pas un mot de son langage. Je lui ai dit que vous aviez traduit avec perfection la poésie highlandaise, et que Mac Murrough admirait la traduction que vous aviez faite de ses chansons, sans doute d’après le même principe qui excite l’admiration du capitaine pour l’original, c’est-à-dire que Mac Murrough admire votre ouvrage, parce qu’il ne le comprend pas. Voulez-vous avoir la bonté de lire ou de réciter à notre hôte, en langue anglaise, la série extraordinaire de noms que Mac Murrough a rassemblés dans le chant gaëlique qu’il nous a fait entendre ? Je gagerais ma vie contre un oiseau, que vous avez fait une traduction de ces noms ; car je sais que le barde vous demande des avis, et que vous connaissez ses chansons longtemps avant qu’il nous les chante dans la salle du festin. » — « Comment pouvez-vous tenir un pareil langage, Fergus ? Vous savez combien ces vers sont dépourvus d’intérêt pour un étranger, pour un Anglais, en supposant même que j’eusse pu les traduire, comme vous le pensez. » — « Vous vous trompez, ma chère sœur ; ces vers intéresseront autant le capitaine qu’il m’intéressent moi-même. Aujourd’hui vos compositions (je persiste à dire que vous participez à celle du barde) m’ont coûté la dernière coupe d’argent du château, et je suppose qu’elles me coûteront quelque chose de plus la première fois que je tiendrai cour plénière, si la muse descend sur Mac Murrough ; car vous connaissez notre proverbe : « Quand la main du chef cesse de donner, le génie du barde ne tarde point à se glacer. » Aujourd’hui trois choses sont inutiles à un Highlandais, son épée qu’il ne doit plus tirer, un barde pour chanter des actions qu’il n’ose plus imiter, et une large bourse de peau de chèvre, quand il n’a pas un louis d’or à y mettre. » — « Eh bien, mon frère ! puisque vous trahissez mes secrets, ne vous attendez point à ce que je garde les vôtres. Je vous assure, capitaine Waverley, que Fergus est trop fier pour changer sa claymore contre un bâton de maréchal ; qu’à ses yeux Mac Murrough est préférable à Homère, et qu’il ne donnerait pas sa bourse de peau de chèvre pour tous les louis d’or qu’elle peut contenir. » — « Très-bien, Flora ; coup pour coup, comme Conan disait au diable[1]. Maintenant parlez l’un et l’autre de bardes et de poésie, non de bourses et de claymores ; quant à moi, je retourne au banquet pour en faire les derniers honneurs aux sénateurs de la tribu d’Ivor. » En disant ces mots, il se retira.

La conversation continua entre Flora et Waverley ; car deux jeunes femmes, élégamment vêtues, et qui semblaient être à la fois les compagnes et les suivantes de notre héroïne, n’y prenaient aucune part. Elles étaient jolies l’une et l’autre ; mais leur présence relevait encore la grâce et la beauté de leur maîtresse. L’entretien suivit le cours que lui avait donné Fergus ; et ce que Miss Mac-Ivor raconta de la poésie celtique amusa Waverley et le surprit également.

« Le récit de ces poésies, dit-elle, qui célèbrent les hauts faits des héros, les plaintes des amants, et les combats des tribus ennemies, forme le principal amusement de l’hiver dans les chaumières des Highlands. Quelques-uns de ces poèmes sont, dit-on, fort anciens, et s’ils sont jamais traduits dans une des langues des nations civilisées de l’Europe, ils produiront certainement une sensation profonde et générale. D’autres sont plus modernes ; ils ont été composés par ces bardes que les chieftains les plus illustres et les plus puissants retiennent auprès d’eux, comme poètes et historiens de leurs tribus. Ces dernières poésies possèdent différents degrés de mérite, dont une partie s’évapore dans la traduction, ou est perdue pour ceux dont les sentiments ne sympathisent pas avec le génie du poète. « — « Et votre barde, dont les chants semblaient produire aujourd’hui tant d’effet sur les assistants, le compte-t-on au nombre des poètes favoris des montagnes ? » — « Il est assez difficile de répondre à cette question. Sa réputation est grande parmi ses compatriotes, et ne vous attendez pas que je cherche à la déprécier[2]. » — « Mais sa chanson, miss Mac-Ivor, a semblé animer tous les guerriers, jeunes et vieux. » — « Sa chanson n’est guère qu’un catalogue des noms des clans highlandais d’après leurs particularités distinctives, et une exhortation qu’il leur fait de se rappeler les actions de leurs ancêtres pour chercher à les imiter. « — « Ai-je donc tort de conjecturer, quelque extraordinaire que semble être mon observation, que dans les chants qu’il faisait entendre, quelque allusion me concernait ? » — « Capitaine Waverley, vous avez un discernement fort heureux qui ne vous a point trompé dans cette occasion. La langue gaëlique, étant extraordinairement vocale, s’adapte parfaitement à la poésie improvisée ; et un barde manque rarement d’augmenter les effets d’une chanson préparée, en y jetant quelques stances que peuvent lui suggérer les circonstances au moment où il commence son récit. » — « Je donnerais mon meilleur cheval, pour connaître ce que le barde highlandais a pu trouver à dire sur un indigne habitant du sud, tel que moi. » — « Pour le savoir, il ne vous en coûtera pas même un de ses crins. Una, mavourneen ! (Elle adressa quelques mots à une de ses jeunes suivantes, qui, ayant fait un profond salut, sortit de la chambre.) Je viens d’envoyer Una près du barde pour connaître les expressions dont il a fait usage, et alors je vous servirai de drogman. »

Una revint au bout de quelques minutes, et répéta à sa maîtresse des vers en langue gaëlique. Flora sembla réfléchir un peu, et se tournant ensuite vers Waverley, elle lui dit en rougissant : « Il m’est impossible, capitaine, de satisfaire votre curiosité, sans m’exposer à être taxée de présomption. Si vous voulez m’accorder quelques moments de réflexion, je tâcherai d’adapter le sens de ces vers à une grossière traduction anglaise que j’ai faite d’une partie de l’original. Les cérémonies du thé semblent toucher à leur fin, et la soirée est délicieuse ; Una vous montrera le chemin conduisant à une de mes retraites favorites, où je vous rejoindrai, accompagnée de Cathleen. »

Una, ayant reçu des instructions dans sa langue natale, fit prendre au capitaine un passage différent de celui qui l’avait conduit dans l’appartement. De loin il entendit le bruit des cornemuses, et les cris ainsi que les applaudissements des convives, qui faisaient encore retentir la salle du banquet. Par le moyen d’une fausse porte ou poterne, il se trouva bientôt, ainsi que sa compagne, au milieu de la campagne ; ils se dirigèrent pendant quelque temps vers le haut de la vallée sauvage et étroite où était situé le château, en suivant le cours du ruisseau qui l’arrosait. À environ un quart de mille du manoir, deux ruisseaux se réunissaient, et leur jonction formait une petite rivière ; le plus considérable des deux descendait le long de la vallée, dont l’étendue ne comportait aucun accident ou élévation de terrain, l’œil pouvant à peine distinguer les coteaux qui la bornaient. Mais l’autre ruisseau, qui avait sa source au milieu des montagnes, à gauche du Strath, paraissait sortir d’une ouverture étroite et obscure, placée entre deux rochers. Ces ruisseaux étaient aussi doués d’un caractère différent. Le plus considérable était tranquille et même lent dans son cours ; ses eaux semblaient se replier sur elles-mêmes dans des gouffres profonds, ou rouler des masses d’eau d’un bleu foncé ; mais les mouvements de l’autre étaient rapides et furieux ; il s’élançait à travers les précipices, comme un aliéné qui, sorti de sa prison, hurle et écume. Ce fut vers la source de ce dernier ruisseau que Waverley, comme un chevalier de roman, fut conduit par la belle demoiselle des Highlands, son guide silencieux. Un petit sentier qui avait été réparé dans quelques endroits pour ouvrir un passage commode à Flora, le conduisit vers un paysage d’une nature tout opposée à celui qu’ils venaient de quitter. Autour du château, tout était froid, nu, désolé, et même barbare, mais cet étroit vallon, à une si petite distance, semblait conduire à une terre magique et idéale. Les rocs prenaient mille formes particulières et variées. Dans un endroit, un rocher d’une grosseur extraordinaire présentait sa masse gigantesque, comme pour empêcher qu’on pénétrât au-delà de la barrière qu’il formait ; et ce ne fut que lorsqu’il eut atteint sa base, que Waverley aperçut le circuit au moyen duquel le sentier faisait le tour de ce formidable obstacle. Dans un autre endroit, les rocs qui se projetaient des côtés opposés de la gorge, se trouvaient à une distance si rapprochée, que deux pins couchés en travers, et garnis de gazon, formaient un pont rustique dont la hauteur était de cent cinquante pieds au moins. On n’y apercevait point d’appuis, et sa largeur n’excédait pas trois pieds.

En contemplant ce périlleux passage, qui, comme une ligne noire, traversait le petit espace non intercepté par la projection des rochers, ce fut avec une sensation d’horreur que Waverley vit paraître Flora et sa suivante. Il la vit aussi, semblable à une créature aérienne et imaginaire, poser le pied sur cette construction tremblante. Flora, ayant aperçu le capitaine au-dessous d’elle, s’arrêta, et avec un air gracieux qui le fit frémir, elle agita son mouchoir en forme de signal. Et tel était le vertige que causait à Édouard le péril auquel elle exposait sa vie, qu’il n’eut pas la force de répondre à son salut ; et il n’avait jamais éprouvé plus de soulagement que lorsqu’il vit la belle apparition quitter la dangereuse éminence où elle était restée d’un air si indifférent, et disparaître de l’autre côté du ruisseau.

Waverley s’avança alors, et passa sous le pont dont la vue lui avait causé tant de terreur. Le sentier montait rapidement depuis le bord du ruisseau, et le vallon s’élargissait au point de former un agreste amphithéâtre ; on y voyait quelques bouleaux, de jeunes chênes, des noisetiers et des ifs épars çà et là. Dans ce lieu, les rochers disparaissaient, on n’apercevait plus à travers les bois que leurs crêtes grises et ombragées. On voyait un peu plus haut des pics et des éminences, les uns stériles et nus, les autres boisées ; celles-ci rondes et couvertes de bruyères, ceux-là fendus et inégaux. Waverley, en suivant le sentier, perdit bientôt de vue le ruisseau, et après un léger détour, il se trouva soudain placé en face d’une cascade tout à fait romantique. On admirait moins sa hauteur et la masse de ses eaux que le site agreste où elle se trouvait placée. La cataracte avait à peu près vingt pieds de hauteur ; les eaux étaient reçues dans une immense bassin, formé par la nature ; elles étaient d’une limpidité telle, que dans les endroits où les bulles formées par la chute s’évaporaient, l’œil pouvait apercevoir les cailloux qui se trouvaient au fond du bassin, quelle qu’en fût la profondeur. Le ruisseau, après être sorti de ce réservoir, serpentait sur une surface assez unie, après quoi il formait une seconde chute, qui bientôt se précipitait dans un abîme ; se frayant ensuite un nouveau passage à travers les rochers que son cours avait polis, il errait en murmurant dans le vallon, et formait la rivière que Waverley venait de remonter[3]. Les bords de ce réservoir vraiment romantique répondaient à sa beauté ; il y avait dans leur aspect quelque chose de triste, de sévère, et même de majestueux. Des bancs de mousse et de gazon avaient été placés de distance en distance entre les rochers ; ces bancs étaient ombragés par des arbrisseaux, dont quelques-uns avaient été plantés sous la direction de Flora, mais avec une adresse telle, qu’ils ajoutaient à la grâce du paysage sans rien lui faire perdre de son aspect romantique et sauvage.

Ce fut dans ce lieu que Waverley trouva Flora, les regards dirigés vers la cascade ; elle lui apparut comme une de ces jeunes beautés qui embellissent les paysages du Poussin. À quelques pas derrière elle était Cathleen, tenant une petite harpe écossaise. L’usage de cet instrument avait été enseigné à Flora par Rory Dali, un des derniers bardes de la partie occidentale des Highlands. Le soleil, dont on n’apercevait plus alors que les derniers rayons, répandait une teinte riche et variée sur tous les objets d’alentour ; il semblait ajouter encore à l’expression plus qu’humaine des yeux noirs de Flora : son teint paraissait avoir plus de fraîcheur et de pureté, et sa taille plus de dignité et de grâce. Édouard pensa que, même au milieu de ses rêves les plus fantastiques, jamais une figure si céleste et si ravissante ne s’était offerte à ses regards. La beauté sauvage de la solitude où il se trouvait produisit sur lui un effet magique, et ajoutait encore au sentiment de plaisir et de crainte avec lequel il s’approcha d’elle, comme d’une belle enchanteresse de Boiardo ou de l’Arioste, qui d’un signe paraissait avoir fait du paysage qui les entourait un Éden dans le désert.

Flora, comme toute femme à qui la nature a donné la beauté en partage, connaissait le pouvoir de ses charmes et en observait avec plaisir les effets ; car elle ne pouvait se méprendre à cet égard en voyant la crainte et le respect du jeune militaire. Mais, comme elle était douée d’un heureux discernement, elle attribua à la sublimité de la scène et à d’autres circonstances accidentelles, une partie de la vive et puissante émotion qui semblait le dominer ; elle ne connaissait point d’ailleurs le caractère du capitaine et jusqu’à quel point il se laissait impressionner par son imagination : aussi considérait-elle son hommage comme le tribut passager qu’une femme d’une beauté même ordinaire pouvait attendre dans une situation semblable à la sienne. Elle s’éloigna alors à pas lents de l’endroit où elle se trouvait, et s’arrêta vers un point assez distant de la cascade pour que le bruit de sa chute pût accompagner plutôt qu’interrompre les sons de sa voix et de son instrument, et s’asseyant sur un fragment de rocher moussu, elle prit la harpe des mains de Cathleen.

« Je vous ai donné la peine de venir de ce côté, capitaine Waverley, dit-elle, parce que je pensais que le paysage nous offrirait de l’intérêt, et que des chants highlandais perdraient trop dans mon imparfaite traduction si je ne vous les présentais accompagnés de tous ces accidents sauvages appropriés à leur nature. Pour parler le langage poétique de mon pays, c’est au milieu des collines secrètes et solitaires que la muse celtique a fixé son séjour ; elle aime à marier sa voix au murmure du ruisseau de la montagne ; celui qui l’invoque doit préférer le rocher nu à la vallée fertile, et la solitude du désert aux fêtes splendides des palais. »

En entendant cette beauté ravissante prononcer ces mots d’une voix harmonieuse et exaltée, qui ne se serait écrié que la muse invoquée par elle ne pourrait jamais trouver un être plus digne de la représenter ? Mais, quoique cette pensée se présentât à l’esprit d’Édouard, il n’eut pas le courage de l’exprimer : les sensations délicieuses que lui firent éprouver les premiers sons qu’elle tira de la harpe étaient mêlées d’un sentiment pénible. Il n’eût pas, pour toutes les richesses de l’univers, quitté la place qu’il occupait près d’elle ; cependant il soupirait presque après la solitude : il eût voulu savourer à loisir les diverses émotions qui l’agitaient.

Flora fit succéder au récitatif monotone et mesuré du barde un air noble et pompeux qui, dans les premiers âges, avait été un chant de combat. Après quelques accords essayés au hasard, elle en fit entendre de sauvages et d’une nature particulière, qui semblaient former une espèce d’harmonie avec le bruit éloigné de la cascade et le doux frémissement de la brise du soir se jouant dans les feuilles d’un tremble dont les rameaux s’étendaient sur le siège où se trouvait assise la sœur de Mac lyor. Les vers qui suivent, chantés et accompagnés par elle, ne donneront qu’une faible idée des sensations qu’ils excitèrent dans l’âme de Waverley :


CHANT DU BARDE ÉCOSSAIS.

Le brouillard ceint les monts, la nuit ceint la vallée ;
Des enfants de Gaël bien plus noir est le sort :
L’étranger les vainquit, leur gloire est envolée,
Tous les cœurs sont glacés, tous les bras sans ressort.

La rouille a dévoré la sanglante claymore ;
La poussière a couvert le dirk[4], le bouclier.
Si des armes le bruit dans les monts roule encore,
C’est le plomb du mousquet abattant le gibier.

Si nos bardes chantaient les exploits de nos pères,
Que la honte ou la mort soit le prix de leurs chants !
Que la harpe se taise en voyant nos misères,
Et prouve que la gloire a déserté nos champs.

Mais l’aurore a rompu des nuits les sombres trames,
Et déjà le soleil dore le haut des monts.
Les pics, Glenaladale[5], ont lui de ses rayons ;
Glenfinnan, tes ruisseaux en ont jeté des flammes.

Moray[6], banni long-temps, et par le sort froissé,
Au lever du soleil fais briller ta bannière ;
Vents du nord, balancez sa toile aventurière
Comme un dernier rayon quand l’orage a cessé.

Fils des braves, sitôt que poindra cette aurore,
La harpe devra-t-elle appeler aux combats ?
Vos pères songeaient-ils à la harpe sonore,
Quand ce signe appelait à la gloire, au trépas ?

Fils de rois, chefs de clans, audacieux cortège,
Rassemblez-vous, venez, et d’un pas affermi,
Comme des flots sortis des montagnes de neige,
Venez, marchez, volez, écrasez l’ennemi.

Lochiel, à ta main que ton glaive frémisse ;
Saisis ton bouclier, noble race d’Evan ;
De ton cor, fier Keppoeh, terrible en ton élan.
Que jusqu’à Coryarrick l’âpre son retentisse.

Brave fils de Kenneith, vaillant chef de Kintail,
Que ton fier étendard au gré des vents s’agite :
Puisse de Glenlivat la belliqueuse élite
Long-temps servir encore d’affreux épouvantail !


Clan de Fingon, toujours en héros si fertile,
Au clan de Korri-More unis ton noble effort,
Pour lancer à la mer le navire indocile
Et manier la rame attachée à son bord.

Glorieux Mac Shimei, quelle sera ta joie
Quand ton chef de la toque armera ton vieux front !
De l’ennemi bientôt il va faire sa proie,
Venger la mort d’Alpine et son antique affront.

Fils de Dermid, effroi du sanglier sauvage,
Du vaillant Callum More oublierez-vous les droits ?
Mac Neil et Moy du Lac, armez votre courage :
la liberté, l’honneur, vous somment à la fois.


À cet endroit du poëme, un énorme lévrier, paraissant dans le vallon, accourut près de Flora, et par ses importunes caresses interrompit ses chants. Un sifflet s’étant fait entendre au loin, l’animal se retourna et descendit de nouveau le sentier avec la rapidité d’une flèche. « Ce lévrier est le fidèle compagnon de Fergus, capitaine Waverley, et ce coup de sifflet est son signal ordinaire ; il n’aime pas la poésie, mais bien ce qui respire la gaieté ; il vient assez à temps pour mettre fin au long catalogue de nos tribus, qu’un de vos poètes anglais a eu l’insolence d’appeler


Un fier et vain ramas de tristes mendiants.
Qui surchargent de Macs[7] leurs noms retentissants. »


Édouard témoigna le regret que lui faisait éprouver cette interruption. — « Oh ! ce que vous perdez se réduit à fort peu de chose ! Dans les vers qui suivent le barde se croit obligé d’adresser trois longues stances à Vich-Jan-Vohr des Bannières ; il énumère toutes ses grandes qualités, et n’oublie point de louer sa bienveillance pour le barde de la tribu, et surtout les sentiments de générosité dont il fait preuve. Vous eussiez en outre entendu l’apostrophe adressée au fils de l’étranger, au jeune homme aux blonds cheveux, qui habite le pays où le gazon est toujours vert ; des stances en l’honneur du cavalier monté sur un coursier aux riches harnais, dont la couleur ressemble à celle du corbeau, et dont le hennissement est comme le cri perçant de l’aigle avant le combat. D’autres vers rappelaient avec douceur au vaillant cavalier que ses ancêtres s’étaient rendus célèbres par leur loyauté, ainsi que par leur courage. Voilà tout ce que vous avez perdu ; mais, puisque votre curiosité n’est pas satisfaite, d’après le son éloigné du sifflet de mon frère, je vois que je puis avoir le temps de chanter les stances finales avant qu’il arrive et ne se mette à rire de ma traduction :


Sur vos coteaux et dans vos îles,
Braves fils des lacs et des monts,
Éveillez-vous, soyez dociles
À la voix du cor dont les sons
Viennent de remplir ces vallons.
Il appelle, non pour la chasse,
Non pour les jeux et les chansons,
Mais pour retremper votre audace.

C’est le signal des vrais soldats
Pour la victoire ou le trépas,
Quand sur les monts et les bruyères
On voit déployer les bannières.
Armez-vous donc, nobles guerriers,
Ceignez le dirk et la claymore :
Prenez vos larges boucliers ;
Il s’agit de coups meurtriers,
De gloire et de patrie encore.

Que le glaive ardent du chieftain
Brille et s’agite ; ainsi de Fin
Le fer brillait, frappait, avide
De morts et de sanglant butin ;
Que le sang, comme un feu rapide,
Dans les veines bouillonne enfin :
Remplis d’une nouvelle rage,
Brisez le joug de l’étranger,
Marchez, défiez le danger :
Mieux vaut la mort que l’esclavage.


  1. Dans les ballades irlandaises qui ont rapport à Fion (le Fingal de Macpherson) il se rencontre, ainsi que dans la poésie primitive de presque toutes les nations, une foule de héros dont chacun a son attribut distinctif. D’après ces qualités et les aventures de ceux qui les possédaient, on a établi plusieurs proverbes qui sont encore bien connus dans les Highlands. Entre autres on distingue en quelque sorte Conan comme une espèce de Thersite, mais brave et audacieux jusqu’à la témérité ; il avait fait vœu de ne jamais recevoir un coup sans le rendre ; et ayant, comme beaucoup d’autres héros de l’antiquité, fait une descente dans les régions infernales, il reçut un soufflet de l’architecte qui y présidait ; il le rendit aussitôt en se servant de l’expression du texte. Parfois le proverbe est cité ainsi qu’il suit : « Griffe pour griffe et que le diable prenne les ongles plus court, comme Conan le dit au diable. »
    Note de l’auteur. a. m.
  2. Le poète highlandais, observe l’auteur, est presque toujours improvisateur. Le capitaine Burt en rencontra un à la table du laird Lovat. a. m.
  3. La description de la chute d’eau dont il est question dans ce chapitre est prise de celle de Ledeard, à la ferme qui porte ce nom au nord de Lochard, et près de la source du lac, à quatre ou cinq milles d’Aberfovle. Elle est sur une petite échelle mais du reste c’est une des plus jolies cascades qu’il soit possible de voir. a. m.
  4. Espèce de poignard, comme la claymore est une épée antique. a. m.
  5. Le jeune et audacieux aventurier Charles-Édouard débarqua à Glenaladale, dans le Moidart, et déploya sa bannière dans la vallée de Glenfinnan, rassemblant autour de lui les Mac Donald, les Cameron, et les autres clans moins nombreux qu’il avait su attirer dans ses rangs. Il y a sur le lieu même un monument portant une inscription latine du docteur Grégoire. a. m.
  6. Frère aîné du marquis de Tullibardine, qui, long-temps exilé, revint en Écosse avec Charles-Édouard en 1745. a. m.
  7. Épithète honorifique répondant à fils. a. m.